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Décisions

CA Angers, ch. com., 8 octobre 2001, n° 00-01523

ANGERS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société d'Etude de Recherches et de Fabrication (SA)

Défendeur :

Nort'On (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Guillanton

Conseillers :

Mme Lourmet, M. Mocaer

Avoués :

SCP Gontier-Langlois, SCP Chatteleyn, George

Avocats :

Mes Saunter, Pavet.

T. com. Le Mans, du 21 févr. 2000

21 février 2000

La société d'Etudes de Recherches et de Fabrication - SERF- est appelante du jugement du tribunal de commerce du Mans en date du 21 février 2000 qui a:

- constaté sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du code civil que la société SERF ne rapporte aucune preuve d'acte positif de concurrence fautive de la part de la SARL Nort'On au titre d'une prétendue copie servile des produits commercialisés ou du comportement commercial,

- constaté que la société SERF ne rapporte pas la preuve d'un quelconque préjudice,

- déclaré la société SERF tant irrecevable que mal fondée en son action dirigée à l'encontre de la SARL Nort'On ; débouté en conséquence la société SERF de toutes ses demandes fins et conclusions à l'encontre de la société Nort'On,

- débouté la SARL Nort'On de sa demande reconventionnelle tendant à voir interdire l'utilisation du terme "évolution" dans toute publicité ou documentation technique relatives aux prothèses,

- débouté la SARL Nort'On de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 100.000 F, celle-ci n'étant pas justifiée,

- condamné la société SERF à verser à la SARL Nort'On la somme de 20.000F en vertu des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- laissé à la charge de la société SERF les dépens.

Par conclusions déposées le 30 octobre 2000, elle demande à la Cour de:

- vu l'article 1382 du code civil,

- vu les articles 696, 699 et 700 du nouveau code de procédure civile,

- vu l'ensemble des pièces versées aux débats,

* déclarer l'appel par SERF du jugement du tribunal de commerce du Mans du 21 février 2000 recevable et bien fondé, réformer cette décision et, statuant à nouveau:

* dire et juger que Nort'On a commis des actes de concurrence déloyale en fabriquant, détenant et commercialisant des implants " E.OL + " qui constituent des copies serviles (par identité du système d'ancrage, des vis, du revêtement, du diamètre des cupules et de la convention de nomenclature) des implants "Novae" mis au point, produits et commercialisés par SERF,

* dire et juger que Nort'On a commis des actes de concurrence déloyale en se plaçant de manière parasitaire dans le sillage commercial de SERF par l'approche de la clientèle de cette dernière par d'anciens salariés, et par le plagiat de sa documentation commerciale,

* faire défense à Nort'On de récidiver, sous astreinte de 10.000 F par infraction constatée des la signification de l'arrêt à intervenir, la fabrication, la détention, l'offre à la vente ou la vente d'un seul article litigieux devant être considéré, au regard de la présente disposition, comme une infraction distincte, et se réserver la possibilité de liquider cette astreinte en cas de non respect de l'interdiction conformément à l'article 35 de la loi n° 91-850 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures d'exécution,

* condamner Nort'On à lui payer, en réparation du préjudice cause par les faits de dommages et intérêts une somme de 500.000 F, à parfaire le cas échéant,

* dire et juger que les condamnations porteront sur tous les faits de concurrence déloyale commis jusqu'au jour de l'arrêt à intervenir,

* ordonner la confiscation et la remise des articles litigieux se trouvant en la possession de Nort'On au jour de la décision à intervenir aux fins de destruction par devant huissier de justice, aux frais de cette dernière et sous astreinte de 10.000 F par jour de retard dès la signification de la décision à intervenir, et se réserver la possibilité de liquider sous astreinte cette astreinte en cas de non respect de l'interdiction conformément à l'article 35 de la loi n° 91 850 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures d'exécution,

* ordonner la publication par extraits de l'arrêt à intervenir dans trois journaux ou périodiques au choix de SERF, et aux frais de Nort'On, avancés sur simple devis ou facture proforma, à concurrence de30.000 F HT par insertion,

* condamner Nort'On aux entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers avec distraction au profit de la SCP Gontier-Langlois, avoués, sur ses offres de droit,

* condamner Nort'On au paiement d'une somme de 50.000 F au titre des frais exposés non compris dans les dépens.

