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Décisions

Cass. com., 24 octobre 2000, n° 98-12.947

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Concurrence (SA), Chapelle

Défendeur :

Philips électronique grand public (SA), Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Rapporteur :

Mme Champalaune

Avocat général :

M. Feuillard

Avocats :

Mes Balat, SCP Célice, Blancpain, Soltner, Ricard

Cass. com. n° 98-12.947

24 octobre 2000

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 mars 1998), que saisi, le 27 juin 1988, par M. Jean Chapelle, et les 26 mars 1992 et 10 avril 1992, par la société Jean Chapelle, de pratiques imputées à la société Philips, et relatives aux conditions d'attribution de différentes remises par cette société, le Conseil de la concurrence a, par décision du 4 mars 1997, décidé qu'il n'était pas établi que les pratiques reprochées à la société Philips étaient prohibées par les articles 7 ou 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que M. Jean Chapelle, tant à titre personnel que comme intervenant volontaire, et la société Jean Chapelle, aux droits de laquelle vient la société Concurrence, ont formé un recours contre cette décision ; que la cour d'appel, déclarant M. Chapelle irrecevable en son recours principal et recevable en son intervention accessoire mais seulement en ce qu'elle tendait à la réformation de la décision du Conseil de la concurrence, a rejeté le recours ;

Sur le premier moyen : - Attendu que M. Chapelle et la société Concurrence reprochent à l'arrêt d'avoir déclaré irrecevable le recours principal formé par M. Chapelle à l'encontre de la décision du Conseil de la concurrence du 4 mars 1997, alors, selon le pourvoi, que le vendeur du fonds de commerce reste recevable à agir pour la défense de ses intérêts personnels qu'il tient de son activité antérieure ; que M. Chapelle, qui avait exclu du champ d'application de la cession de son fonds de commerce les créances indemnitaires qu'il détenait contre ses fournisseurs ou ses concurrents au titre de l'activité exercée antérieurement au 20 mars 1989, avait un intérêt personnel à agir et se trouvait donc recevable à poursuivre l'action qu'il avait introduite antérieurement à la cession de son fonds devant le Conseil de la concurrence ; qu'en décidant que la radiation du registre du commerce et des sociétés du vendeur rendait celui-ci irrecevable en son recours, après avoir elle-même constaté l'intérêt à agir que M. Chapelle avait conservé, la cour d'appel a violé les articles 31 du nouveau Code de procédure civile et 13 du décret n° 84-406 du 30 mai 1984 ;

Mais attendu qu'ayant relevé que M. Chapelle n'était pas partie devant le Conseil de la concurrence à la suite de sa radiation du registre du commerce et des sociétés résultant de la cession de son fonds de commerce à la société Jean Chapelle, par actes des 19 avril et 13 juillet 1989, la cour d'appel, faisant l'exacte application de l'article 15 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, seul applicable à la cause, a décidé, à bon droit, que M. Chapelle n'avait pas, de ce fait, qualité pour former à titre personnel un recours en annulation ou en réformation de la décision critiquée; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Concurrence et M. Chapelle font grief à l'arrêt d'avoir confirmé la décision du Conseil de la concurrence aux termes de laquelle il a estimé qu'il n'était pas établi que la société Philips avait enfreint les dispositions des articles 7 ou 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, alors, selon le pourvoi, 1°, que constitue une imposition de marge la pratique par un fournisseur d'une remise octroyée en fonction de la réalisation d'un objectif quantitatif annuel, le distributeur ne pouvant tenir la ristourne pour acquise et en tenir compte pour le seuil de revente à perte tant que l'objectif quantitatif annuel défini n'est pas atteint ; qu'en décidant dès lors que l'octroi de remises différées n'était pas restrictif de concurrence lorsque le principe et le montant de ces avantages sont acquis de manière certaine dès le franchissement des seuils quantitatifs qui en déterminent l'attribution et lorsque tous les distributeurs peuvent, sans aléas ni restrictions, en répercuter le montant sur leur prix de vente, la cour d'appel a violé l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; et alors, 2°, qu'en toute hypothèse, l'octroi par le fournisseur de remises ou ristournes doit être subordonné à l'existence de critères objectifs préalablement définis et être exclusif de toute application discriminatoire et de toute condition potestative de la part du fournisseur ; que, dans ses conclusions, la société Concurrence faisait valoir que la société Philips n'avait rien défini dans ses conditions de vente sur la façon de déterminer les objectifs annuels pouvant permettre l'octroi de remises quantitatives ; qu'en cet état, en se bornant à relever que les engagements étaient arrêtés selon des seuils raisonnables, conformes au potentiel du distributeur en cause, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu, d'une part, ainsi que l'arrêt l'énonce exactement, que l'octroi de ristournes ou de remises différées n'est pas restrictif de concurrence lorsque le principe et le montant de ces avantages sont acquis de manière certaine dès le franchissement des seuils quantitatifs qui en déterminent l'attribution, et lorsque tous les distributeurs peuvent sans aléas ni restrictions, en répercuter le montant sur leurs prix de vente; qu'ayant vérifié que les clauses des conditions générales de vente de la société Philips comportaient ces données objectives, la cour d'appel a pu décider que ces clauses n'étaient pas contraires aux dispositions du texte précité;

