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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 6 septembre 2000, n° 1998-11194

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Calvados (CRCAM)

Défendeur :

CEFIC (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachacinski, Mme Magueur

Avoués :

SCP Monin, SCP Roblin Chaix de Lavarene

Avocats :

Me Boudin, SCP Vogel, Me Touboul.

T. com. Paris, 15e ch., du 27 févr. 1998

27 février 1998

La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Calvados (CRCAM) est propriétaire d'un local d'une superficie de 175 m2, situé dans le centre commercial Supermonde à Mondeville, localité proche de la ville de Caen, et construit, dans les années 1970, à l'initiative de l'hypermarché "Continent".

Dans le courant de l'année 1992, la société CEFIC, promoteur, a soumis à autorisation administrative le projet de création d'un nouveau centre commercial, Mondeville 2, situé de l'autre côté de la route nationale, d'une surface de vente supérieure à 53.000 m2.

L'autorisation, refusée par décision du 24 avril 1992 de la commission départementale d'urbanisme commercial (CDUC) du Calvados, a finalement été délivrée, sur recours, par le ministre délégué au Commerce et à l'Artisanat, le 25 novembre 1992.

Le centre commercial Mondeville 2 a été inauguré le 27 juin 1995.

Reprochant à la société CEFIC des manœuvres déloyales et un détournement de clientèle, la CRCAM du Calvados a saisi le Tribunal de commerce de Paris d'une action en concurrence déloyale et sollicité l'octroi de dommages-intérêts en réparation du préjudice dont elle s'estime victime.

Par jugement du 27 février 1998, le tribunal de commerce de Paris a débouté la CRCAM du Calvados de toutes ses demandes.

LA COUR,

Vu l'appel interjeté de cette décision, le 23 mars 1998, par la CRCAM du Calvados ;

Vu les conclusions signifiées le 29 mai 2000 aux termes desquelles la CRCAM du Calvados prétend que la société CEFIC :

- n'a pas respecté les termes de la décision du 25 novembre 1992 et les engagements qu'elle a souscrits à cette occasion, lesquels, selon elle, consistaient à transférer le centre Supermonde dans le centre nouvellement créé,

- l'a injustement exclue de toute proposition ou de transfert, procédant ainsi à une discrimination entre les copropriétaires du centre Supermonde,

- s'est livrée à des actes de concurrence déloyale en débauchant les "locataires" du centre Supermonde et en détournant ainsi la clientèle de ce même centre pour se l'approprier à moindre frais,

- a violé les termes du règlement de copropriété en ne maintenant pas ouverts les locaux par elle acquis au sein du centre Supermonde,

et demande en conséquence à la Cour :

- d'infirmer la décision entreprise et de déclarer que la société CEFIC, par son comportement fautif, a engagé sa responsabilité à son égard,

- de condamner la société CEFIC à lui payer la somme de 1.100.000 F à titre de dommages-intérêts pour le préjudice qui lui a été causé, et ce, avec intérêts au taux légal à compter de la demande,

- de lui allouer la somme de 50.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les conclusions du 29 mai 2000 par lesquelles la société CEFIC, réfutant l'argumentation développée par la CRCAM du Calvados et contestant les griefs qui lui sont reprochés sollicite la confirmation de la décision déférée et demande paiement d'une somme de 30.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour ses frais irrépétibles en cause d'appel ;

Sur quoi,

SUR LA VIOLATION DE SES ENGAGEMENTS PAR LA SOCIETE CEFIC :

Considérant que l'article 1er de la loi du 27 décembre 1973, dite loi Royer, énonce que :

"les pouvoirs publics veillent à ce que l'essor du commerce et de l'artisanat permette l'expansion de toutes les formes d'entreprises, indépendantes, groupées ou intégrées, en évitant qu'une croissance désordonnée des formes nouvelles de distribution ne provoque l'écrasement de la petite entreprise et le gaspillage des équipements commerciaux et ne soit pas préjudiciable à l'emploi";

Considérant que par décision du 25 novembre 1992, le ministre délégué au Commerce et à l'Artisanat a accordé è la société CEFIC, promoteur, agissant pour le compte des SCI Hypermonde, Equina, Persona, Loisirs 14, Desjardin, Etoile, Nouveau Monde, GM 14, GM 22, Maison de la Campagne et Auto 14, l'autorisation préalable requise par les dispositions de la loi du 25 décembre 1973 en vue de la création, à Mondeville, d'un centre commercial de 53.500 m2, dont :

- pour le compte de la SCI Hypermonde, un hypermarché Continent de 12.000 m2 et une station essence de 500 m2,

