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Décisions

CA Versailles, 9e ch., 22 juin 1995, n° 445

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ministère public

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Petit

Conseillers :

M. Limoujoux, Mme Delafollie

Avocat :

Me Cycman

TGI Nanterre, ch. corr., 15e ch., du 20 …

20 décembre 1994

LA COUR,

Après en avoir délibéré conformément à la loi, jugeant publiquement, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur l'appel régulier en la forme du Procureur Général en date du 8 février 1995 du jugement contradictoirement prononcé par tribunal correctionnel de Nanterre le 20 décembre 1994 qui a prononcé le relaxe de Sylvain X des fins de la poursuite ;

Considérant qu'il était reproché à ce dernier d'avoir à Boulogne Billancourt de courant mars à juillet 1991 effectué pour une activité professionnelle ou des achats de produits, une ou des ventes de produits sans facture ;

Faits prévus et réprimés par les articles 31, 55, 56 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ;

Considérant qu'il résulte du dossier de la procédure que Mme Michèle Cichostepski épouse Feltrin avait subi, pour des raisons de convenance personnelle le 7 janvier 1991, l'implantation de deux prothèses mammaires en gel de silicone par voie axillaire rétro pectorale ; qu'elle avait eu recours pour procéder à cette intervention de chirurgie esthétique au docteur Sylvain X qui exerce au siège de " l'institut Y " sis 10, rue Anna Jacquin à Boulogne Billancourt, institut constitué en société civile de moyens ;

Que cette première intervention avait été réglée par Mme Feltrin pour le prix global de 28 000 F sous la forme de quatre chèques bancaires représentant respectivement les sommes de 12 000 F, 11 000 F, 3 000 F et 2 000 F étant précisé que l'ordre n'était pas libellé par cette dernière ;

Que cette première intervention n'ayant pas eu le résultat escompté par la patiente, le docteur X avait procédé, le 13 mai 1991, à une seconde opération, à titre gratuit consistant à changer la prothèse droite qui, percée lors de l'extraction, avait été remise à Mme Feltrin ; qu'il intervenait enfin pour la troisième fois et également à titre gracieux, le 20 juillet 1991, pour corriger l'asymétrie mammaire et remplaçait ainsi la prothèse gauche ;

Que devant le résultat de ces trois opérations qualifié de " catastrophique " par Mme Feltrin, cette dernière s'adressait finalement à un nouveau praticien qui procédait le 24 janvier 1994 à la pose d'implants gonflables au sérum physiologique ;

Que c'est dans ces conditions que Dame Feltrin avait déposé plainte auprès du Parquet de Reims le 15 novembre 1993 et qu'une enquête était confiée par le Procureur de la République à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes des Hauts-de-Seine ; qu'il en résultait qu'il n'était pas possible d'établir la façon qui avait permis au docteur X de se procurer les prothèses litigieuses dès lors qu'il n'existait aucun double des factures d'achat s'y rapportant ni au cabinet de ce dernier ni dans les laboratoires X qui selon le docteur X en serait le fabricant ;

Que par ailleurs, les enquêteurs constataient que les interventions en chirurgie esthétique effectuées par le docteur X non prises en charge par la Sécurité Sociale ne donnaient pas lieu à délivrance de note d'honoraires ; que toutefois cette infraction contraventionnelle n'a pas été retenue par le Ministère public ;

Que c'est dans ces conditions que celui-ci était cité à comparaître devant la juridiction de jugement du chef de prévention ci-avant rapporté ;

Considérant que Sylvain X comparaît à l'audience de la Cour et reprend les explications déjà fournies et mentionnées dans les pièces de la procédure ; que le Ministère public requiert la condamnation en rappelant qu'une amende de 50 000 F avait été requise devant le premier juge ; qu'il requiert en outre publication de la décision ;

Que l'avocat de la défense conclut en revanche à la confirmation du jugement entrepris ;