Aux termes d'écritures déposées le 14 mars 2001, la société Nort'On conclut pour voir:

- confirmer le jugement entrepris sur la demande principale ainsi qu'en toutes ses dispositions non contraires à ses conclusions,

- recevant la société concluante en son appel incident et l'y déclarant fondée,

réformant parte in qua,

- faire interdiction à la société SERF d'utiliser la marque "Evolution" déposée par la société concluante, dans toutes publicités, documentations ou autres documents relatives à ses produits, et ce dans la quinzaine de la signification de l'arrêt à intervenir et passé ce délai sous astreinte de 20.000 F par infraction constatée,

- condamner en outre la société SERF à lui verser les sommes de 100.000 F à titre de dommages et intérêts pour les causes sus énoncées et de 20.000 F par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

et rejetant toutes prétentions contraires,

- condamner la société SERF aux entiers dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 25 juin 2001.

Sur ce,

Les sociétés SERF et Nort'On proposent des produits de même nature (prothèse de la hanche) à la même clientèle (chirurgiens orthopédiques). Ces sociétés sont concurrentes, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté.

La première reproche à la seconde de copier servilement ses implants orthopédiques "Novae", et de se placer dans son sillage commercial de manière parasitaire. Elle soutient être ainsi victime d'actes de concurrence déloyale de la société Nort'On. Cette dernière s'en défend et fait valoir que les conditions de l'action en concurrence déloyale introduite à son encontre par la société SERF ne sont pas réunies.

La société SERF développe :

- que dans la gamme "Novae" de SERF, l'ancrage de la prothèse se fait en trois points (avec deux points, insérés I'un dans l'ischion et I'autre dans l'os pubien et une patte s'appuyant sur l'ilion), et que Nort'On a repris à l'identique le mode d'ancrage pour sa gamme "EOL +";

- que dans la gamme "Novae", les vis corticales ont une longueur de 40 mm à 64 mm, augmentant de 2 mm en 2 mm et un diamètre de 4,5 mm et que Nort'On a repris à l'identique ces cotes de vis pour sa gamme " EOL + ";

- que dans la gamme "Novae" le revêtement de la cupule est constitué d'alumine et que Nort'On a repris ce revêtement pour sa gamme "EOL +";

- que le diamètre des cupules métalliques "Novae" est toujours impair, augmente de 2 mm en 2 mm depuis 43 mm jusqu'à 61 mm, et que Nort'On a repris à l'identique ces cotes pour sa gamme "EOL +";

- que Nort'On a repris à l'identique la convention de nomenclature élaborée par SERF pour désigner les cotyles et les inserts correspondants afin de rendre plus simple leur maniement par les professionnels.

Le procédé de cotyle à double mobilité est tombé dans le domaine public. La prothèse de hanche à double mobilité peut donc être utilisée par tout un chacun.

L'implant orthopédique "EOL +" incriminé et l'implant orthopédique "Novae" répondent l'un et l'autre à la même fonction s'agissant de prothèses de la hanche. Les choix techniques (ancrage, visserie, cupule, matériau...) présidant à l'élaboration de ces implants sont limités par les impératifs anatomiques et les nécessités fonctionnelle et technique qui s'imposent.

Ainsi "Coating Industries" atteste que pour les cotyles EOL et EUL +, elle réalise un revêtement d'alumine tout à fait standard tel qu'elle le réalise depuis 10 ans pour de nombreux fabricants orthopédiques. Elle ajoute : "lors de la phase de conception du cotyle EOL la possibilité d'un revêtement hydroxyapatite a été évoquée (une validation du revêtement a même été réalisée). Le projet a été suspendu faute d'un recul bibliographique suffisant sur le couple hydroxyapatite / inox dans le cas de prothèse sans ciment". C'est gratuitement que la société SERF soutient que si Nort'On n'a pas adopté directement le revêtement HAP, c'est de toute évidence pour copier au plus près ses produits.

