CA Nancy, 1re ch. civ., 14 décembre 1998, n° 95003142
NANCY
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Xonrupt-Longemer (Commune), Ministre de l'Economie
Défendeur :
Télédiffusion de France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dory
Conseiller :
Mme Gebhardt
Avoués :
Me Chardon, SCP Bonet Leinster Wisniewski
Avocats :
Mes Joubert, Cousin
Exposé du litige :
Par exploit du 3 février 1995, la SA Télédiffusion de France a fait assigner en référé la commune de Xonrupt-Longemer représentée par son maire en exercice, aux fins de voir :
- ordonner sous astreinte de 10.000 F par jour de retard à la commune de Xonrupt-Longemer, représentée par son maire en exercice, la dépose des matériels de réémission de programme de télévision fournis sur le cinquième réseau, par MG et Canal Plus sur le pylône appartenant à Télédiffusion de France, aux frais de la commune de Xonrupt-Longemer,
- condamner la commune de Xonrupt-Longemer, représentée par son maire en exercice, au versement de la somme de 10.000 F à Télédiffusion de France sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- condamner la commune de Xonrupt-Longemer représentée par son maire en exercice en tous les dépens.
A l'appui de ses prétentions, la SA Télédiffusion de France faisait valoir :
- que selon convention du 30 juillet 1980 passée entre elle-même et la commune de Xonrupt- Longemer, elle avait procédé à l'installation et à l'exploitation d'une station de réémission pour la diffusion des trois premières chaînes,
- que la convention prévoyait une exploitation sous sa seule responsabilité, excluant les retransmissions de tous autres signaux ou émissions,
- que cette convention a été dénoncée le 2 décembre 1994 par le maire de la commune de Xonrupt-Longemer qui souhaitait une renégociation de nature à permettre la diffusion des programmes du cinquième réseau, de Canal Plus et de la sixième chaîne,
- que cette décision a été déférée au Tribunal Administratif compétent, aucun accord n'intervenant entre les parties,
- que le maire de la commune de Xonrupt-Longemer a pris cependant l'initiative de faire installer sur le pylône de Télédiffusion de France des réémetteurs destinés à diffuser les programmes fournis sur le cinquième réseau par M6 et par Canal Plus.
Par conclusions du 30 mars 1995, la commune de Xonrupt-Longemer demandait au juge des référés :
- de dire et juger la SA Télédiffusion de France irrecevable en son action faute par elle d'avoir justifié de sa qualité pour agir et d'indiquer le fondement de sa demande,
- en tout état de cause, dire n'y avoir lieu à référé et renvoyer Télédiffusion de France à mieux se pourvoir,
- la condamner à lui verser la somme de 20.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, outre les dépens,
- subsidiairement, ordonner une mesure de sursis à statuer en attendant le rapport d'enquête établi par la Direction Nationale des Enquêtes de Concurrence sur les pratiques illégales reprochées à Télédiffusion de France.
Monsieur le Ministre de l'Economie représenté par Monsieur le Chef de Service Régional de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes intervenait aux débats dans le cadre des dispositions de l'article 56 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 et demandait au juge des référés de se déclarer incompétent en laissant le soin au juge du fond de trancher à la lumière de la décision qui serait rendue en application du titre III de l'ordonnance du 1er décembre 1986 par le Conseil de la Concurrence.
Par ordonnance du 2 mai 1995, le juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Saint Die a :
- déclaré recevable en la forme la demande de la SA Télédiffusion de France,
- déclaré irrecevable l'intervention de Monsieur le Ministre de l'Economie,
- ordonné sous astreinte de 500 francs par jour de retard à la commune de Xonrupt-Longemer représentée par son maire en exercice de déposer les matériels de réémission de programmes de télévision fournis sur le cinquième réseau, par M6 et Canal Plus sur le pylône de Télédiffusion de France à ses frais sauf à régulariser la situation,
- imparti toutefois à la commune de Xonrupt-Longemer un délai de six mois à compter de la signification de la présente ordonnance pour ce faire,
- condamné la commune de Xonrupt-Longemer représentée par son maire en exercice à verser à la SA Télédiffusion de France la somme de 5.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile outre les dépens ;
Appel de cette décision a été interjeté par la commune de Xonrupt-Longemer suivant déclaration du 20 octobre 1995.
Par courrier en date du 23 octobre 1996, la Direction Nationale des Enquêtes de Concurrence agissant au nom du Ministre de l'Economie faisait connaître au Président de la première chambre de la Cour d'appel de Nancy son intention de déposer en application de l'article 56 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 des conclusions au nom du Ministre de l'Economie et des Finances.
La commune de Xonrupt-Longemer s'est désistée de son appel par acte du 1er février 1997 enregistré au greffe de la Cour d'appel de Nancy le 10 février 1997.
Par conclusions du 11 février 1997, la société Télédiffusion de France s'est désistée de son appel incident et a accepté le désistement de la commune de Xonrupt-Longemer, demandant que soit constatée l'extinction de l'instance et de dire que chaque partie conservera à sa charge les frais et dépens exposés par elle.
