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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 5 décembre 2001, n° 2000-02394

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Man SK (SARL)

Défendeur :

Mannesmann Demag Krauss Maffei AG (Sté), Demag Cranes & Components (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

Mmes Magueur, Regniez

Avoués :

SCP Patricia Hardouin, SCP Bernabé-Chardin-Cheviller

Avocats :

Mes Guérin, Lavalade.

TGI Meaux, 1re ch., du 16 déc. 1999

16 décembre 1999

La société de droit allemand Mannesmann Demag Krauss Maffei AG, ci-après Mannesmann Demag, venant aux droits de la société Mannesmann Demag, est titulaire des marques dénominatives suivantes :

- Mannesmann, déposée le 14 juin 1990, à l'OMPI, enregistrée sous le n° 566 796, visant la France,

- Demag, déposée le 31 mai 1983, à l'OMPI, enregistrée sous le n° 485 602, visant la France,

pour désigner notamment les produits d'outillage, matériaux métalliques et de construction.

La société de droit français Mannesmann Dematic devenue Demag Cranes & Components, ci-après Demag, distribue à titre exclusif les produits revêtus des marques Demag sur le territoire français.

Estimant que la société Man SK a porté atteinte à leurs droits sur les marques susvisées et sur la dénomination sociale Mannesmann, les sociétés Mannesmann Demag et Demag, après avoir fait pratiquer une saisie-contrefaçon dans les locaux de la société Man SK, ont saisi le tribunal de grande instance de Meaux, aux fins de constatation d'actes de contrefaçon et de concurrence déloyale.

Par jugement du 16 décembre 1999, le tribunal a :

- déclaré régulière la procédure,

- donné acte à la société Mannesmann Demag du changement de sa dénomination sociale en Mannesmann Dematic,

- validé la saisie-contrefaçon du 11 juin 1997,

- dit que la société Man SK a contrefait la marque Demag par usage illicite,

- condamné la société Man SK à verser à la société Mannesmann Demag et à la société Mannesmann Dematic la somme de 100.000 F, soit 15.244,90 euros, à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi,

- ordonné la publication de la décision dans quatre périodiques professionnels au choix de la société Mannesmann Demag et de la société Mannesmann Dematic à leurs frais avancés, lesquels seront remboursés par la société Man SK sur présentations de factures justificatives, le montant de ces publications ne pouvant excéder la somme de 5.000 F HT chacune, soit 762,25 euros, soit au total la somme de 20.000 F, soit 3.048,98 euros,

- débouté la société Mannesmann Demag et la société Mannesmann Dematic du surplus de leurs demandes,

- débouté la société Man SK de sa demande reconventionnelle,

- condamné la société Man SK à payer à la société Mannesmann Demag et à la société Mannesmann Dematic la somme de 30.000 F, soit 4.573,47 euros, sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

LA COUR,

Vu l'appel de cette décision interjeté le 5 janvier 2000 par la société Man SK

Vu les dernières écritures signifiées le 15 octobre 2001 par lesquelles la société Man SK, poursuivant la réformation du jugement entrepris, soulève l'irrégularité de la procédure au regard des dispositions de l'article L. 716-7 du Code de la Propriété Intellectuelle et sur le fond, soutient que :

- elle a utilisé la marque Demag comme référence nécessaire des produits, que ceux-ci sont authentiques comme étant régulièrement acquis sur le marché allemand auprès de la société Erich Schafer,

- il n'existe aucun risque de confusion entre les dénominations Man SK et Mannesmann,

- la preuve d'un comportement parasitaire n'est pas démontrée,

et demande à la Cour de constater que les sociétés intimées se livrent à des actes de dénigrement à son encontre et de les condamner à lui payer la somme de 500.000 F en réparation du préjudice ainsi occasionné et du caractère abusif de la procédure et celle de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

