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Décisions

CA Poitiers, ch. corr., 24 mars 1994, n° 93-00900

POITIERS

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Main

Conseillers :

Mme Baudon, M. Hovaere

Avocat :

Me Guerin.

TGI Poitiers, ch. corr., du 20 oct. 1993

20 octobre 1993

Décision dont appel :

Le jugement a :

- relaxé Dany F des fins de la poursuite, conformément aux dispositions de l'article 470 du Code de Procédure Pénale.

Appel a été interjeté par :

Monsieur le Procureur général, le 9 décembre 1993.

Décision :

La Cour vidant son délibéré,

Vu le jugement entrepris, dont le dispositif est rappelé ci-dessus,

Vu l'appel de Monsieur le Procureur général, régulier en la forme,

Attendu que Dany F est prévenu d'avoir à Poitiers, le 16 juin 1992, en qualité de commerçant, vendu des produits à un prix inférieur à leur prix de revient, en l'espèce :

- le baril de Skip Micro 2,2 kg au prix de 45,77 F,

- le baril d'Axion 2 - 5 kg au prix de 53,25 F,

- la bouteille de Ballantine's Finest 70 cl au prix de 75,80 F,

- la bouteille de Martini Rosso 1 litre 16°, au prix de 37,35 F,

- la bouteille de Ricard 1 litre, au prix de 81,45 F,

Fait prévus et réprimés par l'article 1 I de la loi 63-628 du 2 juillet 1963,

Effectué, pour une activité professionnelle, une ou des ventes de produits, ou une ou des prestations de service sans remises inconditionnelles acquises sur facture, et concernant les articles suivants :

- dentifrice Signal,

- Café Regal - Jacques Vabre (4 x 250 gr),

- pâtes Rivoire & Carret 500 gr,

Fait prévus et réprimés par l'article 31 alinéas 2 et 3, ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ;

Attendu que, les faits de la cause ayant été exactement exposés par les premiers juges, la Cour se réfère à cet égard aux énonciations du jugement attaqué ;

Qu'il suffit de rappeler qu'il est reproché à Monsieur F, Directeur de la société R, exploitant à Poitiers un hypermarché à l'enseigne "X", d'avoir, en cette qualité, revendu à perte cinq produits différents et d'avoir commis une infraction à la législation relative à la facturation concernant trois autres produits ;

Attendu que Monsieur le Procureur général, appelant du jugement ci-dessus rappelé, qui a relaxé le prévenu des fins de la poursuite, déclare s'en rapporter à la décision de la Cour ;

Attendu que Dany F dépose des conclusions tendant au contraire à la confirmation de la décision de relaxe, faisant valoir pour l'essentiel,

- que seul le vendeur, éditeur de la facture, peut être pénalement responsable en cas de non-respect des prescriptions édictées par l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, relativement aux mentions qui doivent figurer sur la facture,

- que, pour chacun des produits qu'il lui est reproché d'avoir revendus à perte, il y a lieu de prendre pour base de calcul non le prix d'achat hors taxes, mais le prix "net net", figurant également sur la facture et sensiblement inférieur au premier parce qu'il tient compte de remises ou ristournes inconditionnelles acquises, bien que différées ;

Le prévenu souligne en outre que l'administration a commis une erreur en ne tenant pas compte de la contenance réelle de la bouteille de whisky " Ballantine's ", qui est de 70 cl et non d'un litre, pour calculer l'incidence du droit sur les alcools ;

Sur la revente à perte :

Attendu que l'article 32 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, (article 1er modifié loi du 2 juillet 1963), interdit la revente d'un produit en l'état à un prix inférieur à son prix d'achat effectif, lequel est présumé être celui porté sur la facture d'achat, majoré des taxes et, le cas échéant, du prix du transport ;

Qu'il appartient à celui qui soutient avoir acheté à un prix inférieur à celui mentionné sur facture d'en rapporter la preuve ;

Attendu que le prix " net net " figurant sur les factures produites par le prévenu, qui serait le prix de base à retenir pour le calcul du seuil de revente à perte en ce qu'il tiendrait compte de remises futures ou différées mais inconditionnelles et acquises, est à cet égard en lui-même dépourvu de valeur probante ; que, s'il peut avoir une valeur indicative pour l'acheteur, celui-ci ne peut utilement l'invoquer comme preuve du prix d'achat effectif, alors que sur la même facture figure un autre prix, réellement réclamé au client et qui est, en vertu de la loi, présumé être le prix d'achat effectif ;

Attendu que, pour les cinq produits visés à la prévention, le prévenu ne produit aucun document ayant valeur contractuelle, qui établirait la réalité, le taux, les modalités et le caractère inconditionnel et acquis des remises ou ristournes alléguées ;

Que les " extraits fiche-accord-fournisseur ", constituent des documents internes à la société S (Centrale d'achat fournisseur de la société R - magasin " X "), qui les édite ; qu'ils sont censés traduire les accords commerciaux entre S et ses propres fournisseurs mais ne peuvent constituer la preuve de ces accords, non plus que des accords entre S et R concernant la répercussion sur l'acheteur final des remises consenties ;

Attendu qu'au vu des éléments versés aux débats il y a lieu de déterminer, pour chacun des produits en cause, le prix d'achat effectif afin de vérifier si le prix de revente a ou non été inférieur au seuil de revente à perte ;

Skip Micro - baril 2,2 kg vendu au public 45,75 F TTC

- prix d'achat HT (facture S)............. 41,57 F

- Remise sur facture 3,562 % ............ - 1,48 F

..........

