Cass. com., 6 novembre 1990, n° 89-13.116
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Tecnisom France (Sté)
Défendeur :
Serap ameublement
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Defontaine
Rapporteur :
M. Plantard
Avocat général :
M. Jéol
Avocats :
Mes Ryziger, Ricard, SCP Lesourd, Baudin
LA COUR : - Attendu que, selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 janvier 1989), la société Tecnisom France (société Tecnisom), qui commercialise des articles de literie, a décidé de créer un réseau de distribution sélective et de réserver ses produits à des revendeurs satisfaisant à certaines conditions, parmi lesquelles l'exploitation d'un local commercial " ouvert à la clientèle sans aucune restriction ni limitation " ; que la société Serap ameublement (société Serap), qui s'approvisionnait depuis plusieurs années auprès de la société Tecnisom, s'est vu refuser l'accès au réseau nouvellement créé au motif qu'elle n'admettait dans ses magasins qu'une clientèle restreinte constituée du personnel de diverses collectivités ; que la société Serap, invoquant l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, a assigné la société Tecnisom pour obtenir réparation du préjudice qui lui avait été causé par ce refus de vente et pour faire prononcer la nullité de la clause qui lui était opposée ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Tecnisom reproche à l'arrêt qui a accueilli ces demandes d'avoir déclaré recevable l'intervention en cause d'appel du ministre chargé de l'Économie qui était déjà intervenu en première instance, alors que, selon le pourvoi, d'une part, ne peuvent intervenir en cause d'appel que les personnes qui n'ont été ni parties ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité ; que lorsqu'une personne a été partie en première instance, fût-ce comme intervenant, elle ne peut figurer aux débats en cause d'appel que comme intimée ou comme appelante, mais qu'elle n'est pas recevable à intervenir ; que si, pour l'application de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le ministre chargé de l'Économie ou son représentant peut, devant les juridictions civiles ou pénales, déposer des conclusions et les développer à l'audience, ce pouvoir qui résulte de l'article 56 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 n'est pas dérogatoire aux dispositions du nouveau Code de procédure civile, mais a seulement pour objet de légitimer l'intérêt du ministre à intervenir aux débats ; qu'en décidant que l'article 56 était dérogatoire au droit commun, la décision attaquée a violé l'article 56 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; et alors, d'autre part, que le ministre chargé de l'Économie a le droit d'introduire devant la juridiction civile les actions fondées sur l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et notamment celles issues d'un refus de vente ; qu'en l'espèce, il résulte de la décision de première instance que le ministre, tout en déclarant intervenir dans la procédure, ne s'était pas contenté de soutenir une des parties, mais avait demandé personnellement la nullité de la clause litigieuse et avait demandé au Tribunal d'abroger cette clause et d'ordonner la poursuite de la distribution dans des conditions non discriminatoires ; que, ce faisant, le ministre a procédé à une intervention agressive, équivalant à une action, en formant une demande ; qu'il était donc bien partie à l'action et ne pouvait, devant la cour d'appel, procéder par voie d'intervention pour présenter une demande à laquelle il n'avait pas été fait droit en première instance, à savoir une demande de nullité ; qu'il ne pouvait procéder à cette fin que par voie d'appel principal ou incident, qu'en déclarant recevable, bien que formée par voie d'intervention, une demande, en l'espèce une demande de nullité, à laquelle il n'avait pas été fait droit en première instance, la cour d'appel a violé les articles 36 et 56 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ensemble les articles 554 et 325 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'en déposant devant la cour d'appel, comme il l'avait fait en première instance, des conclusions préconisant des mesures fondées exclusivement sur l'application de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le ministre chargé de l'Économie n'a fait qu'user de la faculté qu'il tient de l'article 56 de ce texte qui ne lui confère pas la qualité de partie à l'action; que le moyen n'est donc fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le second moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que la société Tecnisom reproche en outre à l'arrêt d'avoir déclaré nulle la clause par laquelle elle n'agréait en qualité de revendeur de ses produits que les commerçants dont les locaux étaient ouverts à la clientèle sans aucune restriction ni limitation, et qu'elle était tenue de réparer le préjudice qu'elle avait causé à la société Serap en refusant de l'approvisionner, alors que, selon le pourvoi, d'une part, le refus de vente n'est pas illicite lorsqu'il résulte de l'indisponibilité de la marchandise