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Décisions

CA Paris, 5e ch. C, 15 décembre 1995, n° 93-024724

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Hall du Bureau Moderne (Sté)

Défendeur :

Mattel France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rognon

Conseillers :

M. Betch, Mme Cabat

Avoués :

SCP Parmentier Hardouin, Me Gibou

Avocats :

Mes N'Guyen - Van Rot, Djian

T. com. Limoges, du 2 août 1991

2 août 1991

LA COUR statue sur l'appel formé par la SA Hall du Bureau Moderne à l'encontre d'un jugement rendu le 2 août 1991 par le Tribunal de commerce de Limoges qui l'a déboutée de sa demande formée contre la société Mattel France en la condamnant à payer à cette dernière la somme de 2 000 F au titre de l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

La saisine de la Cour d'appel de Paris du chef de ce recours fait suite à un arrêt de la Cour d'appel de Limoges prononcé le 13 avril 1993 qui a infirmé la décision susvisée du chef de la compétence après avoir constaté que la clause n° 15 du bon de commande mis par la société Mattel France à la disposition de ses clients, attribuait compétence exclusive au Tribunal de commerce de Paris pour statuer sur tout différend né entre les parties;

La Cour se réfère pour l'exposé des faits et de la procédure à la relation exacte qu'en ont fait les Premiers Juges ainsi que les magistrats de la Cour d'appel de Limoges; il suffit de rappeler que le litige porte sur les conséquences devant être tirées de la modification par la société Mattel France de ses conditions générales de vente;

La société Hall du Bureau Moderne, ci-après dénommée " société HBM " appelante, reproche à la société Mattel France d'avoir rompu brutalement son approvisionnement en abusant de sa position de monopole et d'exclusivité des jouets vendus, d'avoir modifié unilatéralement les conditions de règlement en imposant le paiement par lettre de change relevée alors que leurs relations commerciales étaient anciennes et permanentes, et d'avoir en conséquence, institué un système de vente discriminatoire, de nature à porter atteinte à la concurrence;

Aussi, la société HBM prie-t-elle la Cour, après infirmation du jugement entrepris, de condamner la société Mattel France à livrer les marchandises par elle produites selon les conditions de paiement antérieures au 1er juin 1989, à savoir 90 jours par traite acceptée et ce, sous astreinte de 500 F par jour de retard en la condamnant au paiement des sommes de 100.000 F, de 200.000 F et de 20.000 F aux titres respectifs de dommages-intérêts pour manque à gagner souffert avant et depuis la naissance du litige, et de l'application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile;

La société Mattel France, intimée, conclut à la confirmation de la décision entreprise en formant contre l'appelante une demande en paiement de ses frais irrépétibles chiffrés à " 15 000 F HT " ;

A ces fins, elle fait valoir que ses conditions générales de vente s'imposent à tous ses clients ; que loin d'être discriminatoires, elles ont été clairement apposées au dos de chacun des bons de commande et factures et que le prétendu préjudice dont la société HBM réclame l'indemnisation provient du seul fait de cette cliente qui a tenté de lui imposer ses propres conditions d'achat; elle dénie en outre avoir agi de manière soudaine en rappelant qu'elle a mis en place le système de paiement par lettre de change relévée magnétique à partir du 1er octobre 1988 à l'ensemble de ses clients à compter du 1er janvier 1989 ; la société Mattel France soutient encore qu'elle était en droit de modifier ses conditions générales de vente en dépit de l'ancienneté des relations commerciales suivies avec la société HBM; elle conteste enfin la caractère anticoncurrentiel de cette pratique de paiement;

Sur ce, LA COUR :

Considérant que malgré l'ancienneté des relations commerciales antérieures au litige, réalité reconnue par les deux parties, la société HBM ne peut utilement prétendre au maintien des conditions générales de vente de la société Mattel France sans possibilité pour cette dernière d'y apporter certaines modifications; qu'en effet, aucun contrat cadre n'a été signé et le moyen tiré par l'appelante de l'existence d'un contrat à durée indéterminée dont la rupture lui aurait été imposée, s'avère en conséquence infondé;

Que d'ailleurs, il convient d'observer qu'en l'absence d'un tel contrat, chaque bon de commande utilisé par la société HBM et fourni par la société Mattel France constituait un contrat de vente individualisé dont les conditions étaient négociables par les parties préalablement à la passation de la commande;

Considérant que la modification des conditions de paiement n'a été introduite sur les bons de commande ni à l'insu de la société HBM, ni de manière soudaine; qu'en effet, la société Mattel France relève utilement que par ses conclusions de première instance, la société HBM avait indiqué que le système de paiement par lettre de change relevée magnétique avait été institué dès le mois d'octobre 1988 et généralisé par la société Mattel France à l'encontre de ses clients à compter du 1er janvier 1989; qu'il s'ensuit que les commandes des 6 février 1989 et les commandes suivantes à payer desquelles est né le litige, ont été rédigées à l'exception de l'un d'entre elles, sur les bons modifiés prévoyant le paiement suivant ce mode automatisé, ce qui implique l'acceptation de ce mode de paiement par la société HBM; que cette dernière est donc mal fondée à refuser l'application de ces conditions, sauf pour une commande l'article 1134 du Code Civil exigeant l'exécution de bonne foi des conventions ainsi conclues ;

