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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 17 mai 2000, n° 1998-05264

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Paris Caen (SCI)

Défendeur :

Cefic (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachacinski, Mme Magueur

Avoués :

SCP Monin, SCP Roblin-Chaix de Lavarene

Avocats :

Mes Vogel, Boudin, Touboul.

T. com. Paris, 15e ch., du 5 déc. 1997

5 décembre 1997

La SCI Paris-Caen est propriétaire de locaux d'une superficie totale de 887,50 m2, situés dans le centre commercial Supermonde à Mondeville, localité proche de la ville de Caen, et construit, dans les années 1970, à l'initiative de l'hypermarché " Continent ".

Dans le courant de l'année 1992, la société Cefic, promoteur, a soumis à autorisation administrative le projet de création d'un nouveau centre commercial, Mondeville 2, situé de l'autre côté de la route nationale.

L'autorisation, refusée par décision du 24 avril 1992 de la commission départementale d'urbanisme commercial (CDUC) du Calvados, a finalement été délivrée, sur recours, par le ministre délégué au Commerce et à l'Artisanat, lé 25 novembre 1992.

Le centre commercial Mondeville 2 a été inauguré le 27 juin 1995.

Reprochant à la société Cefic des manœuvres déloyales et un détournement de clientèle, la SCI Paris-Caen a, par acte du 25 novembre 1996, saisi le Tribunal de commerce de Paris d'une action en concurrence déloyale et sollicité l'octroi de dommages-intérêts en réparation du préjudice dont elle s'estime victime.

Par jugement du S décembre 1997, le tribunal de commerce de, Paris a débouté la SCI Paris- Caen de toutes ses demandes.

La Cour,

Vu l'appel interjeté de cette décision, le 9 janvier 1998, par la SCI Paris-Caen ;

Vu les conclusions en date du 24 mars 2000 aux termes desquels la SCI Paris-Caen prétend que la société Cefic :

- n'a pas respecté les termes de la décision du 25 novembre 1992 et les engagements qu'elle a souscrits à cette occasion, lesquels, selon elle, consistaient à transférer le centre Supermonde dans le centre nouvellement créé,

- s'est livrée à des actes de concurrence déloyale en débauchant les " locataires " du centre Supermonde et en détournant ainsi la clientèle de ce même centre pour se l'approprier à moindre frais,

- a violé les termes du règlement de copropriété en ne maintenant pas ouvert le local par elle acquis au sein du centre Supermonde, et demande en conséquence à la Cour :

- d'infirmer la décision entreprise et de déclarer que la société Cefic, par son comportement fautif, a engagé sa responsabilité à son égard,

- de condamner la société Cefic à lui payer la somme de 6.546.000 francs à titre de dommages-intérêts pour le préjudice qui lui a été causé et qui résulte de la perte de la valeur de ses murs et des fonds dont elle est propriétaire au sein du centre Supermonde et qu'elle ne peut plus utiliser,

- de lui allouer la somme de 50.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les conclusions en date du 24 mars 2000 par lesquelles la société Cefic, réfutant l'argumentation développée par la SCI Paris-Caen et contestant les griefs qui lui sont reprochés, sollicite la confirmation de la décision déférée et demande paiement d'une somme de 30.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour ses frais irrépétibles en cause d'appel ;

Sur quoi,

Sur la violation de ses engagements par la société Cefic :

Considérant que l'article 1er de la loi du 27 décembre 1973, dite loi Royer, énonce que :

" les pouvoirs publics veillent à ce que l'essor du commerce et de l'artisanat permette l'expansion de toutes les formes d'entreprises, indépendantes, groupées ou intégrées, en évitant qu'une croissance désordonnée des formes nouvelles de distribution ne provoque l'écrasement de la petite entreprise et le gaspillage des équipements commerciaux et ne soit pas préjudiciable à l'emploi " ;