Et attendu, d'autre part, que se référant à la décision du Conseil de la concurrence, lequel a constaté que le montant de la prévision d'achat servant d'assiette au calcul des remises est négocié avec le fournisseur, la cour d'appel, qui a énoncé d'abord que ces engagements étaient arrêtés selon des seuils raisonnables, conformes au potentiel de distribution du distributeur en cause, ce dont il ressort que le critère de fixation du seuil était objectif, et a écarté ensuite dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des preuves qui lui étaient soumises, l'allégation de la société Concurrence de disparités de traitement entre les distributeurs, a légalement justifié sa décision ;

Attendu qu'il résulte de ce qui précède que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le troisième moyen, pris en ses cinq branches : - Attendu que la société Concurrence et M. Chapelle font encore le même reproche à l'arrêt, alors, selon le pourvoi, 1° que tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur, est tenu de communiquer à tout acheteur de produits ou demandeur de prestation de services pour une activité professionnelle qui en fait la demande, son barème de prix et ses conditions de vente ; que la cour d'appel de Paris, qui a constaté en l'espèce l'absence de barème écrit des taux de remises qualitatives, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations de fait en statuant comme elle l'a fait et partant, a violé l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; et alors, 2°, que, dans ses conclusions, la société Concurrence faisait valoir que la société Philips se réservait la liberté de choisir et de rémunérer les services de son choix, et que ce comportement constituait une pratique discriminatoire anticoncurrentielle ; qu'en effet, dans une note du 19 mars 1992 versée aux débats la société Philips indiquait que la liste des services pouvant faire l'objet de remises qualitatives n'était pas limitative, mais qu'elle rémunérait les prestations de qualité pour un maximum de 7% du chiffre d'affaires concerné, ce qui établissait bien que la rémunération concernait certains services seulement ; qu'en négligeant de répondre à ces conclusions péremptoires, la cour a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, 3°, que la société Concurrence faisait par ailleurs valoir dans ses conclusions que la société Philips négociait avec les centrales d'achats qui ne rendaient pas directement les services concernés, ce qui constituait encore une pratique illicite ; qu'en omettant de répondre à cet autre chef péremptoire des conclusions des exposants, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, 4°, que la société Concurrence faisait valoir que la pratique des contrats de coopération prévoyant que les distributeurs facturaient au fournisseur certains services permettait à celui-ci d'imposer une marge à ceux-là, dès lors que cette rémunération ne pouvait être prise en compte par le revendeur pour le calcul de son prix d'achat effectif ; qu'en jugeant que le moyen manquait en fait au seul motif que la rémunération du revendeur était la contrepartie d'obligations détachables de celles inhérentes à la conclusion des contrats de vente et qu'elle pouvait donc donner lieu à facturation autonome sans vérifier de façon concrète ce qu'il en était des services en cause, la cour d'appel s'est déterminée par des considérations d'ordre général qui ne mettent pas la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle ; que l'arrêt attaqué manque donc de base légale au regard de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; et alors, 5°, que les services en cause, qui n'allaient pas au-delà des simples obligations résultant des achats et des ventes, n'étaient pas détachables de la conclusion des contrats de vente et ne pouvaient donc faire l'objet d'une facturation autonome ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'en application des dispositions de l'article 33, alinéa 5, de l'ordonnance du 1er décembre 1986, un distributeur ou un prestataire de services peut faire rémunérer par ses fournisseurs les services spécifiques rendus à ceux-ci, rémunération dont les conditions doivent faire l'objet d'un accord écrit; que ce texte n'impose pas la fixation d'un barème au sens des dispositions de l'article 33 alinéa 1er, s'agissant de la rémunération de services pouvant être propres à chaque distributeur; que l'arrêt constate que la société Philips offre à ses distributeurs de signer des "contrats de coopération" aux termes desquels ces derniers s'engagent, contre une rémunération, à lui fournir un ou plusieurs services décrits dans des fiches techniques annexées aux contrats, que le tiers environ des clients de la société Philips ont conclu de tels accords de coopération personnalisés et négociés; que l'arrêt relève que l'examen des documents contractuels ne révèle pas que les remises aient été fixées à un taux et selon des modalités conduisant à limiter ou à interdire l'accès au marché de distributeurs ayant choisi de ne pas fournir de tels services ou aient pu avoir un tel effet, et que la réalité des prestations commerciales à la réalisation desquelles les distributeurs s'étaient engagés était contrôlée par la société Philips ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties, a répondu ainsi aux conclusions prétendument délaissées ; que dès lors que le moyen ne soutient pas que les critères invoqués par la société Philips pour justifier la différenciation du taux des remises accordées en rémunération des services spécifiques et relevés par la cour d'appel seraient en eux-mêmes prohibés par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, elle a pu décider que l'absence de barème de la rémunération des services rendus dans le cadre d'accords de coopération commerciale n'établissait pas en soi l'existence de pratiques prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et que la preuve de la discrimination alléguée n'était pas rapportée; que les griefs des première, deuxième et troisième branches ne sont pas fondés ;