Le Ministre de l'Economie a déposé et notifié des conclusions en date du 12 février 1997 concluant à ce que la Cour :
- déclare recevable son intervention,
- dise n'y avoir lieu à référé,
- subsidiairement sursoie à statuer jusqu'à la décision rendue par le Conseil de la Concurrence pour l'application du titre III de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Par conclusions du 26 février 1997, la société Télédiffusion de France fait valoir :
- que les conclusions déposées le 12 février 1997 sont affectées d'une nullité absolue dans la mesure où elles n'ont pas été signifiées à l'avoué de la société Télédiffusion de France ou même directement à la société Télédiffusion de France par huissier de justice alors que dans une note de service de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes du 8 novembre 1990, la règle de la signification a été rappelée, conformément aux dispositions légales applicables,
- que, subsidiairement, l'intervention volontaire du Ministre de l'Economie est irrecevable :
* en raison de l'extinction de l'instance lorsqu'ont été déposées les conclusions de l'intervenant qui se bornait à appuyer ou renforcer les demandes et prétentions d'une partie sans élever ni prétentions ni demandes nouvelles à son profit,
* en raison de l'absence de lien suffisant entre l'intervention et les prétentions des parties dans la mesure où l'objet du litige était caractérisé d'une part par la reconnaissance ou non d'un trouble manifestement illicite créé par l'installation d'équipements de rediffusion sur un pylône appartenant à Télédiffusion de France et d'autre part par la demande tendant à faire cesser ce trouble, alors que les conclusions de l'intervenant sont destinées à voir exploiter des conclusions du rapport déposé par la Direction Nationale des Enquêtes de Concurrence duquel il résulterait que Télédiffusion de France s'est livrée à des pratiques qualifiées d'abus de position dominante.
Elle demande en conséquence à la Cour de :
- juger recevable et bien fondée la société Télédiffusion de France en ses conclusions,
- à titre principal, juger nulles les conclusions de Monsieur le Ministre de l'Economie du 12 février 1997,
- à titre subsidiaire, juger irrecevable l'intervention de Monsieur le Ministre de l'Economie du 12 février 1997,
- condamner Monsieur le Ministre de l'Economie à verser la somme de 20.000 F à la société Télédiffusion de France en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- condamner Monsieur le Ministre de l'Economie en tous les dépens,
- donner acte à la société Télédiffusion de France de ce que n'ayant soulevé que des exceptions de procédure, elle se réserve de contester par conclusions ultérieures les arguments, moyens, prétentions et demandes au fond formulées par Monsieur le Ministre de l'Economie dans ses conclusions du 12 février 1997.
En réponse à ces prétentions, le Ministre de l'Economie fait valoir
- que ses conclusions du 12 février 1997 ne sont pas entachées de nullité dans la mesure où :
* aucun texte n'impose au ministre de faire signifier ses conclusions par huissier, la note de service dont il est fait état étant tombée en désuétude,
* par application des articles 961 et 671 du Nouveau Code de Procédure Civile, le Ministre de l'Economie peut procéder à la notification directe de ses conclusions, sans nécessairement les signifier,
* n'est invoqué aucun grief né de l'absence de signification, alors que cette irrégularité est un vice de forme et non de fond,
- que l'intervention du Ministre de l'Economie est parfaitement recevable dès lors :
* que son intervention n'est pas accessoire à l'instance principale quelles que soient ses demandes dans la mesure où il intervient non dans le but de défendre des intérêts particuliers et privés mais pour préserver l'ordre public économique et plus spécifiquement en l'espèce la liberté d'accès au marché, qu'il s'ensuit qu'il ne peut être assimilé au cas du justiciable qui ne forme aucune prétention ou demande à son profit alors que l'instance se trouve éteinte,
* qu'il est intervenu le 23 octobre 1996 soit antérieurement à la transaction des parties du 22 janvier 1997,
* que le Ministre de l'Economie ne présente pas les mêmes demandes que la commune de Xonrupt-Longemer puisqu'il sollicite subsidiairement le sursis à statuer dans l'attente de la décision du Conseil de la Concurrence alors que la commune de Xonrupt-Longemer sollicitait un sursis à statuer dans l'attente de la production aux débats du rapport d'enquête déposé par la DNEC, demande à laquelle il a été satisfait par le ministre,
* que l'objet de sa demande subsiste même si le litige existant entre les autres parties est réglé dès lors que l'objectif de ses demandes est différent de celles de la commune de Xonrupt-Longemer ; que du reste la transaction n'ayant pas été produite, il ne peut être soutenu qu'elle règle tout différend et rend sans objet l'intervention du ministre,
* qu'il existe un lien direct avec les prétentions des parties dans la mesure où la commune de Xonrupt-Longemer, pour demander l'infirmation de la décision entreprise et subsidiairement le sursis à statuer jusqu'à la production du rapport établi par la DNEC, se fonde sur les pratiques anticoncurrentielles de Télédiffusion de France consistant à entreprendre d'acquérir des sites géographiquement privilégiés pour l'implantation des relais de diffusion et sur l'abus de position dominante de celle-ci alors que le ministre estimant que Télédiffusion de France occupant une position dominante sur plusieurs marchés et agissant en infraction à l'article 8.1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 en prétendant obtenir la dépose du matériel installé par son concurrent, ne peut se prévaloir de son droit d'occupation, voire de son droit de propriété sur le pylône pour faire obstacle à l'accès d'un concurrent au marché dans le cadre d'une procédure de référé ou, subsidiairement, ne peut obtenir une telle reconnaissance de son droit sans qu'il soit sursis à statuer jusqu'à la décision du conseil de la concurrence.