résultant d'un contrat légalement passé avec un tiers, et notamment de l'existence d'un réseau de distribution sélective dont n'est pas membre celui auquel un refus de vente est opposé ; que ne constituent une action, convention, entente ou pratique prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 que les pratiques qui ont pour objet de limiter l'accès au marché d'une entreprise ou la libre concurrence par d'autres entreprises ; qu'en l'espèce, la société Tecnisom avait fait observer dans ses conclusions que la clause litigieuse n'avait pas pour effet d'empêcher l'accès de la société Serap au marché des lits à lattes, car au moins sept marques concurrentes étaient présentes sur le marché ; et que la part sur le marché des lits fabriqués par la société Tecnisom était très faible, d'environ 5 % ; qu'en se refusant à rechercher si la société Serap pouvait, nonobstant la clause restrictive de concurrence, accéder au marché des lits à lattes, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 36, 7 et 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et a, par là même, privé sa décision de base légale ; alors que, d'autre part, c'est à celui qui prétend qu'il est empêché d'accéder à un marché pertinent du fait d'un refus de vente qui lui est opposé par l'effet d'une clause contenue dans un contrat de distribution sélective, cependant qu'il ne bénéficie pas lui-même d'un agrément lui permettant d' entrer dans le réseau, qu'il incombe de démontrer, s'il entend invoquer la nullité de la clause, que celle-ci empêche de façon sensible son accès au marché ; qu'en faisant peser sur la société Tecnisom la charge de démontrer que la clause litigieuse n'empêchait pas, par elle-même, l'accès au marché pertinent des lits à lattes de la société Tecnisom, la décision attaquée a inversé la charge de la preuve et violé les articles 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 1315 du Code civil ; et alors que, enfin, ne constitue pas une demande normale une demande émanant d'une société commerciale qui réserve l'accès de ses magasins à un type particulier de clientèle lorsque ce refus n'est pas motivé par la structure de l'entreprise ; qu'en effet, le fait de refuser tout contact commercial avec des particuliers qui ne répondent pas à certains critères, par exemple ne sont pas salariés d'une entreprise ayant un comité d'entreprise ou n'appartiennent pas à certaines collectivités, revient, en réalité, à pratiquer un refus de vente prohibé par l'article 30 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'en l'espèce, la société Tecnisom avait fait observer que la société Serap était une société commerciale de type classique dont l'objet social couvrait toutes les formes de commerce et n'est ni une coopérative ni une association, et qu'elle était donc fondée à refuser l'agrément à cette société qui se rendait coupable d'un refus de vente ; qu'en décidant que cette sélection de clientèle est légitime parce que destinée à permettre à tous les acheteurs potentiels des collectivités démarchées par la société Serap d'acheter à meilleur prix, la cour d'appel n'a pas indiqué pourquoi il était légitime de la part de la société Serap d'écarter les autres acheteurs, ni pourquoi, si l'ensemble était admis, la société Serap ne pourrait pas vendre aux mêmes prix ; qu'ainsi, la décision attaquée n'a pas justifié le caractère normal de la demande de la société Serap, se trouvant par là-même privée de base légale au regard de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir retenu exactement que les justifications admises par l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 impliquent l'existence de pratiques définies par les articles 7 et 8 de la même ordonnance, et que constituait une telle pratique, en ce qu'elle réalisait une sélection quantitative ayant pour objet de restreindre le jeu de la concurrence sur le marché considéré, la clause par laquelle la société Tecnisom imposait à ses distributeurs que leur local soit ouvert à la clientèle sans aucune restriction ni limitation, la cour d'appel a retenu à bon droit qu'il appartenait à la société Tecnisom d'apporter la preuve des faits qui, en vertu de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, seraient propres à justifier la pratique litigieuse;
Attendu, en deuxième lieu, que la cour d'appel a constaté que le refus de vente privait une " partie non négligeable des consommateurs " d'acquérir des lits Lattoflex commercialisés par la société Tecnisom et a ainsi fait la recherche visée par la première branche ;
Attendu, enfin, qu'ayant apprécié les modalités selon lesquelles la société Serap sélectionnait sa clientèle, l'arrêt a estimé que ses demandes d'achat, qui ne différaient en rien de celles qu'elle avait présentées pendant plusieurs années à la société Tecnisom, sans la moindre observation ni critique, ne revêtaient aucun caractère anormal ; qu'en l'état de ces appréciations souveraines, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que les moyens ne peuvent être accueillis en aucune de leurs branches ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi