CA Paris, 14e ch. B, 10 novembre 1995, n° 94-16994
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Elida-Gibbs-Fabergé (SA)
Défendeur :
Colgate Palmolive (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cottin
Conseillers :
Mme Desolneux, M. André
Avoués :
SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP Barrier Monin
Avocats :
Me Saint-Esteben, SCP Vogel, Vogel.
LA COUR statue sur l'appel formé par la société Elida Gibbs Fabergé à l'encontre d'une ordonnance de référé rendue le 21 juin 1994 par le Président du Tribunal de commerce de Paris, qui a :
- fait interdiction à la société Elida Gibbs Fabergé de poursuivre la diffusion des films publicitaires Signal Ultra Protection Fluor litigieux de trente secondes et de quinze secondes ou de tout autre film reprenant les mêmes messages et ce à partir du 26 juin 1994 ;
- dit n'y avoir lieu à référé sur le surplus des demandes ;
- condamne la société Elida Gibbs Fabergé aux dépens.
La société Elida Gibbs Fabergé, membre du groupe Unilever, a commencé à orienter début mars 1994 ses campagnes publicitaires en faveur du dentifrice Signal Ultra Protection Fluor autour de deux films de trente et quinze secondes.
Alléguant qu'il s'agirait d'une publicité mensongère, lui causant un dommage imminent, la société Colgate Palmolive a saisi le juge des référés aux fins de voir dire que la publicité mensongère ainsi diffusée constitue à son encontre un acte de concurrence déloyale grave par dénigrement à l'égard de sa propre société, voir faire défense à EGF de poursuivre la diffusion de ces films sous astreinte de 250 000 F par diffusion constatée, ainsi que sa condamnation à 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
C'est dans ces conditions qu'est intervenue l'ordonnance déférée, dont la société Elida Gibbs Fabergé a relevé un appel limité à l'interdiction de diffuser les films publicitaires.
La société Elida Gibbs Fabergé, appelante, estime que le premier juge en relevant que la société Elida Gibbs Fabergé n'apportait pas une preuve suffisante de la supériorité du fluorure de sodium, a fait une erreur de fait ainsi qu'une erreur de droit.
Elle prétend que c'est par une erreur de fait qu'il a pu croire que l'étude du Professeur Stephen n'était connue avant le lancement de la campagne Signal Ultra Protection Fluor que par son résumé ; elle lui reproche d'avoir ajouté à la loi en imposant une condition de publication de la preuve que celle-ci n'exige pas.
Elle précise que depuis lors cette étude a été soumise à trois colloques internationaux, et intégralement publiée en juin 1994.
Elle conteste les allégations soutenues par l'intimée dans son appel incident, et affirme qu'elle n'a commis aucun dénigrement de la société Colgate Palmolive.
Elle conclut à l'infirmation de l'ordonnance en ce qui concerne l'interdiction de diffuser les publicités litigieuses et à la condamnation de la société Colgate Palmolive au paiement d'une somme de 100 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La société Colgate Palmolive, intimée, conclut à la confirmation de l'ordonnance.
Elle soutient que la société Elida Gibbs Fabergé, à qui il incombe en tant qu'annonceur de prouver la véracité des allégations contenues dans les messages publicitaires, ne démontre pas la supériorité générale du fluor NAF sur le fluor SMPF, qu'elle invoque.
Elle prétend qu'une telle affirmation serait de nature à induire en erreur le consommateur et que l'appelante n'apporte pas la preuve de l'efficacité supérieure des dentifrices Signal Ultra Protection Fluor sur les dentifrices concurrents.
Selon elle le message diffusé faisant croire que la société Elida Gibbs Fabergé aurait le monopole du fluor NAF est de nature à induire en erreur le consommateur, de même que l'association du fluor NAF aux dentifrices à pâtes à rayures et du fluor SMPF aux pâtes blanches.
Elle affirme que chacune de ces allégations justifierait l'interdiction de diffuser les messages.
L'ensemble de ces éléments, résultant du caractère mensonger des messages publicitaires diffusés démontrerait selon elle l'existence d'un trouble manifestement illicite et d'un dommage imminent à son encontre.