Attendu, en deuxième lieu, que pour retenir que les services prévus dans les accords de coopération étaient détachables des opérations de vente, l'arrêt énonce que ceux-ci représentent douze prestations différentes, ayant notamment pour objet des actions à caractère publicitaire et la démonstration des produits; que la description de ces prestations figure dans les constatations opérées par le Conseil de la concurrence auxquelles l'arrêt indique expressément se référer ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel a pu, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des faits, statuer comme elle l'a fait et exclure que la facturation autonome de ces services, justifiée par leur caractère spécifique, puisse être constitutive d'une pratique d'imposition de marge prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dès lors qu'établissant eux-mêmes la facturation desdits services, les distributeurs en connaissent nécessairement les éléments et peuvent les prendre en compte pour déterminer leur prix plancher; qu'ainsi loin de se déterminer par des considérations générales, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; qu'il suit de là que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le quatrième moyen : - Attendu que la société Concurrence et M. Chapelle font enfin le même reproche à l'arrêt, alors, selon le pourvoi, que dans leurs conclusions, ils faisaient valoir que les avoirs sur transactions consentis par la société Philips à certains revendeurs, et qualifiés "primes de référencement", ne reposaient sur aucun écrit et que le Conseil de la concurrence en avait admis la licéité en se fondant simplement sur les déclarations de la société Philips lors de l'enquête exclusives de toute justification ; qu'en se bornant à affirmer que les allégations de la partie saisissante faisant valoir que les primes dites de référencement étaient attribuées sans aucun critère ni contrepartie et à la seule discrétion du fournisseur, étaient démenties par les constatations du Conseil de la concurrence, sans rechercher ce qu'il en était exactement, la cour d'appel s'est à son tour fondée, sans les vérifier, sur les seules allégations des dirigeants de la société Philips, et n'a pas, ce faisant, justifié sa décision au regard des articles 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 1315 du Code civil ;

Mais attendu que la preuve de l'existence de pratiques discriminatoires incombe à celui qui s'en prétend victime, il appartient au vendeur de justifier de la licéité des remises de prix qu'il accorde à certains clients, lorsque celles-ci ne sont pas contestées; qu'en application de ce principe, des explications ont été recueillies, au cours de l'enquête administrative et lors de l'instruction devant le Conseil de la concurrence, sur les pratiques d'avoirs critiquées par la société Concurrence dont l'existence n'était pas contestée par la société Philips ; que l'arrêt retient, se référant aux constatations du Conseil issues de l'enquête et de l'instruction, d'abord que les "primes de référencement" rémunèrent l'assurance pour la société Philips que les produits de sa marque seront offerts à la vente, pendant de larges périodes, et pour des assortiments importants, par les revendeurs concernés, ensuite que le référencement peut s'accompagner ou non, selon les enseignes, de la centralisation des livraisons et de la facturation, et enfin qu'en considération de l'importance de l'assortiment des produits référencés, des quantités de matériels et de la centralisation des livraisons et de la facturation, les primes octroyées par Philips peuvent varier de 1 à 7 % ; qu'en déduisant de ces constatations que ces remises ne présentent pas de caractère anticoncurrentiel dès lors qu'elles sont assorties pour le fournisseur d'une contrepartie réelle et objectivement définie qui se distingue de celle rémunérée au titre des accords de coopération, la cour d'appel a légalement justifié sa décision; que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.