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Décisions

CA Poitiers, ch. corr., 31 mai 2001, n° 00-01014

POITIERS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Albert

Conseillers :

Mmes Delpech, You

Avocat :

Me Vital-Mareilles

TGI Niort, ch. corr., du 2 nov. 2000

2 novembre 2000

Le tribunal a :

- déclaré le prévenu coupable des faits qui lui sont reprochés

- condamné ce dernier à la peine de 100 000 F d'amende.

Appel a été interjeté par :

- M. Y Jean-Pierre, le 9 novembre 2000

- M. le Procureur de la République, le 10 novembre 2000 contre M. Y Jean-Pierre

Jean-Pierre Y est prévenu d'avoir, à Gournay (79), du 20 janvier 1997 au 27 janvier

1997, et par temps non prescrit, omis de faire payer ses clients (dont la liste est dans le tableau ci-joint) à 30 jours après la livraison des boissons alcoolisés passibles de droit de consommation vendues par la SA X dont il est le PDG pour un montant de 3 513 191 F.

Infraction prévue par l'article 35 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986 et réprimée par les articles 35, 55 al. 1 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986.

Le 30 janvier 1998 Messieurs Jean-Marie Loubeau et Serge Germain respectivement inspecteur et contrôleur principal de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, se sont présentés au siège social de, à Gournay, représentée par Monsieur Y en sa qualité de président du conseil d'administration.

Ils ont demandé à vérifier les délais de paiement sur les alcools à partir :

- des comptes clients pour la période comprise entre le 1er décembre 1996 et le 18 janvier 1997.

- de l'historique du compte bancaire commercial de X à la Banque Populaire Centre Atlantique (BPCA) pour 1996 et 1997.

- des bordereaux de remise de chèques à la BPCA pour les mois d'octobre, novembre et décembre 1996, janvier à mars 1997.

- de la liste des clients de X.

Après l'étude de l'ensemble de ces documents, concernant 120 clients, qui avaient effectué le paiement d'achats de boissons alcoolisées au cours de la deuxième quinzaine du mois de décembre 1996, il est apparu que l'encaissement par X auprès de sa banque n'était intervenu que 57 jours après l'échéance légale de paiement de ces produits, soit plus de 30 jours après la fin des mois de livraison.

Les chèques bancaires avaient été remis à l'encaissement le 28 mars 1997 pour une somme de 15 700 218 F.

Les enquêteurs ont également observé sur les bordereaux que les dates qui avaient été portées par le service comptable de X étaient antérieurs à celles auxquelles ces opérations avaient été effectivement réalisées

Les dirigeants des cinq sociétés les plus importantes qui étaient en cause précisaient qu'à leur connaissance il n'existait aucune convention écrite ou verbale avec les fournisseurs.

Pour sa part M. Y relatait que le conseil d'administration de X avait pris la décision à la fin de l'année 1996 de reporter les échéances de paiement des achats d'alcool effectués par les adhérents, le report au delà du délai légal avait été fixé à deux mois.

Cette mesure avait été prise dans le contexte d'une augmentation des droits sur les alcools qui avait été annoncée pour entrer en vigueur le 1er janvier 1997 mais les adhérents n'avaient reçu aucune information.

Au soutien de son appel M. Y soutient:

1) Que les chèques litigieux sont datés du 28 janvier 1997 et ont donc été émis dans le délai légal.

2) Que le Tribunal se fonde sur des déductions hasardeuses pour affirmer qu'une convention et une entente seraient intervenues entre X et ses clients pour que l'encaissement soit retardé et ce d'autant que les sociétés n'avaient aucune raison de changer leurs habitudes, mais par contre pouvaient continuer à bénéficier de l'avantage financier tiré du paiement à l'échéance.

En conséquence il a considéré qu'il ne peut être condamné sur le fondement de l'article 35 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et qu'au surplus la preuve de l'infraction n'est pas rapportée.

Madame l'Avocat Général requiert la confirmation de la décision déférée.

MOTIFS DE LA DECISION

Monsieur Y fait grief à la décision attaquée d'avoir violé le principe d'application stricte de la loi pénale qui découle plus généralement du principe de la légalité des délits et des peines, en se livrant à une interprétation excessive et erronée du texte de l'article 35 de l'Ordonnance du 1er décembre 1986.

Ce dit article 35 susvisé énonce :

"à peine d'une amende de 500 000 F, le délai de paiement par tout producteur, revendeur ou prestataire de service ne peut être supérieur à ... 30 jours après la fin du mois de livraison pour les achats de boissons alcooliques passibles des droits de consommation prévues à l'article 403 du Code général des impôts".

Ce texte ne peut s'entendre que restrictivement et force est de constater qu'il ne réprime à aucun moment le fait d'avoir omis de faire payer ses clients dans un délai précis. Cela est valable pour les producteurs dont l'activité principale n'est pas exclusive d'acquisitions (matières premières nécessaires à leur propre production), pour le revendeur qui achète pour revendre à son tour et pour le prestataire de services qui lui aussi est amené à effectuer des achats pour parvenir à la réalisation de son activité spécifique.

Il n'est pas reproché à X d'avoir payé hors délai ses propres achats de boissons.

Ainsi le vendeur, non expressément visé ne peut être considéré par extension comme pénalement incriminable en qualité d'auteur ou de coauteur de l'infraction.

