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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. A, 12 mars 2002, n° 99-04643

MONTPELLIER

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Valais Sodespal (SA)

Défendeur :

Cev Sète (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Ottavy

Conseillers :

Mes Derdeyn, Bruyère

Avoués :

SCP Salvignol Guilhem Delsol, SCP Auche-Hedou, Auche

Avocats :

Mes Nassi, Porte.

T. com. Sete, du 3 sept. 1999

3 septembre 1999

FAITS ET PROCEDURE

La société Cev Sète qui fabrique des produits alimentaires surgelés, notamment des pizzas, des tielles et des feuilletés était en relation avec la société Sodespal qui distribuait une grande partie de ses produits.

Au cours de l'année 1997 les relations commerciales se sont détériorées et se sont rompues, après différentes tensions, en septembre 1998.

Arguant que la société Sodespal et la société Valais Production, société du groupe Sodespal, usurpaient son nom commercial sur des produits dits feuilletés, et que, par ailleurs, ces sociétés lui faisaient une concurrence déloyale en continuant à utiliser sur leurs emballages la photographie des tielles qu'elle fabriquait, la société Cev Sète saisissait le tribunal de commerce de Sète en réparation de ses préjudices, laquelle juridiction, a, par jugement en date du 3 septembre 1999 :

- débouté la société Cev Sète de ses demandes relatives à la concurrence déloyale,

- dit que la société Sodespal avait commercialisé des produits "feuilleté royal" et "feuilleté à la brandade" avec le code barre de la société Cev Sète,

- ordonné le retrait immédiat des produits "feuilleté royal et "feuilleté à la brandade" commercialisé par Sodespal sous le nom commercial de Cev Sète et ce sous astreinte de 10.000F par produit dont la présence en rayon serait constatée,

- ordonné la publication de la partie du dispositif du jugement relative à l'usurpation du nom commercial de la Cev Sète dans la revue dispositions de l'article 700 du professionnelle "Linéaire" "LSA", le quotidien régional "La Provence, Le Midi Libre, ce aux frais de la société Sodespal ,

- ordonné une expertise pour le surplus des demandes de la société Cev Sète concernant son préjudice du chef de l'usurpation du nom commercial,

- débouté les sociétés Sodespal paiement de dommages et intérêts,

- ordonné l'exécution du jugement,

- réservé les dépens et l'application nouveau code de procédure civile.

Le 28 septembre 1999 la société Sodespal a relevé appel de cette décision.

Au cours de la procédure la SA Valais Sodespal est venue aux droits de la société Sodespal .

L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 février 2002.

Par conclusions du 5 février 2002 la société Valais Sodespal a sollicité le rejet des écritures et d'une pièce notifiées et communiquées par la société Cev Sète le 30 janvier 2002.

DISCUSSION SUR LA PROCEDURE

Les conclusions notifiées le 30 janvier 2002 par la société Cev Sète, alors que la clôture était fixée au 7 février 2002, apparaissent comme tardives puisque la société Valais Sodespal ne pouvait y répondre avant la clôture.

Toutefois, contrairement à ce qu'affirme la société Valais Sodespal, ces conclusions ne contiennent aucun moyen nouveau puisque, en faisant référence à la notion de faute et de voie civile, la société Cev Sète n'utilisait qu'une métabole des moyens qu'elle avait développés depuis l'assignation, à savoir une demande en réparation d'un préjudice occasionné par des fautes, demande portée devant les juridictions civiles et non pas devant la juridiction pénale comme cela aurait pu être du fait de l'usurpation du nom commercial, infraction prévue et réprimée par le code de la consommation.

Dès lors qu'elles ne développent aucun moyen nouveau, les conclusions de la société Cev Sète notifiées le 30 janvier 2002 ne violent pas le principe du contradictoire et elles ne doivent donc pas être rejetées du débat.

