CA Paris, 5e ch. B, 29 novembre 1996, n° 93-6203
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
JVC Vidéo France (SA)
Défendeur :
Concurrence (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leclercq
Conseillers :
M. Bouche, Mme Cabat
Avoués :
SCP Autier, SCP Dauthy Naboudet
Avocat :
Me Sitruk
Considérant que la société JVC Vidéo France ci-après appelée JVF a fait appel d'un jugement contradictoire du 20 janvier 1993 du Tribunal de Commerce de Paris qui, statuant sur ses relations contractuelles avec la société Concurrence.
- a déclaré illicite " la remise de service après vente de 4 %, la remise quantitative différée variable en fonction du chiffre d'affaires annuel prévue dans les conditions générales de vente et les remises quantitatives des contrats de coopération commerciale " ;
- a dit que les modalités d'octroi de primes différées prévues tant par les conditions générales que par le contrat de coopération commerciale s'analysent en une " imposition de prix et de marge minimum " ;
- a ordonné à la société JVF de cesser ces pratiques anticoncurrentielles et de modifier ses contrats sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée à compter du 90e jour suivant la signification du jugement ;
- a chargé un expert d'évaluer le préjudice subi par la société Concurrence du fait de l'application des clauses déclarées illicites ;
- a condamné la société JVF à payer à la société Concurrence une indemnité de 10 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Considérant que la société JVF, distributeur en France des produits vidéo de la marque de notoriété internationale JVC fabriqués par la société japonaise Victor Company of Japan, expose qu'elle a créé, pour satisfaire sa préoccupation essentielle qu'est l'écoulement de sa production, un réseau d'un " millier de points de vente sur les 15 000 qui assurent la distribution de ses produits ", et qu'elle a adjoint à ses ventes, pour stimuler la demande et maintenir son image de marque, des contrats de commercialisation faisant obligation à ses distributeurs de fournir des prestations d'exposition, de démonstration, de conseil, de service après vente et d'offre d'une gamme étendue de produits ;
Qu'elle précise que ses conditions générales de vente entrées en vigueur le 1er juin 1987 et modifiées le 1er octobre 1988 proposent ainsi aux revendeurs sans leur en faire obligation, de fournir aux consommateurs ces prestations en échange, s'ils l'acceptent, des remises qualitatives mensuelles suivantes, s'ajoutant à la remise de base de 21 % consentie à tout revendeur professionnel :
- remise de service après-vente : 4 % ;
- remise de gamme pour offre d'au moins une gamme de produits : 5 % ;
- remise de présentation pour exposition des produits en état de fonctionnement : 6 % ;
- remise d'assistance au service après-vente pour reprise et transport gratuit au centre technique agréé des appareils en panne hors garantie : 4 %
- remise de régularité de paiement pour règlement des factures dans les trois semaines de la facturation : 3 %.
Qu'elle ajoute qu'elle offre aux revendeurs une remise quantitative variable de 2 à 5,5 % du chiffre d'affaires annuel réalisé et par accord spécifique de coopération des primes semestrielles en contrepartie de la programmation des commandes et du respect d'un engagement semestriel d'achats ;
Qu'elle reproche à la société SEDA devenue Concurrence revendeur de matériels audio visuels implantée place de la Madeleine à Paris, à proximité d'un magasin Darty, de vouloir obtenir les remises qualitatives convenues tout en se soustrayant à l'exécution des prestations correspondantes en violation des dispositions des articles 1134 du Code Civil et 36-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'elle accuse la société Concurrence de parasitisme à l'égard de son concurrent Darty mais aussi du fournisseur dont le réseau est menacé de destruction ;
Qu'elle expose de même que le 6 février 1987 elle a écrit à la société Concurrence pour lui reprocher l'agressivité de sa politique d'abaissement d'une marge déjà réduite rendant quasiment intenable l'alignement des autres revendeurs et pour lui signifier que la persistance de ce comportement pourrait " dans l'avenir la faire hésiter à livrer les matériels " que la société Concurrence lui commanderait ; qu'elle ajoute que le conseil de la Concurrence saisi le 16 mars 1987 d'une plainte en prétendu refus de vente, lui a enjoint neuf jours plus tard par décision n° 87-MC-03 de revenir à l'état antérieur à sa lettre, ce qu'elle a fait, et qu'il a été reconnu par la suite qu'elle avait toujours livré les commandes reçues ;
