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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 10 janvier 2001, n° 1998-16224

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Alten SI (SA), Merle

Défendeur :

Pronix Ingénierie (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachaclnski, Mme Magueur

Avoués :

Me Huyghe, SCP Bommart Forster

Avocats :

Mes Bine-Fischer, Klein, Neiman.

T. com. Paris, 15e ch., du 22 mai 1998

22 mai 1998

Créée en 1987, la société Pronix Ingénierie a pour objet social l'assistance et le conseil en informatique. Elle a essentiellement axé son activité sur la mise à jour des logiciels en vue du passage à l'an 2000 et du passage à l'Euro, les applications de gestion spécialisées et les systèmes centralisés IBM.

La société Abilog, créée en 1991, a pour objet social l'étude et la réalisation de systèmes, matériels et logiciels. Elle a développé ses compétences dans l'organisation de PC en réseau, dans l'installation de progiciels ERP (entreprise ressource planning) et la formation du personnel de l'entreprise cliente à leur utilisation dans l'internet et l'intranet.

Prétendant être victime d'actes de concurrence déloyale commis par la société Abilog, la société Pronix Ingénierie, dûment autorisée, a fait pratiquer divers constats d'huissier.

Estimant que ce comportement était abusif, la société Abilog a, par acte du 13 février 1998, assigné la société Pronix Ingénierie en paiement de dommages-intérêts, laquelle a formé une demande reconventionnelle en concurrence déloyale, après avoir appelé en la cause Monsieur Patrick Merle à qui elle reprochait d'avoir participé aux actes dénoncés.

Par jugement du 22 mai 1998, rectifiée le 4 décembre 1998, le Tribunal de commerce de Paris, après avoir rejeté l'exception d'incompétence territoriale soulevée par Monsieur Merle, a :

- condamné la société Abilog à payer à la société Pronix Ingénierie la somme de 400 000 F de dommages-intérêts pour concurrence déloyale,

- condamné Monsieur Patrick Merle à payer à la société Pronix Ingénierie la somme de 91 925 F,

- condamné la société Pronix Ingénierie à payer à Monsieur Patrick Merle la somme de 58 500 F pour non respect du délai de préavis,

- ordonné la compensation entre ces deux dernières condamnations et condamné en conséquence Monsieur Merle à payer à la société Pronix Ingénierie la somme de 33 425 F,

- rejeté les autres demandes.

LA COUR,

Vu les appels interjetés de cette décision, le 11 juin 1998, par la société Abilog, aux droits de laquelle se trouve la société Alten SI, et le 28 septembre 1998, par Monsieur Patrick Merle ;

Vu les dernières conclusions du 26 octobre 2000 par lesquelles la société Alten SI :

- conteste les griefs de concurrence déloyale formulés tant au titre du débauchage de personnel qu'au titre du détournement de clientèle, faisant valoir, sur le débauchage, que les trois salariés de la société Pronix Ingénierie par elle embauchés n'étaient pas liés par une clause de non-concurrence en vigueur et que cette embauche n'a pas déstabilisé ladite société et prétendant que les clients n'ont pas été détournés,

- soutient que le préjudice invoqué est inexistant ou, à tout le moins, non démontré,

- demande en conséquence à la cour :

* d'infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,

* de condamner la société Pronix Ingénierie à lui payer la somme de 1 000 000 F de dommages-intérêts en réparation du préjudice que celle-ci lui a causé par ses interventions intempestives qu'elle qualifie d'agissements de concurrence déloyale,

* de lui allouer la somme de 100 000 F hors taxes au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions du 25 octobre 2000 par lesquelles la société Pronix Ingénierie, réfutant l'argumentation de la société Alten SI, maintient ses griefs à l'encontre de cette dernière et, invoquant la désorganisation de son entreprise et le détournement de sa clientèle, sollicite la confirmation de la décision déférée, sauf sur le montant des dommages-intérêts qu'elle demande à la Cour de porter :

- à l'encontre de la société Abilog (Alten SI) aux sommes de 1 350 000 F au titre du préjudice financier et 50 000 F au titre du préjudice moral,

- à l'encontre de Patrick Merle aux sommes de 226 939 F au titre du préjudice matériel et 50 000 F au titre du préjudice moral, sollicitant également le rejet des demandes d'indemnités pour défaut de préavis et pour procédure abusive formées par Patrick Merle à son encontre, et réclamant la condamnation de celui-ci et de la société Abilog lui verser, chacun, la somme de 50 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions du 9 novembre 2000 par lesquelles Patrick Merle, pour contester les actes de concurrence déloyale qui lui sont reprochés fait valoir :

* qu'il n'est entré au service de la société Abilog qu'après avoir exercé ses activités en qualité de travailleur indépendant, de janvier 1997 à octobre 1997, et après que la mission qu'il effectuait à ce titre, pour le compte de la société Pronix Ingénierie, au sein du CNET se soit achevée, le 8 octobre 1997, ensuite de la rupture de son contrat d'assistant technique,