De même, la communication le 30 janvier 2002 du compte rendu d'inspection du 18 août 1998 dressé par les services vétérinaires du Vaucluse dans l'établissement Sodespal /Valais Production, ne viole pas le principe de la contradiction puisque la société Valais Sodespal avait une parfaite connaissance de cette pièce dont la société Cev Sète avait, par ses conclusions du 13 septembre 2001, déjà fait état. En effet, force est de noter que ce compte rendu d'inspection a été directement adressé par les services vétérinaires à la société Sodespal, laquelle société l'a d'ailleurs versé dans une autre procédure l'opposant à la société Cev Sète comme cela résulte de l'arrêt de la Cour d'appel de Montpellier en date du 25juillet 2001 (19ème page - 2éme §), arrêt qui est une des pièces communiquées par chacune des parties et que, de surcroît, la société Valais Sodespal ne peut, sans mauvaise foi, ignorer qu'elle même vise dans ses conclusions du 15 novembre 2001 ce procès-verbal du 18 août 1998 comme étant une pièce dont elle entend se prévaloir (page 15 des conclusions - 6ème pièce).

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Il est expressément fait visa aux conclusions notifiées le 15 novembre 2001 par la société Valais Sodespal et le 30 janvier 2002 par la société Cev Sète.

La société Valais Sodespal demande à la Cour de réformer le jugement déféré en ce qu'il l'a condamnée pour usurpation du nom commercial, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Cev Sète de ses demandes relatives à la concurrence déloyale, en conséquence de débouter la société Cev Sète de l'ensemble de ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 50.000F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire et celle de 20.000F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

A l'appui de ses prétentions la société Valais Sodespal soutient que l'action en concurrence déloyale entreprise par la société Cev Sète est dépourvue de tout fondement juridique puisque ces deux sociétés ne sont pas en situation de concurrence, que même s'il était admis que les sociétés sont en concurrence, la société Sodespal n'a pas usurpé le nom commercial de la société Cev Sète, que, de plus, cette dernière société ne démontre l'existence d'aucun préjudice ayant pu résulter de cette soi-disant usurpation, et, qu'enfin, les photographies de tielles, figurant sur ses emballages, sont des photographies de sa propre production, outre que ces photographies qui ne représentent un produit courant, sans aucune originalité particulière, ne peuvent bénéficier d'aucune protection.

La société Cev Sète demande à la Cour de condamner la société Valais Sodespal à lui payer les sommes de 76.224 euros au titre de la réparation de l'usurpation du nom commercial et de 45.735 euros au titre de la concurrence déloyale faite par l'utilisation des photographies des tielles qu'elle fabrique, outre celle de 7.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Au soutien de ses demandes la société Cev Sète fait valoir que la société Valais Sodespal a utilisé, sans son accord, des codes barres lui appartenant sur des produits "feuilleté royal" et "feuilleté à la brandade" qu'il s'agit d'une usurpation du nom commercial qui lui a occasionné un préjudice.

Elle fait également valoir que la société Valais Sodespal a utilisé sur ses emballages la photographie des tielles qu'elle même fabrique afin de créer une confusion chez le consommateur en lui faisant croire que le produit restait identique.

DISCUSSION

Il convient tout d'abord de replacer le débat dans le cadre juridique qui est le sien, à savoir une action en responsabilité civile, à l'encontre de la société Valais Sodespal, fondée sur l'article 1382 du code civil, et de noter que, à l'appui de son action, la société Cev Sète soutient que deux fautes cumulatives auraient été commises par la société Valais Sodespal : une usurpation de son nom commercial et une concurrence déloyale par utilisation abusive de photographies de sa production de tielles. Ce n'est donc que par accourcissement, pour simplification, qu'il est mentionné action en usurpation du nom commercial et action en concurrence déloyale.

