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Décisions

CA Reims, ch. soc., 28 juin 2000, n° 97-00691

REIMS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

La Mondiale (SA)

Défendeur :

Salembier

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Merzi

Conseillers :

M. Scheibling, Mme Bolteau-Serre

Avocat :

Me Jonquois.

Cons. prud'H. Troyes, sect. com., du 11 …

11 février 1997

Fabrice Salembier a été engagé sans détermination de durée le 1er décembre 1993 en qualité d'agent stagiaire salarié par la Société d'Assurances " La Mondiale " occupant habituellement plus de dix salariés.

Il a été titularisé à partir du 1er décembre 1994, devenant, selon l'avenant au contrat de travail, un agent producteur titulaire dont la rémunération était composée d'un traitement mensuel fixe de 4.010,20 F. auquel s'ajoutaient des commissions calculées sur les affaires personnellement réalisées, avec minimum imposé, ainsi que deux rappels de fin d'exercice.

Il était expressément stipulé au contrat que ces différents éléments de rémunération étaient déterminés à raison de neuf dixièmes pour la rétribution de l'activité (frais professionnels inclus) et de un dixième à titre d'indemnité de congés payés (hors frais professionnels).

Etait en outre précisé à l'article 7-3 du contrat de travail que ces rémunérations couvraient non seulement la rétribution normale de l'activité, mais aussi les frais de toute nature engagés par le salarié dans l'accomplissement de ses fonctions, ces frais étant évalués forfaitairement à 30 % de la rémunération globale.

Le 7 mars 1995, Fabrice Salembier a été invité par son supérieur hiérarchique, Monsieur Ritz, à cesser immédiatement toutes ses fonctions, ainsi qu'à remettre les documents et matériels qui lui permettaient d'accomplir sa mission Carte professionnelle, Tarif, Fichier, Carte Mondiale-Accidents, etc..., au motif que ce dernier aurait appris que le salarié se serait introduit dans son bureau, en son absence, à l'aide d'un passe, au cours du mois d'Août 1994.

Le même jour, Monsieur Salembier a protesté auprès de la Direction contre cette décision qui le mettait dans l'incapacité de poursuivre son travail. Deux autres courriers recommandés, des 15 mars et 21 mars, ont été adressés à Monsieur Ritz, tandis que parallèlement le salarié saisissait l'inspection du Travail et les délégués du personnel de l'entreprise.

Ce n'est que le 27 mars 1995 que la Direction a réagi en notifiant à Monsieur Salembier un avertissement pour les faits qui se seraient passés au mois d'Août en lui faisant en outre savoir qu'elle restait dans l'attente de sa reprise de fonctions.

Le 5 avril 1995, le salarié a contesté l'avertissement qui lui était infligé tout en protestant à nouveau contre l'attitude de son employeur qui avait, selon lui, rompu son contrat de travail, grief dont il saisissait le même jour la juridiction prud'homale.

En réponse, la société a mis en œuvre, le 7 avril, une procédure de licenciement, et Monsieur Salembier a été licencié par lettre recommandée du 25 avril 1995, lui reprochant un abandon de pose depuis le 27 mars. Son préavis lui a été réglé.

Par jugement du 11 février 1997, la section commerciale du Conseil de Prud'hommes de Troyes a :

- dit Monsieur Salembier partiellement fondé en ses réclamations,

- condamné la SA La Mondiale Assurances à lui payer les sommes suivantes :

-- 976,80 F. au titre de l'indemnité de congés payés en deniers ou en quittance, -- 96.000 F. à titre de dommages-intérêts pour tous préjudices confondus, -- 2.000 F. au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- ordonné la rectification du bulletin de salaire correspondant aux congés payés, ainsi que l'attestation Assedic,

- débouté Monsieur Salembier du surplus de ses demandes,

- débouté la SA La Mondiale Assurances de sa demande reconventionnelle,

- mis les éventuels dépens à la charge de la S.A. La Mondiale Assurances.

Par pli recommandé expédié le 5 mars 1997, la Société La Mondiale a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses écritures déposées au Secrétariat-Greffe de la Chambre Sociale le 2 mai 2000 pour l'audience du 15 mai, la société appelante conclut :

vu l'article 122-14-5 du Code du Travail,

- déclarer Monsieur Fabrice Salembier irrecevable en ses demandes,

- infirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Troyes en date du 11 février 1997 en toutes ses dispositions,

- dire et juger que le licenciement de Monsieur Salembier est justifié,

- débouter Monsieur Salembier de l'ensemble de ses demandes,

- condamner Monsieur Salembier à la somme de 5.000 F. en application de l'article 700 et aux entiers dépens.

A cette fin, elle fait essentiellement valoir que le salarié n'a jamais été l'objet d'un licenciement de fait et qu'il n'a pas repris son poste alors qu'il y était invité depuis le 27 mars. Subsidiairement, elle estime excessif le montant des dommages-intérêts, alors que Monsieur Salembier ne justifie pas de sa situation depuis le licenciement, si ce n'est d'avoir quitté Troyes pour Toulon, dès l'entretien préalable, ce qui démontre de plus fort, sa volonté de ne plus travailler pour La Mondiale.

