CA Paris, 5e ch. C, 5 mai 1994, n° 92-023468
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Perfex (SA)
Défendeur :
Tool France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Couderette
Conseillers :
Mme Cabat, M. Bouche
Avoués :
SCP Bommart Forster, Me Pamart
Avocats :
Mes Filliol, Teboul
La société Perfex, grossiste en fournitures industrielles et outillages, vend notamment l'outillage électroportatif de la marque Hitachi dont la société Tool France est le distributeur exclusif en France.
Des relations contractuelles se sont nouées entre les deux sociétés qui ont duré une dizaine d'années, le chiffre d'affaires réalisé ayant atteint le chiffre de 800 000 F environ en 1987.
Tool France accordait à Perfex des remises sur ses prix catalogue et Perfex réglait les livraisons au moyen de traites en général à 90 jours fin de mois.
En avril 1988 Tool France avise ses clients dont Perfex qu'à la suite d'une réorganisation ses remises seront fixées de manière uniforme à 45 % pour l'électroportatif Hitachi, 37 % pour les accessoires et 20 % pour les pièces détachées.
Au motif que ces remises étaient inférieures à celles qu'elle avait alors la société Perfex a protesté et a de sa seule autorité amputé les factures en recalculant ses remises sur les pourcentages respectifs de 50-45 et 37 % qui lui avaient été accordés en 1987.
En août 1988 Tool France met Perfex en demeure de lui régler le solde de son compte sous 10 jours, puis l'avise qu'elle ne la livrera plus avant d'être intégralement payée.
Estimant être victime de la part de son fournisseur de pratiques discriminatoires et de refus de vente contraires aux prescriptions de l'ordonnance du 1er novembre 1986, la société Perfex a fait assigner la société Tool France en référé par exploit du 12 octobre 1988.
Une ordonnance du 19 octobre 1988 a dit que la société Tool ne pouvait s'opposer à la vente de marchandise à la société Perfex dans le cas où celle-ci réglerait comptant et a désigné un expert pour déterminer si Perfex est redevable de sommes correspondant à des avoirs qu'elle s'est elle-même décomptés, dire si vis-à-vis des revendeurs de la clientèle Tool il y a discrimination notamment en ce qui concerne Perfex, d'indiquer en cas de discrimination si Perfex a subi un préjudice éventuel, de dire si le refus de livraison était justifié par le non paiement de factures.
L'expert Stein a déposé son rapport le 9 mars 1990.
Par exploit du 25 juillet 1991 la société Perfex a fait assigner la société Tool France en paiement de diverses sommes en réparation du préjudice que lui aurait causé son fournisseur et la société Tool France a répondu en sollicitant le rejet de ces demandes et reconventionnellement le paiement d'un solde de 35 687 F 12 avec intérêts du 24 août 1988, de dommages et intérêts et d'une indemnité pour frais irrépétibles.
Par jugement du 24 septembre 1992 le Tribunal de commerce de Corbeil-Essonnes a débouté la société Perfex de toutes ses demandes et, faisant droit pour partie à la demande reconventionnelle, l'a condamnée à payer à la société Tool la somme de 13 895 F 04 assortie des intérêts de droit à compter du 24 août 1988, les dépens étant mis à la charge de Perfex.
La société Perfex a régulièrement en la forme interjeté appel principal de cette décision.
Elle reprend les thèses soutenues en première instance et conclut à la condamnation de Tool France au paiement de 550 000 F au titre du préjudice subi en raison du refus de vente, de un million de francs au titre de son préjudice commercial et financier, de 100 000 F à titre de dommages et intérêts et de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Elle ne remet pas en cause la condamnation au paiement de 13 895 F 04 prononcée contre elle.
La société Tool France conclut pour sa part à la confirmation du jugement, mais aux termes d'un appel incident demande la condamnation de Perfex au paiement d'un solde supplémentaire de 21 792 F 08 avec intérêts, de 50 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et dilatoire et d'une indemnité de 50 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Considérant qu'il convient d'examiner, avant de se pencher sur la question des préjudices invoqués de part et d'autre, sur les conditions de la rupture intervenue entre les parties en 1988.
Qu'il est constant qu'il n'y a jamais eu de contrat fixant les pourcentages de remises sur les prix du catalogue consentis par Tool à Perfex.
Qu'il est également constant que c'est la société Tool France qui a pris l'initiative le 27 avril 1988 de fixer à 45 % pour les électroportatifs Hitachi, 37 % pour les accessoires et 20 % pour les pièces détachées ses taux de remises et qu'il est établi par le rapport d'expertise que cette mesure n'était pas prise individuellement à l'égard de Perfex, mais de manière générale à l'égard de tous les clients de Tool France.