Considérant que par décision du 25 novembre 1992, le ministre délégué au Commerce et à l'Artisanat a accordé à la société Cefic, promoteur, agissant pour le compte des SCI Hypermonde, Equina, Persona, Loisirs 14, Desjardin, Etoile, Nouveau Monde, GM 14, GM 22, Maison de la Campagne et Auto 14, l'autorisation préalable requise par les dispositions de la loi du 25 décembre 1973 en vue de la création, à Mondeville, d'un centre commercial de 53.500 m2, dont :

pour le compte de la SCI Hypermonde, un hypermarché Continent de 12.000 m2 et une station essence de 500 m2,

pour le compte des SCI Equina, Persona, Loisirs 14, Dejardin, Etoile, Nouveau Monde et Maison de la Campagne, les moyennes surfaces But Conforama et autres surfaces dénommées par leurs activités,

pour le compte de la SCI Auto 14, un centre auto de 1.500 m2,

pour le compte des SCI GM 14 et GM 22, une galerie marchande de 6.000m2,

ainsi que des activités de restauration et de services sur 4.600 m2

Considérant que si l'autorisation de création du nouveau centre a, effectivement, été accordée en considération d'un transfert d'activités de l'ancien centre vers la nouvelle structure qui allait s'opérer, il convient de souligner que ce transfert d'activité, comme le révèle la lecture du dossier déposé devant la CDUC, procédait de la volonté affirmée de certains commerçants, notamment du groupe Promodes, exploitant de l'hypermarché " Continent ", de pouvoir exercer leurs activités au sein d'une structure répondant aux données du marché de l'époque et de l'évolution de la grande distribution, nécessitant une remise à niveau complète des installations, de profiter du projet de développement commercial, artisanal et tertiaire de la future zone d'activité de l'Etoile de la société Cefic en participant à " une opération qui respecte le principe d'un développement contrôlé de l'urbanisme dont elle constitue un élément structurant majeur ", de pallier l'obsolescence d'un centre qui, créé en 1970, ne permettait plus de répondre aux besoins mêmes du public ;

Que si, sensible à l'argumentation développée devant lui quant aux avantages présentés par ce projet au regard de l'essor économique de la région, le ministre délégué au Commerce et à l'Artisanat a accordé l'autorisation requise, aucun terme de sa décision n'impose à la charge de la Cefic d'obligations de procéder au transfert intégral du centre Supermonde au sein de la nouvelle structure, ni ne subordonne l'autorisation de la création de ce centre à la réalisation d'un tel transfert ;

Qu'une telle obligation ne résulte pas davantage des dispositions légales, la notion de transfert d'un ancien centre vers un nouveau n'ayant été insérée dans la loi du 27 décembre 1973 qu'en 1996, soit quatre ans plus tard, avec l'adoption de la loi n° 96.603 du 5 juillet 1996 ;

Que la mention portée au dossier de présentation du projet devant la CDUC selon laquelle " les locaux seront offerts aux propriétaires des murs de boutiques implantées actuellement dans le centre commercial Supermonde, en échange de leurs droits immobiliers existants ", n'emportait nullement pour la Cefic, mandataire des SCI agissantes, l'obligation de formuler une offre précise et chiffrée auprès de chacune des personnes intéressées ;

Que les premiers juges ont pertinemment relevé que, bien que la législation en vigueur à l'époque ne prévoyait pas d'obligation de reprise des locaux abandonnés, la société Cefic avait pris toutes mesures utiles pour faciliter le transfert des activités commerciales concernées en contractant individuellement avec les commerçants et propriétaires, membres des associations de défense constituées à cette occasion, qui en avaient manifesté le souhait et qu'elle ne pouvait en conséquence se voir reprocher des actes de concurrence déloyale ;

Que la SCI Paris-Caen ne peut valablement prétendre que la possibilité de sortir du centre Supermonde n'était pas ouverte à tous et reprocher à la société Cefic d'avoir eu un comportement discriminatoire en ne contractant qu'avec les membres de l'association de défense composée d'un groupement de copropriétaires, alors qu'il est acquis, qu'outre la faculté de se joindre aux dits membres de l'association de défense, elle pouvait se manifester auprès de la société Cefic pour voir transférer ses intérêts immobiliers dans le cadre de la construction du nouveau centre, faculté qu'elle n'a pas exercé à défaut de faire preuve d'un minimum de diligence ;que le transfert des droits immobiliers nécessitait à tout le moins une manifestation de volonté de la part des personnes intéressées; qu'elle ne peut dès lors valablement reprocher à la société Cefic de n'avoir formulé, en 1995, de propositions d'indemnisation sous forme de rachat pur et simple des locaux sur la base d'un prix de 5.800 francs par m2 qu'à ceux des copropriétaires qui s'étaient antérieurement manifestés ni sérieusement soutenir avoir été injustement exclue de ces propositions, alors qu'elle s'est toujours abstenue de toute démarche ;

