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Décisions

CA Dijon, ch. civ. B, 22 novembre 2001, n° 99-00902

DIJON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sarrau, Clos des Bernoux (SA)

Défendeur :

Alliance des Vins Fins (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Littner

Conseillers :

M. Kerraudren, Mme Arnaud

Avoués :

SCP Fontaine- Tranchand & Soulard, SCP Bourgeon & Kawala

Avocats :

Me Arnaud-Chevalier, Dury.

T. com. Mâcon, du 26 févr. 1999

26 février 1999

Les sociétés Les Caves de l'Ardière et Cuvier Beaujolais ont été déclarées en redressement judiciaire le 8 septembre 1995 puis en liquidation judiciaire le 13 novembre 1995.

Le 4 juin 1996, le liquidateur, Maître Aubert a vendu à la SA SVGC :

- les éléments du fonds de commerce de la SA Les Caves de l'Ardière, comprenant notamment la marque " Robert Sarrau " pour le prix de 670 000 F,

- les éléments du fonds de commerce de la SA Cuvier Beaujolais pour le prix de 490 000 F.

Le même jour, un contrat d'agent commercial a été signé entre la SA SVGC et la SA Clos des Bernoux, représentée par M. Pierre Sarrau et la première société a cédé à la seconde la propriété de la marque " Robert Sarrau " pour les marchés américains et canadiens.

Par lettre du 18 juin 1996, Pierre Sarrau, agissant au nom de la société Clos des Bernoux, a déclaré résilier le contrat d'agent commercial.

Le 26 juillet 1996, la société SVGC a mis en demeure la société Clos des Bernoux de déposer l'ensemble des publicités directionnelles affichant la marque " Robert Sarrau ", " de cesser toute activité de concurrence déloyale en rapport avec l'utilisation frauduleuse directe ou allusive à ladite marque " et " plus généralement de cesser toute activité de concurrence déloyale en raison de la garantie du fait personnel à laquelle vous êtes tenu à raison de la cession du fonds de commerce. "

La société SVGC, devenue SA Alliance des Vins Fins (AVF) a ensuite assigné M. Pierre Sarrau, la SA Clos des Bernoux ainsi que Maître Aubert ès qualités en restitution du prix de 1160 000 F et paiement de 500 000 F à titre de dommages intérêts.

Par jugement du 26 février 1999, le Tribunal de Commerce de Mâcon a :

- rejeté les demandes dirigées contre Maître Aubert et condamné la société demanderesse à lui payer 7 500 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile pour chacune des sociétés en liquidation,

- ordonné la dépose des panneaux litigieux sous astreinte de 1 000 F par semaine passé un délai de 15 jours et condamné la SA Clos des Bernoux à verser une somme de 50 000 F à titre de dommages intérêts pour ces faits,

- dit que l'usage par la société Clos des Bernoux d'étiquettes reprenant l'apparence générale ou toute partie distinctive des étiquettes d'AVF contrevient aux droits de celle-ci, interdit cet usage et condamne la société LE Clos des Bernoux à verser 50 000 F de ce fait,

- condamne la SA Clos des Bernoux à verser à la société AVF la somme de 50 000 F pour son comportement préjudiciable envers la clientèle acquise à AVF et sa part de responsabilité dans la perte consécutive de chiffre d'affaires,

- interdit à la SA Clos des Bernoux et à M. Pierre Sarrau toute relation professionnelle directe ou indirecte avec les clients nommés au contrat ou ceux des fonds cédés à AVF, dans les produits commercialisés par cette dernière ou en concurrence avec elle.

M. Pierre Sarrau et la SA Clos des Bernoux ont dirigé un appel contre la société AVF.

Par conclusions du 26 juillet 2000, auxquelles il est fait référence par application de l'article 455 du Nouveau Code de Procédure Civile, ils soutiennent en premier lieu que la demande dirigée contre eux sur le fondement de la garantie d'éviction est irrecevable puisqu'ils ne sont pas les vendeurs des deux fonds de commerce.

A titre subsidiaire, ils reprochent au tribunal d'avoir statué ultra petita, soutiennent que les griefs qui leur sont adressés ne sont pas fondés et qu'aucun préjudice n'est démontré.

Ils forment une demande reconventionnelle pour obtenir :

- 100 000 F et le montant des frais engagés pour l'exécution du jugement relatif à la dépose des panneaux portant la marque " Robert Sarrau ",

- en réparation de leur préjudice matériel et moral, 50 000 F pour M. Pierre Sarrau et la même somme pour la SA Clos des Bernoux,

- sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, 20 000 F pour chacun.

