Livv
Décisions

CA Angers, 1re ch. A, 30 mai 2000, n° 99-00758

ANGERS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Rautureau, Rautureau Apple Shoes (SA)

Défendeur :

Casino France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chauvel

Conseillers :

M. Lemaire, Mme Block

Avoués :

SCP Gontier- Langlois, SCP Chatteleyn, George

Avocats :

Mes Guerlain, Seutet.

T. com. Angers, du 17 févr. 1999

17 février 1999

Par acte d'huissier en date du 18 mars 1998 Monsieur Guy Rautureau et la Société Rautureau Apple Shoes (RAS) ont assigné en référé, devant le Président du Tribunal de Commerce d'Angers, la Société Casino France et l'Hypermarché à l'enseigne Géant, à Cholet, aux fins de :

- voir faire interdiction à l'Hypermarché à l'enseigne Géant à Cholet et à la Société Casino France de commercialiser des modèles de chaussures identiques à ceux faisant l'objet du procès-verbal de saisie du 7 février 1998 et figurant sur la brochure publicitaire qu'ils avaient largement diffusée en février 1998 et reprenant les caractéristiques essentielles des modèles de chaussures " Velcro Basket Toile Multi " et " Simple BB Print Multi Fleurs " créés par Monsieur Guy Rautureau et commercialisés par la Société RAS ;

- voir dire et juger que cette interdiction de commercialisation serait prononcée sous astreinte de 1.000 F par infraction constatée, à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir ;

- voir dire et juger que le Président du Tribunal de Commerce d'Angers serait compétent pour connaître de la liquidation des astreintes qu'il aurait éventuellement ordonnées ;

- voir condamner conjointement et solidairement l'Hypermarché à l'enseigne Géant à Cholet et la Société Casino France à payer à Monsieur Guy Rautureau la somme de 100.000 F à titre de dommages et intérêts provisionnels et celle de 1.000.000 F à la Société RAS ;

- voir condamner sous la même solidarité l'Hypermarché à l'enseigne Géant à Cholet et la Société Casino France à payer à la Société RAS la somme de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC ;

- voir condamner conjointement et solidairement l'Hypermarché à l'enseigne Géant à Cholet et la Société Casino France aux entiers dépens de l'instance ;

A cet effet Monsieur Rautureau et la Société RAS exposaient que :

- Monsieur Guy Rautureau avait créé au mois de juillet 1995, pour le compte de la Société Rautureau Apple Shoes, un modèle de chaussures référencé sous la dénomination " Velcro Basket " en toile white et navy blue, qui faisait partie de la collection "Pom d'Api" Eté 1996, toujours commercialisé ;

- cette collection avait fait l'objet d'un procès-verbal de constat de création de Maître André Poiron, Huissier de Justice à Montaigu (85600), en date du 31 août 1995 ;

- ce modèle avait été décliné en " multivifs " en octobre 1995 (suivant commandes), toujours pour la collection Eté 96 ;

- le modèle " Velcro Basket toile multi " se caractérisait par la combinaison d'une tige composée de quartiers de couleurs vives formant un patchwork, d'un bourrelet de couleur jaune place entre la tige et la semelle faisant le tour de la chaussure, de coutures assez larges et blanches, d'une bande verticale à l'arrière, de " bumpers " de couleur vive, avant et arrière, coupés en oblique et portant l'inscription en relief " Pom d'Api ", d'une languette intérieure de couleur jaune et de deux attaches velcros, le bout de la basket étant recouvert de caoutchouc de couleur verte ;

- Monsieur Guy Rautureau avait créé au mois de juillet 1996, pour le compte de la Société Rautureau Apple Shoes, un modèle de chaussures référencé sous la dénomination " Simple BB Print multi fleurs " qui faisait partie de la collection " Pom d'Api " Eté 1997, toujours commercialisé ;

- cette collection avait fait l'objet d'un procès-verbal de constat de création de Maître Pierre- Yves Le Clézio, Huissier de Justice a Montaigu (85600), en date du 23 septembre 1996 ;

- le modèle " Simple BB Print multi fleurs " se caractérisait par la combinaison d'une tige composée de quartiers de tissus à motifs fleurs formant un patchwork, d'un bourrelet de couleur jaune placé entre la tige et la semelle faisant le tour de la chaussure, de coutures assez larges et blanches, d'une bande verticale à l'arrière, de " bumpers " de couleur vive, avant et arrière, coupés en oblique et portant l'inscription en relief " Pom d'Api ", d'une languette intérieure du même tissu que la bande verticale arrière, le bout de la basket étant recouvert de caoutchouc de couleur bleu marine ;

