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Décisions

CA Metz, ch. corr., 26 septembre 1991, n° 763-91

METZ

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Greff

Conseillers :

MM. Dannenberger, Jaouen

Avocat :

Me Perrad

TGI Strasbourg, ch. corr., du 26 oct. 19…

26 octobre 1989

Vu le jugement rendu contradictoirement par le Tribunal correctionnel de Strasbourg le 26 octobre 1989 qui a déclaré V Jacky coupable d'avoir :

- à Ars-sur-Moselle, le 8 novembre 1988, en tout cas depuis temps n'emportant pas prescription de l'action publique, revendu des produits en l'état à un prix inférieur à leur prix d'achat effectif (en l'espèce de la lessive sous forme de barils Axion 2 de 5 kilos),

- à Saverne, Haguenau, Selestat et Strasbourg, les 8 et 9 novembre 1988, en tout cas depuis temps n'emportant pas prescription de l'action publique, revendu des produits en l'état à un prix inférieur à leur prix d'achat effectif,

et lui faisant application des articles 1 de la loi 63-628 du 2 juillet 1963 modifiée par l'article 32 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986, 54 de l'ordonnance 86-1243, 463 du Code Pénal, 473 et suivants, 749 et 750 du Code de Procédure Pénale,

a rejeté la question préjudicielle, l'a condamné à une peine d'amende de dix mille francs, l'a condamné au remboursement des frais envers l'Etat,

Après arrêt de la Cour de cassation en date du 18 février 1991 qui casse et annule en toutes ses dispositions l'arrêt de la Cour d'appel de Colmar en date du 26 février 1990 et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Céans.

LA COUR :

En la forme :

Attendu que par arrêt en date du 18 février 1991, la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt de la Cour d'appel de Colmar en date du 26 février 1990 et a renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Metz ;

L'appelant conclut :

- à l'infirmation du jugement entrepris,

- à titre principal, à prononcer sa relaxe sans peine ni dépens,

- à titre subsidiaire, avant dire droit, par application de l'article 177 du Traité de Rome, à demander à la Cour de Justice des Communautés Européennes, siégeant à Luxembourg, de se prononcer sur les questions préjudicielles suivantes :

1- Une législation interdisant, purement et simplement, sous peine de sanctions pénales, la revente à perte même si celle-ci est occasionnelle, involontaire et ne s'accompagne d'aucun acte de déloyauté est-elle compatible avec les articles 3 f, 5 et 85 du Traité instituant la Communauté Economique Européenne ?

2- Une jurisprudence excluant, pour le calcul du prix d'achat effectué en dessous duquel il y a revente à perte, la prise en compte des ristournes à effet différé accordées par un fournisseur à un distributeur et entièrement répercutées par ce dernier sur le consommateur, est-elle compatible avec les articles 3 f, 5 et 85 du Traité instituant la Communauté Economique Européenne ?

Au fond :

Sur les questions préjudicielles :

Attendu que les articles 3 f, 5 et 85 du Traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté Economique Européenne, en énonçant respectivement que :

- " ... l'action de la Communauté comporte ... l'établissement d'un régime assurant que la concurrence n'est pas faussée dans le marché commun "

- " les Etats membres prennent toutes mesures... propres à assurer l'exécution des obligations découlant du présent traité ... ; ils s'abstiennent de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du présent traité "

- " sont ... interdits tous accords entre entreprises ... et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun ... "

- " ont pour objectif, parmi d'autres dispositions du Traité, de régir les règles relatives à la concurrence au sein de la Communauté ".

Qu'il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence communautaire constante, les articles 3 f et 5 ne peuvent pas être interprétés comme privant les Etats membres de tout pouvoir dans le domaine économique en leur interdisant de réglementer la concurrence, et que l'article 85 concerne le comportement des entreprises et non pas des mesures adoptées par les organes des Etats membres ;

Attendu que l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence prohibe la revente à perte ;

Que la revente à perte constitue une pratique concurrentielle déloyale, dans la mesure où elle peut entraîner une inégalité parmi les commerçants entre ceux respectant la réglementation économique en vigueur et ceux ne la respectant pas et même permettre d'évincer un concurrent ;

Que ce procédé commercial peut également aboutir pour un commerçant à accaparer un marché ainsi qu'à capter artificiellement une clientèle et, une fois ces buts atteints, à vendre de nouveau au prix normal ;