Qu'elle relate que le Conseil de la Concurrence a rejeté, par décision n° 88-MC-08 du 6 juillet 1988, une nouvelle plainte mais que la société Concurrence l'a assignée le 1er septembre 1988 devant le Tribunal de Commerce de Paris afin de voir déclarer discriminatoires les remises qualitatives de 21,6 et 4 % et les remises quantitatives de 15,6 à 18 %, 4 % et 2 à 5,5 % susvisées et juger que les accords de coopération avaient pour effet d'imposer un prix minimum de revente ou une marge minimale ;
Qu'elle ajoutait que le Conseil de la Concurrence saisi parallèlement avait rejeté dans un premier temps les demandes de mesures conservatoires de la société Concurrence par décisions n° 89-MC-10 du 10 mai 1989, 89-MC-11 du 30 mai 1989 et 90-MC-02 du 6 mars 1990, la dernière confirmée par arrêts des 9 avril 1990 et 7 avril 1992 de la Cour d'appel de Paris et de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, puis les demandes au fond de la société Concurrence par décision 90-D-23 du 3 juillet 1990 confirmée, sauf pour les " clauses d'enseigne commune ", par un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 13 juin 1991 qui avait été cassé sur ce seul point par une décision du 12 octobre 1993 de la Chambre commerciale de la Cour de cassation ;
Considérant que la société JVF demande à la Cour de déclarer la société Concurrence irrecevable en son action faute de qualité et d'intérêt à agir et subsidiairement de la débouter de ses prétentions, de déclarer au contraire anormales les pratiques d'appel de la société Concurrence et de la condamner à lui verser 1 000 000 F de dommages et intérêts et 30 000 F d'indemnité au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Que la société Concurrence demande quant à elle de déclarer irrecevable l'appel de la société JVF, et, après avoir obtenu communication, en exécution d'une ordonnance du conseiller de la mise en état du 3 juin 1994, d'une copie certifiée conforme d'une notification de grief du 18 juin 1992 émanant du rapporteur du conseil de la concurrence et de ses annexes, de :
- déclarer irrecevable et subsidiairement mal fondée la demande de la société JVF fondée sur des reproches formulés dans la lettre du 6 février 1987,
- confirmer la décision déférée en ce qu'elle a déclaré illicites certaines clauses des conditions de vente, en a ordonné la suppression sous astreinte et a commis un expert,
- infirmer cette décision en ce qu'elle " n'a pas jugé les remises de démonstrations de 21 %, la clause d'enseigne commune, n'a pas examiné le quantum des contreparties apportées par les services de présentation " (SIC) et de dire que ces remises dépourvues de contrepartie ou dont les critères d'attribution sont potestatifs et dépourvus d'objectivité, sont inopposables et nulles,
- déclarer sans contrepartie et potestatives également les primes quantitatives annuelles,
- constater que la société JVF ne remplit pas les conditions jurisprudentielles de licéité de la clause d'enseigne commune et a appliqué celle-ci avec discrimination, et prononcer en conséquence la nullité de cette clause ;
- déclarer potestatives, aléatoires et inchiffrables les remises quantitatives et qualitatives litigieuses et en déduire que la société JVF imposait illicitement des prix de vente et des minima de marge rendant nulles et inopposables ses conditions de vente ;
- condamner la société JVC à rembourser à la société Concurrence la différence entre " les achats facturés " et son prix de revient de telle sorte qu'elle ne fasse aucun bénéfice, et en particulier 1 474 000 F à titre d'acompte ;
- ordonner à la société JVF de cesser ses pratiques anti-concurrentielles et de modifier ses contrats sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée après signification de l'arrêt ;
- commettre un expert pour chiffrer le préjudice sur la base " des prix d'achat de la société JVF sans bénéfice " ;
- condamner la société JVF à verser à la société Concurrence 100 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Que la société Concurrence, se prévalant dans le dernier état de ses conclusions d'un nouvel arrêt de la Cour d'appel de Paris statuant le 19 janvier 1996 sur renvoi de cassation, qui aurait selon elle déclaré nulles toutes les remises quantitatives annuelles et les accords semestriels de coopération et aurait l'autorité de la chose jugée bien qu'elle admette qu'il est frappé d'un pourvoi, demande à la Cour de déclarer nulles les clauses d'enseignes communes, de lui accorder une provision de 1 300 000 F, de prendre acte de ce que la société JVF aurait reconnu avoir octroyé la remise de démonstration de 21 % à des sociétés ne rendant pas ce service, de déclarer cette pratique prohibée, de condamner la société JVF à réparer le préjudice qu'elle a causé, et de commettre un expert ;