- Prix d'achat net HT ..................... 40,09 F

- TVA 18,60 %................................ 7,45 F

...........

Prix d'achat effectif TTC....................47,54 F

Il y a donc eu revente à perte pour ce produit.

Axion 2 - baril 5 kg - vendu au public 53,25 F TTC

- Prix d'achat HT (facture S)................ 45,71 F

- Remises prouvées : Néant

- TVA 18,60 % ................................. 8,50 F

..........

Prix d'achat effectif TTC..................... 54,21 F

Il y a donc revente à perte pour ce produit.

Whisky Ballantine's Finest - bouteille 70 cl. 40° - vendu au public 75,80 F TTC

- Prix d'achat HT (facture S)................. 39,68 F

- Remises prouvées : Néant

- Droits sur l'alcool (78,10 x 0,40 x 0,70 l).. 21,86 F

- Vignette spéciale (8,40 x 0,70 l)..............5,88 F

.........

- Prix d'achat net HT.......................... 67,42 F

- TVA 18,60 %.................................. 12.54 F

........

- Prix d'achat effectif TTC.................... 79,96 F

Il y a donc revente à perte pour ce produit.

Martini Rosso Bouteille 1 litre 16° - vendue au public 37,35 F TTC

- Prix d'achat HT (facture S)................... 21,10 F

- Remises prouvées : Néant

- Droits sur l'alcool (69,30 F x 0,16).......... 11,08 F

..........

- Prix d'achat net HT ........................... 32,18 F

- TVA 18,60 % .................................... 5,98 F

...........

- Prix d'achat effectif TTC....................... 38,16 F

Il y a donc revente à perte pour ce produit.

Ricard bouteille 1 litre 45 ° - vendue au public 81,45 F TTC

- Prix d'achat HT (facture S)...................... 27,32 F

- Remises prouvées : Néant

- Droits sur l'alcool (78,10 x 0,45)................35,14 F

- Vignette spéciale (8,40 x 1)....................... 8,40 F

............

- Prix d'achat net HT ...............................70,86 F

- TVA 18,60 % .......................................13,17 F

- Prix d'achat effectif TTC......................... 84,03 F

Il y a donc eu revente à perte pour ce produit.

Attendu que c'est donc à tort que les premiers juges ont relaxé Monsieur F quant à ce chef de poursuite ;

Sur la facturation non conforme

Attendu que l'article 31 de l'ordonnance susvisée du 1er décembre 1986 dispose que la facture, qu'il incombe au vendeur de délivrer et à l'acheteur de réclamer, doit obligatoirement mentionner, outre le prix unitaire hors TVA des produits vendus, tous les rabais, remises ou ristournes dont le principe est acquis et le montant chiffrable lors de la vente, quel que soit leur date de règlement ;

Attendu que, pour trois produits ayant fait l'objet du contrôle des Services de la Direction de la Concurrence (Dentifrices Signal - café Regal Jacques Vabre - 4 paquets de 250 gr - Pâtes Rivoire & Carret paquet de 500 gr) Monsieur F a, pour combattre la présomption édictée par l'article 32 de l'ordonnance précitée relativement au prix d'achat effectif, invoqué l'existence de remises inconditionnelles acquises venant réduire le prix d'achat facturé ; que les justificatifs fournis par l'intéressé concernant ces remises " hors facture " ont été considérés comme probants, puisque les trois produits concernés n'ont finalement pas été visés dans la poursuite exercée contre Monsieur F du chef de revente à perte, alors qu'ils étaient compris dans le procès-verbal de la Direction de la Concurrence établi le 27 octobre 1992, relatant les constatations faites le 16 juin 1992 ;

Qu'il est en conséquence reproché à Monsieur F d'avoir enfreint les prescriptions de l'article 31 précité en revendant des produits pour lesquels les remises inconditionnelles acquises n'étaient pas mentionnées sur la facture d'achat ;

Attendu que de l'aveu même du prévenu, l'infraction est matériellement constituée, puisque ne figuraient pas sur les factures en cause des remises inconditionnelles, acquises et chiffrables, utilement invoquées par Monsieur F pour démontrer que le prix d'achat effectif était inférieur à celui porté sur la facture ;

Attendu que, contrairement à ce que soutient le prévenu, les obligations édictées par l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 en matière de facturation pèsent aussi bien sur l'acheteur, tenu de réclamer la facture, que sur le vendeur, tenu de la délivrer; qu'en l'espèce l'omission de faire figurer sur la facture des remises ou ristournes inconditionnelles acquises, nécessairement négociées au préalable entre les parties, ne peut être dûe à une décision unilatérale du vendeur mais résulte en réalité d'un accord entre vendeur et acheteur; qu'il appartenait à celui-ci de réclamer une facture conforme aux exigences de l'article 31 précité, dès lors qu'il connaissait les éléments, volontairement omis pour des raisons commerciales, qui auraient dû y figurer relativement aux remises ou ristournes;

Attendu que Monsieur F sera donc également déclaré d'infraction aux règles de la facturation ;

Attendu qu'il convient de condamner Monsieur F, pour les délits dont il est reconnu coupable, à la peine de 10 000 F d'amende ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, sur appel en matière correctionnelle et en dernier ressort. Reçoit l'appel de Monsieur le Procureur général, régulier en la forme. Réforme le jugement attaqué et, statuant à nouveau, Déclare Dany F coupable des délits visés à la prévention, Le condamne à la peine de 10 000 F (dix mille francs) d'amende. Le tout en application des articles susvisés et 473 du Code de Procédure Pénale.