CA Douai, 2e ch., 21 novembre 2000, n° 1998-04349
DOUAI
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Van Der Meulen Allum BV (Sté)
Défendeur :
TWF (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gondran
Conseillers :
Mme Schneider, M. Testut
Avoués :
SCP Le Marc'Hadour Pouille-Groulez, SCP Cocheme-Kraut-Reisenthel
Avocat :
Mes Baud
Par jugement du 25 mars 1998, le tribunal de grande instance de Béthune, statuant en matière commerciale :
- a jugé que la société Van Der Meulen a engagé sa responsabilité en imposant à la société TWF une rupture abusive des relations commerciales entretenues avec cette dernière ;
- l'a condamnée en conséquence à payer à la société TWF la somme de 500.000 F à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudices confondues, avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement jusqu'à parfait paiement, et celle de 10.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
- a débouté la société Van Der Meulen en sa demande reconventionnelle ;
- a ordonné l'exécution provisoire du jugement, nonobstant appel et sans caution, à l'exception de la disposition prise en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
- a condamné la société Van Der Meulen aux entiers dépens.
La procédure :
Par déclaration en date du 12 mai 1998, la SCP Le Marc'Hadour Pouille Groulez, agissant au nom de la société de droit hollandais Van Der Meulen Allum BV, a fait appel de cette décision.
Les prétentions de l'appelant :
La société Van Der Meulen Allum BV (VDM), dans le dernier état de ses conclusions en date du 25 octobre 1999, demande voir la Cour :
- confirmer la décision du tribunal de grande instance de Béthune en ce qu'elle a :
* refusé de reconnaître que la relation entre Van Der Meulen et TWF pouvait s'analyser en un contrat de distribution exclusive,
* refusé de reconnaître que la relation entre Van Der Meulen et TWF pouvait s'analyser en un mandat d'intérêt commun
* constaté que la relation entre Van Der Meulen et TWF présentait un caractère sporadique et non continu
- Pour le surplus, la réformer :
* dire que la relation commerciale entre TWF et Van Der Meulen ne présentait pas de caractère établi exigé par la loi du 1er juillet 1996 et n'était pas régie par cette loi,
* dire que Van Der Meulen avait la faculté de mettre un terme à ses relations avec TWF,
* juger que Van Der Meulen n'a commis aucune faute lors de la rupture de sa relation avec TWF ;
* juger que Van Der Meulen n'a commis aucune faute lors de la rupture de sa relation avec TWF ;
- en conséquence, débouter TWF de l'intégralité de ses demandes ;
- A titre subsidiaire :
* dire que Van Der Meulen a concédé à TWF un préavis raisonnable,
* juger que Van Der Meulen n'a commis aucune faute lors de la rupture de sa relation avec TWF,
* juger que TWF n'a subi en conséquence aucun préjudice du fait de la cessation de sa relation commerciale avec Van Der Meulen,
* en conséquence, débouter TWF de l'intégralité de ses demandes ;
- A titre plus subsidiaire :
* dire que TWF n'apporte pas la preuve d'un préjudice quelconque qu'elle aurait subi à l'occasion de la rupture de sa relation avec Van Der Meulen,
* en conséquence débouter TWF de l'intégralité de ses demandes,
- Et faisant droit à sa demande reconventionnelle :
* juger que TWF a commis une faute à l'encontre de Van Der Meulen en engageant de façon abusive la présente action en justice,
* condamner TWF à payer à Van Der Meulen une somme de 100.000 F au titre de dommages-intérêts,
- En tout état de cause :
* condamner TWF au paiement d'une somme de 100.000F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
* condamner TWF aux entiers dépens avec distraction pour ceux d'appel ;
Les prétentions de l'intimé :
La société Traditional World Foods SARL (TWF), dans le dernier état de ses conclusions en date du 25 octobre 1999, demande voir la Cour :
- confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a retenu que la société Van Der Meulen avait engagé sa responsabilité à son égard (la société TWF) ;
- le réformer toutefois en ce qu'il a considéré que les relations existant entre TWF et Van Der Meulen n'étaient pas des relations inscrites dans le cadre d'un contrat de distribution exclusif.
En conséquence, juger que la société Van Der Meulen était tenue par un contrat distribution exclusif qui a été abusivement résilié ;
Subsidiairement, constater que les relations entre TWF et Van Der Meulen s'inscrivaient dans le cadre de relations commerciales établies, conformément aux dispositions de l'article 36.5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
En conséquence, condamner la société Van Der Meulen au paiement de la somme de 7.000.000 F au titre du préjudice subi par la société TWF ;
Plus subsidiairement, désigner expert afin de chiffrer le préjudice subi par la société TWF et condamner dans une telle hypothèse la société Van Der Meulen au paiement d'une somme de 1.000.000 F à titre provisionnel :
- condamner Van Der Meulen au paiement de la somme de 50.000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, outre le remboursement des frais de traduction soit 8.092,26 F TTC et les frais et honoraires de recouvrement dans le cadre de l'exécution provisoire ;
- la condamner en tous les frais et dépens de première instance et d'appel avec distraction pour ces derniers.