- pour le compte des SCI Equina Persona, Loisirs 14, Desjardin, Etoile, Nouveau Monde et Maison de la Campagne, les moyennes surfaces But Conforama et autres surfaces dénommées par leurs activités,

- pour le compte de la SCI Auto 14, un centre auto de 1.500 m2,

- pour le compte des SCI GM 14 et GM 22, une galerie marchande de 6.000 m2,

- ainsi que des activités de restauration et de services sur 4.600 m2;

Considérant que si l'autorisation de création du nouveau centre a, effectivement, été accordée en considération d'un transfert d'activités de l'ancien centre vers la nouvelle structure qui allait s'opérer, il convient de souligner que ce transfert d'activité, comme le révèle la lecture du dossier déposé devant la CDUC, procédait de la volonté affirmée de certains commerçants, notamment du groupe Promodes, exploitant de l'hypermarché "Continent", de pouvoir exercer leurs activités au sein d'une structure répondant aux données du marché de l'époque et de l'évolution de la grande distribution, nécessitant une remise à niveau complète des installations, de profiter du projet de développement commercial, artisanal et tertiaire de la future zone d'activité de l'Etoile de la société CEFIC en participant à "une opération qui respecte le principe d'un développement contrôlé de l'urbanisme dont elle constitue un élément structurant majeur", de pallier l'obsolescence d'un centre qui, créé en 1970, ne permettait plus de répondre aux besoins mêmes du public, à tout le moins sans engager des investissements financiers particulièrement importants ;

Que si, sensible à l'argumentation développée devant lui quant aux avantages présentés par ce projet au regard de l'essor économique de la région, le ministre délégué au Commerce et à l'Artisanat a accordé l'autorisation requise, aucun terme de sa décision n'impose à la charge de la CEFIC d'obligations de procéder au transfert intégral du centre Supermonde au sein de la nouvelle structure, ni ne subordonne l'autorisation de la création de ce centre à la réalisation d'un tel transfert ;

Qu'une telle obligation ne résulte pas davantage des dispositions légales, la notion de transfert d'un ancien centre vers un nouveau n'ayant été insérée dans la loi du 27 décembre 1973 qu'en 1996, soit quatre ans plus tard, avec l'adoption de la loi n° 96.603 du 5 juillet 1996 ;

Que la mention portée au dossier de présentation du projet devant la CDUC selon laquelle "les locaux seront offerts aux propriétaires des murs de boutiques implantées actuellement dans le centre commercial Supermonde, en échange de leurs droits immobiliers existants", n'emportait nullement, pour la CEFIC, mandataire des SCI agissantes, l'obligation de formuler une offre précise et chiffrée auprès de chacune des personnes intéressées ;

Que bien que la législation en vigueur à l'époque ne prévoyait pas d'obligation de reprise des locaux abandonnés, il apparaît que la société CEFIC a pris des mesures pour faciliter le transfert des activités commerciales concernées en contractant individuellement avec les commerçants et propriétaires, membres des associations de défense constituées à cette occasion, qui en avaient manifesté le souhait et l'avait soutenue dans la réalisation du projet ;

SUR LES PRATIQUES DISCRIMINATOIRES :

Considérant que la CRCAM du Calvados prétend la CEFIC a eu un comportement discriminatoire en réservant l'entrée dans le nouveau centre aux seuls copropriétaires qui ont accepté de signer l'accord intitulé "Protocole d'échange sous conditions suspensives", d'avril 1992, dont les conditions n'étaient, selon elle, pas acceptables puisqu'elle substituait au droit de propriété un droit d'associé d'une SCI au sein de laquelle elle était nécessairement minoritaire, et en l'excluant des nouvelles propositions d'indemnisation faites sous forme d'un rachat pur et simple des locaux, après abandon de ce protocole ;

Mais considérant, ainsi qu'il résulte d'une attestation de Monsieur Jean Pichon, président de l'Association de défense des copropriétaires de la galerie marchande du centre commercial Supermonde, confortée par celle de Monsieur Lionel Beaudu, président du GIE des commerçants du centre, que les négociations ont été entreprises à l'initiative de l'Association de défense et non par la CEFIC elle-même ;

Qu'il résulte de la lettre de l'Association de défense du 14 avril 1992, qu'outre le fait qu'elle était assistée d'un avocat pour mener les négociations, 11 des 17 copropriétaires concernés ont donné une réponse favorable au protocole d'échange, 4 réservant leur opinion;

Que par lettre du 12 septembre 1995, le président de l'Association de défense, Monsieur Pichon, s'adressait en ces termes à la CRCAM du Calvados :

" Nous répondons à votre courrier du 23 août dernier pour vous rappeler que c'est en 1992 qu'un accorda été signé entre la CEFIC et les co-propriétaires en ayant accepté les termes.