La société AVF, par écritures du 3 février 2000, auxquelles il est pareillement fait référence, répond :

- que l'action engagée sur le fondement des articles 1626 et suivants du Code civil est fondée, le dirigeant d'une société cédée ne pouvant développer une activité concurrentielle visant à détourner la clientèle de le société qu'il dirigeait avant la cession,

- que l'acheteur évincé peut obtenir restitution du prix de vente, cette demande constituant en réalité une modalité de réparation du préjudice subi,

- que les pièces du dossier démontrent que M. Pierre Sarrau a manoeuvré dans le but de distraire à son profit la clientèle attachée aux deux fonds cédés à la société AVF et de créer une contusion dans l'esprit de la clientèle, ce qui lui a causé un préjudice important, qui est justifié.

Elle sollicite en conséquence la confirmation du jugement en ce qu'il a dit que M. Sarrau et la société Le Clos des Bernoux s'étaient livrés à des actes de concurrence déloyale mais elle demande que le montant de la condamnation soit porté à 1160 000 F et qu'une somme de 30 000 F lui soit accordée sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La procédure a été communiquée au ministère public le 16 août 2001.

Motifs de la décision :

1. Sur la recevabilité de la demande

Attendu que la société AVF fait effectivement dans ses écritures de longs développements sur la garantie d'éviction à laquelle est tenu le vendeur par application des articles 1626 et suivants du Code civil ;

Attendu que la Cour discerne mal l'intérêt de ces développements dans la mesure où son action n'est pas dirigée contre le vendeur des deux fonds de commerce, qu'elle ne peut évidemment réclamer à un ancien dirigeant la restitution du prix, qu'elle dénonce en réalité le comportement déloyal de ce dernier et qu'elle demande réparation de son préjudice en visant les dispositions de l'article 1382 du Code civil ;

Attendu que la société AVF, malgré une formulation un peu confuse a en définitive engagé une action en réparation du préjudice qu'elle dit avoir subi du fait d'actes de concurrence déloyale invoqués à l'encontre de l'ancien dirigeant des sociétés cédées et d'une société qu'il dirige encore ;

Que cette demande est parfaitement recevable ;

2. Sur les faits de concurrence déloyale

Attendu que la société intimée reproche à Pierre Sarrau et à la société Clos des Bernoux :

- l'utilisation illicite de la marque " Robert Sarrau " sur des panneaux,

- l'utilisation d'étiquettes créant une confusion,

- un comportement globalement déloyal en vue de récupérer la clientèle des sociétés cédées

A. Sur l'utilisation de la marque " Robert Sarrau "

Attendu que, par application du contrat de cession de marque du 4 juin 1996, la société Clos des Bernoux ne pouvait utiliser cette marque que pour les marchés américain et canadien;

Que l'huissier Patricot a constaté, le 2 juillet 1996, que la marque " Robert Sarrau " figurait sur des panneaux directionnelsà Romaneche Thorins, lieudit " La Maison Blanche ", à l'angle de la propriété de M. Perrot, à l'angle de la propriété Jacoulot et au croisement vers les Ets Jacoulot ; que ces panneaux orientaient la clientèle vers l'exploitation de M. Pierre Sarrau ;

Attendu que le maintien de ces panneaux postérieurement au 4 juin 1996 était illicite, ce que ne contestent d'ailleurs pas les appelants, qui déclarent seulement que le tribunal a statué ultra petita en ordonnant leur dépose ;

Attendu que l'huissier Thermet a constaté le 8 avril 1999 que la dépose avait été effectuée ;

Qu'il n'en reste pas moins que M. Pierre Sarrau et la société qu'il dirigeait ont commis entre ces deux dates des faits de concurrence déloyale que le tribunal a justement retenus;

B. Sur l'utilisation des étiquettes

Attendu que les étiquettes litigieuses concernent exclusivement le millésime 1995 ;

Attendu que les bouteilles de ce millésime étant commercialisées en 1996, la société Clos des Bernoux et M. Pierre Sarrau n'avaient plus le droit d'utiliser les étiquettes créant une confusion avec celles des sociétés cédées postérieurement au 4 juin 1996;

Attendu que la comparaison des étiquettes utilisées pour les vins Brouilly Clos Reissier et Moulin à Vent - Domaine de La Tour du Bief démontre une copie servile ne permettant pas à la clientèle de déceler l'origine des produits;

Attendu que les étiquettes apposées sur le Pouilly Fuisse comportent la vignette " Bon vin ne peut mentir ", marque semi-figurative déposée par la société Les Caves de l'Ardière et que la société Clos des Bernoux ne pouvait donc pas utiliser ;

Que l'étiquette du Fleurie comporte un logo identique (lettres D et S enlacées) à celui apposé sur les étiquettes de la société AVF ;

Attendu que l'utilisation de ces étiquettes, susceptibles d'entraîner une confusion entre les produits de la société appelante et ceux de la société AVF constitue un comportement déloyalque le tribunal ajustement sanctionné ;

Attendu en revanche qu'aucune manœuvre déloyale n'est démontrée en ce qui concerne la commercialisation par la société Clos des Bernoux de ces vins, la société AVF n'étant pas chargée de faire respecter la réglementation sur l'étiquetage des vins fins ;