- il résultait de ce qui précédait que Monsieur Guy Rautureau pouvait se réclamer au sens des articles L. 111-1 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle des droits reconnus au créateur de ces modèles et la Société RAS en sa qualité d'exploitant desdits modèles ;

- il résultait du procès-verbal de saisie contrefaçon dressé dans les locaux de l'Hypermarché à l'enseigne Géant - Route des Sables - 49300 Cholet le 27 février 1998 par ministère de Maître Philippe Bemeise, Huissier de Justice, que l'Hypermarché à l'enseigne Géant et la Société Casino France offraient à la vente et vendaient des modèles de chaussures reproduisant les caractéristiques des modèles dénommés " Velcro Basket Toile Multi " et " Simple BB Print Multi Fleurs " de la Société RAS ;

- ceci résultait notamment d'une publicité de la Société Casino France datée de février 1998 et largement diffusée à travers la France, sur laquelle étaient reproduits les modèles de chaussures contrefaisants qu'elle commercialisait ;

- l'examen de ces modèles de chaussures, références n° 85.345 et n° 85.357, permettait de constater que ceux-ci constituaient la contrefaçon des modèles " Velcro Basket Toile Multi " et " Simple BB Print Multi Fleurs " créés par Monsieur Guy Rautureau et commercialisés par la société RAS ;

- en reproduisant les caractéristiques principales des modèles de chaussures créés par Monsieur Guy Rautureau et commercialisés par la Société RAS, caractéristiques qui traduisaient un choix arbitraire du créateur, l'Hypermarché à l'enseigne Géant et la Société Casino France s'étaient rendus coupables d'actes de contrefaçon au préjudice de Monsieur Rautureau, qui était à même de se prévaloir des dispositions des articles L. 121-1 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle ;

- de tels agissements étaient encore constitutifs d'actes de concurrence déloyale de la part de l'Hypermarché à l'enseigne Géant et de la Société Casino France à l'égard de la Société RAS qui commercialisait les modèles susvisés avec l'assentiment de Monsieur Rautureau ;

- en copiant de façon servile la combinaison des éléments caractéristiques des modèles " Velcro Basket Toile Multi " et " Simple BB Print Multi Fleurs " tels que précédemment décrits, l'Hypermarché à l'enseigne Géant et la Société Casino France s'étaient en effet épargnés des frais de recherches et de conception des modèles de chaussures et avaient tenté ainsi de profiter purement et simplement de l'existence antérieure des modèles de chaussures " Velcro Basket Toile Multi " et " Simple BB Print Multi Fleurs " de la Société RAS et de Monsieur Guy Rautureau pour se placer dans le sillage de cette dernière et ce, de façon parasitaire ;

- ces agissements causaient un important préjudice à la Société RAS et ce d'autant plus que les modèles étaient commercialisés à des prix nettement inférieurs à ceux commercialisés sous la marque " Pom d'Api " par la Société RAS ;

- de tels actes de copie servile étaient réprimés de façon constante par la jurisprudence sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code Civil ;

- les requérants étaient donc bien fondés à s'adresser à Justice afin d'obtenir qu'un terme soit mis à l'atteinte qui avait été ainsi portée à leurs droits et que réparation leur soit accordée du fait des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale dont ils étaient victimes.

Par ordonnance du 25 mai 1998, le Président du Tribunal de Commerce d'Angers :

- a prononcé la mise hors de cause de " l'Hypermarché Géant de Cholet " ;

- a dit que la Société Rautureau Apple Shoes avait qualité à agir ;

- a constaté que la Société Casino France avait cessé de distribuer les produits en cause ;

- s'est déclaré incompétent, a raison de difficultés sérieuses, quant à l'appréciation de la contrefaçon et celle de la concurrence déloyale et a renvoyé Monsieur Rautureau et la Société Rautureau Apple Shoes à mieux se pourvoir au fond ;

- a condamné Monsieur Rautureau et la Société Rautureau Apple Shoes aux dépens ;

- a rejeté toutes autres demandes.

Par requête en date du 17 juin 1998 Monsieur Guy Rautureau et la Société Rautureau Apple Shoes, faisant valoir que la commercialisation des modèles contrefaisants se poursuivait, ont demandé l'autorisation au Président du Tribunal de Commerce d'Angers d'assigner la Société Casino France, au fond, à bref délai.