L'échantillon de visserie utilisée par la société SERF et par la société Nort'On se retrouve parmi les visseries proposées par Aesculap, implants et instruments pour ostéosynthèse, Sulzer Medica, France Bloc : vis corticale 0 4,5 mm, incrément de 2 mm en 2 mm, longueur variant selon les cas de 14 mm à 110 mm y compris 40 à 64 mm, de 12 mm à 120 mm. La société SERF n'a pas le monopole d'utilisation des vis de 40 à 64 mm de long.

Le diamètre impair de la cupule se retrouve non seulement chez SERF, chez Nort'On mais aussi chez Iota, chez Howmedica de même que l'augmentation de diamètre de 2 mm en 2 mm de 45 à 71 mm; de 45 à 61 mm... Le cotyle Neptune de la société IPAC utilise des diamètres allant de 42 mm à 62 mm, le cotyle Montblanc de la société ICP Chirurgie Recherche utilise des diamètres de 44 à 60 mm. En résumé, les cupules utilisées sont voisines sinon semblables dans la mesure où il s'agit de cupules cotyloIdiennes. Les trois points d'ancrage du matériel à fixer se retrouvent par exemple chez Montblanc et Atoll. La fixation de la cupule dans l'acétabulum trouve ses limites dans l'anatomie. S'agissant d'obtenir une fixation stable de la cupule dans l'acétabulum tout en conservant au bassin son élasticité, les choix techniques demeurent limités. Pions et pattes font partie du système d'ancrage envisageable au plan fonction et technique. En définitive,la ressemblance de prothèses EOL + et Novae provient des impératifs anatomiques et des nécessités fonctionnelles et techniques. D'ailleurs si les implants EOL+ et Novae présentent des similitudes, ils ne sont pas en tous points semblables (cf. comparaison visuelle proposée par la société SERF). La ressemblance de l'implant EOL+ avec l'implant Novae n'est pas délictueuse.

Les mêmes ressemblances se retrouvent dans la nomenclature des produits considérés, ce qui relève de la logique et non d'un comportement fautif dûment prouvé.

La société SERF affirme que la société Nort'On se place délibérément dans son sillage commercial.

Elle verse aux débats deux attestations datées du 16 novembre 2000 qui émanent de Mme Delanoue "Présidente Directeur-Général" de la société SERF certifiant que:

- "Monsieur Patrick Cruchet a été employé dans notre entreprise en qualité d'attaché commercial, Monsieur Patrick Cruchet est entré à SERF le 1er juillet 1981 et a quitté la société le 30 novembre 1987. Monsieur Patrick Cruchet était chargé d'assurer la prospection pour la vente d'implants orthopédiques dans les départements suivants : 22-29-35-44-53-76. Monsieur Patrick Cruchet a quitté la société SERF le 30/11/1987, libre de tout engagement".

- "Monsieur François Sohier a été employé dans notre entreprise en qualité d'attaché commercial ; Monsieur François Sohier est entré à SERF le 1er juillet 1981 et a quitté la société le 11 mai 1992. Monsieur François Sohier était chargé d'assurer la prospection pour la vente d'implants orthopédiques dans les départements suivants: 04-06-13-26-30-34-38-73-74- 83-84. Monsieur François Sohier a quitté la société SERF le 11/05/1992, libre de tout engagement".

Même si M. Cruchet est le gérant de la société Nort'On et si M. Sohier travaille pour Nort'On, les attestations sus rappelées de la société SERF ne suffisent pas à étayer son affirmation selon laquelle Nort'On démarche sa clientèle de manière déloyale. Le travail accompli au bénéfice de sa concurrente par ses anciens employés, qui ont envers elle une pleine et entière liberté de concurrence, ne suffit pas à établir des agissements de concurrence déloyale. L'accusation de la société SERF relative à l'utilisation de son fichier n'est pas justifiée.