La société Cev Sète et la société Valais Sodespal agissent dans un même secteur économique qui les place en concurrence puisque l'une et l'autre fabriquent et vendent des produits alimentaires surgelés tels que, notamment, pizzas, tielles, beignets... et cela même si au début des relations entre elles, relations qui se sont depuis fortement détériorées, la première nommée écoulait une grande partie de sa production grâce au réseau de distribution de la seconde. Il est sur ce point sans influence, puisqu'il s'agit de deux personnes morales distinctes, de considérer que la première aurait été créée pour développer la seconde.

De surcroît, l'action en responsabilité civile suppose, seulement, que soient établis des faits fautifs générateurs d'un préjudice et il est indifférent que les sociétés Cev Sète et Valais Sodespal ait ou non la même clientèle.

SUR L'USURPATION DU NOM COMMERCIAL

La société Cev Sète soutient que la société Valais Sodespal a utilisé sans son accord son code barre sur des produits "feuilleté royal" et "feuilleté à la brandade" outre la fausse indication que la société Cev Sète était le fabriquant de ces produits.

La société Valais Sodespal affirme que la société Cev Sète lui a fourni son code barre pour tous les produits et qu'en réalité les produits feuilletés étaient des échantillons livrés par la société Cev Sète pour commercialisation.

Il résulte du constat de Me Grégori, huissier de justice à Lambesc, que le centre commercial Leclercq à Salon de Provence a bien courant 1997 et 1998 commercialisé des produits "feuilleté royal" et "feuilleté à la brandade" avec l'indication SA Cev Sète parc aquatechnique Sète (Hérault) et il s'induit des écritures de la société Valais Sodespal qu'elle reconnaît avoir utilisé sur les produits "feuilleté royal" et "feuilleté à la brandade" le code barre de la société Cev Sète puisqu'elle affirme que cette société l'avait autorisée à le faire.

Le fax du 20 janvier 1997 n'est que l'autorisation de la société Cev Sète d'utiliser son code barre pour des pizzas campagnardes Valais et pour des pizzas fruits de mer Valais. Cette autorisation limitée à deux produits ne peut être étendue comme le fait la société Valais Sodespal à l'ensemble des produits. Ce fax permet seulement de comprendre comment la société Valais Sodespal s'est trouvée en possession de ce code mais c'est abusivement qu'elle l'a utilisé pour des produits autres que ceux prévus.

Ne peuvent être retenues comme suffisamment probantes d'une autorisation, qui aurait été donnée par téléphone, les attestations des salariés de la société Valais Sodespal, d'ailleurs combattues par d'autres attestations de salariés de la société Cev Sète ou d'un ancien salarié licencié de la société Valais Sodespal.

Sur ce point il convient de faire litière de l'argument tiré de l'article 6 §1 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales présenté par la société Valais Sodespal, car le droit à un procès équitable vise l'obligation d'un tribunal indépendant et impartial mais non pas, comme tente de le faire accroire la société Valais Sodespal la nécessité absolue d'avoir des témoins ou attestants impartiaux, puisqu'il reste de l'office du juge de peser la valeur des témoignages ou des attestations.

La société Valais Sodespal a bien utilisé le code barre de la société Cev Sète sans autorisation pour des produits feuilleté royal et feuilleté à la brandade.

C'est vainement qu'elle soutient, pour les besoins de la cause, comme l'ont justement noté les premiers juges, qu'il s'agissait en réalité d'échantillons.

En effet, cette affirmation n'est nullement démontrée, l'attestation d'un salarié de la société Valais Sodespal, par ailleurs imprécise, ne peut être suffisante, ce d'autant qu'il s'induit des courriers de la société Sodespal des 1er septembre 1998 et 8 septembre 1998 que celle-ci ne connaissait pas les produits feuilletés en cause.

Cette usurpation du code barre de la société Cev Sète et l'utilisation abusive de son nom constituent des fautes engageant la responsabilité de la société Valais Sodespal.

Pour déterminer le montant du préjudice causé par ces agissements à la société Cev Sète les premiers juges ont ordonné une expertise aux frais avancés de la société Valais Sodespal qui n'a pas consigné.

