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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 15 mars 2002, n° 1999-23327

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Biotonic (SA)

Défendeur :

Etablissement Caisse d'Epargne et de Prévoyance Ile de France Paris, Etablissement Caisse d'Epargne de Bourgogne, Caisse Nationale des Caisses d'Epargne et de Prévoyance, Etablissement Caisse d'Epargne des Pays Lorrains, Etablissement Caisse d'Epargne Centre Val de Loire

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

Mmes Schoendoerffer, Regniez

Avoués :

SCP Garrabos Gerigny-Freneaux, Me Baufume

Avocats :

Mes Martinet, Moyersoen.

T. com. Paris, 15e ch., du 24 sept. 1999

24 septembre 1999

Biotonic qui commercialise par correspondance divers produits et principalement des " compléments alimentaires biologiques " sous la marque " Notre vie ", a organisé à compter du 31 juillet 1997 un jeu promotionnel, avec tirage au sort intitulé " Opération des 100.000 francs - Jeu 47 - Version " Le Compte d'Epargne " comportant notamment un " Livret d'Epargne Notre Vie " sur lequel figurait un écureuil stylisé.

Le CENCEP et les Caisses d'Epargne, estimant que ces documents publicitaires diffusés par voie de publipostage utilisaient indûment des éléments d'identification visuelle qui leur étaient propres et créaient une confusion avec les documents qu'elles diffusaient elles-mêmes, ont assigné la société Biotonic en concurrence déloyale.

La société Biotonic avait conclu à l'incompétence territoriale du tribunal de commerce de Paris, à l'irrecevabilité des demandes pour défaut de qualité et d'intérêt à agir du CENCEP et des Caisses d'Epargne, et enfin à leur mal fondé, aucun risque de confusion, selon elle, n'existant entre ses produits et ceux des Caisses d'Epargne, et les demandeurs ne justifiant à ses yeux d'aucun préjudice.

Le tribunal, qui a rejeté les exceptions d'incompétence et d'irrecevabilité, a estimé qu'un facteur d'association dans l'esprit de la clientèle entre le caractère familier et rassurant des Caisses d'Epargne et la société Biotonic avait été fautivement mis en œuvre par cette dernière, visant ainsi à déplacer sur ses produits une partie de la renommée des Caisses d'Epargne et il a condamné la société Biotonic du chef de concurrence déloyale.

Dans son jugement du 24 septembre 1999, le tribunal a :

- dit la société Biotonic mal fondée en son exception d'incompétence et retenu sa compétence,

- dit la société Biotonic mal fondée en son exception d'irrecevabilité pour défaut d'intérêt à agir des demanderesses,

- dit que la société Biotonic s'est rendue coupable de concurrence déloyale à l'égard des demanderesses,

- fait interdiction à la société Biotonic de poursuivre ou reprendre la diffusion des produits litigieux, sous astreinte de 500 francs par document diffusé à compter du dixième jour qui suivra la signification du jugement,

- condamné la société Biotonic à payer aux demanderesses les sommes de 50.000 francs à titre de dommages et intérêts et de 50.000 francs au titre de l'article 700 du NCPC,

- débouté la société Biotonic de sa demande reconventionnelle,

- autorisé la publication par les demanderesses de tout ou partie du jugement dans cinq périodiques de leur choix, et dit que la société Biotonic devra leur rembourser la somme maximum de 30.000 francs au titre de cette publication,

- ordonné l'exécution provisoire, sauf sur la mesure de publication et l'article 700 du NCPC,

- condamné la société Biotonic aux dépens.

La société Biotonic, ayant interjeté appel, prie la Cour dans ses dernières conclusions signifiées le 20 mars 2000 de :

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il l'a condamnée du chef de concurrence déloyale à payer les sommes de 50.000 francs à titre de dommages et intérêts et 50.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile aux intimées, ordonner, sous exécution provisoire, la publication du jugement et déclarer irrecevables, et en tout état de cause mal fondées, les prétentions des intimées et en conséquence, les rejeter,

- la recevoir en sa demande reconventionnelle, l'en dire bien fondée et en conséquence :

-- condamner solidairement les intimées à lui payer la somme de 500.000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

-- condamner les intimées à lui payer chacune la somme de 15.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'en tous les dépens.

Le GTE CENCEP ayant été dissous par une loi du 25 juin 1999 à compter du 29 septembre 1999 et ses biens, droits et obligations ayant été intégralement transférés à la société dénommée Caisse Nationale des Caisses d'Epargne et de Prévoyance - CNCEP, celle-ci a constitué avoué devant la Cour aux cotés des Caisses d'Epargne parties en première instance.

