Livv
Décisions

CA Rennes, 3e ch. corr., 9 novembre 1995, n° 95-01887

RENNES

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Segondat

Conseillers :

Mme Algier, M. Le Corre

Avocat :

Me Mitchell

TGI Rennes, ch. corr., du 21 nov. 1994

21 novembre 1994

Rappel de la procédure :

Le jugement :

Le Tribunal correctionnel de Rennes, par jugement contradictoire en date du 21 novembre 1994, pour facturation non conforme, vente de produit, prestation de service pour activité professionnelle, et non communication par écrit des conditions de rémunération du distributeur ou prestataire, a :

- constaté que Benoist X et Bernard D n'étaient pas poursuivis pour les infractions aux règles de facturation concernant des factures de coopération commerciale visées dans le procès-verbal de la Direction Générale de la Concurrence, de la Commission et de la Répression des Fraudes,

- rejeté l'exception de prescription soulevée du chef des contraventions,

- relaxé Benoist X et Bernard D du chef de 13 contraventions aux règles sur la conclusions des contrats de coopération commerciale,

- les a déclarés coupables pour le surplus et les a condamnés :

- X Benoist à 30 000 F d'amende et 75 amendes de 50 F chacune,

- D Bernard à 30 000 F d'amende et 64 amendes à 50 F chacune,

condamnant solidairement la société anonyme Y de Rennes au paiement des amendes.

Les appels :

Appel a été interjeté par :

Monsieur X Benoist, le 29 novembre 1994,

Monsieur D Bernard, le 29 novembre 1994

M. le Procureur de la République, le 29 novembre 1994 contre Monsieur X Benoist et Monsieur D Bernard

X le 1er décembre 1994.

La prévention :

Considérant qu'il est fait grief aux prévenus d'avoir à Cesson Sevigne, en tous cas dans l'arrondissement judiciaire de Rennes, au cours du 1er trimestre 1991 jusqu'en fin août 1991, à raison des constatations opérées les 12 juillet 1991, 21 et 22 août, 29 et 30 août 1991 et de modifications opérées dans les mois suivants, le tout récapitulé au procès-verbal du 1er juin 1992 :

1°) Benoist X, en sa qualité de Président du Directoire de la SA Y :

- effectué, fait effectuer pour une activité professionnelle des achats de produits sans factures conformes,

- omis de respecter les règles sur le caractère écrit des conditions de rémunération du distributeur par ses fournisseurs, en contrepartie des services spécifiques, contraventions de la 5e classe connexes au délit ci-dessus spécifié, avant modification législative du 1er juillet 1993, 11 lui étant imputables sur 88 insuffisances de facturation,

2°) Bernard D, en sa qualité de gérant de la société Y et Directeur Général de celle-ci à compter du 18 mars 1991 :

- effectué, fait effectuer, pour une activité professionnelle, des achats de produits sans factures conformes,

- omis de respecter les règles sur le caractère écrit des conditions de rémunération du distributeur par ses fournisseurs, en contrepartie des services spécifiques, contraventions de la 5e classe connexes au délit ci-dessus spécifié, avant modification législative du 1er juillet 1993, 77 lui étant imputables sur 88 insuffisances de facturation,

Faits prévus et réprimés par les articles 31, 33, 55 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986.

En la forme :

Considérant que les appels sont réguliers et recevables en la forme ;

Au fond :

Benoist X est Président du Directoire de la SA Y, filiale du Groupe Y qui exploite 37 supermarchés à l'enseigne Y et fournit sous franchise 210 magasins à l'enseigne Z ;

Cette société achète par conséquent auprès de divers fournisseurs des produits ultérieurement revendus dans ces magasins Y et Z ;

Le 18 mars 1991, Bernard D a été nommé membre du Directoire en qualité du Directeur Général et a exercé à compter de cette date les mêmes pouvoirs que le Président du Directoire ;

