CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 25 octobre 2001, n° 98-07276
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Noblet Logistique (SA)
Défendeur :
Etablissement Albert (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Laporte
Conseillers :
MM. Fedou, Coupin
Avoués :
SCP Keime- Guttin, SCP Lefèvre & Tardy
Avocats :
Mes Hoebanx, Perez.
FAITS ET PROCEDURE
La SA Noblet Logistique, aux droits de la société Noblet, et la SARL Etablissements Albert sont spécialisées dans la commercialisation d'articles et de fournitures de bureau, la première étant l'agent exclusif de marques notoires tandis que la seconde exploite directement son activité sous sa propre marque " Alba ".
En 1989, la société Albert a lancé sur le marché un pèse-lettres PRE-1000 et la société Noblet a commencé à importer d'Allemagne et à diffuser en France des pèses-lettres électroniques fabriqués par la société Soehnle sous la marque Maul.
La société Albert ayant appris qu'un instrument de pesage-maul référencé n° 16.120 était distribué sur le territoire français par la société Noblet sans avoir fait l'objet au préalable d'une homologation auprès du service des instruments et mesures SIM en a informé, par lettres des 14 mai 1992 et 28 octobre 1992, la Direction Régionale de l'industrie de la Recherche et de l'Environnement - Drire-.
Fuis dûment autorisée par ordonnance sur requête du 24 décembre 1992, la société Albert a fait procéder à un constat d'huissier le 15 février 1993 et a assigné la société Noblet devant le Tribunal de Commerce de Nanterre en réparation du préjudice prétendument subi résultant de l'acte de concurrence déloyale qu'elle lui a imputé à ce titre.
Par jugement avant dire droit du 10 mai 1994, cette juridiction a désigné Monsieur Doret en qualité d'expert.
En suite du rapport d'expertise déposé le 28 juin 1996, le tribunal par une seconde décision rendue le 2 juin 1998 a condamné la société Noblet à payer à la société Albert la somme de 612 250 F avec intérêts légaux à compter de l'assignation du 13 juillet 1993 et le bénéfice de l'exécution provisoire sous réserve de la fourniture par la société Albert d'une caution d'égale montant en cas d'appel, alloué à la société Albert une indemnité de 20 000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et condamné la défenderesse aux dépens.
Appelante de ce jugement, la société Noblet soutient que la société Albert ne démontre pas l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité.
Elle fait valoir à cet effet que l'approbation administrative invoquée n'était pas indispensable au regard de l'article 6 alinéa 4 du décret n° 88.682 du 6 mai 1988 dans la mesure où les modèles importés étaient conformes aux normes de fabrication allemandes.
Elle souligne que la société Albert ne justifie pas que la différence de prix entre les deux produits est due au coût et aux délais, que celle-ci n'aurait supporter pour obtenir l'homologation de ses produits.
Elle considère, en toute hypothèse, que l'évaluation du quantum du préjudice opérée par les premiers juges est manifestement excessive et totalement incohérente en relevant qu'il devrait être limité à la commercialisation du modèle 161-20 pendant la période de mai 1992 à novembre 1992, laquelle n'aurait eu selon elle qu'un impact économique négligeable.
Elle sollicite donc l'entier débouté de la société Albert, subsidiairement, la réduction de la condamnation intervenue à son encontre à 89 000 F et dans tous les cas, l'octroi d'une indemnité de 50 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile en sa faveur.
La société Albert reproche à la société Noblet d'avoir violé intentionnellement les lois et règlements applicables en matière d'homologation d'instruments de mesure et commis à son détriment des actes de dénigrement en observant que la société appelante savait parfaitement que la réglementation administrative applicable en France allait être modifiée à partir du 1er janvier 1993.
Elle estime que l'argumentation développée par la société Noblet sur le montant du préjudice est inopérante.