La société Cev Sète fixe à la somme de 76.224 euros le préjudice subi du fait de l'usurpation du nom commercial.

L'usurpation de son nom a créé un préjudice à la société Cev Sète puisqu'elle se voyait associée à la vente de produits qu'elle n'avait pas fabriqué et qui pouvaient porter atteinte à son image commerciale.

Ce préjudice sera intégralement réparé par l'attribution d'une somme de 10000 euros et par les mesures de publicité ordonnées par le premier juge sans qu'il soit nécessaire de recourir à l'expertise.

SUR LA CONCURRENCE DELOYALE

La société Cev Sète soutient que la société Valais Sodespal a, en utilisant les photographies des tielles qu'elle fabrique, créé chez le consommateur une confusion et qu'il s'agit là d'un acte de concurrence déloyale.

La société Valais Sodespal soutient que les photographies qu'elle utilise sont celles de sa propre production et que la photographie de tielles, à défaut de signe distinctif, ne peut être protégée.

Il convient tout d'abord de noter, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté par les parties, que les photographies des tielles figurant sur les emballages sont quasi identiques sur les emballages Cev Sète et sur les emballages Valais Sodespal et qu'un consommateur normalement attentif ne peut les distinguer, même si, après étude, on peut constater que la pâte est plus brune sur les festons de la tielle Cev Sète que sur la tielle Valais Sodespal.

La tielle sétoise est traditionnellement une tourte ronde en pâte à pain dont le fond est remonté sur les bords en festons plus ou moins réguliers, la garniture d'encornet et de seiches aromatisés d'herbe de provence d'ail et d'oignon étant recouverte d'une croûte de pâte marquée au couteau.

La seule photographie de la tielle sétoise ne saurait être protégée si elle ne présente par ailleurs aucun trait d'originalité puisqu'il s'agit alors de la reproduction d'un plat traditionnel qui ne peut être approprié par quiconque.

Il n'est pas allégué, ni a fortiori démontré, par la société Cev Sète que la photographie de tielle qu'elle utilise aurait un élément distinctif de nature à la distinguer des photographies de tielles utilisées par d'autres producteurs, photographies versées au débat par la société Valais Sodespal.

C'est donc à juste titre que les premiers juges ont écarté les demandes faites de ce chef par la société Cev Sète.

C'est vainement, par ailleurs, que la société Cev Sète soutient, qu'en utilisant la même photographie de tielles qu'elle-même, la société Valais Sodespal aurait fait du parasitisme. En effet, la société Cev Sète ne démontre pas que la photographie utilisée par Valais Sodespal résulte d'investissements qu'elle même aurait faits.Au contraire, la société Valais Sodespal, bien qu'elle ne fournisse pas le négatif, justifie qu'elle a payé un photographe pour prendre les clichés qu'elle utilise.

De même, sur ce point, est sans influence le fait que la société Cev Sète ait dû investir dans une machine à découper les tielles puisqu'il n'est ni allégué, ni a fortiori démontré, que cet investissement aurait ensuite permis à la société Valais Sodespal de découper ses propres tielles en faisant l'économie d'une machine.

L'équité commande d'allouer une somme de 1250 euros la société Cev Sète.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, En la forme reçoit l'appel, Rejette comme mal fondées les conclusions de la société Valais Sodespal du 5 février 2002 tendant au rejet des conclusions du 30 janvier 2002 de la société Cev Sète et d'une pièce alors communiquée, Au fond, Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a ordonné une expertise, Déboute la société Cev Sète de sa demande d'expertise, Condamne la société Valais Sodespal à payer à la société Cev Sète la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts, Condamne la société Valais Sodespal à payer à la société Cev Sète la somme de 1250 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, Condamne la société Valais Sodespal aux entiers dépens de première instance et d'appel, Dit que ces derniers pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.