La CNCEP et les Caisses d'Epargne ont conclu en dernier lieu le 17 août 2000 et demandent à la Cour de :

- confirmer le Jugement du Tribunal de Commerce de Paris en date du 24 septembre 1999 en ce qu'il dit la société Biotonic mal fondée en son exception d'irrecevabilité pour défaut d'intérêt à agir des intimées,

- en conséquence les déclarer recevable en leurs demandes,

- confirmer le Jugement du Tribunal de Commerce de Paris en ce qu'il dit que la société Biotonic s'est rendue coupable de concurrence déloyale à leur égard,

- réformer ce Jugement en ce qu'il fixe à 50.000 francs le montant des dommages et intérêts auxquels il condamne la société Biotonic,

- condamner en conséquence la société Biotonic à payer la somme de 500.000 francs à la CNCEP et la somme de 100.000 francs à chacune des Caisses intimées, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

- condamner la société Biotonic à adresser une expédition de la décision à intervenir sous pli neutre et nominatif à chacun des prospects destinataires du jeu litigieux,

- autoriser le CNCEP à publier tout ou partie du jugement dans cinq périodiques de son choix et ce aux frais exclusifs de la société Biotonic,

- débouter la société Biotonic de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles,

- condamner la société Biotonic à payer à chacune des parties intimées la somme de 20.000 francs au titre de l'article 700 du NCPC,

- confirmer le jugement le jugement du Tribunal de Commerce en toutes ses autres dispositions,

- condamner l'appelante aux entiers dépens.

Sont ici expressément visées les conclusions ci-dessus mentionnées.

Sur ce LA COUR :

Considérant que Biotonic qui ne reprend pas devant la cour son exception d'incompétence territoriale, soulève en revanche à nouveau l'irrecevabilité à agir de la CNCEP et des Caisses d'Epargne ; qu'elle soutient, d'une part, que ses adversaires ne rapportent pas la preuve des faits allégués au soutien de leurs demandes ni celle d'un préjudice, d'autre part, qu'elles ne justifient pas d'un intérêt à agir ;

Mais considérant sur le premier point que les intimées ont allégué des faits précis au soutien de leurs prétentions, communiqué des éléments rapportant selon elles la preuve de ces faits et invoqué un préjudice dont elles ont indiqué en quoi il se caractérisait et le montant auquel il s'élevait selon elles ; que les contestations de Biotonic sur les faits incriminés et le préjudice invoqué, relèvent de l'examen de l'affaire au fond et ne sont pas de nature à mettre en cause globalement la recevabilité de l'action introduite à son encontre ;

Considérant sur le second point que Biotonic conteste l'intérêt à agir de la CNCEP et des Caisses d'Epargne en faisant valoir que les caisses régionales qui se sont jointes à l'instance en invoquant des " mailings " reçus par des personnes demeurant dans leurs ressorts d'activité respectifs ne démontrent pas que ces personnes auraient été leurs clientes, et que la CNCEP ne prouve pas qu'il aurait été porté préjudice à l'intérêt collectif des caisses dès lors qu'elle n'établit pas que les " mailings " qu'elle produit auraient été reçus par des clients des caisses d'épargne ;

Considérant que la CNCEP qui a pour objet social (comme le GTE auquel elle a été substituée) de représenter le réseau des caisses d'épargne pour faire valoir ses droits et intérêts communs a, de ce fait, - sans avoir à prouver que des clients des caisses d'épargne auraient été destinataires des " mailings " incriminés - qualité et intérêt pour agir en concurrence déloyale à l'encontre d'un tiers tel que Biotonic qui aurait, selon elle, commis des actes de concurrence déloyale au préjudice du réseau, notamment en imitant ses signes distinctifs et en portant atteinte à l'image et à la notoriété des Caisses d'Epargne ;

Considérant en revanche que la défense des intérêts du réseau étant assurée par la CNCEP, les caisses d'épargne régionales doivent justifier à l'appui de leurs actions respectives d'un préjudice propre, en démontrant que des actes constitutifs selon elles de concurrence déloyale auraient été commis auprès de leurs clients effectifs; qu'elles ne font pas cette preuve, et ne peuvent pas soutenir que le simple fait que des mailings aient été adressés à des personnes résidant dans leurs secteurs respectifs d'activité dont il n'est pas établi qu'elles seraient leurs clientes leur aurait causé un préjudice direct et personnel, distinct du préjudice collectif subi par le réseau dont la CNCEP poursuit par ailleurs la réparation ; qu'elles doivent par réformation du jugement être déclarées irrecevables en leurs demandes ;

Considérant sur le fond que Biotonic critique le jugement entrepris qui a retenu sa responsabilité en soutenant que les agissements qui lui sont reprochés n'ont suscité aucun risque de confusion, parce que l'écureuil qu'elle a reproduit sur son livret factice était dessiné de manière beaucoup plus figurative que l'écureuil stylisé des caisses d'épargne, et que ni le format, ni la couleur, ni la matière, ni les inscriptions n'étaient semblables à ceux du livret des Caisses d'épargne ;

