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Décisions

CA Agen, ch. corr., 5 novembre 1992, n° 920303

AGEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Procureur de la République, Union des Consommateurs du Gers

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Khasnadar

Conseillers :

M. Lateve, Mme Dreuilhe

Avocats :

Mes Leclerc, Carthe, Jouet

TGI Auch., ch.. corr., du 19 mars 1992

19 mars 1992

Suivant jugement contradictoire à signifier en date du 19 mars 1992, le Tribunal correctionnel d'Auch a condamné Alain D, prévenu de tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise :

Sur l'action publique :

- à 3 mois d'emprisonnement ferme ; 100.000 F d'amende ;

- la publication du jugement étant en outre ordonnée par extrait dans la Dépêche du Midi et Sud-Ouest sans que le coût de chaque insertion dépasse 2.000 F ;

- aux dépens de l'action publique.

Sur l'action civile :

- à payer à l'Union des Consommateurs du Gers, partie civile, 1.000 F à titre de D.I. et 1.500 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale,

aux dépens de l'action civile.

Le jour même du prononcé de la décision, le conseil de prévenu, par déclaration au greffe du Tribunal Correctionnel d'Auch, relevait pour celui-ci appel de l'ensemble des dispositions de ce jugement.

Le lendemain, dans les mêmes formes, le Ministère Public en faisait autant, mais ne visait que les dispositions relatives à l'action publique dans son appel.

Réguliers tant sur le plan de la forme que des délais, les appels sont recevables.

Au fond :

Le 27 octobre 1989, le service de la Direction Départementale de la Concurrence et de la Consommation de Mont-de-Marsan (40) effectuait des vérification auprès de la Centrale d'achats des X, la Y - Route de Castets à Saint-Paul les Dax (Landes) -, desquelles il découlait que 6001, 728 kgs de magrets livrés le 16 octobre 1989 sur un total de 25.000 kgs avaient été retournés à l'envoyeur, la SA D de Castelnau d'Auzan, à la suite de problèmes de qualité et d'étiquetage.

Ce service sollicitait de son homologue gersois, notamment, des investigations complémentaires quant à la nature réelle des produits livrés à la Y.

Le contrôle s'effectuait le 26 septembre 1990 et permettait de constater que le fournisseur de la centrale d'achats avait livré du magret d'oie au lieu et place de magret de canard, sans information préalable et précise du client.

Le prévenu, entendu le même jour par les agents verbalisateurs, puis le 15 mai 1991 par la Brigade Territoriale de Montréal du Gers, rejetait sur un de ses préposés - un nommé W - sa responsabilité éventuelle, bien que ce dernier n'ait été embauché qu'après les faits, ce qui n'empêchait pas D d'avancer que l'intéressé, désormais en charge du service, avait également " repris le passif des problèmes qui pouvaient survenir ultérieurement à sa prise de fonctions et concernant les faits antérieurs " !

En définitive, il contestait les infractions reprochées quant à la tromperie sur l'espèce, la qualité, et, au défaut d'étiquetage informatif.

Les premiers juges ont retenu qu'il résulte des investigations précédentes, et notamment des télex échangés entre la SA D et la Y, que cette dernière, après avoir commandé du magret de canard frais et devant l'impossibilité pour son fournisseur de livrer une telle commande, avait accepté du magret de canard gras, produit d'importation d'un poids minimum de 300 grammes par magret (télex de la Y du 11 octobre 1989) ;

Qu'il lui était livré en réalité du magret d'oie sous vide, suivant facture du 16 octobre 1989 pour une somme de 327.988,43 F libellée comme suit : " Magret O S/V ", l'emballage sur chaque produit ne permettant d'identifier, ni le fournisseur, ni la nature du produit, si non toutefois l'origine géographique de ce dernier ;

Qu'ainsi, la Y s'est heurtée malgré sa volonté clairement exprimée, au comportement frauduleux de D, professionnel averti en la matière, qui ne pouvait ignorer ni le contenu précis de la commande, ni les mentions informatives obligatoires devant figurer sur les produits vendus.