Elle ajoute que les demandes du salarié concernant sa rémunération ne prennent pas en compte ses frais professionnels ni que celle-ci subissait l'abattement de 30 % pour le calcul de ses cotisations ;

Que l'article 9-4 du contrat de travail s'oppose à tout versement d'un prétendu rappel de commissions ;

Que la demande nouvelle concernant la clause de non-concurrence est trop tardive, donc irrecevable car ne respectant pas le principe du contradictoire ; qu'en tout état de cause le salarié ne peut qu'être débouté car la convention collective prévoit expressément de telles clauses sans contrepartie financière.

Pour sa part, l'intimé dépose sur le bureau de la Cour, le 15 mars 2000, des conclusions portant appel incident, dont le dispositif est ainsi libellé :

- la Cour recevra la Société d'Assurances La Mondiale en son appel mais la dira mal fondée,

par suite,

- dira le licenciement abusif dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- confirmera la décision des premiers juges et condamnera la Société d'Assurances La Mondiale à régler au salarié la somme de 96.000 F. "à ce titre,

- dira le salarié bien fondé en sa demande d'indemnisation au titre du paiement de l'indemnité de la clause de non concurrence,

- condamnera la Société d'Assurances La Mondiale à régler au salarié la somme de 289.544,28 F. à ce titre,

- dira le salarié bien fondé en sa demande de paiement du reliquat de commissions pour l'exercice 1995,

- condamnera la Société d'Assurances La Mondiale à régler au salarié la somme de 28.997,61 F. à ce titre,

- dira le salarié bien fondé en sa demande de paiement du reliquat d'indemnité de congés payés,

- condamnera la Société d'Assurances La Mondiale à régler au salarié la somme de 10.581,34 F. à ce titre,

- condamnera la Société d'Assurances La Mondiale à régler au salarié la somme de 5.000 F. au titre de l'article 700 du Nouveau Code de "Procédure Civile,

- ordonnera :

- le paiement des intérêts de droit depuis la saisine du Conseil de Prud'hommes en ce qui concerne les compléments de commissions et "d'indemnité de congés payés,

- l'établissement d'une nouvelle attestation Assedic conforme aux bulletins de paie de l'année précédant le licenciement et au montant réel de l'indemnité de congés payés,

- condamnera enfin la Société La Mondiale aux entiers dépens.

Sur ce, LA COUR,

Attendu, sur le licenciement, que le salarié est bien fondé à soutenir que la société, en le privant, à partir du 7 mars, de tous les documents, notamment carte professionnelle et matériels, nécessaires à l'exercice de son activité, le sanctionnait par une interdiction unilatérale d'occuper son emploi, revenant à une rupture de fait de son contrat de travail puisqu'il n'avait plus la possibilité de prospecter la clientèle et de travailler ; que d'ailleurs l'article 6 du contrat de travail constate que la restitution de ces documents et matériels signifie la cessation des fonctions du salarié ;

Qu'en laissant Fabrice Salembier dans l'expectative, pendant le mois de Mars, sans apporter de réponses immédiates à ses interrogations sur le sort de son contrat de travail, si ce n'est un avertissement daté du 27 mars, pour des faits anciens et au demeurant contestés, manifestement infligé tardivement après que la société ait été avisée de la saisine de l'Inspecteur du Travail et du délégué du personnel, l'employeur a eu un comportement qui autorisait le salarié à considérer que son contrat était de fait rompu par la faute de la société ;

Que cette attitude doit bien s'analyser en un licenciement imputable à La Mondiale qui ne peut s'en exonérer en se retranchant derrière la procédure de licenciement qu'elle a mise en œuvre artificiellement le 7 avril, alors qu'à cette date la rupture était déjà consommée et que le salarié, auquel n'avait pas été restitué les documents de travail, avait déjà saisi la juridiction prud'homale de ses conséquences ;

Attendu qu'eu regard de l'ancienneté limitée du salariée dans l'entreprise et compte tenu du fait que ce dernier n'apporte aucun élément permettant de vérifier sa situation professionnelle depuis ce licenciement, il échet de limiter la réparation de son préjudice à la somme de 55.000 F. ;

Attendu que l'article 6-2 du contrat de travail prévoit que Fabrice Salembier devra pendant deux ans, après la rupture, s'abstenir de présenter des opérations d'assurance sur la vie ou de capitalisation dans les cantons où il a exercé son activité pour le compte de La Mondiale ;

Attendu que la demande d'indemnisation présentée de ce chef pour la première fois devant la Cour est recevable en vertu de l'article R. 516-2 du Code du Travail ;

Que cette réclamation, certes tardive car formulée le 10 mai, quelques jours avant l'audience de plaidoirie, ne saurait pas plus être écartée, dans la mesure où la Cour a pu constater qu'elle avait pu faire l'objet d'un débat contradictoire complet devant elle ;