Vu les dernières conclusions signifiées le 12 octobre 2001 aux termes desquelles la société Mannesmann Demag et la société Demag sollicitent la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a :

- validé la saisie-contrefaçon du 11 juin 1997,

- retenu la contrefaçon par usage illicite de la marque Demag,

- ordonné la publication judiciaire de la décision,

- débouté la société Man SK de l'ensemble de ses demandes,

- fait droit à leurs demandes au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

et son infirmation pour le surplus, demandant à la Cour de :

- dire que la société Man SK s'est rendue coupable de contrefaçon de la marque Mannesmann, de la marque Demag et de leurs dénominations sociales,

- dire que les produits, présentés et commercialisés comme des pièces détachées Demag par la société Man SK, ne sont pas authentiques, ce qui constitue également des actes de contrefaçon de la marque Demag,

- interdire à la société Man SK d'utiliser le vocable Mannesmann, sous astreinte définitive de 5.000 F par jour et par infraction constatée et se réserver la liquidation de l'astreinte,

- interdire à la société Man SK d'utiliser le vocable Demag, sous la même astreinte,

- condamner la société Man SK à leur verser la somme de 200.000 F en réparation de l'atteinte portée à leurs droits privatifs sur la dénomination Mannesmann, celle de 200.000 F en réparation de l'atteinte portée à leurs droits privatifs sur la dénomination Demag, celle de 300.000 F en réparation des actes déloyaux et parasitaires,

- ordonner la publication de la décision à intervenir dans dix périodiques de leur choix, aux frais de la société Man SK, le montant de ces publications ne pouvant excéder la somme totale de 300.000 F HT,

- condamner la société Man SK à leur payer la somme de 100.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

Sur quoi,

- Sur la validité de la saisie-contrefaçon du 11 juin 1997

Considérant que la société Man SK prétend que l'assignation qui lui a été délivrée à la suite de la saisie-contrefaçon pratiquée le 11 juin 1997 n'ayant pas été placée dans le délai de 15 jours prévu à l'article L. 716-7 du Code de la Propriété Intellectuelle, la procédure subséquente est irrégulière

Mais considérant que si l'article L. 716-7 alinéa 3 du CPI oblige le requérant à saisir la juridiction civile ou pénale dans le délai de 15 jours suivant la saisie, la seule délivrance de l'assignation répond aux modalités posées par ce texte, la remise de l'assignation au greffe pouvant intervenir dans le délai de quatre mois prévu par l'article 757 du nouveau code de procédure civile

Considérant que la saisie-contrefaçon a été pratiquée le 11 juin 1997 et l'assignation a été délivrée à la société Man SK le 25 juin suivant, soit dans un délai de quinze jours

que cet acte a été remis au greffe le 8 juillet 1997

Qu'il s'ensuit que le premier juge a donc à bon droit rejeté ce moyen de nullité

- Sur la contrefaçon de la marque et de la dénomination sociale Mannesmann

Considérant que les sociétés intimées soutiennent que la dénomination Man SK reproduit un élément caractéristique et distinctif de la dénomination Mannesmann

Considérant que la marque comme la dénomination sociale Mannesmann sont formées d'un seul vocable composé de trois syllabes qui constituent un tout indivisible

que même répété en syllabe d'attaque et finale, l'élément Man ne saurait posséder à lui seul un caractère distinctif et attractif, la société Mannesmann ne démontrant pas faire un usage isolé de ce signe

Considérant que la société Man SK exerce une activité d'équipements de ponts roulants et de négoce technique

qu'il n'est pas contesté qu'entre 1991 et 1996, elle a entretenu des relations d'affaires avec la société Demag qui l'approvisionnait en pièces détachées de la marque Demag

Mais considérant que composée de deux syllabes, la dénomination Man SK présente sur le plan visuel une architecture distincte de la marque Mannesmann

que cette structure influe sur la prononciation des deux vocables

Que la seule reprise du vocable Man ne saurait suffire à créer un risque de confusion pour le consommateur moyennement attentif qui ne disposerait pas des deux signes sous les yeux