Le 12 juillet 1991 et les jours suivants des opérations de contrôle ont été menées par la DGCCRF au siège de la SA Y aux fins de vérifier le respect des dispositions du titre IV de l'Ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986 et notamment le respect par l'entreprise des règles de transparence dans les relations avec les fournisseurs ;

Les constatations opérées ont mis en évidence des anomalies en matière de facturation et en ce qui concerne les relations entre distributeurs et fournisseurs ;

En matière de facturation, les agents de la DGCCRF ont constaté :

1°) que la SA Y établissait des factures de prestations de service dont l'objet était absent ou indiqué avec des expressions génériques ;

2°) que la SA Y acceptait de la part de ses fournisseurs des factures d'achat des produits ne comportant pas l'indication des rabais, ristournes, remises dont le principe est acquis et le montant chiffrable lors de la vente quelque soit leur date de règlement ;

3°) que la SA Y émettait de fausses factures de prestation de services sous couvert de coopération commerciale alors qu'il s'agissait en fait de remises qui auraient du figurer sur les factures d'achat auprès de ses fournisseurs ;

En matière d'infractions aux règles relatives aux relations entre fournisseurs et distributeurs, les enquêteurs ont relevé l'absence de contrats écrits préalables à la facturation dans 88 circonstances imputables à M. X et dans 77 circonstances imputables à M. D ;

Sur la base des constatations ainsi effectuées Benoist X pris en sa qualité de Président du Directoire de la SA Y et Bernard D pris en sa qualité de Gérant de la société Y et de directeur général de celle-ci à compter du 18 mars 1991 ont été, à la requête du Ministère public, poursuivis devant le Tribunal Correctionnel de Rennes pour avoir au cours du 1er trimestre 1991 jusqu'à fin août 1991 :

- effectué, fait effectuer pour une activité professionnelle des achats de produits sans factures conformes ;

- omis de respecter les règles sur le caractère écrit des conditions de rémunération du distributeur par ses fournisseurs en contrepartie de services spécifiques ;

Discussion

Considérant qu'il doit être observé d'une part que les factures de prestations de service de coopération commerciale visées au procès-verbal mais non mentionnées dans la poursuite n'entrent pas dans le cadre des fais reprochés au prévenu, d'autre part, que les contraventions d'omission du respect des règles sur le caractère écrit des conditions de rémunération du distributeur par ses fournisseurs sont amnistiées par application de l'article 1er de la loi du 3 août 1995 dès lors qu'elles ont été commises avant le 18 mai 1995 ;

Considérant que pour solliciter leur relaxe du chef d'achats de produits sans factures conformes, MM. X et D font valoir que des délégations de pouvoir de nature à exonérer le dirigeant d'entreprise de sa responsabilité pénale ont été consenties à MM. A et B, respectivement Directeur des achats de denrées non périssables et Directeur des achats frais de la SA Y ;

Considérant que, sauf si la loi en dispose autrement le chef d'entreprise qui n'a pas personnellement pris part à la réalisation de l'infraction et d'autre part, s'ils ont valablement délégué leurs pouvoirs ;

Considérant, s'agissant des délégations de pouvoirs que les 7 janvier 1990 et 7 janvier 1991, Benoist X a délégué respectivement à MM. A et B, le pouvoir et la responsabilité, chacun :

- de veiller en permanence à la conformité au regard des réglementations en vigueur des marchandises qu'il achète pour le compte de la société ;

- de veiller à ce que les marchandises mises en vente à l'entrepôt soient conformes à la réglementation des prix en vigueur, dont il déclare avoir eu connaissance ;

- d'apporter les rectifications nécessaires de telle sorte que les prix pratiqués soient toujours conformes aux prescriptions de la législation ;

Considérant que les délégations précisent qu'en raison de l'expérience professionnelle de MM. A et B, ceux-ci déclarent assumer personnellement toutes responsabilités pénales dans les matières entrant dans leurs attributions chaque fois que cette responsabilité résultera notamment des infractions qui auraient pour cause une absence de contrôle de leur part des règles relatives à la législation sur les prix et le contrôle économique, sur la répression des fraudes ainsi que tous règlements administratifs ou de police applicables à leur activité dont ils déclarent avoir parfaite connaissance ;

