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Décisions

CA Besançon, ch. corr., 8 mars 1994, n° 176

BESANÇON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Procureur général

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rognon

Conseillers :

Mme Badinaud, M. Bangratz

Avocat :

Me Moeglen

TGI Lure, ch. corr., du 15 oct. 1993

15 octobre 1993

I - Faits et procédure antérieure

1.1 - Faits

D'un procès-verbal régulier, faisant foi jusqu'à preuve contraire dressé par un contrôleur et un commissaire de la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de Haute-Saône (DGCCRF - 70) qui opéraient un contrôle de la facturation au supermarché X, exploité ZI des Cloyes à Lure par la société anonyme L, il résulte que

- neuf factures de fournisseurs ne faisant pas mention de la réalité des remises accordées à l'acheteur,

- dix-sept factures de coopération commerciale ne précisaient pas le contenu de cette coopération.

1.2 - Procédure antérieure

1.2.1 Prévention

Daniel P, Président du Conseil d'Administration de la SA L, a été directement cité à comparaître devant le Tribunal Correctionnel de Lure sous la prévention d'avoir à Lure, en mai, juin, juillet, septembre, octobre, novembre 1991 et en janvier 1992, effectué, pour une activité professionnelle, un ou des achats de produits ou une ou des ventes de produits, ou une ou des prestations de services sans factures conformes,

Infraction prévue et réprimée par les articles 31, al. 2, 3, 4, 55 alinéa 1 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986.

1.2.2 Jugement dont appel

Par jugement du Tribunal Correctionnel de Lure du 15 octobre 1993, P, qui ne contestait pas la matérialité des infractions ni leur qualification, étant renvoyé des fins de la poursuite sans peine ni droit, le premier juge considérant qu'il justifiait d'une délégation de pouvoirs et de responsabilité au profit de Philippe D, chef du rayon alimentation de l'établissement et retenant que le dirigeant d'une entreprise commerciale de 100 salariés, traitant 22.000 produits, ne pouvait contrôler la facturation du moindre flacon de poudre à récurer ou de la plus petite boîte de choucroute ...

II - Procédure d'appel

2.1 Saisine de la Cour

Ce jugement a été régulièrement frappé d'appel, selon acte du 25 octobre 1993, par le Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de Lure.

2.2 Prétentions et moyens des parties

2.2.1 Le Parquet appelant fait valoir que le délégataire Philippe D n'avait pas reçu délégation expresse pour assurer le respect des règles de la facturation ;

2.2.2 Le Ministère Public, tel que représenté à l'audience s'appuie sur la jurisprudence récente de la Cour de Cassation (5 arrêts de la Chambre Correctionnelle du 11 mars 1993 publiés au Bulletin n° 112) pour requérir la confirmation.

2.2.3 Daniel P, cité à personne, est présent et assisté. Par conclusions, il réclame la confirmation du jugement attaqué.

2.2.4 En application de l'article 56 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986, l'administration dépose des conclusions faisant valoir que la facturation relève de la force probante des documents commerciaux et de la tenue de la comptabilité qui ne peuvent faire l'objet d'une délégation.

Sur quoi, LA COUR

Sur la prévention

Attendu qu'il convient de la préciser en ce sens qu'il est en fait reproché à Daniel P d'avoir, en sa qualité de Président du Conseil d'Administration de la SA L, acheteur de denrées et bénéficiaire de prestations de coopération commerciale, sans avoir reçu ou exigé des factures conformes à la réglementation pour ne pas mentionner, pour 9 d'entre elles, les remises accordées, et, pour 17, le contenu des accords de coopération ;

Sur la culpabilité

Attendu que les faits n'étant pas contestés, reste seul posé le problème de la " délégation de pouvoir " ;

Attendu qu'il n'est pas contestable que nul ne peut être pénalement tenu du fait d'autrui; qu'il est constant qu'un chef d'entreprise qui n'a pas personnellement pris part à la réalisation de l'infraction peut s'exonérer de sa responsabilité pénale s'il rapporte la preuve qu'il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires; que la preuve d'une telle délégation, qui n'est soumise à aucun formalisme, incombe à celui qui l'invoque;

Attendu que ne sont discutés ni le niveau de qualification confirmé par sa rémunération, ni la compétence du délégataire Philippe D, pas plus que le contenu de la délégation de pouvoirs incluse dans un contrat de travail à durée indéterminée l'engageant en qualité de chef alimentaire, lui conférant une entière autonomie et tous moyens pour prendre toutes mesures et toutes décisions pour appliquer et faire appliquer ...

- la législation applicable à la profession, savoir

- conformité des produits (quantité et qualité ...),

- conformité des prix (connaissance du prix de revient, pas de vente à perte ...),

- conformité de l'étiquetage, de l'affichage, des textes publicitaires,

- les réglementations spécifiques :

- vente d'alcool, de vin, de sucre,

- délivrance et rédaction des acquits

et stipulant que " toute infraction qui résulterait d'une imprévoyance, négligence ou inobservation des prescriptions existantes engagerait votre responsabilité personnelle devant la juridiction compétente .... ;

Attendu, ainsi que le font valoir le parquet appelant et l'administration concluante, que cette délégation ne mentionne nullement les règles de la facturation ;

Que c'est par inexacte appréciation des faits et de la convention que le premier juge a considéré que la facturation relevait des modalités de détermination des prix et conditions de vente ressortant de la responsabilité du délégataire chef de rayon, et non pas des pouvoirs de direction et d'administration du conseil d'administration de la société anonyme, et de son président, délégataire légal et statuaire tant en application du pacte social que des dispositions de la loi du 24 juillet 1966 ;

Que la facturation, partie intégrante de la comptabilité commerciale du vendeur et de l'acheteur, participant de la valeur probatoire accordée aux livres et comptes par l'article 17 du Code de Commerce, est un élément fondamental de l'organisation de l'entreprise et de ses relations avec clients, fournisseurs et tiers(administration fiscale, etc ...) ; qu'admettre que le respect de ces règles impératives et d'ordre public puisse être délégué reviendrait à réduire le rôle des administrateurs à celui de simple exécutants et, alors, qu'ils n'auraient plus aucune responsabilité commerciale, fiscale et même pénale; qu'il n'est pas inutile de souligner qu'elles imposent des contraintes parfaitement incompatibles avec les missions, les pouvoirs et l'autorité d'un chef de rayon, quelque fût sa compétence;

- selon l'article 31 visé à la prévention,l'acheteur doit réclamer une facture conforme ; il doit en conserver un exemplaire pendant 3 ans (article 26 du décret 86-1309 du 29 décembre 1986) ; [ces obligations sont reprises et précisées par les articles 289, 242 Monies annexes II, 262 ter I du Code Général des Impôts] ;

Par ces motifs : Statuant par arrêt contradictoire, En la forme, déclare l'appel recevable, Au fond, réforme le jugement déféré, Statuant à nouveau, Déclare Daniel P coupable des faits visés à la prévention, En répression, le condamne à la peine de cinq mille francs d'amende (5.000 F), Constate qu'il est redevable d'un droit fixe de procédure de 800 F auquel est assujetti le présent arrêt.