Que la société JVF conclut à l'irrecevabilité des demandes nouvelles formulées en appel par la société Concurrence, oppose aux autres l'autorité de la chose jugée résultant de l'arrêt définitif du 9 avril 1990 de la Cour d'appel de Paris, conclut subsidiairement à un sursis à statuer dans l'attente tant de la décision de la Chambre commerciale de la Cour de cassation saisie d'un nouveau pourvoi que de la décision du Conseil de la concurrence saisi de ces faits ;
Considérant que les audiences de plaidoiries avaient été fixées successivement aux 20 octobre 1994, 6 avril 1995, 30 juin 1995 et 2 février 1996 ; que la clôture de la mise en état a été reportée au moins dix fois et fixée au 4 octobre 1996 ; que la société Concurrence qui n'avait à répondre qu'à des conclusions d'irrecevabilité ou de sursis à statuer, a présenté de nouvelles demandes par conclusions signifiées les 3 et 4 octobre 1996 ; qu'il convient de rejeter ces écritures tardives auxquelles la société JVF n'a pu répondre, mais nullement d'en faire autant, ainsi que la société Concurrence le sollicite, pour les conclusions responsives de la société JVF signifiées les 15 décembre 1995 et 27 septembre 1996 auxquelles la société Concurrence a eu la faculté de répliquer ;
Sur les exceptions d'irrecevabilité :
Considérant que la société Concurrence demande en premier lieu à la Cour de déclarer irrecevable l'appel de la société JVF sans en préciser la raison ce qui dispense la Cour de l'obligation d'une réponse en l'absence de moyen d'ordre public qu'elle devrait soulever d'office ;
Considérant que la société Concurrence a qualité, d'autant plus qu'elle a entretenu et pas seulement tenté d'entretenir des relations commerciales avec la société JVF, pour contester la licéité des clauses des conditions générales de vente et conventions régissant les rapports contractuels de la société JVF avec l'ensemble de ses clients revendeurs et en particulier de celles de ces clauses dont l'application aurait créée à son préjudice une discrimination par rapport à ses concurrents et lui aurait fait perdre ne serait ce qu'une chance d'améliorer la quantité ou la qualité de ses ventes ;
Qu'elle ne saurait toutefois soutenir que la violation des dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 prohibant les actions concertées affectant la libre concurrence et les abus de position dominante ou de dépendance économique sur lesquelles elle fonde pour partie son action, l'autorise, sous couvert d'une demande d'annulation rétroactive des accords la liant à son fournisseur et d'une prétention à une remise des parties dans l'état où elles se seraient trouvées si elles n'avaient conclu aucun accord, à demander, faute de possibilité de restitution de marchandises revendues, que les comptes soient établis sur la base du prix de revient de la société JVF, ce qui aurait pour effet de lui attribuer la marge de son fournisseur et lui permettre de conserver la sienne sur des marchandises qu'elle est censée n'avoir jamais achetées ;
Qu'elle peut par contre, sur la base de ces mêmes textes et des articles 34 et 36 de la même loi qu'elle invoque également, demander réparation de l'incidence dommageable sur ses ventes et résultats des clauses et pratiques anti-concurrentielles qu'elle incrimine ; qu'elle a donc un intérêt à agir même s'il n'est pas précisément celui qu'elle invoque ;
Considérant que par arrêt du 13 juin 1991 la première Chambre de la Cour d'appel de Paris, statuant en formation spécialisée sur un recours de la société Concurrence à l'encontre d'une décision du Conseil de la concurrence du 3 juillet 1990 rejetant les griefs de violation des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qu'elle faisait à la société JVF pour la période du 1er décembre 1986 au 30 juin 1988, a jugé, selon les motifs de sa décision que :
- la preuve d'un quelconque refus de vente ou abus de position dominante ou dépendance économique n'était pas apportée ;
- les conditions générales de vente et les conventions de coopération économique liant la société JVF à ses distributeurs entraient dans le champ d'application de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
- que les remises conditionnelles différées qualitatives et quantitatives que ces conditions et conventions comportent, étaient déterminables en leur principe et en leur montant dès le franchissement des seuils convenus et n'avaient ni pour but ni pour effet de fausser le jeu de la concurrence par une restriction inexistante de leur faculté de libre détermination de leurs prix de revente, et d'éliminer du marché les distributeurs indépendants ou pratiquant la vente " cash and carry " ;