Considérant que l'analyse de ces délégations montre que les directeurs des achats frais et des denrées non périssables, chargés des relations avec les fournisseurs et des négociations des conditions d'achat étaient investis d'un pouvoir de contrôle de l'observation des règles relatives à la législation économique et devaient faire respecter la législation sur les prix dont ils déclaraient avoir parfaite connaissance;

Considérant que MM. A et B avaient, compte-tenu de leur expérience professionnelle la compétence requise; qu'en leur qualité de cadres commerciaux directeurs des achats, ils avaient l'autorité nécessaire; qu'enfin, disposant d'un budget personnel et d'un budget propre à chaque unité et de suffisamment de préposés, il s avaient les moyens d'assumer les responsabilités qui leurs étaient confiées;

Qu'ainsi les délégations dont se prévalent les prévenus étaient régulières et valables;

Mais considérant en ce qui concerne la participation personnelle des prévenus qu'en sa qualité de dirigeant investi d'un pouvoir personnel de direction, d'animation et de surveillance, Benoist X devait en outre lui-même faire respecter la transparence tarifaire en donnant les instructions nécessaires pour qu'aucune des directions d'achat n'accepte de recevoir de la part des fournisseurs des factures ne mentionnant pas rabais, ristournes ou remises dont le principe était acquis et le montant chiffrable lors de la vente ou de la prestation de service, quelque soit leur date de règlement;

Considérant qu'une telle obligation s'imposait au Président Directeur Général dont l'attention personnelle avait été attirée le 11 juillet 1988 par courrier recommandé avec accusé de réception de la DGCCRF d'Ille et Vilaine sur la nécessité de faire figurer ces éléments sur les factures (éléments permettant de calculer le seuil de revente à perte) et en ce qui concerne les remises conditionnelles, sur l'intérêt le cas échéant de signaler au fournisseur que la condition est remplie et de lui demander de faire figurer cette remise acquise sur les factures suivantes dès la condition remplie;

Or, considérant qu'aucun des directeurs d'achat interrogé n'a indiqué avoir été informé de l'existence du rappel des obligations réglementaires;

Considérant que seule, une note d'information juridique sur le délit de revente à perte et l'exception d'alignement en date du 15 juillet 1991 a été communiquée à certains directeurs d'achat mais que celle-ci ne fait référence ni à la nécessaire transparence tarifaire ni à l'aptitude qui s'impose à l'égard des fournisseurs rédacteurs de factures incomplètes ;

Considérant que M. X indique que le service comptable reçoit 10.517 factures par mois et qu'il ne peut les vérifier ;

Mais considérant que s'il ne saurait être question d'imposer aux dirigeants la vérification ponctuelle de chaque facture, ceux-ci ne sauraient en revanche accepter que soient effectués de façon habituelle par l'entreprise qu'ils dirigent des achats de produits sans factures conformes, même si leurs délégataires ont été parallèlement investis du pouvoir très général de faire respecter la législation sur les prix ;

Considérant que l'acceptation par M. X de pratiques délictuelles sur lesquelles son attention avait été personnellement attirée caractérise une participation personnelle du prévenu à la réalisation de l'infraction;

Considérant en revanche que Bernard D n'a été nommé Directeur Général que le 18 mars 1991 ; qu'il n'a pas été destinataire du rappel de la DGCCRF adressé avant sa prise de fonction ; qu'il n'est pas l'auteur des délégations de pouvoirs également intervenues avant sa prise de fonction ; qu'aucun acte ne caractérise sa participation personnelle à la réalisation de l'infraction ; qu'il sera en conséquence relaxé des fins de la poursuite ;