Qu'il est de la responsabilité du vendeur de fixer ses prix et qu'une telle attitude vis-à-vis d'un client ne peut revêtir un caractère discriminatoire interdit par la loi qu'autant que ce client établit que des remises plus importantes lui étaient accordées de façon habituelle nécessitant pour leur remise en cause un accord préalable dudit client.
Qu'arguant du fait que tel était le cas la société Perfex a effectivement protesté au reçu de la lettre de Tool du 27 avril 1988 et a pris sur elle d'amputer ses factures en appliquant sur les produits concernés les remises respectives de 50 %, 45 % et 37 % qui lui avaient été consenties en 1987.
Qu'il résulte cependant du rapport de l'expert que, si les pourcentages cités sont à peu près exacts en ce qui concerne l'année 1986 et le premier trimestre 1987, ils ne relèvent pas d'une pratique habituelle.
Que Monsieur Stein a en effet relevé que de 1979 à 1988 les remises sur les machines ont varié de 37 à 50 %, sur les accessoires de 37 à 45 % et sur les pièces détachées de 20 à 37 %.
Qu'il a par ailleurs vérifié auprès d'autres clients de la société Tool que les remises qui leur étaient consenties relevaient du même ordre de grandeur.
Que dans ces conditions il ne peut être fait grief à la société Tool France de la révision de prix qu'elle a pratiquée en avril 1988, révision qui relevait de sa seule compétence sans qu'il y eut nécessité pour elle de rechercher un accord contractuel préalable.
Qu'il s'en suit qu'en modifiant les paiements qui lui étaient demandés en se référant dans chaque cas à la remise supérieure qu'il lui avait été donné d'obtenir la société Perfex a failli aux obligations qui découlaient pour elle du contrat tel qu'il existait.
Que, si elle a jugé bon comme elle prétend de maintenir vis-à-vis de ses propres clients ses propres taux de remises, elle ne peut en faire grief à la société Tool en invoquant à son encontre une pratique discriminatoire.
Considérant qu'à la suite de l'attitude ainsi adoptée par la société Perfex, la société Tool France l'a mise en demeure le 24 août puis le 23 septembre 1988 de lui régler sous 10 jours les sommes qui lui restaient dues sous peine d'un arrêt des livraisons.
Qu'en dépit de règlements partiels la société Perfex a maintenu sa position et qu'il est constant que ses dernières commandes n'ont pas été livrées.
Qu'elle invoque en conséquence un refus de vente de la part de son fournisseur, mais que ce refus de vente ne peut être retenu contre lui, le paiement des factures correspondant aux livraisons effectuées étant une condition préalable à la poursuite de celles-ci.
Qu'il importe peu que le non paiement admis par Perfex, retenu par les premiers juges et d'ailleurs contesté par Tool - point qui sera examiné ultérieurement - soit infime par rapport au chiffre d'affaires annuel entre les deux sociétés.
Considérant que c'est dans ces conditions à bon droit que les premiers juges ont estimé que ne pouvait être retenu à l'encontre de Tool France une infraction aux disposition de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Considérant que Perfex impute encore à Tool une infraction à l'article 34 du même texte pour avoir cherché à lui imposer ses propres prix de vente en diffusant des brochures faisant état des prix conseillés ou promotionnels.
Que la société Tool reconnaît la diffusion de ces brochures mais en précisant, ce qui n'est pas contesté, qu'elle les adresse seulement à ses propres clients qui n'ont pas l'obligation de s'y conformer et jamais aux clients de ses revendeurs.
Que la société Perfex admet d'ailleurs ce point de vue invoquant le préjudice qu'elle aurait subi du fait des nouveaux taux de remises pratiqués par Tool alors qu'elle même maintenait auprès de sa clientèle ses taux antérieurs.
Qu'il n'y a donc pas davantage infraction de la part de Tool France aux dispositions de l'article 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Considérant que, s'il est exact qu'en août 1988 Tool France a exigé de Perfex un paiement pratiquement comptant au lieu du paiement à 90 jours ou plus jusque là pratiqué, la société Perfex ne peut lui imputer le préjudice financier qui en serait résulté pour elle à partir du moment où cette attitude de Tool est justifiée par les défauts de paiement établis à l'encontre de son client.
Qu'en ce qui concerne enfin le préjudice commercial invoqué par la société Perfex, préjudice que d'ailleurs elle n'établit pas, il lui est entièrement imputable eu égard à son refus de paiement cause de la rupture.
