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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 30 mai 2001, n° 1999-03084

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

La Redoute (SA)

Défendeur :

Le Broussois, Intérior's (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachacinski, Mme Magueur

Avoués :

SCP Bommart Forster, Me Olivier

Avocats :

Mes Desmazières, Casalonga.

TGI Paris, 3e ch., 2e sect., du 20 nov. …

20 novembre 1998

La société Interior's est titulaire d'un modèle de commode meuble mercerie en pin massif ciré neuf tiroirs, n° 912943, déposé, le 30 avril 1991, à l'Institut National de la Propriété Industrielle dont son président, Jean-Michel Le Broussois, revendique la paternité pour l'avoir créé en 1988.

Constatant que la société La Redoute diffusait dans son catalogue Automne/Hiver 96/97, sous la référence 537.4537 un modèle de commode reproduisant en tout point le sien, la société Interior's a fait pratiquer une saisie contrefaçon au siège social de cette société, le 2 octobre 1996.

Par acte du 26 novembre 1996, elle a, ainsi que Monsieur Le Broussois, saisi le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon et en concurrence déloyale.

Par jugement du 20 novembre 1998, le tribunal de grande instance de Paris, donnant acte à la société La Redoute de ce qu'elle renonçait à invoquer la nullité de la saisie-contrefaçon effectuée le 2 octobre 1996, a retenu que celle-ci, en offrant à la vente une commode qui constituait la reproduction de celle déposée à titre de modèle par la société Interior's dont Monsieur Le Broussois est l'auteur, a commis des actes de contrefaçon et porté atteinte aux droits patrimoniaux de la société et au droit moral de Monsieur Le Broussois, a prononcé les mesures d'interdiction et de publication habituelles et l'a condamnée à verser à la société Interior's la somme de 350.000 francs et à Monsieur Le Broussois celle de 40.000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice qui leur a été causé, allouant au surplus à ces derniers une somme globale de 13.000 francs par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, mais rejetant les prétentions qu'ils avaient formées au titre de la concurrence déloyale.

LA COUR,

Vu l'appel interjeté de cette décision, le 15 janvier 1999, par la société La Redoute ;

Vu les conclusions du 2 avril 2001 par lesquelles la société La Redoute poursuit l'infirmation de la décision entreprise sauf en ce qu'elle a rejeté le grief de concurrence déloyale et parasitaire, invoquant à cet effet :

- le défaut de qualité à agir de Monsieur Le Broussois, lequel, selon elle, ne justifie pas de sa " paternité " sur le modèle de meuble en cause,

- la nullité du modèle tant au regard des dispositions du Livre V du Code de la propriété intellectuelle que du Livre Ier, à défaut d'être nouveau et original,

- l'absence de contrefaçon, le modèle qu'elle commercialise ne présentant, selon elle, d'autres similitudes que celles qui proviennent d'un style ne permettant pas de caractériser ce grief,

et demande, outre le paiement d'une somme de 500.000 francs de dommages-intérêts pour procédure abusive, celui d'une somme de 50.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les conclusions du 21 décembre 2000 aux termes desquelles la société Interior's et Jean- Michel Le Broussois, réfutant point par point l'argumentation de la société La Redoute, poursuivent la confirmation du jugement déféré sauf en ses dispositions relatives à la concurrence déloyale et parasitaire qui, selon eux, résulte d'une présentation fallacieuse du produit contrefaisant propre à jeter le discrédit sur les meubles qu'ils commercialisent, et en poursuivent la réformation sur le montant des dommages-intérêts alloués, demandant ainsi à la Cour :

- de condamner la société La Redoute à payer :

à Jean-Michel Le Broussois, la somme de 100.000 francs en réparation de l'atteinte portée à son droit moral,

à la société Interior's :

La somme de 1.000.000 francs, à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de contrefaçon,

La somme de 1.000.000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de concurrence déloyale et parasitaire,

- d'interdire la poursuite de ces agissements parasitaires sous astreinte de 2.000 francs par infraction constatée, et par catalogue diffusé,

- d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans 5 journaux ou revues au choix de Monsieur Le Broussois et de la société Interior's et aux frais de la société La Redoute sans que le coût de chaque insertion n'excède toutefois la somme de 20.000 francs HT,

de leur allouer la somme de 200.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Sur quoi,

Sur la qualité à agir de Monsieur Le Broussois ;

Considérant, ainsi qu'il résulte des mentions portées sur l'extrait K bis de la société Interior's que Jean-Michel Le Broussois est le président du conseil d'administration de la société qu'il a créée, en 1977 et dont l'activité essentielle, référence faite à ses propres plaquettes publicitaires, réside dans la fabrication et la commercialisation de meubles en pin massif réalisés selon les méthodes artisanales utilisées en Angleterre et en Irlande au XIXème siècle, assemblés et longuement cirés à la main et qui prennent au fil des temps une patine inimitable ;

Considérant que si Jean-Michel Le Broussois est dans l'impossibilité de produire aux débats les maquettes selon lesquelles il a réalisé le modèle déposé en 1991 à l'Institut National de la Propriété Industrielle sous le n° 912943 parmi 90 autres modèles et exploités depuis lors par la société Interior's, il convient de relever que son nom figure bien aux côtés de cette société dans l'acte de dépôt ;

Que ses allégations selon lesquelles il en aurait cédé les droits à la société Interior's qu'il dirige et qui sont confortées par celle de la société qui l'exploite, laquelle agit à ses côtés, sont suffisamment précises pour établir la paternité de celui-ci sur le modèle en cause, à tout le moins à compter de l'année 1990, date à laquelle la publicité aux fins de commercialisation en a été faite ;