Cette autorisation a été accordée par ordonnance du 18 juin 1998, pour l'audience du 22 juillet 1998.

Par acte d'huissier en date du 26 juin 1998 Monsieur Guy Rautureau et la Société Rautureau Apple Shoes ont assigné la Société Casino France devant le Tribunal de Commerce d'Angers aux fins de voir :

- dire et juger que la Société Casino France, en important, en fabriquant, en détenant, en offrant en vente et/ou en vendant des modèles de chaussures reproduisant les caractéristiques essentielles des modèles de chaussures : " Velcro Basket Toile Multi ", " Velcro Basket Navy Blue " et " Simple BB Print Multi Fleurs " créés par Monsieur Guy Rautureau et commercialisés par la Societe RAS s'était rendue coupable d'actes de contrefaçon au préjudice de Monsieur Guy Rautureau et ce, au sens des articles L. 111-1 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle ;

- dire et juger que pour les motifs susvisés, la Société Casino France avait encore commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la Société RAS et qui engageaient sa responsabilité au sens des articles 1382 et 1383 du Code Civil ;

- faire défense à la Société Casino France d'importer, de détenir, d'offrir en vente et/ou de vendre sur le territoire français des modèles de chaussures reproduisant les caractéristiques des modèles " Velcro Basket Toile Multi ", " Velcro Basket Navy Blue " et " Simple BB Print Multi Fleurs " et ce, sous astreinte définitive de 1.000 F par infraction constatée a compter du prononcé du jugement a intervenir ;

- ordonner la confiscation et la remise à la Société RAS de tous les modèles contrefaisants détenus par la Société Casino France au jour de la décision à intervenir ;

- condamner la Société Casino France, en réparation du préjudice qu'elle avait cause à Monsieur Guy Rautureau et à la Societe RAS de par les actes de contrefaçon et de concurrence déloyale dont elle s'était rendue coupable à leur encontre, à leur payer une indemnité à fixer à dire d'expert et d'ores et déjà à payer à Monsieur Guy Rautureau la somme de 100.000 F à titre de provision sur les dommages et intérêts qui lui étaient dus et à la Société RAS la somme de 1.000.000 F ;

- nommer tel expert qu'il plairait au Tribunal de designer, avec mission de rechercher et de fournir au Tribunal tous les éléments d'appréciation susceptibles de lui permettre de déterminer le montant définitif des dommages et intérêts dus a Monsieur Guy Rautureau et a la Société RAS en réparation des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale dont ils avaient été victimes ;

- ordonner la publication du jugement dans cinq journaux ou périodiques au choix de la Société RAS et aux frais de la Société Casino France, le coût de chacune de ces insertions étant fixé a 20.000 F HT et ce, au besoin à titre de complément de dommages et intérêts ;

- dire que les condamnations porteraient sur tous les faits de contrefaçon et de concurrence déloyale commis jusqu'au jour du jugement à intervenir sur la fixation des dommages et intérêts ;

- ordonner l'exécution provisoire du jugement ;

- condamner la Société Casino France à payer à la Société RAS la somme de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC ;

- condamner la Société Casino France aux entiers dépens.

Par jugement du 17 février 1999 le Tribunal de Commerce d'Angers :

- s'est déclaré incompétent, en matière d'assignation en contrefaçon et a renvoyé Monsieur Rautureau à mieux se pourvoir ;

- s'est déclaré incompétent en matière de saisie contrefaçon et a renvoyé la Société Casino France à mieux se pourvoir ;

- a déclaré Monsieur Guy Rautureau non fondé dans son assignation en violation du Code de la Propriété Intellectuelle et l'en a débouté ;

- a déclaré la Société RAS non fondée en son assignation en concurrence déloyale et l'en à déboutée ;

- a rejeté la demande de dommages-intérêts de Monsieur Rautureau ;

- a dit qu'il n'y avait pas lieu de designer un expert ;

- a condamné Monsieur Rautureau et la Société RAS à payer solidairement la somme de 20.000 francs à la Société Casino France au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

- a rejeté toute autre demande ;

- a condamné solidairement Monsieur Rautureau et la Société RAS aux dépens.