Attendu que cette clause de non concurrence a été, à l'évidence, édictée dans un souci bien compris de l'entreprise de protéger ses intérêts contre une prospection de ses anciens salariés qui démarcheraient sa propre clientèle ou seraient tentés de la faire passer à la concurrence ;que cette clause, conforme aux dispositions de l'article 21 de la Convention Collective des producteurs salariés de base des services extérieurs de production des sociétés d'assurances, dont un exemplaire a été remis à Fabrice Salembier lors de son embauche, est raisonnablement limitée dans le temps et dans l'espace puisque le secteur géographique interdit ne concerne que quelques cantons du département de l'Aube ;qu'elle n'interdit nullement au salarié l'exercice d'une activité professionnelle correspondant à ses capacités puisqu'une grande partie du champ de l'assurance lui restait librement accessible, même dans le département de l'Aube, et que, par ailleurs, l'intéressé, dès la fin du mois de Mars, a regagné sa résidence d'origine à Toulon qu'il n'avait jamais complètement délaissée, même pendant son séjour dans l'Aube ;

Que la clause de non concurrence est donc parfaitement licite et régulière ;

Que ne prévoyant aucune contrepartie financière, ce qui est là encore conforme à la convention collective, le salarié est mal venu d'en réclamer l'indemnisation ; qu'il sera en conséquence débouté de sa demande en paiement de la somme de 289.544,28 F. ;

Attendu que Fabrice Salembier réclame un complément d'indemnité de congés payés de 10.581,34 F. au motif que l'employeur ne lui aurait pas versé l'indemnité égale au dixième de la masse salariale brute de l'année de référence puisqu'il ne lui a versé que 14.731,06 F.

Attendu cependant que le calcul du salarié porte sur le total des salaires bruts qui lui ont été versés pendant toute l'embauche de Décembre 1993 à Mars 1995, sans apparemment prendre en compte les stipulations précises du contrat de travail incluant l'indemnité de congés payés hors frais professionnels dans sa rémunération mensuelle qui comporte en outre une indemnité forfaitaire de 30 % pour couvrir ses frais professionnels ; que les sommes représentatives de frais professionnels, même forfaitairement fixées, n'entrent pas dans la rémunération retenue pour le calcul des congés payés ;

Qu'en versant au salarié une somme de 14.731,06 F. calculée sur la base de 70 % du salaire brut annuel pour la période d'Avril 1994 à Mai 1995, après déduction de l'indemnité de congés payés déjà versée et du prorata du double mois, la Société La Mondiale a pleinement rempli Monsieur Salembier de ses droits ;

Attendu, par ailleurs, que l'indenmité forfaitaire de frais professionnels contractuellement prévue exclut que celle-ci soit prise en compte dans l'évolution du salaire brut, dont les bulletins de paie révèlent que les cotisations de Sécurité Sociale étaient calculées sur la rémunération ayant supporté abattement des 30 % pour frais professionnels ; que les sommes portées sur l'attestation Assedic l'ont donc été correctement et correspondent aux salaires qui méritent d'y figurer après cet abattement ; qu'il n'y a donc lieu à rectification de ce document ;

Attendu que Fabrice Salembier soutient qu'il aurait droit à un rappel de commissions de 28.997,61 F. car la société ne lui aurait pas réglé le reliquat sur des contrats toujours en vigueur après la rupture ;

Mais attendu que le contrat de travail prévoit en son article 9-4 relatif aux commissions que celles-ci, qu'elles soient escomptées ou répétitives, cessent d'être dues dès la rupture du contrat de travail ; qu'il n'est pas soutenu, ni même allégué, que l'application de cette clause contractuelle a eu pour effet de priver le salarié de son droit à paiement du salaire minimum de sa catégorie ;

Qu'en outre l'examen du tableau des commissions et les contrats qui en sont la cause, produits par la société, démontre bien que le commissionnement non perçu correspond à des cotisations postérieures à son départ de l'entreprise ;

Qu'il échet de confirmer de ce chef le jugement entrepris ayant débouté Monsieur Salembier ;

Attendu que la société, qui succombe, supportera les dépens sans pouvoir prétendre à la moindre allocation au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement ; Déclare recevables en la forme les appels principal et incidents, au fond les dit mal fondés ; Infirme, dans la mesure utile, le jugement du Conseil de Prud'hommes de Troyes du 11 février 1997 ; Statuant à nouveau, Condamne la Société La Mondiale à payer à Fabrice Salembier la somme de cinquante cinq mille francs (55.000 F.) à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; Déboute Monsieur Salembier de toutes ses autres demandes ; Dit n'y avoir lieu à rectification de l'attestation Assedic ; Confirme, pour le surplus, le jugement entrepris, notamment en ce qui concerne l'indemnité de deux mille francs (2.000 F.) pour frais irrépétibles ; Condamne la Société aux éventuels dépens d'appel.