Elle reprend sa demande d'interdiction de diffusion sous astreinte de 250 000 F par diffusion constatée à compter de l'arrêt à intervenir et la condamnation de l'appelante au paiement d'une somme de 100 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR,
Considérant que le premier message de publicité diffusé pour Signal Ultra Protection Fluor intitulé " l'école " d'une durée de 30 secondes expose plus particulièrement que :
Le plus grand test d'Europe a prouvé que des deux principaux types de fluor, celui de Signal est supérieur.
Un meilleur fluor, c'est plus de protection.
Considérant que le deuxième message d'une durée de 15 secondes précise quant à lui :
Comparaison entre fluor NAF et fluor SMFP, l'un est supérieur, ce fluor est dans Signal.
Considérant que la société Elida Gibbs Fabergé à qui incombe la preuve de la supériorité du fluor NAF invoquée, produit à l'appui de ses dires l'étude du Professeur Stephen, publiée intégralement en juin 1994 et dont les conclusions ont été confirmées par la communauté scientifique lors du Comité Scientifique International de Londres en novembre 1994, l'étude du Professeur Marks, ainsi que de nombreuses attestations de scientifiques, concluant formellement à la supériorité du fluor NAF ;
Considérant qu'il n'appartient pas au juge des référés de prendre position sur le débat scientifique existant sur les mérités comparés des fluors incriminés et de remettre en cause les conclusions d'éminents savants et experts en la matière ;
Considérant qu'il ne lui appartient pas non plus de statuer sur la véracité scientifique des très abondantes études invoquées, produites en langue anglaise ;
Considérant que le Bureau de Vérification de Publicité (BVP) dont la mission est de donner son avis sur la légalité, la sincérité et la loyauté commerciale des publicités a donné son autorisation à la diffusion des publicités litigieuses ;
Considérant que contrairement à ce qu'invoque la société Colgate Palmolive, les études scientifiques et la supériorité du fluor NAF, invoqués par la société Elida Gibbs Fabergé dans sa publicité, ne constituent pas les éléments d'une publicité mensongère entraînant de ce fait un trouble manifestement illicite ;
Considérant que les messages contestés comparent très clairement et uniquement les " fluors " contenus et ne font en aucun cas référence à des produits concurrents ; qu'ils ne visent qu'un seul dentifrice précis le Signal Ultra Protection Fluor ;
Considérant qu'il n'y est pas fait mention d'un quelconque monopole d'utilisation du fluor NAF ;
Considérant que c'est à tort que la société Colgate Palmolive prétend que l'indication d'un dentifrice " blanc ", la désignerait nécessairement ; que de nombreux autres dentifrices de firmes concurrentes ou de EGF elle-même sont blancs ;
Considérant que le logo de l'ADF n'est visible que sur un plan fixe représentant uniquement le dentifrice Signal Ultra Protection Fluor ; qu'ainsi l'utilisation du logo est conforme à son objet qui est la certification du produit ;
Considérant que cette apposition ne peut, comme le soutien la société Colgate Palmolive, démontrer que ce serait le message de la supériorité du fluor NAF qui serait ainsi certifié ;
Considérant que l'intimée n'établit ni ne justifie d'aucun trouble manifestement illégitime ou d'un dommage imminent;
Qu'elle n'établit pas que la publicité litigieuse constituerait un dénigrement actif de ses produits ;
Considérant qu'il convient d'infirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a jugé que l'étude du professeur Stephen ne serait pas en l'état une preuve suffisante de la supériorité du fluorure de sodium pour la prévention des caries et interdit la diffusion des films Signal Ultra Protection Fluor;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Elida Gibbs Fabergé la totalité des frais irrépétibles engagés pour lesquels il lui sera alloué la somme de 10 000 F ;
Considérant que la société Colgate Palmolive qui succombe doit être condamnée aux dépens de première instance et d'appel et ne peut prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Par ces motifs : Infirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a interdit la diffusion des films Signal Ultra Protection Fluor ; Statuant à nouveau et y ajoutant, Autorise la société Elida Gibbs Fabergé à reprendre la diffusion des films publicitaires Signal Ultra Protection Fluor ; Condamne la société Colgate Palmolive à payer la somme de 10 000 F à la société Elida Gibbs Fabergé au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Rejette toutes autres demandes des parties ; Condamne la société Colgate Palmolive aux dépens de première instance et d'appel ; Admet la SCP Fisselier Chiloux Boulay, avoués, au bénéfice de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.