Mais considérant que la CNCEP fait valoir exactement que :

- Biotonic a utilisé un logo visuel représentant un écureuil stylisé alors que depuis 45 ans un logo similaire permet l'identification visuelle des Caisses d'Epargne et de Prévoyance sur l'ensemble du territoire français,

- ce logo est apposé sur un livret " fac-similé " portant en couverture la mention " livret d'épargne - Votre vie " de format et de couleur semblables à ceux du livret A proposé par les Caisses d'Epargne à leur clientèle,

- le dépliant distribué reproduit un relevé de compte composé d'écritures comptables présentées sur des lignes horizontales alternant les couleurs bleue et blanche, caractéristiques du livret A,

- Biotonic a présenté un produit financier et un taux de rémunération de 7,44 % ;

Considérant que même si le dessin de l'écureuil et le livret factice n'étaient pas rigoureusement identiques à ceux des caisses d'épargne, il demeure qu'en diffusant des documents publicitaires réunissant l'ensemble des caractéristiques ci-dessus mentionnées, Biotonic a imité la présentation des services offerts par les Caisses d'épargne, créé un risque de confusion avec ceux-ci et commis des actes caractérisés de concurrence déloyale ; que comme le fait exactement valoir la CNCEP ces agissements ont eu pour effet de porter atteinte à l'image des caisses d'épargne et de leurs produits et de causer au réseau un trouble commercial d'autant plus important que le taux de 7,44 % mentionné par Biotonic était très supérieur à celui pratiqué par les caisses d'épargne ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit que Biotonic avait commis des actes de concurrence déloyale au préjudice du CENCEP aux droits duquel vient aujourd'hui la CNCEP ;

Considérant, sur le préjudice, que le montant des dommages intérêts (50.000 F) alloués au CENCEP par le tribunal apparaît insuffisant eu égard à la gravité du risque de confusion suscité, à l'atteinte portée à l'image des caisses d'épargne et au trouble commercial résultant de la différence entre le taux d'intérêt qu'elles offrent et le taux beaucoup plus élevé mentionné dans les documents publicitaires incriminés ; que compte tenu de ces éléments mais eu égard également à la circonstance que Biotonic a envoyé à chacun des destinataires du mailing incriminé une lettre de mise au point en février 1998, la cour estime qu'une indemnité de 20.000 ? réparera exactement le préjudice subi par la CENCEP aux droits duquel vient aujourd'hui la CNCEP ;

Considérant qu'en raison de l'ancienneté des faits et de la lettre rectificative ci-dessus mentionnée adressée à tous les destinataires de son mailing incriminé par Biotonic, il n'apparaît pas nécessaire de maintenir les mesures de publication ordonnées par le tribunal, ni de faire droit à la demande de la CNCEP tendant à ce que Biotonic soit condamnée à envoyer une nouvelle lettre faisant état du présent arrêt aux destinataires de son " mailing " litigieux ;

Considérant que Biotonic dont la responsabilité est retenue sera déboutée de sa demande en paiement de la somme de 500.000 F à titre de dommages intérêts pour procédure abusive ;

Considérant que l'équité commande de condamner Biotonic à payer à la CNCEP une indemnité complémentaire de 2.000 ? pour ses frais irrépétibles d'appel ;

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris, sauf du chef des condamnations prononcées au profit de la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Ile de France Paris, la Caisse d'Epargne de Bourgogne, la Caisse d'Epargne des Pays Lorrains, et la Caisse d'Epargne Centre Val de Loire, du montant des dommages intérêts alloués au CENCEP aux droits duquel vient aujourd'hui la Caisse Nationale des Caisses d'Epargne et de Prévoyance, ainsi qu'en ce qu'il a ordonné des mesures de publication ; Réformant, statuant à nouveau de ces chefs et ajoutant : Déclare irrecevables en leurs demandes la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Ile de France Paris, la Caisse d'Epargne de Bourgogne, la Caisse d'Epargne des Pays Lorrains, et la Caisse d'Epargne Centre Val De Loire ; Condamne la société Biotonic à payer à la Caisse Nationale des Caisses d'Epargne et de Prévoyance la somme de 20.000 ? à titre de dommages intérêts et celle de 2.000 ? à titre d'indemnité complémentaire par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Rejette toute autre demande ; Laisse à la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Ile de France Paris, la Caisse d'Epargne de Bourgogne, la Caisse d'Epargne des Pays Lorrains, et la Caisse d'Epargne Centre Val de Loire la charge de leurs dépens de première instance et d'appel ; Condamne la société Biotonic aux autres dépens d'appel ; Admet Me Baufume au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.