- la mise en garde du 6 février 1987 n'implique nullement l'existence d'une entente fut-elle tacite pour imposer un quelconque niveau de prix ;
- mais que subordonner par conditions de vente et conventions de coopération économique " l'octroi de la totalité des remises et primes aux revendeurs procédant à des commandes groupées à la condition d'une enseigne commune " revenait à conclure une entente créant une discrimination entre revendeurs et ayant pour effet de fausser le libre exercice de la concurrence ;
Que la Cour d'appel de Paris a en conséquence annulé la décision du 3 juillet 1990 du Conseil de la concurrence en ce qu'il avait refusé d'admettre que la " condition d'enseigne commune " n'avait eu ni pour objet ni pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché considéré et expressément rejeté tous les autres moyens en constatant qu'elle se prononçait sur " l'intégralité des pratiques " que la société Concurrence incriminait ;
Que la Chambre commerciale de la Cour de cassation sur pourvois des sociétés JVF et Concurrence a rejeté le recours de la société Concurrence et a cassé sur celui de la société JVF l'arrêt déféré pour insuffisance de motivation mais seulement en ce qu'il avait jugé que la condition d'enseigne commune avait eu pour effet de fausser le jeu de la concurrence ;
Qu'il s'en suit que l'autorité de la chose jugée attachée aux dispositions de l'arrêt du 3 juillet 1990, c'est-à-dire toutes celles qui ne concernent pas la condition d'enseigne commune, s'oppose à ce que la société Concurrence qui y était partie, reprenne dans la présente instance pour la période antérieure au 1er juillet 1988 des moyens définitivement écartés quant bien même l'objet de son action ne serait plus que la réparation des conséquences dommageables des pratiques concurrentielles qu'elle avait à tort dénoncées ;
Considérant que la Première Chambre de la Cour d'appel de Paris statuant le 19 janvier 1996, à nouveau en formation spécialisée mais autrement composée, dans les limites du renvoi de cassation, a jugé que les clauses dont le bénéfice était subordonné à l'existence d'une enseigne commune " ont pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché considéré puisqu'elles tendaient à exclure des avantages les distributeurs non regroupés sous une enseigne commune mais pouvant réaliser les volumes de vente qui ouvraient droit aux remises et primes accordées aux distributeurs sous enseigne commune " ; qu'elle a infirmé en ce sens la décision du 3 juillet 1990 du Conseil de la concurrence ;
Qu'il n'est pas contesté que cet arrêt est à son tour frappé de pourvoi ; qu'il n'a pas autorité de chose jugée contrairement à ce que prétend la société Concurrence ;
Considérant que le Tribunal de commerce de Paris a été saisi par assignation du 1er septembre 1988 et conclusions récapitulatives et responsives des 23 janvier, 3 avril, 2 et 30 octobre et 20 novembre 1991, de faits que la société Concurrence n'a cessé, tout au long de la procédure de première instance, de situer avant la délivrance de l'assignation ; que l'intimée a notamment demandé aux premiers juges par conclusions du 2 octobre 1991 de constater que la période concernée par son action allait de 1986, en fait de l'entrée en vigueur du titre 1er de l'ordonnance du 1er décembre 1986 fixée au 1er janvier 1987, au 1er septembre 1988 ;
Que la société JVF a opposé aux tentatives de dépassement de ce cadre au stade de l'appel l'irrecevabilité des demandes nouvelles formées pour la première fois devant la Cour ; qu'il s'en suit que la société Concurrence n'est fondée à reprendre les moyens écartés définitivement par l'arrêt du 13 juin 1991 que pour les mois de juillet et août 1988 ;
Qu'il convient au surplus, pour la période allant du 1er janvier 1987 au 1er septembre 1988 seulement, de surseoir à statuer ainsi que la société JVD le demande, sur la réparation du dommage qui a pu résulter de l'inclusion d'une condition d'enseigne commune dans la clause 10/13 des conditions générales de vente et dans les conventions semestrielles de coopération économique et non dans la totalité des clauses et conventions ainsi que la première Chambre de la Cour l'a par deux fois retenu au terme d'une lecture différente et apparemment inexacte des accords contractuels ; qu'il convient en effet d'éviter une contradiction de décision et d'attendre qu'une décision définitive intervienne sur l'existence du grief avant d'en réparer les éventuelles conséquences ;