Considérant qu'il résulte de l'article 31 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 que " tout achat de produits ou toute prestation de service pour une activité professionnelle doivent faire l'objet d'une facturation " ; que " le vendeur est tenu de délivrer la facture de la réalisation de la vente ou la prestation du service ", que " l'acheteur doit la réclamer ", que " la facture doit être rédigée en double exemplaire ", que " le vendeur et l'acheteur doivent en conserver chacun un exemplaire " ;

Considérant en l'espèce qu'il est constant que le docteur X a déclaré avoir effectué environ 75 poses de prothèses mammaires en 1990-91 mais être dans l'impossibilité de " présenter les factures d'achat desdites prothèses et les notes d'honoraires s'y rapportant " ces factures étant, selon lui, pour ce qui concerne les interventions de chirurgie esthétique non prises en charge par la sécurité sociale, entre les mains des patientes elles-mêmes qui en faisaient directement l'acquisition ; qu'au cas des trois prothèses litigieuses de Mme Feltrin, il n'a pas été possible d'en établir avec certitude la provenance puisqu'à défaut de présentation des factures originales aucun double des factures d'achat s'y rapportant n'a pu être retrouvé dans les services des laboratoires X ;

Considérant que la défense soutient qu'il ne peut être reproché au docteur X de ne pas justifier des factures d'achat de produits entrant dans son activité professionnelle, dès lors que ledit produit n'a jamais été acheté par ses soins, qu'il n'en a été que le dépositaire, dans la mesure où ce produit était vendu par le laboratoire à la patiente ;

Que par ailleurs et ainsi que l'a retenu le tribunal, en mai et juillet 1991, seule période visée à la prévention, Mme Feltrin a été opérée gracieusement par le docteur X et qu'il ne pouvait donc pas se livrer alors à une activité commerciale ;

Considérant cependant qu'il résulte des pièces de la procédure, que pour l'année 1991 sur 34 factures émises par les laboratoires X, 19 factures ont été destinées au docteur X lui-même; que si certaines d'entre elles comportent effectivement le nom des patientes, le docteur X est toujours mentionné en qualité de client, que dès lors l'argumentation susvisée apparaît purement circonstancielle et d'ailleurs non crédible dans la mesure où un chirurgien même de chirurgie plastique, assume l'entière responsabilité y compris du choix du matériau utilisé qui est l'essentiel en matière de prothèse; qu'il ne peut dans ces conditions agir comme un simple consommateur mais forcément dans le cadre de son activité professionnelle;

Considérant par ailleurs que s'il est bien exact que les opérations effectuées sur Mme Feltrin les 13 mai et 20 juillet 1991 ont été faites à titre gracieux en raison des défaillances antérieures du docteur X, cela est sans incidence sur le défaut de production des factures d'achat des prothèses mammaires litigieuses qui étaient posées dans le cadre strict de l'activité professionnelle de ce dernier, lequel doit être en mesure de présenter à tout moment les factures d'achat des produits utilisés conformément aux dispositions de la loi qui a pour objet une meilleure sécurité des contractants; que dès lors, l'infraction visée à la prévention est suffisamment établie ; qu'il échet d'entrer en voie de condamnation ;

Et considérant qu'il n'existe toujours pas aujourd'hui de réglementation particulière pour la mise sur le marché des prothèses mammaires implantables ; que dès lors, la qualité de celles commercialisées relève exclusivement du seul bon vouloir et du degré de compétence des fabricants ; qu'il est par conséquent de l'impérieux devoir du praticien qui procède à de telles implantations de faire preuve de la plus grande rigueur dans l'exercice de sa profession notamment en pouvant clairement justifier de l'origine de la prothèse utilisée, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce ;

Que le docteur X doit, en conséquence, faire l'objet d'une sanction exemplaire ;

Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel du Procureur Général ; Au fond : Infirmant le jugement déféré, Déclare Sylvain X coupable, Le condamne au paiement d'une amende de 30 000 F ; Ordonne la publication du présent arrêt conformément aux dispositions de l'article 55 de la loi n° 86-1243 en date du 1er décembre 1986 ; Dit que cette publication sera effectuée dans le " Quotidien du médecin " aux frais du condamné.