Toutefois, le vendeur peut être poursuivi comme complice par application de l'article 121-7 du nouveau Code pénal s'il est établi qu'il a de manière intentionnelle et active, permis pour obtenir ou non une contrepartie, le dépassement du délai.

Un acte positif et réalisé en connaissance de cause est donc nécessaire

Il convient donc de rechercher au vu des résultats de l'enquête la nature des faits qui pourraient être reprochés à M. Y.

Il n'est pas dénié ainsi que cela ressort des notes d'audience de première instance que les [magasins] contrôlés sont tous indépendants et franchisés.

Des déclarations des dirigeants des cinq principaux magasins contrôlés il apparaît :

- En ce qui concerne [le magasin] de Niort que M. D (PDG) n'a pas eu connaissance que le chèque émis le 28 janvier 1997 sur le Crédit Agricole d'un montant de 336 734 F en paiement d'achats de boissons alcoolisées auprès de X n'avait été remis à encaissement que 57 jours après, soit le 28 mars 1997.

- En ce qui concerne [le magasin] de St Léger de la Martinière (79) et pour le même type d'achat, à la même période, le chèque de 32 230 F remis en paiement n'avait été encaissé que le 28 janvier 1997.

Il en était de même pour les chèques remis pour les mêmes raisons par les [magasins] de Celles sur Belle (79), de Niort (PDG M. Bruno B) et de Niort (PDG M. Michel D) pour des montants respectifs de 195 342 F, 175 131 F, et 135 542 F.

L'ensemble de ces dirigeants affirmaient ignorer que les chèques versés seraient débités avec un différé de plus de deux mois, confirmant ainsi les propres déclarations du prévenu.

Il peut être certes admis que les différentes sociétés clientes gèrent librement et de manière autonome leurs achats de marchandises selon leurs possibilités et leurs besoins respectifs et dans le cas présent, à l'annonce de l'imminence d'un relèvement des droits sur les alcools, le fait que certaines d'entre elles aient pu commander des quantités plus importantes qu'à l'accoutumée peut apparaître logique, afin de les amener à garantir un niveau de prix compétitif.

La Cour ne peut que constater que bien nombreuses ont été celles qui ont réagi de la même manière ; il suffit pour s'en convaincre de consulter le tableau annexé à la procédure et le montant total des alcools achetés dans la même période.

Ainsi, au vu du récapitulatif joint au dossier et des déclarations des différents commerçants ayant décidé de passer commande, on peut vérifier que la quasi totalité des commandes ont été passées et livrées avant la fin du mois de décembre 1996, réglées avec des chèques qui n'ont été encaissés dans la plupart du temps qu'à 57 jours.

Ainsi que le remarque justement M. Y "le débiteur" n'est réputé n'avoir acquitté sa dette qu'à la date où le créancier a effectivement reçu le chèque, et sous réserve de son encaissement".

Tous les débiteurs ont indiqué que les chèques remis à X pouvaient être encaissés immédiatement dès leur remise, sans qu'il aient à attendre un délai de deux mois.

En outre l'article 31 de l'ordonnance précise "le règlement est réalisé à la date à laquelle les fonds sont mis à la disposition du bénéficiaire par l'acheteur".

Sur ce point l'ensemble des parties et M. Y notamment, reconnaissent que les fonds étaient disponibles mais le mis en cause soutient que le Ministère Public ne rapporte pas la preuve qu'une concertation est intervenue entre les sociétés et le fournisseur.

Toutefois il convient de relever que le système a été mis en place entre commerçants parfaitement au courant des marges de paiement et du respect de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; il y a eu dans tous les cas accord sur le prix et la date de livraison des marchandises et comme par hasard aucun des acheteurs n'a remarqué ou s'est étonné que les 121 opérations visées au procès-verbal 98/61 avaient bénéficié d'un report d'encaissement de 57 jours.

En réalité, il ressort de ces observations que l'ensemble de ces sociétaires étaient parfaitement au courantet qu'une entente est intervenue avec le fournisseur, qui, ainsi qu'il a été démontré, sachant qu'il ne pouvait être poursuivi comme vendeur, a donné à ses clients les éléments permettant de violer la législation.

En effet le prévenu a reconnu, qu'en sa qualité de Président du Conseil d'Administration de X, il avait exécuté la décision dudit conseil de reporter les échéances des achats, mais plus particulièrement en ce qui concerne les chèques émis par Madame Françoise A PDG [du magasin] de Celles sur Belle et par M. Bruno B, PDG [du magasin de] Niort, c'est le responsable de X qui disposant en permanence d'un chéquier de la société qui comporte des formules signées par eux-même, qui les a datés.

Il s'en déduit donc que c'est de manière intentionnelle et active que M. Y a permis d'obtenir, et ce sans qu'il y ait à rechercher l'existence d'une contrepartie, les dépassements de délai constatés.

Il convient donc de le retenir en qualité de complicité de l'infraction constatée.

M. Y est délinquant primaire, percevant d'après ses dires un salaire de 20 000 F mensuel ; eu égard à l'importance des quantités d'alcool ayant bénéficié d'un délai de paiement excessif, il sera constaté que la sanction prononcée par les premiers juges est équitable.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, sur appel en matière de police et en dernier ressort, Déclare les appels susvisés, réguliers en la forme, Requalifie la prévention en complicité de paiement hors délai légal de boissons alcooliques ; Constate toutefois que la peine d'amende prononcée par le tribunal est équitable et la confirme. Le tout en application des articles susvisés.