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Décisions

CA Agen, ch. corr., 27 janvier 2000, n° 99-00052-A

AGEN

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lebreuil

Conseillers :

MM. Louiset, Combes

Avocat :

Me Handburger

TGI Auch, ch.. corr., du 28 janv. 1999

28 janvier 1999

Rappel de la procédure :

Le jugement :

Le Tribunal de grande instance d'Auch, par jugement en date du 28 janvier 1999, a relaxé X Bernard des chefs de paiement hors délai légal de produits livrés - aliments périssables, boissons alcooliques, bétail, le 27 mai 1997, à Fleurance (32), infraction prévue par l'article 35 de l'Ordonnance 86-1243 du 01/12/1986 et réprimée par les articles 35, 55 al. 1 de l'Ordonnance 86-1243 du 01/12/1986

Les appels :

Appel a été interjeté par

M. le Procureur de la République, le 29 Janvier 1999 contre Monsieur X Bernard

Attendu que le ministère public a interjeté appel de la décision susmentionnée par déclaration reçue au greffe du tribunal de grande instance d'Auch le 29 janvier 1999 ;

Attendu que cet appel est régulier en la forme et qu'il a été interjeté dans le délai de la loi ; qu'il convient par conséquent de le déclarer recevable ;

Attendu que le prévenu comparait en personne et demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a relaxé des fins de la poursuite sans peine ni dépens au motif que les éléments constitutifs de l'infraction qui lui est reprochée ne sont pas réunis ;

Attendu que le ministère public a requis ;

Sur quoi,

Attendu qu'il est reproché à Bernard X d'avoir à Fleurance, le 27 mai 1997, étant producteur, revendeur ou prestataire de service, omis de respecter le délai de paiement qui ne peut être supérieur à trente jours après la fin de la décade de livraison pour les achats de viande congelée ou surgelée, infraction prévue et réprimée par l'article 35 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Attendu qu'il résulte des pièces de la procédure et des débats d'audience que le 27 mai 1997, un fonctionnaire de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes s'est présenté au siège social de la SARL X sise zone industrielle à Fleurance et dont Bernard X est le gérant ;

que, s'étant fait remettre les factures d'achats de la société pour les mois de février et mars 1997, il a constaté des retards de paiement variant de 40 à 82 jours après la fin de la décade de livraison ;

que les dépassements relevés portaient sur vingt-deux factures relatives à des achats effectués auprès de 10 fournisseurs et concernaient à deux exceptions près des achats de volaille, abats et viandes hachées ;

Attendu que toute l'argumentation du prévenu, développée tant devant les enquêteurs que devant le Tribunal, a consisté à soutenir que ces produits n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 35 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 visé par la citation, qui ne concerne que les viandes congelées, ou les poissons surgelés ;

Attendu que les premiers juges ont adopté cette thèse en retenant :

1°) que les abats ne sont pas des viandes,

2°) que la viande hachée surgelée est un produit élaboré de façon spécifique et qui, obéissant à des normes particulières de fabrication et de vente, ne peut pas être considérée comme une "viande" au sens de l'article 35 de l'ordonnance de 1986,

3°) que les volailles ne peuvent pas non plus être assimilés à des viandes au sens de ce texte car il s'agit là encore de produits spécifiques pouvant être séparés soit en viandes soit en abats frais ou cuits, réfrigérés ou congelés ;

Attendu que le ministère public a relevé appel de cette décision au motif que les distinctions faites par le Tribunal correctionnel ne sont pas prévues par la loi et que le terme de " viande " s'applique indistinctement à toutes les viandes congelées ou surgelées y compris volailles, abats et viandes hachées ;

qu'il fait sienne ce faisant la position de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, laquelle se fonde :

1°) sur le Code des usages de la charcuterie définissant comme viande " toutes les parties d'animaux de boucherie et de charcuterie, de volailles domestiques, de lapins domestiques, de gibiers d'élevage et de gibiers sauvages susceptibles d'être livrés au public en vue de la consommation ",

2°) sur un arrêt de la Cour de cassation du 10 novembre 1998 selon lequel " les abats appartiennent à la classe des viandes ",

3°) sur une directive du 29 juillet 1991 définissant les abats comme de la viande fraîche et sur un règlement du conseil du 26 juin 1990 faisant état de " viande de volaille ",

4°) sur l'objectif poursuivi par le législateur qui est de réduire les délais de paiement entre les entreprises et de supprimer " l'effet de ciseau " supporté par les fabricants de produits surgelés qui, alors qu'ils paient leurs matières premières dans des délais réglementés, ne sont eux mêmes payés que dans des délais qui, contractuellement, peuvent aller jusqu'à quatre-vingt-dix jours ;

Mais attendu

1°) que l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 10 novembre 1998 n'est pas un arrêt de principe puisqu'elle s'est contentée, pour rejeter le pourvoi dont elle était saisie, de dire que la Cour d'appel de Caen n'avait fait qu'user de son pouvoir souverain d'appréciation des faits ;

qu'il était reproché aux prévenus, devant cette cour, d'avoir, en leur qualité de directeur de magasin et de chef de produits à la centrale régionale d'achat, commis le délit de publicité mensongère en exposant à la vente sous l'affiche " nos produits sont tous d'origine française de bonne qualité " des langues de boeuf importée des Pays-Bas en même temps que des viandes de boeuf qui, elles, étaient effectivement d'origine française ;

que les prévenus avaient fait valoir pour leur défense que les langues de boeuf, appartenant à la classe des abats, n'étaient pas concernées par la publicité consacrée selon eux aux viandes de boeuf par ailleurs proposées à la vente ;

