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Décisions

CA Douai, ch. soc., 31 mars 1995, n° 93-01353

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Etablissements Gérard Catteau (Sté)

Défendeur :

Alloucherie, Seil Imprim (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tredez

Conseillers :

MM. Morel, Levy

Avocats :

Mes Segard, Meurice, Despieghelaere.

Cons. prudh. Lannoy, sect. encadr., du 1…

16 décembre 1992

1) FAITS ET PROCEDURE

Suivant jugement du 16 décembre 1992, auquel il est renvoyé pour l'exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, le conseil de prud'hommes de Lannoy, section de l'encadrement, a condamné M. Alloucherie, dont les demandes reconventionnelles ont été déclarées mal fondées, à verser aux Etablissements Catteau son ancien employeur, 50 000 F de dommages-intérêts pour inobservation d'une clause de non-concurrence.

Déboutés du surplus de leurs réclamations les Etablissements Catteau ont relevé appel de ce jugement.

Ils demandent devant la cour la condamnation de l'intimé à leur régler 200 000 F de dommages-intérêts pour violation d'une clause de non-concurrence, et 10 000 F d'indemnité en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Ils demandent aussi la condamnation de M. Alloucherie à leur rembourser la somme de 66 934 F perçue " au titre de la contrepartie " de la clause invoquée.

Ils allèguent en appui que l'intimé, embauché le 1er décembre 1982 comme représentant avec pour tâche " le démarchage à domicile en vue de la diffusion de cartes de visite ", a démissionné de son poste le 14 janvier 1991, qu'à cette occasion, il a sollicité d'être " relevé " d'une clause de non-concurrence lui interdisant d'exercer des " activités commerciales similaires pour tout autre établissement ou société " ou " pour son propre compte même à titre de simple conseiller ", dans " un rayon de cents kilomètres autour du siège de signature du contrat ", Marcq-en-Baroeul, pendant " une durée de deux années ", qu'ils ont refusé de " libérer " leur salarié de cette disposition conventionnelle dont la validité ne peut être entachée par l'insertion d'une pénalité permettant au défendeur de " s'affranchir " de son obligation " sans susciter une procédure judiciaire ", que M. Alloucherie, qui a alors perçu la contrepartie pécuniaire stipulée à son profit, a commis dès son départ de l'entreprise des violations répétées et délibérées de la clause invoquée, après être passé au service d'une concurrente, la société Seil Imprim, et que les actes déloyaux reprochés dont la réalité est démontrée au moyen [de] " pièces et témoignages versés aux débats " ont entraîné un préjudice considérable révélé par une forte diminution du chiffre d'affaires.

M. Alloucherie forme un appel incident.

Il demande devant la cour l'annulation de la clause litigieuse, le débouté de l'ensemble des réclamations de M. Gérard Catteau " exploitant sous la dénomination Etablissements Catteau ", et la condamnation de celui-ci à lui régler 120 000 F de dommages-intérêts pour maintien à son " préjudice " d'une clause de non-concurrence " nulle et de nul effet " et 7 500 F d'indemnité au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Il demande " à titre infiniment subsidiaire " la condamnation de M. Gérard Catteau, Etablissements Catteau à lui payer " 23 166 F au titre du solde de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence ",

Il avance en soutien " qu'il est de principe constant " qu'une clause de non-concurrence " est stipulée en faveur de l'entreprise ", qu'en l'espèce, la disposition invoquée lui ouvrait la faculté " de racheter " l'interdiction mise à sa charge, que son objet ainsi indéterminé, l'entachait " incontestablement " de nullité, qu'elle créait en outre envers lui " un engagement financier à la seule discrétion de l'employeur " tout aussi nul, et qu'au surplus l'appelant " n'a à aucun moment apporté la preuve d'une intervention quelconque " de sa part " dans le secteur protégé durant le temps " prévu.

La société Seil Imprim, employeur de M. Alloucherie à partir de la mi-janvier 1991, déclare intervenir volontairement dans l'instance, " par application de l'article 554 du nouveau code de procédure civile ".

Elle demande à la cour de " constater l'absence de validité de la clause de non-concurrence " invoquée par M. Gérard Catteau, Etablissements Catteau, et " l'absence " de toute " concurrence déloyale " de sa part à l'égard de l'appelant.

Elle expose en appui de la recevabilité de son intervention, qu'une instance est pendante entre elle et M. Gérard Catteau Etablissements Catteau, devant la chambre commerciale de cette Cour et qu'elle a " intérêt à faire valoir ses observations " devant la chambre sociale de la Cour " dans la mesure où la violation de la clause de non-concurrence est au centre du débat " dans les deux procès.

Elle reprend sur le fond pour contester la validité de la clause de non-concurrence litigieuse, l'argumentation soutenue par l'intimé.

Elle soutient par ailleurs qu'elle n'a commis aucun acte de concurrence déloyale à l'égard de M. Gérard Catteau Etablissements Catteau par " débauchage " et " démarchage de clientèle ", et que la condamnation au versement d'une somme de 100 000 F de dommages-intérêts prononcée à sa charge par le tribunal de commerce de Lille le 6 avril 1993, décision soumise à la censure de la chambre commerciale de cette Cour, est dépourvue de tout fondement.