Par déclaration au greffe de la cour en date du 22 mars 1999 Monsieur Guy Rautureau et la Société Rautureau Apple Shoes ont interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de leurs dernières conclusions du 1er mars 2000, faisant suite à de précédentes du 21 juillet 1999, Monsieur Rautureau et la Société RAS ont demandé à la cour :

- de débouter la Société Casino France de l'intégralité de ses demandes ;

- d'infirmer le jugement entrepris ;

- de dire et juger que la Société Casino France, en important, en fabriquant, en détenant, en offrant en vente et en vendant des modèles de chaussures reproduisant les caractéristiques des modèles de chaussures référencés sous les dénominations " Velcro Basket Toile Multi " et " Simple BB Print multi fleurs " qui faisaient partie de la collection " Pom d'Api - Eté 96 et 97 " créés par Monsieur Guy Rautureau suivant procès-verbaux de constat de création de Maître André Poiron, Huissier de Justice à Montaigu, en date du 31 août 1995 et de Maître Pierre-Yves Le Clézio, Huissier de Justice à Montaigu, en date du 23 septembre 1996, s'était rendue coupable de contrefaçon au sens des articles L. 335-2 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle ;

- de dire et juger que la Société Casino France avait encore commis au préjudice de la Société RAS des actes de concurrence déloyale par copie servile, engageant sa responsabilité au sens des articles 1382 et 1383 du Code Civil ;

- d'ordonner la confiscation, aux fins de destruction, des chaussures contrefaisantes ;

- de condamner la Société Casino France, en réparation du préjudice qu'elle avait cause a Monsieur Guy Rautureau et à la Société RAS par la contrefaçon de modèles et par la concurrence déloyale dont elle s'était rendue coupable, au paiement d'une indemnité à fixer à dire d'expert et par provision, de la condamner à payer à la Société RAS la somme de 1.000.000 francs a titre de dommages et intérêts et celle de 100.000 francs à Monsieur Guy Rautureau ;

- de nommer tel expert qu'il plairait à la Cour designer, avec mission de rechercher et de lui fournir tous les éléments d'appréciation susceptibles de lui permettre de déterminer le montant définitif des dommages et intérêts dus à Monsieur Guy Rautureau et à la Société RAS en réparation des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale dont ils avaient été victimes, notamment le nombre de paires de chaussures contrefaisantes fabriquées et/ou importées et commercialisées par l'Hypermarché à l'enseigne Géant à Cholet et la Société Casino France et le manque a gagner en résultant pour la Société RAS ;

- de dire que les condamnations porteraient sur tous les faits de contrefaçon et de concurrence déloyale commis jusqu'à la date de l'arrêt à intervenir sur la fixation définitive des dommages et intérêts ;

- d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq journaux ou périodiques au choix des demandeurs et aux frais de la Société Casino France ;

- de condamner la Société Casino France à payer a Monsieur Guy Rautureau et à la Société RAS la somme de 50.000 francs en application de l'article 700 du NCPC ;

- de condamner la même en tous les dépens.

Aux termes de ses conclusions du 10 janvier 2000, la Société Casino France a demandé à la cour :

- de déclarer tant irrecevable que mal fondé l'appel interjeté par Monsieur Guy Rautureau et par la Société RAS à l'encontre du jugement rendu par le Tribunal de Commerce d'Angers le 7 février 1999 ;

- de confirmer le jugement entrepris en ses dispositions non contraires aux écritures de la concluante ;

- de dire et juger que Monsieur Guy Rautureau ne démontrait pas être le créateur des modèles incriminés et, en conséquence, de déclarer aussi irrecevable que mal fondée l'action engagée par lui sur le fondement des dispositions des articles L. 111-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle ;

- a titre subsidiaire, si par extraordinaire les droits de Monsieur Rautureau sur les modèles incriminés étaient reconnus, de dire et juger que Monsieur Guy Rautureau n'apportait pas la preuve que les modèles incrimines avaient une originalité telle qu'ils traduisaient une œuvre de son esprit comportant, au sens de la jurisprudence, " un apport intéllectuel inédit traduisant la synthèse de la nouveauté et de l'activité inventée "

- a titre infiniment subsidiaire, de constater que les modèles incriminés étaient constitués de combinaisons d'éléments ressortant du domaine public lies aux tendances de la mode et apparaissant dans des modèles de chaussures pour enfants commercialisés entre 1991 et 1995 par les enseignes nationales de distribution et en tout état de cause antérieurement à la date à laquelle Monsieur Guy Rautureau revendiquait la création desdits modèles ;