Les premiers juges ont ainsi retenu D dans les liens de la prévention.

Sur l'action civile de l'Union des Consommateurs du Gers, la décision déférée mentionne :

1°) Sur la recevabilité :

Que l'article 20 des statuts de cette association stipule que le bureau exécutif, après décision du comité directeur, a tous les pouvoirs pour représenter l'Union des Consommateurs du Gers dans toute action judiciaire, soit en demande, soit en défense, ainsi que dans toutes autres circonstances et qu'il désigne à cet effet l'un de ces membre ou l'un de ses collaborateurs immédiats ;

Qu'en raison des justifications produites, la constitution de partie civile est recevable ;

2°) Sur le fond

Qu'il convient de déclarer la constitution de partie civile de l'Union des Consommateurs du Gers fondée, compte tenu du préjudice subi par le consommateur qu'elle est chargée de défendre, et de condamner le prévenu à lui payer la somme de 1.000 F à titre de dommages et intérêts, ainsi que la somme de 1.500 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale ;

Et qu'il convient également de la condamner aux dépens de l'action civile.

Le casier judiciaire du prévenu porte de nombreuses mentions de condamnations prononcées par les juridictions du ressort, depuis 1980, essentiellement pour tromperies sur la qualité de la marchandise, infractions à l'étiquetage et l'estampillage de salubrité, non respect des règles d'hygiène dans la préparation d'origine animale, vente de denrées animales non conformes aux normes.

Cependant, les renseignements fournis par la Gendarmerie de sa résidence sont bons et ne rapportent que des antécédents d'infractions à la coordination des transports.

A l'audience de la Cour, le prévenu a une fois de plus indiqué que la marchandise qui sert de base à la poursuite a été livrée à des professionnels, qui ne pouvaient avoir de doutes sur la nature des magrets vendus.

Ses conseils ont développé dans son intérêt des conclusions qui exposent l'argumentation du prévenu, selon laquelle le seul fait que l'acquéreur de la marchandise soit un professionnel suffirait à exclure le fait qu'il ne pouvait pas s'agir de magrets de canard, ce pays ne produisant que des oies.

Certes, du magret d'oie a été livré au lieu et place du magret de canard, mais il s'agirait ici seulement d'un différend d'ordre commercial ne comportant aucune tromperie au sens de l'article 1er de la loi du 1er août 1905.

Il n'y aurait pas plus de violation de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dès lors que la facture était parfaitement compréhensible pour un professionnel quant à la dénomination du produit vendu, et ce, alors que les autres mentions de la facture ne sont plus critiquées.

Les faits soumis par la prévention aux dispositions des articles 3 et 4 de la loi du 1er août 1905 ne pourraient, au mieux, constituer qu'une contravention, commise le 27 octobre 1989, selon la prévention, mais qui n'a fait l'objet d'un procès-verbal d'infraction que le 11 mars 1991, soit plus d'un an après l'infraction, dès lors prescrite.

C'est ainsi qu'il est demandé à la Cour de :

Le recevoir en son appel et l'y déclarer bien fondé ;

Infirmer le jugement entrepris ;

Constater qu'aucun fait de la prévention n'est susceptible d'être visé par les articles 2 et 3 de la loi du 1er août 1905 ;

Dire que les éléments constitutifs des délits de fond, pris sur les qualités substantielles, prévus et réprimés par l'article 1er de la loi du 1er août 1905, ne sont pas réunis ;

Dire que la dénomination de la marchandise contenue dans la facture du 16 octobre 1989 est suffisante au regard des exigences de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et des éléments de fait de la procédure ;

Relaxer Alain D de la poursuite ;

Débouter la partie civile de ses demandes, fins et conclusions.

Le Ministère Public, estimant, pour sa part, la prévention largement établie par les faits de la cause, a demandé à la Cour de faire au prévenu une application ferme de la loi et de confirmer ainsi, à tout le moins, la décision entreprise.