2) DECISION

Attendu qu'une clause de non-concurrence insérée dans un contrat de travail pour protéger les intérêts légitimes de l'employeur, est valable à la condition de ne pas porter gravement atteinte à la liberté du travail, en raison de son étendue dans le temps et dans l'espace et de la nature de l'activité du salarié, compte tenu sur ce point de la formation, de l'expérience et des connaissances professionnelles de celui-ci ;

Attendu qu'en l'espèce que le 13 mai 1987, a été rédigé à Marcq-en-Baroeuil un document intitulé " additif du contrat de travail de M. Alloucherie ", énonçant que celui-ci s'engageait " au cas où il devrait quitter les Etablissements Catteau, à ne pas exercer d'activités similaires pour tout autre établissement ou société ni pour son propre compte, même à titre de simple conseiller " pendant " une durée de deux années " et " dans un rayon de cent kilomètres autour du siège de signature du contrat " ;

Qu'il n'est pas contesté que l'entreprise de l'appelant a pour objet la vente de certains produits d'imprimerie ;

Que l'intimé, eu égard à la nature de sa profession de représentant, ne pouvait subir d'empêchement sérieux en raison de cette clause, à l'occupation d'un nouvel emploi dans un des très nombreux autres secteurs de l'industrie ou du commerce de la région concernée, elle-même géographiquement fort circonscrite ;

Attendu que l'insertion dans l'acte du 13 mai 1987, d'une stipulation aux termes de laquelle M. Alloucherie pouvait " racheter l'interdiction " à sa charge en versant " aux Etablissements Catteau le montant de ses douze mois de salaires perçus ou le montant moyen des derniers salaires multiplié par douze ", ne modifie pas la nature de la clause litigieuse, qui reste dans l'économie de la convention une clause de non-concurrence assortie d'une clause pénale;

Qu'à cet égard, il convient de se référer à l'article 1156 du code civil qui dispose qu'on doit " rechercher la commune intention des parties contractantes plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes " ;

Qu'il convient de dire valable la clause litigieuse;

Attendu qu'il résulte d'attestations précises et dont la véracité n'est l'objet d'aucune réfutation motivée, que M. Alloucherie entré au service de la société Seil Imprim, a effectivement dirigé des actions de vente portant sur des articles identiques à ceux proposés par l'appelant, dans la zone concernée par la clause de non-concurrence et pendant la période de deux années d'application de celle-ci (attestations, notamment de M. Depienne, ancien vendeur-prospecteur de la société Seil Imprim de mai à août 1991 et de M. Van Hoecke, personne domiciliée à Lille, démarchée par l'intimé) ;

Que la réalité des manquements à son obligation de non-concurrence, reprochés à M. Alloucherie, se trouve ainsi établie ;

Attendu que la cour a des éléments suffisants pour fixer, comme l'ont déjà décidé les premiers juges, à 50 000 F le préjudice éprouvé par M. Gérard Catteau, Etablissements Catteau, à la suite de l'inobservation par M. Alloucherie de la clause de non-concurrence invoquée ;

Attendu que le non-respect par M. Alloucherie de la clause de non-concurrence a emporté pour lui la perte de tout droit à indemnité compensatrice;

Qu'il a cependant reçu de l'appelant, à ce titre la somme de 66 934 F ;

Qu'il convient de le condamner à rembourser ce montant, à M. Gérard Catteau Etablissements Catteau, avec les intérêts légaux calculés à compter du 16 décembre 1992;

Attendu que le grief de violation de la clause de non-concurrence, exprimé à l'encontre de M. Alloucherie, est justifié ;

Qu'il y a lieu dès lors de débouter celui-ci de sa demande reconventionnelle de 120 000 F de dommages-intérêts pour exigibilité d'exécution d'une clause non valable, et de sa réclamation subsidiaire de 23 166 F pour solde de contrepartie financière :

Sur les demandes d'indemnité au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile formulées par les parties :

Attendu qu'il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge des parties les frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;

Qu'il convient de les débouter de leur demande respective formulée pour l'ensemble de la procédure au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Attendu qu'aux termes de l'article 554 du nouveau code de procédure civile, " peuvent intervenir en cause d'appel dès lors qu'elles y ont intérêt les personnes qui n'ont été ni parties ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité " ;

Qu'en l'espèce, le litige commercial opposant M. Gérard Catteau Etablissements Catteau, et la société Seil Imprim, a pour objet de déterminer s'il existe au non des actes de concurrence déloyale entre ces deux entreprises ;

Que le litige dont est saisi la chambre sociale est un différend s'élevant à l'occasion d'un contrat de travail ;

Que la société Seil Imprim ne justifie d'aucun droit propre, distinct de celui de M. Alloucherie ;

Qu'il y a lieu de déclarer irrecevable son intervention ;

Par ces motifs : Dit M. Gérard Catteau Etablissements Catteau partiellement fondé en son appel, et M. Alloucherie mal fondé en son appel incident ; Dit valable la clause de non-concurrence litigieuse ; Confirme la condamnation au versement d'une somme de 50 000 F (cinquante mille francs) de dommages-intérêts pour violation d'une clause de non-concurrence prononcée par le conseil de prud'hommes de Lannoy à la charge de l'intimé ; Condamne par ailleurs M. Alloucherie à rembourser à M. Gérard Catteau la somme de 66 934 F (soixante six mille neuf cent trente quatre francs) avec les intérêts légaux calculés à compter du 16 décembre 1992 ; Déboute M. Catteau du surplus de ses réclamations, indemnité au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile comprise ; Déboute M. Alloucherie de l'intégralité de ses demandes ; Dit irrecevable l'intervention dans l'instance d'appel de la société Seil Imprim ; Condamne M. Alloucherie aux dépens de première instance et d'appel ; Laisse cependant à la charge de la société Seil Imprim ses éventuels frais d'intervention.