Que cette pratique anticoncurrentielle est aussi préjudiciable aux intérêts réels des consommateurs, la perte supportée par le commerçant sur quelques articles étant nécessairement compensée par les marges prélevées sur d'autres produits ;

Attendu que l'article 177 du Traité de Rome dispose que " lorsqu'une question préjudicielle est soulevée devant une juridiction d'un des Etats membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de Justice de statuer sur cette question " ;

Qu'il convient de déduire de ce texte qu'il appartient exclusivement à la Cour de Céans d'apprécier l'opportunité d'une question et d'un renvoi préjudiciels devant la Cour de Justice des Communautés Européennes ;

Qu'en conséquence, en fonction de ce qui précède, la Cour estime qu'une décision de la Cour de Justice sur ces points n'est pas nécessaire pour rendre son arrêt, en ce sens que la législation et la jurisprudence nationales apparaissent compatibles avec la réglementation communautaire invoquée en matière de concurrence;

Que dans ces conditions, il y a lieu de rejeter la demande subsidiaire de poser, avant dire droit au fond, les questions préjudicielles proposées ;

Sur les faits :

Attendu que le Tribunal a exactement rappelé les termes de la prévention, le déroulement de la procédure et les faits de la cause dans un exposé détaillé auquel la Cour se réfère expressément ;

Qu'il en ressort pour l'essentiel que les 8 et 9 novembre 1988, les services de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de Moselle et du Bas-Rhin ont relevé que :

- les barils de lessive de 5 kilogrammes de marque Axion, exposés à la vente au supermarché X de Ars-sur-Moselle,

- les mêmes barils d'Axion dans les magasins Y et X à Saverne et Selestat,

- les flacons d'adoucissant de 3 litres de marque Soupline, présentés aux clients aux supermarchés Y à Dorlisheim, Haguenau et Saverne,

- ainsi que les flacons d'adoucissant de 2 litres de marque Lenor dans les magasins Y à Dorlisheim et Saverne,

étaient revendus en l'état à un prix inférieur à leur prix d'achat effectif ;

Que les agents du Service de Metz, après avoir reçu par courriers des 21 novembre et 9 décembre 1988 les factures d'achat et les justificatifs de remises, et ceux du service de Strasbourg, après s'être rendus les 17 novembre et 7 décembre 1988 au siège de la société Z à Haguenau, pour examiner les documents, ont alors dressé des procès-verbaux de délits, respectivement en date du 27 janvier et du 3 février 1989, à l'encontre de V Jacky, Directeur des achats droguerie, parfumerie et hygiène au sein de la société précitée et responsable de la vente desdits produits en vertu d'une délégation de pouvoirs en date du 15 décembre 1987, procès-verbaux dont il résulte que les prix des marchandises s'établissaient comme suit :

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Sur la culpabilité :

Attendu que V Jacky a contesté les infractions reprochées en déclarant que la législation en vigueur n'interdisait pas la prise en compte, pour déterminer le prix d'achat effectif des articles visés, de rabais, remises ou ristournes différées, autres que celles figurant sur la facture d'achat, dont le principe était acquis ou le montant chiffrable après la vente du fournisseur à distributeur, notamment en fin d'année ;

Qu'ainsi, après déduction de ces remises futures et conditionnelles, calculées dans ses mémoires en défense en date du 24 février et du 14 mars 1989, déposés respectivement aux services des fraudes de Moselle et du Bas-Rhin, le prix d'achat effectif des produits litigieux devait être selon lui le suivant :

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Attendu que selon l'article 1er de la loi du 2 juillet 1963, dans sa rédaction issue de l'article 32 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, est punissable tout commerçant qui revend un produit en l'état à un prix inférieur à son prix d'achat effectif, lequel est présumé être le prix porté sur la facture d'achat, majoré des taxes sur le chiffre d'affaires, des taxes spécifiques afférentes à cette revente et, le cas échéant, du prix du transport ;

Qu'aux termes de l'article 31 de la même ordonnance, la facture doit mentionner notamment le prix unitaire hors TVA des produits vendus ainsi que tous rabais, remises ou ristournes dont le principe est acquis et le montant chiffrable lors de la vente, quelle que soit leur date de règlement ;

