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Décisions

CA Rennes, 3e ch. corr., 18 janvier 1996, n° 95-00243

RENNES

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Segondat

Conseillers :

Mme Algier, M. Le Corre

Avocats :

Mes Gofard, Destremeau

TGI Nantes, ch. corr., du 25 oct. 1994

25 octobre 1994

Rappel de la procédure :

Le jugement :

Le Tribunal de Nantes, par jugement contradictoire en date du 25 octobre 1994, pour facturation non conforme - vente de produit, prestation de service pour activité professionnelle,

A condamné B Xavier à 20 000 F d'amende,

A Alain à 10 000 F d'amende.

Les appels :

Appel a été interjeté par :

M. B Xavier, le 26 octobre 1994 à titre principal,

M. le Procureur de la République, le 26 octobre 1994, à titre incident,

M. A Alain, le 28 octobre 1994, à titre incident,

M. le Procureur de la République, le 28 octobre 1994 contre M. A Alain, à titre incident,

La prévention :

Considérant qu'il est fait grief aux prévenus d'avoir à Saint Priest (69), Vaux en Velin (69), Fontenay sous Bois (94) et sur le territoire national courant 1991, effectué pour une activité professionnelle, une ou des ventes de produits sans factures conformes, en l'espèce par la mention sur les factures délivrées aux magasins X par la société Y d'un prix artificiel ne correspondant pas au prix final effectivement payé.

Prévu et puni par les articles 31 al. 2, 3 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986 et réprimés par l'article 31 al. 4 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986 et 55 al. 1 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986.

En la forme :

Considérant que les appels sont réguliers et recevables en la forme ;

Au fond :

Considérant qu'il résulte de l'enquête et des débats les faits suivants :

Pour l'année 1991, la centrale d'achats des magasins à l'enseigne X, représentée par M. B, (acheteur " viande "), décidait de s'approvisionner en viande de boeuf auprès de la société Y, sise à Ancenis (Loire Atlantique), dont le directeur général est Alain A. Un accord dénommé " contrat de coopération " était signé le 15 septembre 1991 au siège de la centrale d'achats à Villeneuve d'Ascq (Nord) par les deux prévenus.

L'article 4 du contrat définissait des conditions particulières concernant le prix du steak, notamment celui ayant 15 % de matière grasse, de la manière suivante :

- " le prix de facturation magasin du steak haché souhaité est indiqué par la centrale en fonction des données du marché ",

- " le prix de revient fournisseur sera établi selon une formule négociée ", en l'espèce (annexe 2) :

Prix de revient des avants /rendement : (0,685) - valeur reprise (0,20) + coûts fixes (6,40) x marge (1,02) + transport (1,20)

- " la différence entre le prix de facturation magasin et le prix de revient fournisseur constituera, si elle est positive, une provision pour opérations promotionnelles qui sera versée si, et dans la mesure où, le seuil de 60 tonnes est atteint chaque mois ",

En contrepartie la centrale s'engageait à :

- présenter les produits de ce fournisseur à l'ensemble de ses hypermarchés,

- mettre à sa disposition ses entrepôts et plates-formes de " dégroupage ",

- par les quantités négociées, de contribuer à l'amélioration des coûts standards industriels des fournisseurs ".

Lors de leur transport du 6 juin 1992 dans les locaux de la centrale d'achats de la société X, et au cours de leur enquête, les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes constataient que le prix de vente, intitulé " prix de revient fournisseur ", calculé selon la formule sus-indiquée n'avait jamais figuré sur les factures adressées par la société Y aux différents magasins du groupe X. En effet, pendant l'année 1991 apparaissait sur ces factures un prix unitaire de 30 francs le kilo, hors taxes, sauf pendant une période de promotion organisée par les magasins X du 25 octobre au 2 novembre 1991 où le prix de vente au kilo figurant sur les factures était de 25,50 F diminué d'une remise de 9 F, soit un prix de 16,50 F hors taxes.

Il s'avérait que cette remise de 9 F était la répercussion, conformément aux dispositions contractuelles spécifiques, sur le prix unitaire du steak haché (15 % MG), du montant de la provision amassée dans les comptes de la société Y par la centrale d'achats X en raison de la différence positive entre le prix de facturation et le " prix de revient fournisseur ", compte tenu du tonnage d'achats mensuel de 95,83 tonnes, supérieur à celui de 60 tonnes prévu au contrat.

Les prévenus étaient donc verbalisés pour facturation non conforme au prix contractuellement déterminé (" prix de revient fournisseur "), soit, en période ordinaire, par surévaluation, soit, en période promotionnelle, par sous évaluation tout aussi artificielle.