Considérant que le jugement dont appel doit en conséquence être confirmé en ce qu'il a débouté la société Perfex de l'ensemble de ses demandes.
Considérant, sur la demande reconventionnelle de la société Tool France, qu'après ses mises en demeure de payer des 24 août et 23 septembre 1988 portant sur une somme de 165 441 F 80 la société Tool a ramené ses prétentions au chiffre de 35 687 F 12 admis par la société Perfex à concurrence de 13 895 F 04 et entériné par le tribunal pour cette dernière somme.
Qu'elle sollicite aujourd'hui une somme supplémentaire se décomposant ainsi :
- différences sur les taux de remises : 7 262 F 62
- désaccords sur les prix facturés : 5 625 F 21
- matériels retournés : 2 266 F
- factures non reçues : 4 622 F 05
- facture de Perfex non admise : 1 016 F 20
Que l'expertise établit que Perfex a soustrait à ses paiements sur le fondement prétendu de sa non-acceptation du nouveau tarif auquel elle ne pouvait pas s'opposer ainsi que cela a été dit la somme de 7 262 F 62, qu'elle ait demandé des avoirs ou pas.
Que cette somme est incontestablement due par Perfex et doit être ajoutée au montant de la condamnation déjà prononcée.
Qu'en ce qui concerne les désaccords sur les prix facturés qui représentent un montant de 5 625 F 21 avec demandes d'avoir ou pas l'expertise ne permet pas de déterminer qui a raison de Tool ou de Perfex ; et que la somme dont s'agit ne peut être retenue au crédit de la première.
Qu'à propos des pièces retournées l'expert a vérifié que Perfex avait demandé trois avoirs pour trois factures représentant un total de 2 266 F, avoirs refusés par Tool, mais à propos desquels cette société n'a fourni à l'expert aucune explication justifiant son refus.
Qu'il s'en déduit que le retour des matériels correspondant aux trois factures doit être admis et que la société Tool ne peut prétendre au paiement de la somme correspondante qui a été à bon droit retenue par la société Perfex dans ses règlements.
Que diverses factures émises par Tool à concurrence de 4 622 F 05 n'ont pas été payées. Que Perfex prétend ne les avoir pas reçues et que l'expert indique que Tool ne lui a communiqué aucune pièce justificative.
Que dans ces conditions la somme de 4 622 F 05 ne peut pas être portée au crédit de Tool.
Qu'enfin la société Perfex a émis en avril 1987 à l'intention de Tool une facture de 1 016 F 20, qui a été rejetée par Tool, mais que Perfex a retenue sur ses paiements.
Qu'elle n'apporte cependant aucune justification de cette facture et que la société Tool est en droit de prétendre au paiement d'une somme correspondante.
Considérant qu'en définitive la société Perfex doit être condamnée à payer à la société Tool France la somme de : 13 895 F 04 + 7 262 F 62 + 1 016 F 20 = 22 173 F 86, somme portant intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure de payer du 24 août 1988.
Considérant, sur la demande de dommages et intérêts de Tool France, que la procédure générée par Perfex à son encontre ne peut être considérée comme abusive et dilatoire, la société Perfex ayant pu de bonne foi se méprendre sur l'étendue de ses droits. Que par ailleurs la société n'apporte pas la justification que cette procédure ait entraîné pour elle un préjudice distinct de celui consécutif au retard de paiement qui se trouve compensé par l'octroi des intérêts moratoires.
Qu'il n'y a donc pas lieu à dommages et intérêts.
Considérant par contre qu'il serait inéquitable que la société Tool France ait à supporter l'intégralité des frais non compris dans les dépens qu'elle a été amenée à exposer et qu'il convient de lui allouer en compensation une indemnité que la Cour a éléments pour fixer à 5 000 F.
Considérant que les dépens sont à la charge de la partie qui succombe.
Par ces motifs, LA COUR : Reçoit les appels principal et incident réguliers en la forme, Confirme le jugement du Tribunal de commerce de Corbeil-Essonnes du septembre 1992 en ce qu'il a débouté la société Perfex de l'ensemble de ses demandes et en ce qu'il l'a condamnée aux dépens de première instance ; L'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau, Condamne la société Perfex à payer à la société Tool France la somme de 22 173 F 86 assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 août 1988 ; et celle de 5 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Déboute la société Tool France de tous chefs de demandes plus amples ou contraires à la motivation du présent arrêt. Condamne la société Perfex aux dépens d'appel et autorise Me Pamart, avoué, à poursuivre le recouvrement de ceux qu'il a exposés selon les dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.