Il demande en conséquence à la Cour de :
- rejeter le moyen soulevé par Télédiffusion de France de nullité des conclusions du Ministre de l'Economie du 12 février 1997,
- déclarer recevable l'action du ministre sur le fondement de l'article 56 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et la dire bien fondée,
- infirmer l'ordonnance du 2 mai 1995 en ce qu'elle a déclaré irrecevable la demande du ministre,
- enjoindre à Télédiffusion de France de produire la transaction qu'elle a conclue avec la commune de Xonrupt-Longemer,
- sur le fond et à titre subsidiaire, surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Conseil de la Concurrence qui doit se prononcer sur la régularité des pratiques de Télédiffusion de France,
- adjuger au ministre le bénéfice de ses précédentes écritures.
La commune de Xonrupt-Longemer s'en est remis à prudence de justice sollicitant la condamnation de tout succombant aux dépens.
Sur ce,
Vu la décision entreprise,
Vu les conclusions des parties auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens invoqués devant la Cour,
Vu l'ordonnance de clôture en date du 18 juin 1998,
Attendu que sans contester la réalité de la notification des conclusions du Ministre de l'Economie, la société Télédiffusion de France se prévaut de l'irrégularité de la forme de cette notification qui, selon elle, aurait du être faite par signification ;
Mais attendu qu'aucune disposition n'impose, en l'absence d'avocat, que la notification des conclusions soit faite par voie de signification ;
Que le Ministre de l'Economie était ainsi fondé à notifier ses conclusions en la forme ordinaire ;
Que dès lors, l'exception de nullité pour défaut de signification des conclusions doit être rejetée ;
Attendu que la commune de Xonrupt-Longemer et la société Télédiffusion de France se sont, respectivement, désistées de leurs appels principal et incident par actes déposés au greffe les 10 et 11 février 1997 ;
Que l'intervention du Ministre de l'Economie se fait, selon l'article 56 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, par le dépôt de conclusions;
Que ne saurait être assimilé à un dépôt de conclusions l'envoi de lettres adressées le 23 octobre 1996 par le Chef de Service Régional de la Direction Nationale des Enquêtes de Concurrence au Président de la première chambre civile de la Cour d'appel de Nancy et au Conseiller de la mise en état leur annonçant son intention de déposer des conclusions au nom du Ministre de l'Economie en application de l'article 56 de l'ordonnance du 1er décembre 1996;
Qu'en réalité, l'intervention du Ministre de l'Economie a eu lieu le 12 février 1997, jour du dépôt et de la notification de ses conclusions;
Que cette intervention a donc eu lieu postérieurement aux désistements des parties à l'instance;
Or attendu que les désistements de la commune de Xonrupt-Longemer et de la société Télédiffusion de France emportaient immédiatement extinction de l'instance et par suite dessaisissement de la juridiction concernée, par application des articles 405, 398, 384 et 385 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Que la Cour, dans le cadre d'un désistement d'appel, ne fait que constater l'extinction de l'instance et par suite son dessaisissement ;
Que le "droit propre" dont se prévaut le Ministre de l'Economie est caractérisé par la spécificité de son intervention justifiée par la particularité de l'objectif recherché, à savoir la protection d'un intérêt collectif et non individuel;
Qu'il n'en demeure pas moins que cette intervention, pour être réalisée, suppose l'existence d'une instance en cours;
Que dans ces conditions, et nonobstant l'existence du "droit propre" dont se prévaut le Ministre de l'Economie, son intervention par voie de conclusions dans une instance éteinte est irrecevable;
Attendu qu'il convient en conséquence de donner effet aux désistements de la commune de Xonrupt-Longemer et de la société Télédiffusion de France et de déclarer l'intervention du Ministre de l'Economie irrecevable ;
Attendu que les dépens d'appel doivent être laissés à la charge de chaque partie, conformément à leur accord ;
Que par contre, les dépens consécutifs à l'intervention du Ministre de l'Economie doivent être mis à la charge de ce dernier qui succombe ; qu'il doit en outre être condamné à verser à la société Télédiffusion de France 3.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Rejette l'exception de nullité des conclusions du Ministre de l'Economie, Déclare le Ministre de l'Economie irrecevable en son intervention, Déclare parfaits les désistements d'appel de la commune de Xonrupt-Longemer et de la société Télédiffusion de France, Constate l'extinction de l'instance qui entraîne dessaisissement de la Cour ; Laisse à la charge de chaque appelant ses propres dépens ; Condamne le Ministre de l'Economie à verser à la société Télédiffusion de France trois mille francs (3.000 F) sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, Condamne le Ministre de l'Economie aux dépens consécutifs à son intervention