Au fond et dans les limites ainsi définies :
Considérant que les prix des biens, produits et services sont librement déterminés, selon l'ordonnance du 1er décembre 1986, par le jeu de la concurrence sauf l'hypothèse qui n'est pas alléguée, de mesures temporaires destinées à lutter contre les hausses excessives ; que les restrictions à la faculté que l'article 1134 du Code civil confère aux parties, de conclure d'une commune intention " des conventions qui tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites " et tout particulièrement à la liberté du commerce doivent être strictement interprétées ; que la preuve de l'existence de pratiques anti-concurrentielles incombe à celui qui s'en prévaut ;
Considérant que les conditions générales de vente de la société JVC dans leur rédaction du 1er juin 1987 accordent à " tout revendeur professionnel, s'il en remplit les conditions d'attribution ", les remises suivantes :
- remise de base : 21 % sur le tarif de base à condition que le revendeur " assure gratuitement la démonstration des produits par un personnel suffisant, qualifié et apte à informer et conseiller les clients avec compétence",
- remises qualitatives trimestrielles et donc différées.
a) de service après-vente : 4 % du prix hors taxes à condition que le revendeur " assure lui-même sur le territoire national le service après-vente des produits qu'il a commercialisés, par un personnel technique compétent ", formé et équipé selon des normes précises,
b) de gamme : 5 % du prix hors taxes à condition que le revendeur ait commercialisé au cours du trimestre l'un des deux gammes de produits, magnétoscopes et accessoires, caméscopes et accessoires,
c) de présentation : 6 % du prix hors taxe à condition que le revendeur ait exposé en vitrine ou magasin les produits en état de marche et donc de démonstration dans des conditions conformes à la notoriété de la marque,
d) d'assistance au service après-vente : 4 % du prix hors taxes à condition que le revendeur assure gratuitement la reprise et le transport à un centre technique de réparation agréé de tout appareil en panne qu'il a commercialisé,
e) de régularité de paiements : 3 % du prix hors taxes à condition que les commandes d'un même trimestre aient toutes été payées au comptant par chèque ou traites dans les trois semaines de la date de la facture,
- une " remise " quantitative annuelle et donc différée de 2 à 5 % selon l'importance des achats à condition que les commandes soient " payées et livrées sous une seule enseigne " ;
Que les conditions générales de vente de la société JVC dans leur rédaction applicable à compter du 1er octobre 1987 ne comportent plus d'exigence de prestations de démonstration en contrepartie de la remise de base de 21 % ;
Considérant que par des motifs pertinents que la Cour adopte à nouveau pour les deux mois complémentaires soumis à son appréciation, la Première Chambre de la Cour d'appel de Paris a exclu qu'un refus de vente puisse être reproché à la société JVF et constaté que la société Concurrence n'avait jamais été en état de dépendance économique et avait toujours disposé d'une solution équivalente ;
Considérant que la société Concurrence entend trouver la preuve d'une action concertée ou entente pouvant avoir pour objet ou pour effet de fausser le jeu de la concurrence dans l'obligation faite par la société JVF à ses cocontractants d'accepter des conditions générales de vente et l'offre à ses clients revendeurs d'accords semestriels de coopération économique introduisant les unes et les autres entre eux des différences de prix d'achat selon qu'ils répondent ou non aux conditions d'octroi des remises prévues, et leur imposant des marges et des prix de revente en violation de l'article 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dès lors qu'ils seraient incapables, du fait que l'obtention des remises est différée, de calculer à temps leur prix de revient ;
Qu'il n'est allégué aucune entente extérieure au réseau unissant la société JVC et ses revendeurs ; qu'en imposant à ses clients, qu'ils soient ou non revendeurs, des conditions de vente identiques pour tous un fabricant ne conclut aucune entente au sens donné à ce terme par l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'il est de même d'une offre de convention de coopération faite à tous ses revendeurs ;
Que la société Concurrence n'apporte au surplus aucune preuve pour la période de juillet et août 1988 d'une violation des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance susvisée que la Première Chambre de la Cour a écartée pour la période antérieure par des motifs pertinents qui ne peuvent qu'être adoptés à nouveau ; qu'elle a en particulier jugé que " l'octroi différé des remises ne restreignait pas la concurrence dès lors qu'ainsi que le stipulent les clauses critiquées, le principe et le montant des ristournes quantitatives sont acquis dès le franchissement des seuils qui en déterminent l'attribution et que, de ce fait, elles peuvent, sans contestations ni restrictions être répercutées par le distributeur aux taux correspondants aux quantités effectivement atteintes durant la période de référence " ;
Qu'il convient d'ajouter que la société Concurrence pouvait déterminer à l'avance également le montant des remises qualitatives qu'elle pouvait intégrer dans le calcul de ses prix de revient ; qu'au surplus et qu'il s'agisse de remises qualitatives ou quantitatives la Cour ne peut que relever qu'aucune clause ne limitait la liberté que la société Concurrence avait de fixer ses prix de revente et qu'il lui appartenait, si elle avait un doute sur le montant des remises différées auxquelles elle pourrait prétendre, d'adopter des marges excluant tout risque de vente à perte ;
Considérant que la société Concurrence ne peut fonder en définitive son action sur les dispositions des articles 7, 8 et 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'elle s'appuie subsidiairement sur l'article 36 de la même ordonnance obligeant tout producteur à réparer le préjudice résultant de ses pratiques discriminatoires et sur l'article 1174 du Code Civil déclarant nulles les obligations contractées sous condition potestative ;
Sur les remises qualitatives :
Considérant que la société Concurrence reconnaît elle-même qu'elle s'est efforcée de se rendre " encore plus compétitive en développant de nouvelles méthodes de vente se caractérisant par une réduction de certains services (exposition, démonstration, service après-vente sous traité, etc) ou par des services différents tels que la vente par correspondance, par minitel ou aux comités d'entreprise " ;
Que ses propres conditions de vente énoncent que les " prix à marge réduite sont consentis car le client assure la livraison, la mise en service, la garantie et l'entretien du matériel par ses propres moyens ", que sa " marge commerciale rémunère uniquement la fonction de distribution matérielle du produit " qu'elle " pourrait indiquer à titre de service gratuit, n'engagent pas sa responsabilité " ;
Qu'elle ne saurait contester sérieusement qu'elle s'affranchissait du coût des services supprimés ou réduits et que la marque JVC ne pouvait que pâtir de l'offre à la vente aux particuliers de produits sur catalogue, sans réelle présentation, sans mise en service et sans assurance d'un service après-vente sur le territoire national ; qu'elle ne peut sans mauvaise foi prétendre avoir le droit par un dévoiement de la législation protégeant le consommateur, de fausser la concurrence en exigeant de son fournisseur qu'il lui consente les mêmes remises c'est-à-dire en définitive les mêmes conditions de vente qu'aux autres revendeurs assurant des services substantiels dont elle se dispensait ;
Considérant que la société Concurrence admet, selon les notes de plaidoirie remises à la Cour qu'elle a bénéficié pour ses ventes ordinaires des remises de présentation, de démonstration, de gamme, d'assistance au service après-vente et de régularité de paiement soit 39 % mais se plaint de n'avoir reçu pour ses ventes par correspondance que les remises de gamme et de régularité de paiement, soit 8 % ;
Considérant que la société Concurrence admet que la " présentation " du produit en état de fonctionnement et la " démonstration " sont des services susceptibles de justifier des remises mais se prévaut d'un accord de coopération commerciale conclu par la société JVF avec la société de vente par correspondance Camif à une date illisible sur la copie présentée à la Cour, assurant à ce revendeur pratiquant la vente par correspondance les mêmes remises de 6 et 21 % dites de présentation et de représentation ; qu'elle en déduit que la contrepartie de ces remises est fictive ;
Que la société Concurrence n'apporte cependant aucune justification de ce que l'avantage consenti à la société Camif ait été étendu à d'autre revendeurs ; que la société JVF a fait preuve au contraire de bonne volonté en généralisant l'attribution de la remise de 21 % ; qu'elle avait justifié l'octroi des remises de 6 et 21 % à la société Camif par l'avantage procuré à la marque par une diffusion répétée à plus d'un million d'exemplaires d'un catalogue illustré en couleurs et par un service de livraison à domicile ; que la société JVC ne prouve nullement qu'elle ne justifie d'aucune discrimination qui n'ait pas sa contrepartie;