- de dire et juger que la Société Rautureau Apple Shoes n'apportait aucun élément propre à démontrer qu'elle intervenait dans le circuit de distribution des modèles incriminés ;

A titre subsidiaire, et s'agissant de l'action en contrefaçon de la Société RAS,

- de constater qu'en tout état de cause, le concessionnaire d'une licence de fabrication, de diffusion et de vente, même intervenant aux côtés du titulaire des droits, ne jouissait pas du droit d'agir en contrefaçon (CA Paris, 4ème Chambre A, 26 mars 1997) ;

S'agissant de l'action en concurrence déloyale,

- de constater que Monsieur Guy Rautureau et la Société RAS n'avaient établi aucune faute distincte et détachable des actes de contrefaçon allégués ;

- en conséquence, de déclarer leur action irrecevable puisque l'action en concurrence déloyale ne pouvait être accueillie concurremment à une action en contrefaçon, ne pouvant être que supplétive ou complémentaire à celle-ci ;

A titre très infiniment subsidiaire,

- de constater qu'aucune faute ne pouvait être reprochée à la société concluante, distributeur de bonne foi, qui ne pouvait légitimement connaître l'étendue des droits de Monsieur Rautureau puisque les droits de propriété intellectuelle invoqués n'avaient fait l'objet d'aucun dépôt légal (C.CASS. Chambre Commerciale, 10 mai 1994 arrêt n° 1069, Guy Rautureau et SA RAS c/ Hyper Rallye) ;

A titre très infiniment subsidiaire,

- de constater qu'aucun élément comptable n'était verse aux débats pour corroborer l'existence même d'un préjudice ;

- de dire et juger qu'aucune mesure d'instruction ne pouvait être ordonnée en vue de suppléer la carence d'une des parties dans l'administration de la preuve (article 146 alinéa 2 du NCPC) ;

- en conséquence, de débouter Monsieur Guy Rautureau et la Société RAS de l'ensemble de leurs demandes dirigées à l'encontre de la société concluante ;

- de les condamner solidairement au paiement d'une somme de 50.000 F en vertu de l'article 700 du NCPC ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 16 mars 2000.

Sur quoi :

Vu les moyens et arguments des parties en leurs conclusions sus-mentionnées.

Les premiers juges ont commis une erreur en considérant que les actions en matière de contrefaçon étaient de la compétence exclusive du Tribunal de Grande Instance.

En effet, en matière de protection de dessins et modèles, il n'existe pas de dispositions dérogatoires au droit commun pour ce qui concerne la compétence juridictionnelle " ratione materiae ".

La compétence était bien celle de la juridiction consulaire, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté par la Société Casino France.

L'action en contrefaçon de Monsieur Rautureau est fondée sur les articles L. 111-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, relatifs à la protection du droit d'auteur. Dans ce cadre, face à la contestation que lui oppose la Société Casino France à ce sujet et étant observe qu'est indifférente à l'espèce la jurisprudence qui institue au profit de la personne morale qui exploite un modèle une présomption de titularité du droit d'auteur, il appartient à Monsieur Rautureau de démontrer sa qualité de créateur des modèles " Velcro Basket Toile Multi ", " Velcro Basket Navy Blue " et " Simple BB Print Multi Fleurs " portant la marque " Pom d'Api ".

Pour ce faire Monsieur Rautureau produit aux débats deux constats d'huissier, l'un en date du 31 août 1995 et l'autre en date du 23 septembre 1996.

Le premier est destine à établir la qualité de Monsieur Rautureau de créateur des modèles " Velcro Basket Navy Blue " et " Velcro Basket Toile Multi " et le second celle de créateur du modèle " Simple BB Print Multi Fleurs ".

A l'huissier instrumentaire, Maître André Poiron, Monsieur Rautureau avait remis le 31 août 1995 cinquante trois planches de dessins concernant des modèles de chaussures de la collection Pom d'Api Eté 1996, étant précisé qu'il s'en attribuait la paternité.

L'huissier de justice avait établi une liste de ces planches, avec les références des lignes et des modèles, laquelle avait été annexée à son constat, de même qu'un catalogue des modèles de chaussures de la collection Pom d'Api Eté 1996.

Le modèle " Velcro Basket " (que ce soit " Velcro Basket Navy Blue " ou " Velcro Basket Toile Multi ") ne figurait pas sur la liste des planches de dessins annexée par l'huissier à ce constat.