Elle conclut à la confirmation intégrale du jugement déféré et réclame, en outre, 100 000 F de dommages et intérêts pour appel abusif et une indemnité de 50 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Considérant qu'aux termes de l'article 6 du décret n° 88.682 du 06 mai 1988, tout instrument de mesure appartenant à une catégorie soumise à l'approbation de modèle ne peut être mise sur le marché ou utilisé que s'il est conforme à un modèle présenté par son constructeur et ayant fait l'objet d'une décision d'approbation après vérification qu'il répond aux prescriptions applicables à la catégorie d'instruments à laquelle il appartient ;
Considérant que la société Noblet justifie que la société Soehnle, fabricante des balances Maul n° 16.411 et 16.421 a obtenu, préalablement à la distribution sur le marché français, l'approbation de ses deux modèles par la Drire, selon décision du 24 août 1988, lesquels ont, en outre, donné lieu à une déclaration d'entrée d'instruments de mesure délivrée, le 19 septembre 1989, par le Service des Instruments de mesure du Ministère de l'Industrie à la société Noblet attestant leur vérification en France et leur poinçonnage officiel conformément à la réglementation en vigueur ;
Considérant, en revanche, que la société Noblet ne démontre pas que cette procédure ait été respectée au titre du pèse-lettres Maul référencé sous le numéro 16120, sans pouvoir prétendre bénéficier de la dérogation à l'obligation d'une décision d'approbation prévue à l'alinéa 4 du texte précité, laquelle requiert des conditions tenant à la nécessité d'un produit légalement fabriqué et commercialisé dans un autre Etat membre de la " Communauté Européenne " et de garanties présentées par les prescriptions applicables à ce produit dans l'autre Etat membre équivalentes à celles qu'apportent l'approbation de modèles définie dans le décret du 6 mai 1988 dont elle n'établit pas la réunion cumulative en l'espèce, ni dont d'ailleurs, elle n'a fait état auprès de la Drire, lorsqu'elle l'a mise en demeure de se conformer à la législation en la matière n'ayant suscité aucune objection ou réserve de sa part ;
Considérant que la société Noblet ne démontre pas davantage avoir pu se dispenser de solliciter l'homologation du SIM en 1992 pour le modèle 16.120 dès lors qu'elle ne justifie nullement qu'il constituerait une simple modification esthétique des produits 16.421 et 16.411 selon une thèse qui s'avère démentie tant par l'examen comparatif des produits de la gamme Maul distribuée par la société Noblet qui confirme l'existence de caractéristiques techniques différentes, l'ancien modèle étant à quartz rouge et le nouveau à cristaux liquides ou LCD, que par lettre de la société MAUL du 23 septembre 1994 indiquant que le pèse-lettres en cause correspond à une " évolution technologique normale de l'ancienne version " ;
Considérant qu'il est ainsi patent que la société Noblet a perturbé le marché en question en s'affranchissant de la réglementation légale alors en vigueur lui imposant d'obtenir l'approbation du pèse-lettres Maul 161.20 avant de le commercialiser et en se plaçant consécutivement dans une situation anormalement favorable vis à vis de la société Albert qui démontre l'avoir respectée ;
Considérant de surcroît que la faute commise par la société Noblet s'est accompagnée d'actes de dénigrement à l'égard des produits de la société Albert puisqu'elle ne conteste pas, pour promouvoir ses nouveaux produits, avoir diffusé auprès des grandes centrales françaises de distribution, clientèle commune des deux sociétés, un comparatif de vente vantant les qualités du dernier pèse-lettres Maul au détriment de celui de la marque Alba commercialisé par la société Albert et mettant en exergue le différentiel de prix sans naturellement spécifier qu'il provient pour partie du non acquittement par elle des frais et taxes assumés, en revanche, par la société Albert qui n'a pas enfreint, comme elle, les dispositions du décret du 6 mai 1988 ;
Considérant que le tribunal a donc estimé, à bon droit que la responsabilité de la société Noblet était engagée au titre de ses agissements de concurrence déloyale perpétrés envers la société Albert ;
Considérant, en revanche, que les premiers juges n'ont pas procédé à une exacte appréciation du préjudice subi par la société Albert ;
Considérant, en effet, que le préjudice résultant du manque à gagner de la société Albert ne peut être calculé en tenant compte des marges brutes réalisées par la société Noblet sur les années 1991, 1992 et 1993 comme l'ont opéré l'expert et le tribunal dès lors qu'il ne peut concerner que les conséquences de la mise illicite sur le marché par cette dernière du pèse-lettres 161.20 à partir du mois de mai 1992 jusqu'à son retrait en novembre 1992 à la suite de l'injonction de la Drire de bloquer immédiatement le stock de 39 produits de type 161.20, d'en arrêter la distribution et l'importation et d'exiger le retour desdits produits, notifié le 13 novembre 1992 à la société Noblet ;
Considérant que pour déterminer ce préjudice engendré par la commercialisation du nouveau modèle 161.20 par la société Noblet pendant la période de six mois s'étant écoulée de mai à novembre 1992, il importe de retenir le nombre de pèse-lettres vendus par elle pendant six mois de l'année 1992, soit 542 (1084 : 2) représentant un montant de 79 430 F (178.860 : 2) auquel sera réduit sa condamnation de ce chef ;
Considérant, en outre, que la société Noblet en éludant la procédure et le coût de l'homologation administrative a pu bénéficier également de six mois de délai non critiqué correspondant au processus d'approbation, pour conquérir de nouvelles parts du marché spoliant de manière symétrique la concurrence constituée notamment de la société Albert, laquelle est fondée à obtenir réparation de ce préjudice économique spécifique qui au vu de l'ensemble des éléments d'appréciation dont dispose la Cour sera suffisamment indemnisé par l'octroi d'une somme de 70 000 F en infirmant le jugement attaqué sur ces points ;
Considérant que la société Albert ne démontrant pas le caractère abusif de l'appel que la société Noblet était en droit d'exercer et se révélant non totalement infondé, sera déboutée de sa demande en dommages et intérêts ;
Considérant que l'équité ne commande pas d'accorder à l'intimée une indemnité complémentaire au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile eu égard au montant de celle qui lui a déjà été allouée en première instance ;
Considérant que la société Noblet qui succombe à titre principal en ses prétentions, supportera les dépens d'appel.
Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; Confirme le jugement déféré sauf à réduire le montant de la condamnation en principal prononcée à l'encontre de la SA Noblet, aux droits de laquelle se trouve la SA Noblet Logistique à la somme de 159 430 F (24 304,95 euros) ; Déboute la SARL Albert de sa demande de dommages et intérêts ; Rejette les prétentions des parties en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne la SA Noblet Logistique aux dépens d'appel qui seront recouvrés par la SCP Lefèvre-Tardy, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.