La société SERF produit une attestation du Docteur Malissard, chirurgien orthopédique en date du 30 avril 1999 qui atteste qu'un document lui a été remis par la société Nort'On, au cours du premier trimestre 1999, faisant état de travaux comparatifs d'un cotyle Novae et EOL +. Il s'agit d'une étude établie par le Centre Régional d'Innovation et de Transfert de Technologie CRITT ayant pour objet la "mise au point et réalisation d'essais de déclippage Tête (insert en traction et en flexion concernant des cupules rétensives EOL et NOVAE (o 59 et 0 61). Métrologie des inserts avant essai." Cette étude a été commandée par La société Biostag dont M. Cruchet est le gérant. La société SERF soutient que Nort'On présente à la clientèle cette étude afin de faire valoir une qualité prétendument identique. Elle relève que la couverture du document en question est "estampillée" Nort'On par l'apposition d'une étiquette autocollante. Vérification faite, l'étude du CRITT ne se présente pas comme une "étude comparative téléguidée" visant à faire bénéficier la gamme EOL + de l'image de qualité et de fiabilité acquis au fil du temps par les implants "Novae" de SERF auprès des chirurgiens. II n'est pas soutenu que cette étude dénigre le produit "Novae" et lui attribue des qualités inférieures au produit "EOL +". Bile ne se présente pas comme étant de nature à induire en erreur les professionnels (chirurgiens orthopédiques) auxquels die est destinée. Son caractère véridique et loyal n'est pas utilement remis en cause. Tel qu'il se présente avec l'estampille "Nort'On", il ne ressort pas que le rapport d'étude remis au Docteur Malissard constitue de la part d e la société Nort'On un procédé déloyal de concurrence.

La documentation technique commerciale de SERF et de Nort'On et aussi celle de certains de leurs concurrents décrivent les techniques et temps opératoires. Le principe opératoire de Novae et la technique opératoire de EOL et EUL + se recoupent dans les grandes lignes des temps opératoires. S'agissant de la mise en place d'une prothèse ayant la même fonction, ces recoupements ne peuvent être utilement exploités comme constituant un plagiat. La documentation commerciale de Nort'On ne plagie pas la documentation commerciale de SERF (cf. pièces 8 et 9 de SERF).

La société SERF n'établit pas Le parasitisme économique dont elle se dit victime de la part de la société Nort'On.

En définitive, c'est à hon droit qu'elle a été déboutée de son action en concurrence déloyale. Ses demandes de ce chef ne peuvent utilement prospérer.

La société Nort'On critique le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle visant à faire interdiction à la société SERF d'utiliser la marque "Evolution" par die déposée et d'obtenir des dommages et intérêts.

Saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, il appartient à la cour de statuer sur la demande reconventionnelle de la société Nort'On dont la société SERF demande de déboutement.

La contrefaçon suppose la reproduction de l'élément essentiel d'une marque. La société Nort'On a déposé la marque EOL + Evolution. Ainsi que le fait observer la société SERF, il s'agit d'une marque complexe. L'élément "Evolution" ne représente pas tin élément essentiel, distinctif et caractéristique en lui-même. La reproduction du mot "Evolution" par la société SERF sur lequel Nort'On n'a pas un monopole, ne constitue donc pas une contrefaçon. C'est à juste raison que la société Nort'On a été déboutée de sa demande reconventionnelle en contrefaçon pour reproduction de l'élément "Evolution".

En définitive, le jugement déféré sera confirmé.

Par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, la société SERF sera condamnée à payer à La société Nort'On une somme de 6.000 F pour ses frais irrépétibles en cause d'appel. La société SERF qui succombe, n'est pas justifiée en sa demande d'indemnité fondée sur le même texte.

Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement déféré, Y ajoutant, Condamne la société d'Etude de Recherches et de Fabrication (dénommée SERF) à payer à la société Nort'On une somme de 6.000 F pour ses frais irrépétibles en cause d'appel, Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, Condamne la société SERF aux dépens d'appel qui seront recouvrés par la SCP Chatteleyn et George, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.