Considérant que les prévenus demandent leur relaxe et font valoir :

- que le contrat de coopération commerciale passé entre les deux sociétés est licite comme comportant des avantages et obligations réciproques,

- que les prix facturés par la société Y ont bien été payés par les magasins X,

- qu'ils étaient conformes aux dispositions contractuelles quant au prix dit " de facturation " et au prix promotionnel,

- que la remise de 9 F au kilo n'avait pas, en période ordinaire, à figurer sur les factures en déduction du prix négocié de 30 F car elle était conditionnée à l'existence d'une différence positive entre ce prix et le " prix de revient fournisseur " et à la réalisation d'un tonnage mensuel d'achats d'au moins 60 tonnes.

- qu'en conséquence l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 avait été respecté.

Discussion :

Considérant que, nonobstant la liberté instituée par son article 1er, le prix unitaire devant, aux termes de l'article 31 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986, figurer sur la facture est celui contractuellement déterminé entre les parties en fonction des données économiques du marché et non un prix artificiel n'ayant qu'une réalité comptable;

Considérant qu'en l'espèce le prix de la marchandise était celui contractuellement arrêté entre la société Y et celle gérant la centrale d'achats des magasins X pour le steak haché (15 % MG), improprement dénommé " prix de revient fournisseur ", alors qu'il s'agissait en réalité de son prix de vente puisque comprenant le prix d'achat par la société Y des morceaux avants des carcasses, augmenté de ses frais, multiplié par la marge constituant le bénéfice du vendeur,

Que pourtant ce prix contractuel, défini à partir des cours variables de la viande bovine, n'a jamais figuré sur les factures,

Que sur ces documents n'ont été mentionnés que des prix artificiellement fixés par le contrat de coopération commerciale ;

Considérant, en effet, qu'en période ordinaire le prix unitaire mentionné sur les factures était immuablement de 30 F le kilo alors qu'aux dires d'Alain A, cette année là, les cours de la viande étaient à la baisse en raison d'importations en provenance de pays de l'Est,

Qu'il résulte de l'économie du contrat et des dires du prévenu B (cote 1 pages 4 et 5) que ce " prix de facturation " avait été fixé de façon à être " inférieur au prix du marché pour assurer une compétitivité normale " mais qu'il était plus élevé que le prix de vente contractuellement déterminé de façon à dégager pour la société X une provision disponible pour des promotions permettant d'abaisser considérablement par une remise substantielle (35,25 %) le prix d'achat HT de la marchandise et donc le seuil de sa vente à perte,

Que d'ailleurs les termes utilisés dans la convention " prix de facturation magasin ", " souhaité " et " indiqué par la centrale " traduisent bien quel était l'avantage pour le distributeur,

Que celui-ci ne pouvait d'ailleurs accepter de payer, en temps ordinaire, à son fournisseur la marchandise à un montant supérieur au prix convenu que dans la perspective de faire baisser tout aussi artificiellement le prix de cette viande, par le jeu d'une remise sur le prix unitaire correspondant à la provision ainsi constituée, pendant ses promotions,

Que la date à laquelle cette opération promotionnelle sur le steak haché a été réalisée simultanément dans les magasins du groupe X (octobre-novembre 1991) permet de déduire que la décision a été prise non en fonction de l'évolution du marché mais au moment où le déblocage, sur ses instructions, de la provision artificiellement constituée dans les livres de son fournisseur lui permettait d'obtenir un prix d'achat HT inférieur à celui de ses concurrents ;

Considérant en conséquence, qu'il est ainsi établi que, contrairement à l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le prix de vente réellement déterminé entre les parties, en fonction des réalités économiques du marché de la viande, ne figurait jamais sur les factures qui mentionnaient, en temps ordinaire, un prix surévalué dans l'unique but pour le distributeur de se constituer une provision lui permettant, lors de ses promotions, d'obtenir par le jeu des remises des prix artificiellement bas, contournant aussi les dispositions de l'article 32 de l'ordonnance susvisés sur la pratique anticoncurrentielle de la revente à perte,

Que les prévenus sont bien pénalement responsables ; Xavier B, responsable des achats en boucherie pour la société X, s'étant vu le 2 janvier 1991, subdéléguer notamment " la détermination du prix d'achat des articles référencés par la centrale " et Alain A, ayant négocié en qualité de directeur général de Y, le contrat litigieux ;

Que les annexes seront portées à 20 000 F pour Alain A et 50 000 F pour Xavier B ;

Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Et ceux non contraires des premiers juges, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de B Xavier, A Alain, En la forme, Reçoit les appels, Au fond, Confirme le jugement du Tribunal correctionnel de Nantes du 25 octobre 1994 sur la qualification des faits et la déclaration de culpabilité d'Alain A et Xavier B, Le réformant sur l'application de la peine, Condamne : Xavier B à une amende de cinquante mille francs (50 000 F), Alain A à une amende de vingt mille francs (20 000 F) La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable chacun des condamnés, Prononce la contrainte par corps, Le tout par application des articles susvisés, 800-1, 749 et 750 du code de procédure pénale.