II- Argumentation de la Cour :
Le contexte de l'affaire :
La société TWF est une société spécialisée dans la distribution de produits dans le circuit de la grande distribution. Elle souhaitait élargir sa gamme de produits à y commercialiser.
La société VDM qui venait de racheter la ligne de production " snacks " (biscuits soufflés) de la société Van Melle, souhaitait renforcer sa présence sur le marché français de la distribution des snacks salés et bénéficier du réseau de vente de la société TWF.
VDM distribuait en France des pains de seigle et des produits appelés " Melba Toast " (toasts allégés), auprès d'une clientèle composée d'épiceries fines par l'intermédiaire d'une société néerlandaise Van Thyn, laquelle ne distribuait pas les biscuits apéritifs appelés aux Pays Bas " Star Bites " et en France " Vedette ", ces derniers étant l'objet du présent litige.
Début 1993, des relations allaient s'installer entre ces deux sociétés pour la commercialisation des snacks.
Pour le surplus, la Cour se réfère, pour l'exposé des faits, de la procédure et des prétentions et argumentation des parties en première instance, à la décision attaquée.
L'appréciation de la Cour :
Par courrier du 9 août 1996, la société VDM a confirmé à la société TWF qu'elle comptait mettre un terme aux relations commerciales existantes entre elles depuis 1993. Alors que dans son courrier précédent, daté du 24 juillet 1996, elle annonçait cette rupture avec effet immédiat, dans le courrier du 9 août 1996, elle indiquait qu'en définitive elle continuerait d'assurer les livraisons jusqu'au 31 décembre 1996.
Deux précisions étaient apportées pour les derniers quatre mois et demi restant à courir, la confirmation écrite d'un paiement avant la livraison, une légère augmentation du prix (ainsi, les sachets " Vedette " seraient vendus à partir du 1er juillet 1996 à 1,80 F au lieu de 1,67 F, prix depuis le 1er février 1996).
La société TWF n'apporte pas plus d'éléments suffisants en appel qu'en première instance, pour permettre de considérer que les relations commerciales entre les parties pourraient être constitutives de contrat de distribution exclusive ou de mandat d'intérêt commun. La société VDM a accordé un droit de distribution sur le territoire français à la société TWF sans qu'il soit établi qu'elle lui en ait accordé l'exclusivité. La société TWF, sans aucun lien de dépendance économique avec son partenaire, s'engageait elle-même et n'agissait pas pour le compte de celui-ci. Elle décidait librement, sans d'ailleurs individualiser les coûts relatifs aux seuls produits, les investissements qu'elle devait opérer notamment pour les référencements nécessaires à la pénétration du marché de la grande distribution. Elle définissait seule sa politique économique et financière, en particulier pour ses marges brutes substantielles (TWF achetait de 1,50 à 1,80 F des sachets qu'elle revendait de 4,95 à 5,95 F). L'intention commune des parties n'était pas d'obliger la partie qui prendrait l'initiative de la rupture à réparer nécessairement l'éventuel préjudice subi par l'autre.
Les relations commerciales étaient établies entre les parties mais irrégulières par leur précarité, leur sporadicité et l'absence d'engagement de continuité dans l'avenir. Dès lors, la rupture effective du 9 août 1996, compte tenu des usages, ne peut être qualifiée d'imprévisible, de soudaine ou de violente, d'autant que le préavis de plus de 4 mois n'est pas contesté.
D'une manière générale, cette rupture n'est pas fautive non plus. L'évolution du marché en 1995 annonçait la nécessité d'une augmentation des prix en 1996(cf. les lettres de la société VDM des 8 novembre et 28 décembre 1995 et l'acceptation de la société TWF par message du 11 mars 1996). En raison des tensions nées entre elles à partir de l'annonce de la rupture unilatérale de leurs relations commerciales, il n'était pas anormal pour la société VDM de prendre des garanties pour le paiement de ses dernières livraisons. Le jugement doit être réformé sur ce point, alors qu'il n'est pas apporté la preuve d'une déloyauté ou d'une fraude de la part de la société VDM aux fins de pouvoir bénéficier sans bourse déliée des investissements effectués par la société TWF pour pénétrer le marché de la grande distribution et y développer la notoriété de la marque VDM. La société TWF ne dispose pas d'un droit au renouvellement indéfini des relations contractuelles la liant à la société VDM.
La nature fautive de l'action engagée par l'appelant n'est pas caractérisée.
Par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, l'équité commande que l'appelant soit condamné à payer à l'intimé une indemnité pour frais d'appel, non compris dans les dépens, de 20.000 F.
Les dépens d'appel doivent être mis à la charge de l'appelant avec droit de recouvrement direct contre lui, au bénéfice de l'avoué de l'intimé, pour ceux des frais dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision préalable, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
III- Décision de la Cour :
Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, 1) Constate l'absence de faute dans la rupture unilatérale des relations entre les parties ; 2) Réforme le jugement, en ce qu'il a condamné la société Var Der Meulen Allum BV à régler des sommes d'argent à la société Traditional World Foods ; 3) Y ajoutant, condamne la société Traditional World Foods : à payer 20.000 F à titre d'indemnité procédurale d'appel à la société Van Der Meulen Allum BV ; à payer les dépens d'appel avec la distraction susvisée ; 4) rejette les demandes autres, plus amples ou contraires.