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Décisions

CA Paris, 9e ch. A, 29 mars 1994, n° 93-02042

PARIS

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Ministère public

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chevallier

Conseillers :

MM. Collomb-Clerc, Cailliau

Avocat :

Me Saint-Esteben

TGI Créteil, 11e ch. corr., du 19 mai 19…

19 mai 1992

Rappel de la procédure :

Le jugement :

Le tribunal, par jugement contradictoire, a renvoyé D Bertrand des fins de la poursuite du chef d'Imposition d'un prix de revente, minimum ou d'une marge minimale - bien ou prestation de service.

L'appel :

Appel a été interjeté par

M. Le Procureur de la République, le 27 mai 1992 contre Monsieur D Bertrand.

Décision :

Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

En la forme :

LA COUR, se référant aux énonciations qui précèdent et aux pièces de la procédure, constate la régularité de l'appel interjeté, à l'encontre du jugement susvisé, par le ministère public et le déclarera, dès lors, recevable en la forme.

Au fond :

Considérant qu'aux termes de l'article 485 du code de procédure pénale, tout jugement doit, outre le dispositif, contenir à peine de nullité des motifs.

Que les premiers juges se sont bornés en l'espèce, et préalablement à leur décision de relaxe, à énoncer, sans s'expliquer en quoi que ce soit sur les faits incriminés, que le tribunal " n'a pas la conviction que le prévenu ait agi avec une intention coupable " ;

Que dès lors la Cour annulera le jugement déféré et, par application des dispositions de l'article 520 du code de procédure pénale, évoquera pour statuer sur le fond.

Considérant qu'il résulte à cet égard du dossier, notamment, de l'enquête diligentée par les services de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, à partir d'un premier contrôle opéré le 19 juillet 1990 au siège de la société anonyme X, que cette société spécialisée dans la fabrication ainsi que la commercialisation de divers produits fromagers et ayant parmi ses divers clients la société Y, laquelle est exploitante sous enseigne commerciale à ce nom d'une chaîne d'hypermarchés a passé avec elle un accord commercial se rapportant à une opération publicitaire dite " 25 jours d'Y " portant sur divers articles dont des fromages à la découpe produits par la X et qui, prévue en octobre et novembre 1989, sur tout le territoire national a été cantonnée en définitive au secteur géographique de la région ouest (File n° 4) ;

Qu'à cette occasion, il fut octroyé, selon télex adressé le 13 octobre 1989 par la X à la société Y d'une part, et à titre de complément de promotion du produit " Brie le Roitelet 60% " une remise exceptionnelle sur facture de 8,23 F par kg, soit 21,36 % avec l'indication donnée au distributeur que " votre PVC (prix de vente au consommateur) sera supérieur ou égal à 27,15 F " ; d'autre part et à titre " d'avantages différés " accordés par la X pour sa participation au budget afférent à un tract publicitaire édité par la société Y pour la promotion de ce même produit fromager, une somme de 12 F/colis pour toute commande supérieure à soixante colis par magasin, étant spécifié, et toujours à l'intention du distributeur concerné, que cet avantage financier supplémentaire ne pouvait " en aucun cas être réintégré dans le calcul de votre PVC ".

Considérant qu'à partir des constatations telles qu'effectuées par les services de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, ainsi qu'après une enquête complémentaire diligentée à la requête du Parquet, Bertrand D, pris en sa qualité de Président, à la date des faits, du conseil d'administration de la société anonyme X, est poursuivi du chef d'infraction à l'article 34 du 1er décembre 1986 pour avoir, courant octobre et novembre 1989, imposé directement ou indirectement un caractère minimal au prix de revente du fromage Brie Le Roitelet ayant fait l'objet de l'opération publicitaire dont s'agit dite " 25 jours Y " ;

Considérant que le prévenu, pour solliciter sa relaxe, a tout d'abord soutenu que l'infraction telle qu'ainsi dénoncée à son encontre par la poursuite ne lui serait en tout état de cause pas personnellement imputable ; qu'il apparaît toutefois à la Cour plus opérant de reporter l'examen de cette argumentation après discussion des fait incriminés ;

Que par ailleurs, et toujours pour résister à la poursuite, Bertrand D conteste que les éléments tant matériels qu'intentionnel de l'infraction à lui reprochée soient réunis, entendant souligner dans ses écritures que l'accord commercial passé avec la société Y dans le cadre de l'opération publicitaire portant sur le produit " Brie Le Roitelet 60 % " a eu pour seul objet, en l'occurrence, et sauf à lui faire un procès d'intention, que de préciser le seuil de revente à perte de cet article, compte tenu des remises consenties par le producteur au distributeur ;

Que le prévenu entend aussi faire observer pour sa défense que l'octroi d'une somme de 12 F par colis ne correspondait pas à une ristourne quantitative puisque s'agissant selon lui, et au rebours du raisonnement des enquêteurs, de la rémunération d'un service spécifique, à savoir la rétribution par la X d'une partie des frais avancés par Y pour la promotion publicitaire du produit litigieux.

Mais considérant, abstraction étant faite par la Cour de l'argumentation portant sur la nature même de la rémunération supplémentaire de 12 F ainsi accordée à Y et qui est sans incidence sur l'infraction poursuivie qui vise en effet, non pas un défaut de facturation ou de revente à perte, mais l'imposition directe ou indirecte d'un caractère minimal au prix de revente du produit fromager dont s'agit, force est, sur ce dernier point, de constater, comme la Cour l'a déjà rappelé, qu'il a été pris soin à l'occasion de l'accord commercial passé entre la X et la société Y de quantifier vis-à-vis de cette dernière et d'arrêter à hauteur de 27,15 F le prix minimal de revente dudit produit par le distributeur ;

Queles indications données impérativement en ce sens par la X dans son télex susvisé du 13 octobre 1989, et des termes dépourvus de toute ambiguïté et ne comportant aucune réserve ne serait-ce que pour respecter l'autonomie commerciale du distributeur, signent, nonobstant les protestations de bonne foi de D, la volonté arrêtée de la direction de la société anonyme X d'imposer en l'occurrence, et en prenant le biais d'une définition du seuil de revente à perte, le prix minimal de revente de son produit devant être pratiqué par Y.

Considérant que Bertrand D n'apparaît pas non plus fondé à soutenir que l'infraction aux dispositions de l'article 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 telle qu'ainsi commise ne lui serait pas imputable au motif que la détermination des tarifs promotionnels particuliers ne relevaient pas de ses fonctions mais de celles de Alain B, chef du département des ventes pour la France de la société anonyme X.

Qu'il entendait, en effet, dans les attributions mêmes de D en tant que Président du Conseil d'Administration de X de veiller à la bonne conduite de la politique commerciale pratiquée notamment vis à vis des grands distributeurs de ses produits ;

Que dans ces conditions, et le prévenu ne justifiant pas, d'autre part, d'une quelconque délégation de ses pouvoirs puisque n'ayant en l'espèce missionné B qu'aux seules fins de le représenter durant l'enquête ainsi qu'il ressort des pièces de la procédure, il convient, dès lors, de le déclarer coupable de l'infraction ci-dessus relevée et en répression de le condamner à une amende telle que prévue par la loi susvisée et dont le quantum sera indiqué au dispositif de l'arrêt.

Considérant qu'il y a lieu enfin de constater que la mise en cause de la SA X, recherchée en l'espèce, et aux termes de la citation délivrée à la requête du ministère public, en tant que " civilement responsable ", est sans objet, étant en effet constant que Bertrand D, mandataire social, n'était pas dans un lien de préposition avec ladite société lors de la commission des faits retenus à sa charge.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en second ressort, Reçoit, en la forme, l'appel du ministère public. Au fond, Annule le jugement déféré et évoquant : Déclare Bertrand D coupable d'imposition d'un prix de revente minimum de produit, dans les termes de la prévention (faits commis courant octobre et novembre 1989). En répression, le condamne à Trente Mille (30 000) francs d'amende. Met hors de cause la société anonyme des X recherchée comme civilement responsable du prévenu. Condamne D Bertrand aux dépens de première instance, liquidés à la somme de 469,50 F. Dit qu'il pourra être recouru dans les formes de droit à l'exercice de la contrainte par corps pour le recouvrement de l'amende et des frais de première instance. Le tout par application des articles 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, 473, 485, 520, 749 et suivants du code de procédure pénale.