Qu'il convient d'observer au surplus que l'usage ininterrompu de cette dénomination, depuis l'immatriculation de la société Man SK le 22 février 1991, n'a pas fait l'objet de critiques de la part des sociétés intimées pendant la durée de leurs relations commerciales

Que les premiers juges ont donc à juste titre rejeté le grief de contrefaçon

- Sur la contrefaçon de la marque et de la dénomination sociale Demag

Considérant que les sociétés Mannesmann Demag et Demag reprochent à la société Man SK de proposer à la vente des produits revêtus de la marque Demag sans leur autorisation et au mépris de leur réseau de commercialisation

qu'elles relèvent que la règle de l'épuisement du droit n est pas applicable en l'espèce dès lors que les produits litigieux ne sont pas authentiques

Que la société Man SK réplique qu'elle détient licitement les pièces revêtues de la marque Demag pour les avoir acquises auprès de la société Erich Schafer qui les commercialise avec l'autorisation de la société Mannesmann Demag

Considérant qu'il ressort du procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé le 11 juin 1997 dans les locaux de la société Man SK que celle-ci offre en vente des produits comportant la marque Demag, à savoir des freins, guides de câbles, disques de freins

qu'est annexée à cet acte, une facture à entête de la société Erich Schafer datée du 28 mai 1997

que la société Man SK produit aux débats une autre facture émanant de cette société datée du 17 juin 1997

Considérant qu'il ressort d'un tarif 1997, produit aux débats par la société Man SK, intitulé "Mannesmann Demag Fordertechnick" que la société Erich Schafer ayant son siège à Siegen en Allemagne distribue les produits de la marque Demag avec l'autorisation de la société Mannesmann Demag

Mais considérant que les références figurant sur les pièces, relevées par l'huissier instrumentaire, ne correspondent pas à celles mentionnées sur les factures établies par la société Erich Schafer

que la société Man SK ne rapporte donc pas la preuve que les pièces détachées revêtues de la marque Demag saisies constituent des produits authentiques

Qu'elle ne peut donc se prévaloir de l'épuisement du droit des marques prévu par l'article L. 713-4 du Code de la Propriété Intellectuelle

Considérant qu'en faisant usage de la dénomination Demag sans l'autorisation de la société Mannesmann Demag pour désigner des produits identiques à ceux visés dans le libellé de la marque dont elle est titulaire, la société Man SK a commis des actes de contrefaçon

Que cet usage porte également atteinte aux droits de la société Mannesmann Demag et de la société Demag sur leurs dénominations sociales

- Sur la concurrence déloyale et parasitaire

Considérant que les sociétés Mannesmann Demag et Demag prétendent que la volonté de confusion recherchée par la société Man SK, pour se rattacher indirectement à leurs activités en profitant de leur achalandage et de leurs investissements, est accompagnée d'actes de concurrence déloyale, consistant dans le démarchage de leurs clients pour leur proposer à moindre coût des pièces de rechange Demag et l'utilisation de la même présentation pour sa documentation commerciale et publicitaire

Considérant que le principe de la liberté du commerce et de la libre concurrence ne fait pas obstacle au démarchage de la clientèle par un concurrent à condition qu'il soit exempt de toute déloyauté

Maisconsidérant que la société Man SK, qui ne justifie pas d'un approvisionnement licite en pièces détachées revêtues de la marque Demag, comme l'a établi le procès-verbal de saisie-contrefaçon, a adressé, le 15 avril 1997, à la société Larroque, qui bénéficie d'un agrément de distributeur de matériel Demag, un tarif de pièces détachées Demag

qu'il n'est pas contesté que la société Man SK a également démarché les sociétés Manauto et Aurocopter, clients de la société Demag, pour leur proposer des prix plus attractifs sur les pièces détachées Demag