C. Sur le comportement général de M. Pierre Sarrau

Attendu que la société intimée reproche à M. Sarrau un démarchage systématique de sa clientèle ;

Qu'elle fait notamment état d'une lettre du 10 juin 1996 adressée aux clients et de courriers des sociétés Tasera et DC ;

Mais attendu que la lettre du 10 juin 1996, par laquelle Pierre Sarrau informe ses clients de son installation dans ses bureaux sur le site du Clos des Bernoux ne constitue pas un comportement fautif, l'intéressé affirmant, sans que la preuve contraire ne soit rapportée, qu'il avait été convenu qu'il exercerait sa fonction d'agent commercial depuis ses bureaux de Romaneche ; que la société AVF avait d'ailleurs eu connaissance de ce courrier dès le 3 juillet et n'en tirait aucune conséquence ;

Attendu que le fax de la société Tasera, faisant réponse à une correspondance de M. Sarrau en date du 18 juin, n'est pas mieux révélateur d'un comportement déloyal, le fait d'informer ses clients de ce qu'il avait pris l'initiative " de renverser une situation " où il contrôlerait " de près la qualité des vins " n'étant pas fautif en l'absence d'autres éléments, étant au surplus observé que les appelants affirment qu'ils n'ont jamais livré de vins à cette société et qu'aucune preuve contraire n'est rapportée ;

Attendu qu'il en est de même pour le fax adressé le 27 juin à M. Sarrau par une société DC qui rejette une offre de Beaujolais Village 1995, le destinataire affirmant que ce document fait suite à une offre formulée le 3 juin, soit avant la conclusion du contrat d'agent commercial et aucune preuve contraire n'étant rapportée ;

Qu'il est d'ailleurs établi, par un fax envoyé le 16 juillet par Pierre Sarrau à la société SVGC que le premier est intervenu auprès des clients DC et Tasera pour le compte de la seconde ;

Attendu en toute hypothèse que ces éléments, qui sont les seuls invoqués devant la Cour, ne suffisent pas à rapporter la preuve que M. Pierre Sarrau a eu à l'égard de la société AVF un comportement déloyal après la rupture du contrat d'agent commercial ;

Que le jugement doit donc être infirmé sur ce point ;

3. Sur le préjudice

Attendu que la société intimée affirme que les manœuvres de Pierre Sarrau sont directement à l'origine de la perte de 12 clients sur 18 représentant un chiffre d'affaires de 4 207 000 F ;

Mais attendu qu'aucune pièce n'est apportée à l'appui de cette affirmation ;

Qu'il ne peut pas plus sérieusement être soutenu que le préjudice s'élève au montant du prix d'acquisition des deux fonds de commerce, soit 1 160 000 F ; qu'en effet faire droit à une telle réclamation déraisonnable reviendrait à permettre à la société AVF de poursuivre l'exploitation de deux fonds de commerce qu'elle aurait acquis gratuitement, ce qui n'est pas envisageable mais révèle l'incertitude sur le fondement juridique initialement envisagé ;

Attendu en revanche que les actes déloyaux résultant de l'utilisation d'une part de la marque " Robert Sarrau ", pendant près de trois ans, d'autre part des étiquettes, cause nécessairement un préjudice à la société AVF ;

Qu'au vu des éléments versés aux débats, ce préjudice doit être indemnisé par la somme de 100 000 F ;

Attendu que les autres condamnations prononcées par le tribunal ne doivent pas être reprises puisqu'elles ne correspondent à aucune demande ;

4. Sur les demandes de dommages intérêts et d'indemnité au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile

Attendu que la demande de la société AVF étant en partie fondée, les appelants ne peuvent prétendre obtenir des dommages intérêts, ni pour un préjudice matériel et moral ni au titre de l'exécution de la disposition du jugement relative à la dépose des panneaux, qui est confirmée ;

Attendu que la société AVF doit recevoir une somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; que les appelants, qui succombent, ne peuvent bénéficier de ce texte ;

Par ces motifs : LA COUR, Réforme pour partie le jugement entrepris ; Déclare la demande de la société Alliance des Vins Fins recevable ; Dit que M. Pierre Sarrau et la société Clos des Bernoux ont commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Alliance des Vins Fins (AVF) ; Condamne in solidum M. Pierre Sarrau et la société Clos des Bernoux à payer à la SA Alliance des Vins Fins (AVF) la somme de 100 000 F - soit 15.244,90 Euros - à titre de dommages intérêts et celle de 10 000 F - soit 1 524,49 Euros - sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Rejette les demandes de M. Pierre Sarrau et de la SA Clos des Bernoux ; Condamne M. Pierre Sarrau et la SA Clos des Bernoux in solidum aux dépens d'appel et dit que la SCP Bourgeon Kawala, avoué, pourra les recouvrer conformément à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.