* que la clause de non-concurrence qui lui est opposée n'est pas valable, sa durée étant disproportionnée à celle du contrat d'assistance technique qui n'a d'ailleurs pas été mené à son terme,

* que la société Pronix Ingénierie a mis fin à ce contrat d'assistance technique sans respecter le préavis d'un mois contractuellement prévu,

et demande en conséquence à la cour de :

* infirmer la décision entreprise et celle rectificative du 4 décembre 1998,

* condamner la société Pronix Ingénierie à lui payer les sommes de :

- 58 500 F à titre d'indemnité de préavis,

- 20 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,

- 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur quoi,

Sur les actes de concurrence déloyale commis par la société Abilog :

Considérant que la société Pronix Ingénierie reproche à la société Abilog d'avoir, au moyen de manœuvres déloyales, débauché partie de son personnel et détourné plusieurs de ses clients, désorganisant ainsi gravement son entreprise ;

Considérant que pour contester ces griefs, la société Abilog soutient que le personnel concerné était libre de tout engagement ou a déclaré l'être et qu'elle ignorait le différend opposant Monsieur Maman à son ancien employeur en raison d'un protocole d'accord dont les termes lui ont été communiqués ; qu'elle ajoute, s'agissant de Monsieur Cholin, que la clause de non-concurrence inscrite à son contrat de travail n'a pas pris effet, l'intéressé ayant démissionné avant l'expiration de la période d'essai ; que s'agissant du prétendu détournement de clientèle, elle soutient que les pièces versées aux débats ne permettent nullement d'en conclure que la société Pronix Ingénierie ne continue pas de travailler avec ceux des clients qu'elle prétend avoir perdu ;

Considérant, ainsi qu'il résulte des pièces versées aux débats, que Messieurs Maman, Bijaoui, Merle et Cholin ont rejoint la société Abilog alors qu'ils étaient tenus par les termes d'une clause de non-concurrence à l'égard de leur ancien employeur ;

Que la société Abilog, en sa qualité de professionnelle avisée, avait l'obligation de s'assurer que les personnes qu'elle embauchait étaient libres de tout engagement à l'égard de leur précédent employeur, ne serait-ce qu'en se faisant remettre leur ancien contrat de travail ; qu'elle ne peut donc valablement prétendre qu'elle n'aurait commis aucune faute en se contentant des déclarations qui lui ont été faites par ceux qu'elle a employés ;

Qu'elle ne pouvait davantage s'estimer fondée à ne pas prendre en considération lesdites clauses dont il n'est nullement démontré qu'elles ne seraient, manifestement pas valables; qu'il convient en effet de relever sur ce point que les clauses critiquées sont toutes limitées à une durée d'un an et aux différents départements de l'Ile de France, que celles qui s'imposent à Messieurs Cholin et Merle ne concernent de surcroît que la clientèle en contact de laquelle ils se sont trouvés lors des activités qu'ils ont déployées pour le compte de leur ancien employeur, que ce soit à titre salarié ou en qualité de travailleur indépendant ; que le caractère disproportionné de ces clauses au regard de la nature des contrats passés et des activités concernées n'est pas établi et ne résulte d'aucune pièce du dossier, n'étant pas, par ailleurs, démontré qu'en raison précisément de la nature des activités que les intéressés auraient été privés de la faculté d'exploiter leur compétence professionnelle dans des conditions satisfaisantes ; qu'il importe peu que Monsieur Cholin ait donné sa démission au cours de la période d'essai puisqu'il est manifeste que cette démission avait pour objet de lui permettre de rejoindre la société Abilog ; que s'agissant de Monsieur Merle, la seule mission que lui a confié la société Pronix Ingénierie au sein du CNET en septembre 1997, suffisait à interdire à la société Abilog de le faire travailler sur le même chantier ;

Considérant qu'il convient également de relever que la société Abilog s'est livrée à des actes de débauchage, comme en attestent les trois témoignages concordants de Messieurs Guest, Beaufils et Libert, lesquels déclarent, de façon formelle, avoir été démarchés par Monsieur Maman afin de rejoindre également la société Abilog ;

Que cet ensemble d'éléments suffit à caractériser le grief de concurrence déloyale, l'embauche des personnes susvisées au mépris de clauses, par lesquelles la société Pronix Ingeniérie pouvait légitimement penser se prémunir des effets néfastes d'une concurrence incontrôlée, n'a pu avoir pour effet que de désorganiser l'entreprise et de faciliter par des moyens illicites un transfert partiel de clientèle tant en raison du non respect de la zone géographique qu'en raison du non respect de l'interdiction de travailler pour les mêmes clients ;

Qu'il importe peu, dès lors, que les faits dénoncés ne soient pas établis à l'encontre de Messieurs Henriot et Desveaux ;

