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Décisions

CA Bordeaux, 3e ch. corr., 22 mars 1994, n° 1341-93

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Procureur général près la Cour d'appel de Bordeaux

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Thevenot

Conseillers :

Mmes Edoux de Lafont, Carbonnier

Avocat :

Me Guerin

TGI Angoulême, ch. corr., du 6 mai 1992

6 mai 1992

Faits :

Par acte en date du 12 mai 1992 reçu au secrétariat-greffe du Tribunal grande instance d'Angoulême, le Ministère Public a relevé appel d'un jugement contradictoire rendu par ledit tribunal le 6 mai 1992 à l'encontre de X Michel poursuivi comme prévenu d'avoir à Rufec, le 18 octobre 1992, effectué, pour une activité professionnelle, un ou des achats de produits, ou une ou des ventes de produits, ou une ou des prestations de services sans facture conforme ;

Faits prévus et réprimés par les articles 31 et 55 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ;

Le Tribunal l'a renvoyé des fins de la poursuite sans peine ni dépens ;

Sur quoi, LA COUR

L'appel interjeté le 12 mai 1992 par le Ministère Public à l'encontre du jugement rendu le 6 mai 1992 par le Tribunal Correctionnel d'Angoulême est recevable pour avoir été déclaré dans les forme et délai de la loi.

Les faits :

Le 4 mars 1991, Gilles Patrac, contrôleur des services de la répression des fraudes de la Charente, a dressé procès-verbal d'infractions constatées par lui le 19 janvier 1990, à la suite d'un contrôle effectué au magasin " Y ", à Ruffec, exploité par la société " S ", dont Michel X est le Président du conseil d'administration.

Aux termes de ce procès-verbal, la société " S " a émis trois factures, en date du 18 octobre 1990, d'un montant respectif de 73.887,80 F, 73.887,80 F et 17.790 F, adressées à la société CPC Knorr.

Ces factures ne précisaient pas la date de prestation de service rendue, la dénomination précise du service rendu, la quantité et le prix unitaire de l'objet de la transaction.

Ces précisions sont exigées par l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Il résulte de l'enquête diligentée que deux de ces factures représentent la rémunération d'une promotion en faveur des marchandises de marque Knorr, et la troisième a été émise dans le cadre d'un litige entre les deux cocontractants, ayant trait aux bases de facturation d'une livraison.

Michel X a été relaxé par le Tribunal Correctionnel, parce qu'il a produit une délégation de responsabilité à la charge de Michel B, chef d'entrepôt à la société " S " ; cette délégation, en date du 4 janvier 1988, définit les fonctions de Michel B de la manière suivante : " réception et contrôle des entrées et sorties des marchandises et emballages ; rangement des stocks et emballages divers ; gestion de la réserve et des matériels ; direction du personnel d'exécution ". Elle s'étend expressément à l'application de la législation commerciale, ainsi définie : " conformité des documents réception de marchandises (bons de remis, bons de transport, bons de livraison, factures ...) ; réglementation spécifique.

Moyens des parties :

Le Ministère Public fait valoir au soutien de son appel que l'infraction poursuivie étant purement formelle et les faits poursuivis étant constitués, la seule question à trancher est celle de savoir si Michel X est pénalement responsable ; qu'à cet égard, la délégation de pouvoir à Michel B qui est invoquée par Michel X pour se dégager n'est pas suffisante pour faire admettre sa défense, parce qu'elle ne vise pas les actes dont il s'agit ; dès lors, il estime qu'elle doit être écartée et requiert la condamnation de Michel X au paiement d'une amende de 50.000 F.

Michel X fait valoir au soutien de son appel que Michel B disposait d'un contrat de travail fixant précisément ses fonctions et comportant délégation de responsabilité ; cette délégation vise précisément les réglementations commerciales spécifiques, dont le respect est placé sous la responsabilité de ce salarié ; qu'il dispose des pouvoirs et de la rémunération correspondant à ce type de responsabilité ; que lui-même n'a de fonctions qu'en qualité de mandataire social, ce qui ne le mettait pas à même de participer aux faits ; qu'en conséquence la décision de relaxe est bien fondée et devra être confirmée.

Motivation :

Il résulte de la seule lecture du contrat de travail de Michel B que ce salarié a des fonctions de direction de centrale, comportant des tâches uniquement d'organisation et gestion, tant sur le matériel que sur le personnel. La délégation de responsabilité qui lui est effectivement consentie ne vise qu'un contrôle de la régularité formelle des livraisons reçues et effectuées, y compris pour ce qui concerne les documents les accompagnant. Il en résulte donc que la responsabilité de Michel B ne s'entend pas au pouvoir décisionnel nécessaire à la négociation avec les sociétés fournisseurs, en particulier sur les conditions de vente, ni au pouvoir de traiter et transiger dans le cadre de litiges commerciaux.

Or, les factures dont il s'agit sont des factures émises en représentation de remises négociées en vertu d'accords commerciaux ou en représentation de litiges. Comme le pouvoir de Michel B en la matière se borne à la vérification des factures accompagnant les livraisons, ou, plus largement aux responsabilités découlant de la vocation d'entrepôt de la société S, et des actes d'exécution qu'elle rend nécessaire (réception, rangement, gestion des stocks et gestion du personnel), la négociation des prix de livraison sortant des conditions de vente habituelles des fournisseurs sort à l'évidence de ses pouvoirs, comme des responsabilités qui de découlent et sont énoncées au contrat de travail. Toutes les responsabilités pénales y figurant et comprises dans la délégation du 4 janvier 1988 ne peuvent être entendues qu'en ce sens. Si Michel X est effectivement titulaire d'un mandat social au sein de la S, une telle position n'exclut nullement qu'il exerce un pouvoir de décision au sein de la société. De telles fonctions l'appellent au contraire naturellement et juridiquement à arrêter les décisions essentielles de la vie sociale. Eu égard à la taille et à la fonction de la société, qui exploite une centrale d'achat, les négociations de rabais et des avoirs fournisseurs dans le cadre d'un litige rentrent précisément dans les attributions du président du Conseil d'Administration.

En conséquence, c'est à tort que les premiers juges ont exclu la responsabilité pénale de Michel X dans les faits dont s'agit.

Ces faits sont constitués. Les factures figurant en annexe au procès-verbal ne comportent aucune indication sur la nature des prestations concernées, la dénomination du service rendu, les quantités en cause ni les dates de prestations. Elles violent donc les prescriptions de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Le jugement déféré doit ainsi être reformé ; Michel X doit être déclaré coupable de l'infraction poursuivie. Eu égard aux nombreuses condamnations figurant à son casier et au caractère particulier des violations des dispositions légales en cause qui permettent un contrôle par l'administration de la loyauté de la concurrence dans un secteur marchand très actif, une sévère amende, d'un montant de 40.000 F, sera prononcée à son encontre.

Par ces motifs : LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement et par arrêt contradictoire, En la forme, - déclare recevable l'appel du Ministère Public. Au fond, - réforme le jugement déféré, et statuant à nouveau, Déclare Michel X coupable d'avoir à Ruffec, le 18 octobre 1990, effectué pour une activité professionnelle des achats ou ventes de produits ou des prestations de services sans facture conforme. En répression, le condamne au paiement d'une amende de 40.000 F. Dit que la contrainte par corps s'appliquera dans les conditions prévues aux articles 749 et 750 du Code de Procédure Pénale. Confirme la condamnation aux dépens de première instance s'élevant à la somme de ... La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable chaque condamné, en application de l'article 1018 du CGI.