Qu'il découle du texte précité que, si le règlement des factures peut intervenir postérieurement à la vente des marchandises, il n'en reste pas moins que seuls les avantages inconditionnels, acquis et chiffrables, portés sur la facture ou hors facture mais justifiés, peuvent être retenus, et les avantages conditionnels, à savoir les rabais de fin de période dont le droit n'est vérifiable qu'à la fin de la période donnée, leur principe n'étant pas acquis ni leur montant chiffrable au jour de la vente, ne peuvent être pris en compte;

Qu'en outre, si la présomption relative à la détermination du prix d'achat effectif édictée par l'article 32 admet que la preuve contraire soit administrée, il importe que le contrevenant fasse cette preuve avec des éléments contractuels émanant du fournisseur, existants et connus au jour du contrôle et non postérieurs à celui-ci, et établissant le principe de la ristourne acquise et permettant d'en chiffrer le montant ;

Qu'enfin, l'infraction définie à l'article 32 susvisé doit être examinée en corrélation avec les obligations relatives à la facturation énoncée à l'article 31 de l'ordonnance, étant rappelé qu'il est généralement admis que le délit de revente à perte est une infraction purement matérielle, qui ne nécessite pas la démonstration d'une intention frauduleuse, et le délit se trouve caractérisé par la seule constatation de son élément matériel ;

Attendu qu'il ressort de la procédure que le prévenu a présenté, à la suite des contrôles effectués, en sus des factures d'achats des articles concernés comportant des remises, des documents relatifs à des rabais obtenus hors factures et pouvant venir en déduction des prix d'achat effectif des produits incriminés, dont les agents des fraudes ont tenu compte dans leurs procès-verbaux, car étant justifiés à la date des contrôles ;

Que dès lors, le prix d'achat effectif définitif des marchandises en question s'établissait de la manière suivante :

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Qu'en revanche, les Services des Fraudes de Moselle et du Bas-Rhin n'ont pas retenu, à juste titre, d'autres justificatifs hors factures déposés par le prévenu, aux motifs que certains faisaient état de ristournes globales, qui n'étaient pas directement affectables aux lots des articles quantifiés sur les factures d'achat, comme étant imputables à tous les produits détergents et non pas aux seules marchandises litigieuses, et que d'autres avaient été établis par lui postérieurement aux constats des prix sans référence à un accord préalable des fournisseurs ;

Attendu en effet que pour renverser le présomption édictée par l'article 32 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le prévenu doit rapporter la preuve de l'existence de rabais, remises ou ristournes hors factures d'achat, certaines en leur principe et chiffrables en leur montant au jour de la revente ;

Qu'ainsi, le prévenu, en produisant d'une part, des documents mentionnant des remises différées et conditionnelles, susceptibles d'être consenties en fin d'exercice par les fournisseurs de la Société Z, mais non chiffrables et non affectables avec certitude aux seuls produits ayant fait l'objet de la revente à perte, et d'autre part, des factures de rémunération de service, établies par lui seul postérieurement aux contrôles effectués et qui n'étaient pas justifiées par des documents contractuels préalables et précis émanant des fournisseurs, n'a pas rapporté la preuve exigée;

Qu'en conséquence, V Jacky s'est rendu coupable des délits de revente à perte reprochés et il y a lieu donc de confirmer le jugement sur la culpabilité;

Sur la peine :

Attendu que la peine d'amende de 10.000 F infligée par les premiers juges, constitue une sanction proportionnée à la gravité des faits, compte tenu des circonstances atténuantes qui existent en faveur du prévenu, adaptée à sa personnalité et conforme aux exigences de la défense de l'ordre public ;

Que le jugement entrepris sera donc confirmé en toutes ses dispositions pénales ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, sur renvoi de la Cour de cassation selon arrêt en date du 18 février 1991 ; En la forme : Reçoit les appels comme réguliers ; Au fond : Rejette la demande subsidiaire de poser les questions préjudicielles à la Cour de Justice des Communautés Européennes ; Confirme le jugement en toutes ses dispositions rendu le 26 octobre 1989 par le Tribunal Correctionnel de Strasbourg ; Condamne V Jacky aux frais d'instance et d'appel ; Prononce, en tant que de besoin, la contrainte par corps en application des articles 749 et 750 du Code de Procédure Pénale, modifiés par la loi du 30 décembre 1985.