Qu'elle n'apporte pas davantage la preuve que les prestations de présentation et de démonstration qu'impliquent des frais de loyer et de personnel importants, ne valaient pas les remises correspondantes ;
Considérant que la société Concurrence admet que le service de ramassage et d'acheminement vers un centre technique du réseau JVF des appareils en panne peut justifier une remise mais juge arbitraire le taux de 4 % ; qu'elle reprend la critique de la remise de 4 % pour service après-vente proposée par les premiers juges pour lesquels l'exigence d'une implantation nationale exclut le revendeur individuel même s'il a sous-traité ce service et revient à subordonner l'octroi de la prime à l'existence d'un réseau national ;
Que la société Concurrence ne saurait cependant contester que la faculté qu'un consommateur a de se faire dépanner par le revendeur en tous points du territoire français, constitue un avantage appréciable, source de frais importants, valorisant sensiblement la marque par un apport de compétence et de disponibilité ; que la société JVF ait atténué cette exigence en imposant que la " majorité du territoire national " soit couverte par au moins quinze ateliers parfaitement équipés, n'atténue guère cette évidence ;
Que la société JVF a offert au surplus à ses revendeurs indépendants le palliatif d'un octroi d'une prime d'assistance au service après-vente d'un pourcentage identique s'ils s'engageaient à prendre en charge le ramassage et l'acheminement vers ses propres ateliers des appareils relevant du service après-vente ;
Que la société Concurrence ne justifie même pas de la sous-traitance du service après vente qu'elle allègue, et encore moins de dispositions qu'elle ait prises pour assurer directement ou indirectement le service après-vente sur une partie quelconque du territoire français; qu'elle n'est pas fondée à faire grief à la société JVF d'une discrimination; que l'exigence d'un engagement d'intervention sur le territoire français n'implique pas nécessairement au surplus l'appartenance à une enseigne même si celle-ci la rend plus aisée ; qu'il n'est ni allégué ni prouvé que la société JVF se soit opposée à des accords de sous-traitance conclus hors enseigne ;
Considérant que la remise " de gamme " et la remise de régularité de paiement ne sont pas critiquées ; qu'il n'apparaît pas que la société Concurrence qui en remplissait les conditions d'attribution, en ait été privée ;
Considérant que les remises qualitatives dépendaient de la réalisation de prestations incombant aux revendeurs et nullement de la volonté discrétionnaire de la société JVF; que l'appelante n'ait pu assurer qu'un contrôle fort relâché de la réalisation des conditions d'octroi et qu'il soit arrivé ainsi occasionnellement qu'un concurrent ait obtenu une remise à laquelle il n'aurait pas pu prétendre, n'impliquent pas pour autant discrimination du fait des clauses elles-mêmes ou de leur application intentionnelle, ni potestative des remises ni absence de critère objectif;
Sur les remises quantitatives
Considérant que la société Concurrence soutient que la remise quantitative annuelle de 2 à 5,5 % prévue par les conditions générales de vente et la remise offerte par accords individuels de coopération commerciale renouvelés semestriellement pour récompenser la souscription d'engagements minima d'approvisionnement constituent elles aussi des avantages discriminatoires ;
Qu'elle reprend les arguments des premiers juges selon lesquels ces remises quantitatives seraient dépourvues de contrepartie en ce qu'elles s'ajoutent aux remises qualitatives, que les commandes prévisionnelles prises en compte par les accords de coopération peuvent être révisés par les revendeurs, qu'il en résulte des fixations imposées de prix et de marges faute de faculté préalable de calcul du montant des remises et que l'absence de contrôle effectif rendait l'octroi des remises potestatif ;
Qu'elle ajoute que la condition d'enseigne commune, déclarée licite cependant par les premiers juges, introduit elle aussi une discrimination ;