Dès lors, même si le modèle " Velcro Basket Navy Blue " était reproduit sur le catalogue également annexé au constat, rien n'autorise à attribuer sa création à Monsieur Rautureau alors que ce dernier n'avait aucunement déclaré à l'huissier de justice qu'il était l'auteur de tous les modèles de chaussures au catalogue de la collection Pom d'Api Eté 96.

A l'huissier de justice instrumentaire, Maître Pierre-Yves Le Clezio, Monsieur Rautureau avait demandé le 23 septembre 1996 de prendre en dépôt en son étude le catalogue Pom d'Api 1997 regroupant les modèles qu'il avait conçus.

Si dans ce catalogue était reproduit le modèle " Simple BB Print Multi Fleurs ", en revanche le nom du modèle " Simple BB Print " (ou encore " Simple BB Print Multi Fleurs ") ne figurait pas sur la liste des modèles de la collection Pom d'Api Eté 1997 que l'huissier de justice avait dressée sur son constat. Au reste on peut d'ailleurs constater que le modèle " Simple BB Print " était déjà reproduit (en 6 versions) sur le catalogue de la collection Pom d'Api 1996.

Par conséquent, à défaut de preuve de la création par Monsieur Rautureau des modèles " Velcro Basket Toile Multi ", " Velcro Basket Navy Blue " et " Simple BB Print Multi Fleurs " son action sur le fondement de la protection des droits d'auteur ne saurait aboutir.

Il reste alors à s'interroger sur l'action en concurrence déloyale dirigée par la Société Rautureau Apple Shoes contre la Société Casino France.

Il ressort des pièces versées aux débats que la Société Casino France a commercialisé, postérieurement à la Société Rautureau Apple Shoes, des modèles de chaussures constituant des copies serviles, sinon du modèle " Simple BB Print Multi Fleurs " (les fleurs étaient plus nombreuses et leur couleur différente sur le modèle commercialisé par Casino France), au moins des modèles " Velcro Basket Toile Multi " et " Velcro Basket Navy Blue ".

La Société Casino France exploite de nombreux hypermarchés et supermarchés à travers toute la France et a un service d'organisation de ses achats.

Avant de commercialiser les modèles litigieux de chaussures d'enfants il aurait appartenu à la Société Casino France de s'assurer, par la consultation des catalogues des distributeurs spécialisés en la matière (dont les catalogues de la marque Pom d'Api), qu'elle n'allait pas introduire dans les rayons de ses magasins des marchandises constituant la copie servile de celles déjà proposées par des concurrents et qu'ainsi tout risque de confusion dans l'esprit de la clientèle serait écarté.

Une faute d'imprudence peut pour le moins être reprochée à la Société Casino France qui, par ses agissements, a commis des actes de concurrence déloyale envers la Société Rautureau Apple Shoes.

En réparation du préjudice de la Société Rautureau Apple Shoes, et sans qu'une mesure d'expertise préalable apparaisse nécessaire, la Société Casino France, au vu des éléments du dossier, sera condamnée à lui payer une somme de 150.000 francs à titre de dommages interets.

Il n'y aura pas lieu en l'espèce d'ordonner la publication du présent arrêt alors qu'il ne ressort de rien que les actes de concurrence déloyale se seraient poursuivis depuis l'engagement par Monsieur Rautureau et la Société Rautureau Apple Shoes de leur action au fond.

Monsieur Rautureau et la Société Rautureau Apple Shoes seront déchargés de leur condamnation au paiement d'une indemnité de procédure à la Société Casino France.

En application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile la Société Casino France sera condamnée à payer à la Société Rautureau Apple Shoes une somme de 25.000 francs. Elle supportera en outre l'entière charge des dépens de première instance et d'appel.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, Réformant le jugement entrepris et statuant à nouveau, en déchargeant par ailleurs Monsieur Rautureau et la Société Apple Shoes de leur condamnation au paiement d'une indemnité de procédure à la Société Casino France, Déclare la Société Casino France responsable d'actes de concurrence déloyale envers la Société Rautureau Apple Shoes ; Condamne la Société Casino France à payer à la Société Rautureau Apple Shoes la somme de 150.000 francs à titre de dommages- intérêts ; Condamne la Société Casino France à payer à la Société Rautureau Apple Shoes la somme de 25.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires des parties ; Condamne la Société Casino France aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés, ces derniers, conformément à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.