Partie civile, intimée sur les appels, l'Union des Consommateurs du Gers, conclut pour sa part :

- à la confirmation des dispositions civiles du jugement, M. D étant retenu dans les liens de la prévention ;

- et à la condamnation du prévenu à lui payer la somme de 2.000 F au titre de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale, ainsi qu'aux entiers dépens de l'action civile.

et, ceci exposé :

Attendu qu'il n'est ni discuté, ni discutable que, dans le cadre d'une commande globale, portant sur 25 tonnes de magrets de canard gras, d'abord désirés " frais " par l'acheteur, puis acceptés " décongelés " d'importation, la SA D, dont le prévenu est le responsable, a livré courant septembre 1989 à la Y de Saint-Paul les Dax, Centrale d'achats des X de la région, 6 tonnes de magrets d'oie, conditionnés et étiquetés de la façon suivante : Magret O.S./V - Produit décongelé - Origine Israël, ces étiquettes mentionnant encore :

- la date de l'emballage : 16 octobre 1989

- la date limite de consommation : 28 octobre 1989

- le prix de vente au détail par kilo (en fait le prix promotionnel annoncé dans toute la région aux consommateurs 54,90 F

- le poids net de chaque article, et

- le prix à payer,

- le Code barre permettant de débiter le prix au consommateur,

L'identité et l'adresse du conditionneur ou vendeur ne pouvant en outre être établie que par le Code figurant sur l'estampille du Service Sanitaire Vétérinaire du Gers ;

Qu'il est également constant que le prévenu n'ignorait pas la campagne publicitaire promotionnelle réalisée par les X de la région, qui prévoyait la vente de 25 tonnes de magrets de canard gras au prix de 54,90 F le kilo.

Attendu que cette livraison a été facturée le jour même de sa réception, 16 octobre 1989, et reçue en comptabilité par la Y le 19 octobre 1989, la marchandise fournie étant désignée comme suit :

Réf. Promo

Magret O S/V

soit 563 colis

6001,728 kgs à 51,80 F hors taxes le kilo

soit après application de la TVA à 5,5 % = 54,649 F le kg TTC

Que le prix de vente ayant été fixé à 54,80 F, et, la Y devant ensuite supporter les frais de distribution à ses points de vente, il semble évident que ces produits ont été vendus à la clientèle sans le moindre bénéfice, ou même à perte ;

Attendu qu'il est également admis aux débats que la Y avait initialement protesté seulement parce qu'elle avait fait une publicité annonçant au prix de 54,90 F le kilo, du magret " frais ", et, que la société D lui avait livré du " décongelé " ;

Qu'il n'est donc pas évident que la Y, professionnel averti, ait immédiatement réalisé que Magret O S/V signifiait Magret d'Oie sous vide ;

Attendu que, dès lors que la société D faisait référence dans sa facturation, à la vente promotionnelle réalisée par son client, dès lors que la commande visait des Magrets de canard, il appartenait au vendeur, ainsi que la loi lui en fait obligation d'identifier la chose déterminée qui a fait l'objet du contrat ;

Que cette obligation ne saurait se voir apposer la pratique des " professionnels " qui, dès le premier coup d'oeil, pourraient identifier une marchandise, dès lors que la société L, vendeur de la société D, avait cru nécessaire de facturer à cette dernière, non pas " 600 magrets O S/V ", mais bien " 600 magrets Oies Israël Cong ", mention qui ne laisse place à aucune interprétation ;

Attendu au surplus que, conditionneur, D ne pouvait ignorer que son étiquetage était destiné non pas à la Y, mais bien aux consommateurs, puisque le prix de vente mentionné était celui prévu par la vente promotionnelle ;

Que, pour des consommateurs, la mention Magret O S/V fournie par D, ne pouvait impliquer l'évidence qu'il s'agissait, non pas de canard comme annoncé dans la publicité, mais d'oie ;

Attendu que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu D dans les liens de la prévention pour violation des dispositions de l'article 1er de la loi du 1er août 1905 ;