Que ce comportement fautif résulte également de l'utilisation sur la page de couverture de ses documents publicitaires d'un dessin représentant une unité de levage Demag qui reproduit servilement le croquis illustrant la notice d'entretien accompagnant les produits de la société Mannesmann Demag

Considérant que ces faits, qui démontrent la volonté de la Société Man SK de tirer profit de la renommée des sociétés intimées dans le domaine du matériel de levage en entretenant la confusion sur l'origine des produits, suffisent à caractériser les actes de concurrence déloyale

- Sur les mesures réparatrices

Considérant qu'eu égard au faible volume de pièces saisies évalué par l'huissier instrumentaire à 1m3, l'atteinte portée à la valeur patrimoniale de la marque Demag a été justement réparée par le tribunal par l'allocation d'une indemnité de 100.000 F

que si les sociétés intimées ne rapportent pas la preuve d'un détournement de clientèle, le préjudice commercial, qui 'infère nécessairement des agissements déloyaux et parasitaires, doit être évalué à la somme de 200.000 F

Considérant qu'il sera fait droit aux mesures d'interdiction sollicitées selon les modalités précisées au dispositif

Que la mesure de publication ordonnée par les premiers juges doit être confirmée sauf à préciser qu'il sera fait mention du présent arrêt

Considérant que la solution du litige commande de rejeter la demande de dommages-intérêts et celle sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, formées par la société Man SK

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile doivent en revanche bénéficier aux sociétés intimées

qu'il leur sera alloué à ce titre la somme complémentaire de 50.000 F

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté la société Mannesmann Demag et la société Demag Cranes & Components de leur action en concurrence déloyale et parasitaire ; Le réformant sur ce point et statuant à nouveau, Dit que la société Man SK a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire au préjudice des sociétés Mannesmann Demag et Demag Cranes & Components ; Condamne la société Man SK à payer aux sociétés Mannesmann Demag et Demag Cranes & Components la somme de 200.000 F à titre de dommages-intérêts en réparation des agissements déloyaux ; Interdit à la société Man SK de faire usage des dénominations Mannesmann et Demag, pour désigner des pièces détachées, sous astreinte de 1.000 F par infraction constatée, passé un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt; Dit n'y avoir lieu de se réserver la liquidation de l'astreinte; Dit que la mesure de publication fera mention du présent arrêt; Rejette le surplus des demandes; Condamne la société Man SK à payer aux sociétés Mannesmann Demag et Demag Cranes & Components la somme complémentaire de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile; Condamne la société Man SK aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code demesure de publication ordonnée par les premiers juges doit être confirmée sauf à préciser qu'il sera fait mention du présent arrêt; Considérant que la solution du litige commande de rejeter la demande de dommages-intérêts et celle sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, formées par la société Man SK; Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile doivent en revanche bénéficier aux sociétés intimées; qu'il leur sera alloué à ce titre la somme complémentaire de 50.000 F; Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté la société Mannesmann Demag et la société Demag Cranes & Components de leur action en concurrence déloyale et parasitaire; Le réformant sur ce point et statuant à nouveau, Dit que la société Man SK a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire au préjudice des sociétés Mannesmann Demag et Demag Cranes & Components; Condamne la société Man SK à payer aux sociétés Mannesmann Demag et Demag Cranes & Components la somme de 200.000 F à titre de dommages-intérêts en réparation des agissements déloyaux; Interdit à la société Man SK de faire usage des dénominations Mannesmann et Demag, pour désigner des pièces détachées, sous astreinte de 1.000 F par infraction constatée, passé un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt; Dit n'y avoir lieu de se réserver la liquidation de l'astreinte; Dit que la mesure de publication fera mention du présent arrêt; Rejette le surplus des demandes; Condamne la société Man SK à payer aux sociétés Mannesmann Demag et Demag Cranes & Components la somme complémentaire de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile; Condamne la société Man SK aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.