Que la SCI ne pouvait, en effet, sans faire montre d'un particulier désintérêt, ignorer l'évolution de la situation dont elle était tenue informée tant au travers des procès-verbaux d'assemblées générales de copropriétaires qu'au travers de la presse ; que ce manque d'intérêt, exactement souligné par les premiers juges, résulte tant de l'absence systématique de la SCI aux assemblées générales de copropriétaires que du manque de contact qu'elle a eu avec ses locataires ; qu'elle ne peut dans ces conditions imputer la responsabilité de sa carence et de sa situation actuelle à la société Cefic dont l'opération a été réalisée conformément aux autorisations administratives régulièrement obtenues ;

Considérant que la SCI ne démontre pas que la société Cefic ait usé de manœuvres déloyales ni de moyens illicites pour inciter les locataires à rejoindre le nouveau centre ;que s'agissant d'une opération régulièrement autorisée comme étant conforme aux dispositions de la loi de 1973 et aux intérêts économiques de la région, la société Cefic ne peut valablement se voir reprocher un quelconque " débauchage " déloyal de la clientèle des locataires ni la recherche d'un soutien de copropriétaires du centre Supermonde pour la présentation dudit projet, lequel soutien procède de la nature même d'une telle opération ;

Sur le non respect du règlement de copropriété régissant le centre Supermonde :

Considérant que la SCI reproche également, devant la Cour, à la société Cefic, pris en sa qualité de copropriétaire du centre Supermonde, d'avoir méconnu les obligations qui résultent du règlement de copropriété du 20 octobre 1969, modifiée le 9 septembre 1970, à valeur contractuelle, lequel dispose, en son article 9 m) : " sauf cas de force majeure, chaque copropriétaire du centre commercial doit tenir par lui-même ou par son locataire son magasin constamment approvisionné et exploité ", et de lui avoir ainsi causé un trouble de jouissance ; que la fermeture des locaux dont la Cefic s'est rendue propriétaire au sein du centre Supermonde à raison de l'ouverture du nouveau centre, ne peut, selon elle, s'effectuer sans violer les dispositions du règlement de copropriété ; qu'elle ajoute que la destination commerciale du centre contraignait la Cefic à maintenir l'activité commerciale dans les locaux lui appartenant ;

Considérant que si ce moyen, nouveau devant la Cour, est recevable en ce qu'il tend à dénoncer, de la part de la société Cefic, un comportement jugé fautif, qui serait à l'origine du préjudice économique subi, invoqué en première instance et dont la réparation est poursuivie depuis l'acte introductif d'instance, force est de constater, comme le souligne à juste titre la société intimée, que ce moyen est inopérant , le transfert d'activité, engendré par le départ de l'hypermarché et d'autres commerçants n'étant pas, en lui-même, fautif dès lors qu'il intervient dans le cadre de la création d'un nouveau centre régulièrement autorisé ;que la SCI, si elle avait manifesté un quelconque intérêt pour le projet en cours qu'elle n'ignorait pas et dont elle a été tenue informée, avait la faculté d'y participer ;

Que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du règlement de copropriété est dépourvu de pertinence et doit donc être rejeté ;

Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :

Considérant qu'il convient de faire bénéficier la société Cefic des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et de lui allouer une indemnité de 30.000 francs pour ses frais irrépétibles en cause d'appel ; que la SCI Paris-Caen qui succombe doit être déboutée de la demande qu'elle a formée de ce chef ;

Par ces motifs, confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, Y ajoutant, condamne la SCI Paris-Caen à payer à la société Cefic la somme de 30.000 francs par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour ses frais irrépétibles en cause d'appel, rejette toute autre demande, condamne la SCI Paris-Caen aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.