Considérant que l'attribution à un co-contractant d'une remise de prix variable selon la quantité de marchandises achetée est licite, dès lors qu'elle ne s'accompagne pas de l'obligation d'atteindre l'un quelconque des seuils convenus pour l'octroi des ristournes ; que la remise annuelle de 2 à 5,5 % récompensant les meilleurs clients ne saurait être déclarée nulle par elle-même ainsi que la Cour l'a déjà jugé par son arrêt du 13 juin 1991 définitif sur ce point ; qu'il en est de même de l'octroi à un revendeur d'une prime d'anticipation de commandes si celle-ci est offerte à tous et procure au fabricant l'avantage nullement négligeable de pouvoir programmer ses fabrications et ses acheminements ; que la faculté accordée de modifier les commandes passées avec préavis de deux mois ne rend pas pour autant fictive la contrepartie ; qu'elle tend au contraire à faciliter aux deux parties l'adaptation des commandes à la réalité économique ;
Considérant que les remises quantitatives ne font nullement double emploi avec les remises qualitatives ; qu'elles récompensent l'efficacité du revendeur et les facilités de gestion qu'offrent l'anticipation et l'importance de ses commandes ; que la multiplicité de ces remises cumulables ou la faculté de réviser des engagements semestriels de commandes avec préavis de deux mois ne peuvent être critiquées par la société Concurrence dès lors qu'elle peut en bénéficier comme tous les revendeurs ; que chaque remise a son utilité économique et sa contrepartie ;
Considérant que la Cour s'est prononcée ci-dessus sur le grief d'imposition de prix et de marges qu'elle a écarté ; qu'elle a décidé de surseoir à statuer sur la seule incidence de la condition de l'enseigne commune ;
Sur la demande reconventionnelle
Considérant que la société JVF avait demandé en première instance 500 000 F pour abus de droit d'ester en justice et 1 000 000 F pour pratiques commerciales dites de parasitisme et de prix d'appel anormales ; qu'elle reprend en appel la seconde de ces demandes mais n'incrimine plus que des pratiques de prix et de marque d'appel " dont elle donne quelques exemples allant de campagnes de publicité vantant l'insignifiance de marge ne laissant aucune chance de couvrir les prix réels de revient à l'offre d'appareils ne figurant pas en stock ; qu'elle impute à ces pratiques que la société Concurrence explique plus qu'elle ne les conteste, une désorganisation dommageable pour elle de son réseau de vente ;
Qu'il convient de vérifier ces accusations par voie d'expertise ;
Par ces motifs : Ecarte des débats les conclusions de la société Concurrence signifiées tardivement les 3 et 4 octobre 1996 ; Déclare recevable l'appel de la société JVF ; Rejette l'exception d'irrecevabilité d'action opposée par la société JVF ; Constate que le Tribunal de commerce n'était saisi que de faits allant du 1er janvier 1987 au 1er septembre 1988 et déclare la société Concurrence irrecevable à présenter en appel des demandes sortant de cette période ; Déclare la société Concurrence irrecevable à opposer à la société JVF les moyens déjà écartés par l'arrêt du 13 juin 1991 de la Première Chambre de la Cour d'appel de Paris en sa partie définitive pour la période allant jusqu'au 30 juin 1988, Déclare la société Concurrence mal fondée en ses demandes d'annulation de conventions et de réparation autres que celles susceptibles d'être influencées par le litige pendant entre les parties concernant la validité de la condition dite d'enseigne commune dont sont assorties les clauses de remises quantitatives ; Sursoit à statuer jusqu'à décision définitive sur ce litige présentement soumis à la Chambre commerciale de la Cour de cassation sur pourvoi à l'encontre de l'arrêt du 19 janvier 1996 de la Première Chambre de la Cour d'appel de Paris; Dit n'y avoir lieu en l'état à expertise sur la demande de la société Concurrence, Avant dire droit sur la demande reconventionnelle de la société JVF, Ordonne une expertise à l'effet, connaissance prise de la procédure, des comptabilités et de tous documents utiles et les parties régulièrement entendues, contrôler pour la période allant du 1er janvier 1987 au 1er septembre 1988 les accusations de pratiques de prix et de marque d'appel portées par la société JVF à l'encontre de la société Concurrence, comparer entre les marques commercialisées par la société Concurrence l'évolution des marges et des chiffres d'affaires, relever les anomalies susceptibles de justifier réparation et de fournir les éléments permettant de chiffrer le dommage ; Commet Monsieur Robert Gandur, demeurant 84, rue de Grenelle - 75007 Paris, téléphone : 01.45.49.08.89, expert près la Cour d'appel de Paris ; Fixe à 80 000 F la provision mise à la charge de la société JVF ; dit qu'elle devra être versée dans les deux mois du présent arrêt au secrétariat greffe de la Cour ; Dit que l'expert devra déposer son rapport au secrétariat greffe de la Cour dans les dix mois de sa saisine.