que la cour d'appel a rejeté cet argument aux motifs d'une part que les abats appartiennent à la classe des viandes et que d'autre part et surtout la clientèle ne pouvait pas distinguer les langues de boeuf de l'ensemble des produits de boucherie auxquels s'appliquaient les engagements de l'annonceur dès lors qu'elles étaient proposées à la vente sur le même rayon ;

que le premier de ces deux motifs n'a pas la portée que lui prête l'administration dans le cadre du présent litige puisqu'il s'inscrit dans un autre contexte, l'infraction soumise à l'appréciation de la Cour d'appel de Caen n'ayant aucun rapport avec celle qui est prévue et réprimée par l'article 35 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et qu'il repose sur un fondement juridique différent, à savoir un arrêté du 17 mars 1992 fixant les conditions sanitaires d'abattage des animaux de boucherie et définissant comme " viandes ", pour son application, toutes parties des animaux propres à la consommation humaine ;

que cette définition, prévue par la réglementation sanitaire, (y compris par l'arrêté du 22 janvier 1993 citée comme référence par l'administration en première instance) est d'interprétation stricte et qu'elle est sans aucune utilité en matière économique, lorsqu'il s'agit d'apprécier si les conditions de l'article 35 susvisé de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sont ou non réunies ;

que l'arrêt rendu par la cour de cassation le 10 novembre 1998 n'est donc pas transposable à la présente espèce et n'est pas applicable en matière d'encadrement des délais de paiement ;

2°) que le règlement (CEE) du Conseil, du 26 juin 1990, établissant des normes de commercialisation pour les volailles n'est pas non plus déterminant et que la terminologie employée autorise au contraire le prévenu à soutenir :

a) que le terme de " viande " ne concerne que les muscles du bétail, sans les abats et sans les volailles ou gibiers qui constituent une autre catégorie,

b) que lorsqu'on traite de façon spécifique des muscles de volaille on emploie l'appellation " viande de volaille " et que celle-ci relève, en matière de réglementation économique, des dispositions relatives à la filière avicole, laquelle obéit à des normes spécifiques de coût, de conservation, de transformation et de vente ;

3°) que s'il est vrai que les directives des 26 juin 1964 et 29 juillet 1991 définissent les " viandes " comme étant " toutes parties propres à la consommation humaine d'animaux domestiques des espèces bovine, porcine, ovine et caprine ", il convient d'observer :

a) que cette définition exclue la volaille,

b) que les directives dont s'agit sont expressément relatives à " des problèmes sanitaires en matière d'échanges intracommunautaires de viandes fraîches " et que la définition qu'elles proposent ne peut être retenue que dans le domaine de la réglementation sanitaire, sans extension possible dans le domaine économique ; qu'il est normal, lorsqu'il s'agit de protéger la santé du consommateur, de réglementer de façon identique la consommation de toutes les viandes fraîches, sans faire de distinction entre la viande proprement dite et les abats, la charcuterie ou les plats cuisinés ; que la même généralisation est en revanche à proscrire en matière économique et plus précisément pour ce qui est de l'encadrement des délais de paiement des produits surgelés dès lors d'une part que le but poursuivi par le législateur ne répond plus aux mêmes préoccupations d'hygiène alimentaire et que d'autre part la loi pénale est d'interprétation stricte ;

4°) que les produits surgelés ont une durée de vie très longue permettant aux industriels de ce secteur d'activité de constituer des stocks et d'adapter l'écoulement de la marchandise à la variation des prix ; qu'il n'est donc pas démontré qu'ils sont effectivement victimes de " l'effet de ciseau " dénoncé par l'administration ;

Et attendu :

- que l'article 35 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, modifié par la loi du 1er juillet 1996, dite loi Galland, ne fait pas de distinction entre les viandes congelées ou surgelées et les volailles, lapins, gibiers, abats ou produits transformés maisque cette distinction va de soi puisqu'elle est conforme aux usages de la profession et qu'aucun des textes en vigueur n'utilise le terme générique de " viande " pour désigner indistinctement les chairs ou muscles du bétail en même temps que celles ou ceux de la volaille, du gibier etc.;

- que c'est ainsi, par exemple, que le décret n° 68-593 du 4 juillet 1968 relatif aux denrées alimentaires conservées en chambre froide énumère les denrées congelées et les denrées surgelées en distinguant les viandes, les abats, les volailles, les gibiers, les produits de la mer etc. ;

- que de même la cotation nationale officielle des produits surgelés comporte un chapitre " viande " et un chapitre " autres produits carnés comprenant en particulier les abats et les volailles " ;

- que la même distinction est faite dans les professions agroalimentaires etque les filière " viande " d'une part et " volailles, abats, gibiers " d'autre part sont cloisonnées;

- que le " Centre d'information des viandes " ne fournit aucune information sur les volailles, lapins et gibiers et que les nomenclatures, cotations ou classements sont distincts ;

Attendu que les volailles, abats et viandes hachées dont le prévenu a fait l'acquisition n'étaient donc pas des " viandes " au sens de l'article 35 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et qu'il convient par conséquent de confirmer la décision déférée en toutes ses dispositions ;

Par ces motifs : LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de Bernard X et en dernier ressort, En la forme, reçoit l'appel jugé régulier du ministère public, Et au fond : Le rejette, Confirme le jugement déféré ayant renvoyé Bernard X des fins de la poursuite sans peine ni dépens, Le tout par application des articles susvisés, 512 et suivants du Code de procédure pénale.