Considérant que la même société soutient vainement que l'exigence d'un tel mode de paiement est susceptible de porter atteinte à la concurrence en raison de son aspect discriminatoire; qu'en effet, pourrait êtreau contraire discriminatoire, le fait que la société Mattel France alors quelle avait l'exclusivité de la distribution en France des produits Barbie et Maîtres de l'Univers, d'accepter de l'un de ses clients des paiements différés par traites à 90 jours, et d'exiger des autres le paiement par lettre de change relevée magnétique;

Considérant que pour ce qui concerne le moyen tiré par la société HBM de l'abus de position dominante en rapport avec l'exclusivité susvisée, il implique s'il est jugé pertinent, qu'un distributeur exclusif pour la France de produits très prisés comme en l'espèce, par les jeunes consommateurs français, soit placé dans l'impossibilité totale de modifier ses conditions de vente; que l'ordonnance du 1er décembre 1986 invoquée par la société HBM ne peut avoir une telle portée; qu'en effet, le dernier alinéa de l'article 8 de ce texte limite à l'exigence "de conditions commerciales injustifiées", la prohibition de l'abus consistant en la rupture de relation commerciale établie et ne peut être jugé injustifié au sens de ce texte, le fait d'exiger un paiement par lettre de change relevée magnétique se substituant à l'exigence antérieure figurant sur les anciens bons de commande "d'un paiement au comptant", dernière exigence à laquelle la pratique antérieure à la modification avait substitué l'occupation par la société Mattel France, de traiter à 90 jours; que bien que la société HBM soit mal fondée en ses demandes relatives aux conditions dans lesquelles elle s'est vue imposer la modification des conditions de paiement, il y a lieu néanmoins d'examiner si en l'espèce, la société Mattel France n'a pas commis une faute dans l'exécution de ses engagements ;

Considérant qu'après avoir été interrogée à plusieurs reprises par la société HBM, et ce à compter du mois de mai 1989, sur le maintien ou non des conditions antérieures de paiement, après avoir fait savoir à sa partenaire que le nouveau système de paiement par lettre de change relevée magnétique avait été généralisée à l'ensemble de ses clients, la société Mattel France a, en dépit de la signature par la société HBM des bons de commande objets des livraisons prévues en juin, sur lesquelles figuraient expressément sauf par l'un d'entre eux, ces nouvelles conditions, déclaré par courrier du 31 mai 1989 que "la non acceptation de ce mode de règlement "ne pourrait" pas entraîner une rupture des conditions commerciales;"

Considérant que ce courrier qui ne peut être considéré que comme une exception à la règle acceptée par la signature des bons litigieux et qui ne peut en conséquence avoir la portée générale que lui attribue la société HBM, n'a pas été suivi d'effet; qu'en effet, malgré l'assurance ainsi donnée à cette dernière, les approvisionnements commandés en février 1989 n'ont pas été livrés, fait dont elle s'est plainte par télex du 7 juin 1989, qui n'est pas contesté par la société Mattel France dans la présente procédure qui a été suivi d'une lettre de mise en demeure de livrer, elle qui n'est pas même - justifié par cette dernière, par une faute contractuelle de la société HBM telle qu'un défaut de paiement;

Considérant que le fait fautif de la société Mattel France ayant consisté à revenir sur un engagement de livrer pris par courrier du mai 1989, en exécution des commandes antérieures, a généré pour la société HBM, une rupture d'approvisionnement en jouets de la marque, pour l'été 1989 ainsi qu'une dévalorisation du stock de jouets née de l'absence de réassortiment;

Considérant qu'au regard de l'importance des commandes litigieuses passées, la Cour estime avoir les éléments d'appréciation suffisants pour fixer à 30.000 F le préjudice qui en est résulté ;

Considérant qu'en raison du caractère exceptionnel du courrier du 31 mai 1989, la demande de la société HBM qui tend à la condamnation de la société Mattel France "à livrer les marchandises par elle produites selon les conditions antérieures au 1er juin 1989", doit être rejetée;

Considérant que la société HBM qui succombe en la majeure partie de ses demandes, sera condamnée au paiement des 2/3 des dépens de première instance et d'appel exposés devant la présente Cour, les dépens exposés devant la Cour d'appel de Limoges ayant été liquidés ;

Considérant que l'équité ne commande l'application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile à aucun stade de la procédure;

LA COUR, Statuant sur les chefs non infirmés par l'arrêt rendu le 13 avril 1993 par la Cour d'appel de Limoges; Infirme en toutes ses dispositions la décision déférée, Et statuant à nouveau, Condamne la société Mattel France à régler à la société Hall du Bureau Moderne la somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts; Déboute les parties de leurs demandes incompatibles avec la motivation ci-dessus retenue, en ce comprises celles formées sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Fait masse des dépens de première instance et d'appel exposés devant la présente juridiction, condamne la société Hall du Bureau Moderne à en régler les deux tiers, la société Mattel France à en régler le tiers et admet pour les dépens d'appel exposés devant la Cour d'appel de Paris, et dans cette même proportion, les titulaires d'un office d'avoué de la cause au bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.