Que cependant, étant acquis aux débats que l'intégralité de la livraison a été ultérieurement retournée à la société D, il y aura lieu de retenir à la charge du prévenu, non pas la fraude elle-même, mais seulement la tentative de fraude, matérialisée par un commencement d'exécution, envers le cocontractant, infraction punie des mêmes peines que la fraude elle-même ;

Attendu que les faits soumis à la Cour ne tombent manifestement pas sous le coup des articles 3 et 4 de la loi du 1er août 1905, seule pouvant être retenue la contravention correspondant à l'absence de mention sur l'étiquette du nom et de l'adresse des conditionneurs, obligation prévue par les articles 3 et 4 qui ne visent que la mise en vente et la détention de produits falsifiés corrompus ou toxiques, contravention au surplus prescrite dès lors que les poursuites n'ont pas été engagées dans l'année qui a suivi la commission de l'infraction ;

Que la prévention n'est pas établie de ces chefs ;

Attendu, en revanche, que la prévention basée sur la violation de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dès lors qu'il a été démontré que la facturation de la société D ne mentionnait pas la dénomination précise des produits vendus, se trouve amplement établie ;

Attendu qu'en raison de la persévérance du prévenu dans la commission de faits de même nature ayant donné lieu à condamnations, il y avait bien lieu de lui faire une application relativement sévère de la loi et de confirmer la décision prise sur l'application de la peine par les premiers juges ;

Attendu, que succombant sur son appel, D sera tenu des dépens de l'action publique.

Sur l'action civile :

Attendu que les produits objet de la vente frauduleuse n'ayant pas été distribués aux consommateurs auxquels ils étaient destinés, le préjudice subi par ces derniers du fait de la tentative de fraude ayant donné lieu à condamnation ne peut être direct ;

Mais attendu que ladite fraude était, comme le fait a été démontré plus avant, destinée avant tout à tromper les consommateurs au niveau de la vente au détail ;

Que la partie civile représentant les intérêts des consommateurs est donc en droit de réclamer réparation du préjudice, au moins moral, subi par ses adhérents du fait du comportement délictueux du prévenu ;

Qu'il convient, en conséquence, de confirmer la décision entreprise et, y ajoutant, de condamner le prévenu à payer à la partie civile une nouvelle somme de 1.500 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale ;

Attendu que le prévenu D devra supporter intégralement les dépens de l'action civile.

Par ces motifs, LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire à signifier et en dernier ressort, Reçoit les appels réguliers en la forme, Au fond, Y faisant partiellement droit, Sur l'action publique : Relaxe D Alain des poursuites exercées à son encontre pour violation des articles 3 et 4 de la loi du 1er août 1905 ; Dit et juge en revanche la prévention établie sur la base des dispositions de l'article 1er de la susdite Loi, mais précise qu'il y a lieu de requalifier la prévention en tentative ; Dit et juge en conséquence que Alain D est bien coupable d'avoir, dans les conditions de temps et de lieu précisées à la prévention, tenté de tromper le contractant sur la nature, l'espèce, l'origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de marchandises, et ce, en l'espèce, par la livraison d'une marchandise autre que la chose déterminée qui avait fait l'objet du contrat ; Confirme la décision entreprise en sa déclaration de culpabilité de D sur le fondement de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; Et, en répression, Confirme en toutes ses dispositions la décision entreprise sur l'application de la peine et les mesures accessoires prononcées ; Condamne Alain D aux dépens de l'action publique, liquidés à la somme de 1.172,72 F, en ce nom compris le droit de poste et les frais de signification s'il y a lieu ; Sur l'action civile : Confirme en toutes ses dispositions la décision entreprise ; A ajoutant : Condamne Alain D à payer à l'Union des Consommateurs du Gers la somme de 1.500 F (mille cinq cents francs) sur le fondement de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale, Le condamne aux dépens de l'action civile, Le tout par application des articles : 1er de la Loi du 1er août 1905, 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, 496 à 520 du Code de Procédure pénale.