A cette époque, une minorité de co-propriétaires (dont vous faisiez partie) a jugé bon, pour des motifs appartenant à chacun, de ne point y souscrire.

Ces faits ont été largement débattus au cours des Assemblées Générales de 1992 et 1993 ou vous étiez représentée, ainsi qu'à l'Assemblée du 14 novembre 1994 où vous ne l'étiez pas... ; "

Considérant que ces éléments concordants suffisent à établir que le projet initial a été, très majoritairement, accepté par les co-propriétaires concernés et que le refus opposé par la CRCAM du Calvados procède d'un choix délibéré qui n'appartient qu'à elle-même ;

Que la CRCAM du Calvados, qui en refusant les termes du protocole d'échange s'est volontairement exclue de ce projet de création et n'a apporté aucun soutient à la CEFIC dans la réalisation de celui-ci, est mal fondée de prétendre avoir fait l'objet de discrimination ;

Qu'elle ne saurait tenir grief à la CEFIC d'avoir réservé, dans le cadre de l'exécution du protocole d'échange signé en 1992, ses propositions d'acquisition pure et simple des locaux, à ceux des co-propriétaires qui avaient soutenu le projet et manifesté ainsi leur intérêt pour la création du nouveau Centre en y participant activement, et de n'avoir pas donné suite à la demande de rachat qu'elle a formulée, le 9 juin 1995 ;

Que la preuve des pratiques discriminatoires invoquées n'est pas rapportée ;

SUR LES AUTRES PRATIQUES DE CONCURRENCE DELOYALE :

Considérant que la CRCAM du Calvados ne démontre pas que la société CEFIC aurait usé de manœuvres déloyales ni de moyens illicites pour inciter les locataires à rejoindre le nouveau centre ;que s'agissant d'une opération régulièrement autorisée comme étant conforme aux dispositions de la loi de 1973 et aux intérêts économiques de la région, imposée par l'évolution du marché, la société CEFIC ne peut valablement se voir reprocher un quelconque "débauchage" déloyal de la clientèle des locataires ni la recherche d'un soutien de copropriétaires du centre Supermonde pour la présentation dudit projet, lequel soutien procède de la nature même d'une telle opération ; que l'existence d'une faute, à l'encontre de la CEFIC, n'est pas démontrée ;

SUR LE NON-RESPECT DU REGLEMENT DE COPROPRIETE REGISSANT LE CENTRE SUPERMONDE :

Considérant que la CRCAM reproche également, devant la Cour, à la société CEFIC, pris en sa qualité de copropriétaire du centre Supermonde, d'avoir méconnu les obligations qui résultent du règlement de copropriété du 20 octobre 1969, modifiée le 9 septembre 1970, à valeur contractuelle, lequel dispose, en son article 9 m) : "sauf cas de force majeure, chaque copropriétaire du centre commercial doit tenir par lui-même ou par son locataire son magasin constamment approvisionné et exploité", et de lui avoir ainsi causé un trouble de jouissance ; que la fermeture des locaux dont la CEFIC s'est rendue propriétaire au sein du centre Supermonde à raison de l'ouverture du nouveau centre, ne peut, selon elle, s'effectuer sans violer les dispositions du règlement de copropriété ; qu'elle ajoute que la destination commerciale du centre contraignait la CEFIC à maintenir l'activité commerciale dans les locaux lui appartenant ;

Considérant que si ce moyen, nouveau devant la Cour, est recevable en ce qu'il tend à dénoncer, de la part de la société CEFIC, un comportement jugé fautif, qui serait à l'origine du préjudice économique subi, invoqué en première instance et dont la réparation est poursuivie depuis l'acte introductif d'instance, force est de constater, comme le souligne à juste titre la société intimée, que ce moyen est inopérant, le transfert d'activité, engendré par le départ de l'hypermarché et d'autres commerçants n'étant pas, en lui-même, fautif dès lors qu'il intervient dans le cadre de la création d'un nouveau centre régulièrement autorisé ;

Que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du règlement de copropriété est dépourvu de pertinence et doit donc être rejeté ;

SUR L'ARTICLE 700 DU NOUVEAU CODE DE PROCEDURE CIVILE :

Considérant qu'il convient de faire bénéficier la société CEFIC des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et de lui allouer une indemnité de 30.000 F pour ses frais irrépétibles en cause d'appel ; que la CRCAM du Calvados qui succombe doit être déboutée de la demande qu'elle a formée de ce chef ;

Par ces motifs, Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne la CRCAM du Calvados à payer à la société CEFIC la somme de 30.000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour ses frais irrépétibles en cause d'appel, Rejette toute autre demande, Condamne la CRCAM du Calvados aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.