Considérant qu'il résulte du procès-verbal dressé par la DGCCRF qu'en ce qui concerne 12 fournisseurs, X a, au cours du 1er trimestre 1991 et jusqu'à fin août 1991, accepté des remises ou ristournes n'apparaissant pas sur les factures des fournisseurs ;

Qu'ont ainsi été relevés les montants suivants ne figurant pas sur les factures :

1°) Fournisseur Pomona Fruit d'Or :

EMPLACEMENT TABLEAU

2°) Fournisseur SA Brient :

EMPLACEMENT TABLEAU

3°) Fournisseur Société Jambon d'Aoste :

EMPLACEMENT TABLEAU

4°) Fournisseur Société Charcuterie Rennaise

EMPLACEMENT TABLEAU

5°) Fournisseur Cedilac Candia

EMPLACEMENT TABLEAU

6°) Fournisseur UCA Even

EMPLACEMENT TABLEAU

7°) Fournisseur Groupe Président

EMPLACEMENT TABLEAU

8°) Fournisseur Henkel

EMPLACEMENT TABLEAU

9°) Fournisseur Lever

EMPLACEMENT TABLEAU

10°) Fournisseur Procter et Gamble

EMPLACEMENT TABLEAU

11°) Fournisseur Panzani

EMPLACEMENT TABLEAU

12°) Fournisseur William Saurin

EMPLACEMENT TABLEAU

Considérant que la SA Y conteste le caractère inconditionnel de ces remises ;

Mais considérant qu'une remise doit être considérée comme étant de principe acquis lorsque la réalisation de la condition dont elle est assortie est liée à la seule volonté du distributeur; qu'entrent dans cette catégorie les remises liées au chiffre d'affaires, à la diffusion ou la détention de certains produits, à des actions promotionnelles, au respect d'objectifs fixés en commun; qu'il incombe au fournisseur d'indiquer sur la facture l'existence d'un avantage différé en précisant le montant et les conditions et au distributeur de n'accepter que des factures indiquant ces remises de principe acquis;

Qu'il en est ainsi notamment des remises consenties par la société L payables après réalisation des actions promotionnelles, par la société Aoste ou la société Procter et Gamble payables après réalisation d'objectifs ;

Qu'en l'espèce la totalité des remises accordées dépendant de la seule volonté du distributeur, il importe peu qu'elles aient ou non donné lieu à paiement d'acomptes trimestriels;

Qu'il n'importe pas davantage que ces ristournes aient été négociées au niveau du groupe ou de Y dès lors que le principe de la ristourne est acquis dès la négociation de l'accord et qu'une confirmation des conditions groupe a toujours été obtenue par le Directeur d'achat Y concerné;

Qu'il apparaît en conséquence que les manquements à l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 caractérisés par le Tribunal sont bien constitués en l'espèce ;

Considérant que la demande de non inscription au B.2 du casier judiciaire de la présente condamnation n'est justifiée par aucune pièce ni aucune circonstance de nature à en consacrer l'opportunité ;

Par ces motifs : LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de X Benoist, D Bernard et Y, En la forme, Reçoit les appels. Au fond : Déclare l'action publique éteinte en ce qui concerne les contraventions d'omission de respecter les règles sur le caractère écrit des conditions de rémunération du distributeur par ses fournisseurs en contrepartie de services spécifiques, Confirme le jugement sur la qualification des faits, la déclaration de culpabilité et la peine infligée à Benoist X pour infraction à l'article 31 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986 ainsi que sur la solidarité au paiement des amendes avec la SA Y, Le déboute de sa demande de non inscription de la sanction au Bulletin n° 2 de son casier judiciaire, Réforme le jugement sur la culpabilité en ce qui concerne l'infraction reprochée à Bernard D sur le fondement de l'article 31 de la même ordonnance, La relaxe des fins de la poursuite, La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable Benoist X, Prononce la contrainte par corps, Le tout par application des articles susvisés, 800-1, 749 et 750 du Code de Procédure Pénale.