Que les premiers juges ont fait une exacte appréciation des données du litige en retenant le grief de concurrence déloyale à l'encontre de la société Abilog et en condamnant celle-ci au paiement d'une somme de 400 000 F de dommages-intérêts, laquelle répare l'entier préjudice subi par la société Pronix Ingénierie ;

Sur les actes de concurrence déloyale commis par Monsieur Merle :

Considérant, s'agissant de Monsieur Patrick Merle, que la société Pronix Ingénierie ne peut lui opposer que la clause de non-concurrence inscrite au contrat d'assistance technique du 11 septembre 1997, pour une mission au CNET, laquelle clause énonce : " Le partenaire s'interdit de démarcher ou de traiter directement ou indirectement avec le client pendant toute la durée de la mission, sauf convention écrite entre Pronix Ingénierie et le partenaire. Le non respect de cette clause entraîne un dédommagement pour Pronix Ingénierie fixé au montant total des factures perçues par le partenaire pour ladite mission " ;

Qu'il n'est nullement démontré, comme il l'a été précédemment indiqué,Que cette clause, limitée dans le temps et au client concerné, serait disproportionnée par rapport à la nature du contrat d'assistance technique qui a été passé; que celle-ci doit trouver application quand bien même il aurait été mis fin prématurément à la mission ;

Considérant, ainsi que le relève à juste titre le tribunal, qu'un constat d'huissier dressé par Me Venezia, le 4 février 1998, établit que Monsieur Merle travaillait dans les locaux du CNET, à cette date et depuis près de deux mois, au titre d'un contrat SSII passé avec la société Abilog; que ce seul fait suffit à caractériser la violation de la clause de non-concurrence dont s'est rendu coupable Patrick Merle à l'égard de la société Pronix Ingénierie;

Que cette dernière n'est toutefois fondée à solliciter paiement de dommages-intérêts que dans les limites de ses prévisions contractuelles, c'est-à-dire à concurrence de la somme de 41 925 F, montant total des factures perçues par le partenaire dans le cadre de sa mission, ladite clause, qui prévoit toute concurrence directe ou indirecte, s'appliquant, que l'intéressé poursuive ses activités à titre indépendant ou par l'intermédiaire d'une société qui l'aurait, comme en l'espèce, embauché en qualité de salarié ;

Que la société Pronix Ingénierie ne peut, en revanche, valablement prétendre, à titre personnel, au paiement de dommages-intérêts résultant du non respect d'une clause de non-concurrence souscrite par Monsieur Merle à raison de missions qui lui ont été confiées par les sociétés OR Technique et Soft Technique, entités juridiques distinctes même si le capital en est détenu pour une part importante par la société Pronix Ingénierie ;

Considérant, s'agissant de la demande reconventionnelle de Monsieur Merle, qu'il est constant que la société Pronix Ingénierie a mis fin prématurément à la mission qu'elle lui avait confiée, le 8 octobre 1997 ; qu'en vertu des stipulations du contrat d'assistance du 11 septembre 1997, faisant la loi des parties, la société Pronix Ingénierie devait observer un préavis d'un mois, quelle que soit la cause de cette rupture, y compris pour cause d'inaptitude du partenaire ; que Patrick Michel est bien fondé de solliciter paiement à ce titre de la somme de 58 500 F, laquelle ne fait l'objet, en son montant, d'aucune contestation;

Qu'après compensation, la société Pronix Ingénierie doit être condamnée à payer à Monsieur Merle la somme de 16 575 F ;

Sur les autres demandes :

Considérant que la solution du litige commande le rejet des demandes de dommages-intérêts formées par la société Abilog et Monsieur Merle pour procédure abusive ou intempestive ;

Considérant qu'il n'apparaît pas contraire à l'équité de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles en cause d'appel ;

Que les dépens d'appel doivent être mis à la charge de la société Abilog, sauf pour la part afférente à l'appel de Monsieur Patrick Merle pour laquelle celui-ci et la société Pronix Ingénierie conserveront la charge des dépens qu'ils ont engagés.

Par ces motifs, Confirme la décision entreprise, sauf sur les condamnations prononcées à l'encontre de Monsieur Patrick Merle et de la société Pronix Ingénierie ; La réformant pour le surplus, Condamne Monsieur Patrick Merle à payer à la société Pronix Ingénierie la somme de 41 925 F à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale ; Condamne la société Pronix Ingénierie à payer à Monsieur Merle la somme de 58 500 F à titre de dommages-intérêts pour défaut de préavis ; Après compensation de ces deux condamnations, Condamne la société Pronix Ingénierie à payer à Monsieur Patrick Merle la somme de 16 575 F ; Rejette toute autre demande ; Met les dépens d'appel à la charge de la société Alten SI, sauf pour la part afférente à l'appel formé par Monsieur Patrick Merle, Patrick Merle et la société Pronix Ingénierie gardant pour cette part la charge de leurs propres dépens ; Dit que ces dépens pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.