Qu'à raison de ces actes, la société La Redoute, présumée contrefactrice, n'est pas recevable à contester cette paternité de ce modèle en l'absence de toute revendication formulée par une autre personne physique ou morale ;

Que le jugement entrepris sera donc sur ce point confirmé ;

Sur la validité du modèle :

Considérant que la société Interior's caractérise son modèle de la façon suivante :

- présence de neuf tiroirs,

- quatre tiroirs d'égale largeur sont disposés en partie haute du meuble,

- la rangée centrale regroupe trois tiroirs de dimensions identiques,

- la troisième rangée en partie basse du meuble est constituée de deux vastes tiroirs de même largeur,

- chacun de ces tiroirs se compose d'un bouton en porcelaine, en laiton ou en bois selon l'option choisie,

- présence d'une plinthe au bas du meuble ;

Considérant que pour contester la nouveauté de ce modèle, la société La Redoute verse aux débats le guide anglais " Miller's Guide " qui, selon elle, reproduit à l'identique le modèle litigieux ;

Mais considérant que ce guide, s'il reproduit de nombreux exemples de commodes comportant des tiroirs de taille différente agencés de façon dégradée, dont l'origine remonterait à 1870, n'a été publié, pour la première fois, qu'en 1995 ;

Que l'attestation de l'éditeur du 17 octobre 1996 ne permet pas de dater avec la certitude requise les meubles qui y sont reproduits ;

Que le meuble spécifiquement invoqué, qui figure en page 190 du guide et qui représente une boîte à outils et non une commode, se distingue nettement de celle-ci tant par la forme de ses tiroirs que par leur disposition de largeur dégressive et l'absence de plinthe en partie basse ; qu'il ne peut donc constituer une antériorité de toute pièce de nature à détruire la nouveauté du modèle opposé ;

Qu'il en est de même des différents autres meubles qui, s'ils appartiennent tous à un style de meubles anciens, présentent des caractéristiques qui leurs sont propres leur permettant de se démarquer de leurs semblables par une configuration nouvelle, comme celui qui constitue le modèle opposé ;

Que la société La Redoute invoque en vain l'article paru dans la revue " Maison Française " du mois d'avril 1994 attribuant la commode Interior's prise en photographie à la soit disant réédition d'un meuble anglais du XVIIIème siècle, cette affirmation qui n'engage que la responsabilité du journaliste, n'étant confortée par aucun autre élément ;

Que les photographies produites représentant des meubles de même style sont d'autant plus inopérantes que datées de 1998 et 1999 elles sont amplement postérieures aux faits dénoncés ;

Que l'agencement des différents éléments retenu par Jean-Michel Le Broussois pour la création de sa commode, apparaît non seulement nouveau mais résulte également d'un processus créatif qui porte l'empreinte de sa personnalité, peu important que ce meuble s'apparente au style des meubles anglais du XVIIIème XIXème siècles, une telle appartenance n'étant pas de nature à priver celui-ci de sa nouveauté et de son originalité ;

Que la société La Redoute est d'autant mal venue de contester l'originalité de ce meuble que dans son catalogue elle présente elle-même le meuble incriminé, comme le souligne pertinemment les intimées, comme étant " un meuble original, plein de cachet " ;

Que la fonctionnalité de la commode ne dispense celle-ci de présenter, comme en l'espèce, des éléments esthétiques d'ordre purement ornemental qui la rendent digne de protection ;

Que le tribunal a retenu à juste raison la validité du modèle de meuble opposé ;

Sur les actes de contrefaçon :

Considérant que la commode offerte à la vente par la société La Redoute dans son catalogue Automne/Hiver 96-97 reproduit toutes les caractéristiques ornementales du modèle de la société Interior's qui lui est antérieur, reprenant à l'identique le même agencement de tiroirs dans des proportions identiques ; qu'il constitue bien la copie servile du modèle opposé ;

Que la société La Redoute invoque en vain la présence d'un dosseret posé sur le plateau de la commode, lequel, référence faite aux catalogues de la société Interior's est un élément optionnel qui n'affecte nullement l'aspect d'ensemble de la commode de base, laquelle est offerte telle quelle à la vente ;

Qu'au vu de ces éléments, le tribunal a estimé, à juste titre, que le grief de contrefaçon de modèle était avéré ;

Sur les actes de concurrence déloyale et parasitaire :

Considérant que la société Interior's reproche encore à la société La Redoute de reprendre à son profit, de façon mensongère et trompeuse, contraire aux dispositions de l'article L. 121-1 du Code de la consommation, l'argumentaire technique et commercial qu'elle développe, laissant faussement croire dans l'esprit du public qu'il s'agit de meubles cirés ; que ces faits caractérisent selon elle un comportement déloyal et parasitaire qui lui est préjudiciable et dont elle demande réparation à concurrence d'une somme de 1.000.000 francs ;

Considérant que dans le catalogue de la Redoute le meuble litigieux est présenté parmi une gamme de meubles anglais intitulé " une ligne de meubles anglais, un art de vivre authentique et chaleureux " ; qu'il y est indiqué : " retrouvez l'ambiance d'un cottage anglais, la chaleur du bois blond. Tous nos meubles sont réalisés en pin massif. Les finitions sont très soignées : le bois est piqué irrégulièrement façon semi antiquaire, pour un aspect de patine à l'ancienne. Ces meubles sont teintés puis cirés. Ils sont livrés avec une boîte de cire, pour vous permettre de perpétuer les gestes qui les rendront plus beaux au fil du temps " ;

Or considérant que la société Interior's démontre au moyen de différentes analyses qu'elle a faites pratiquer sur les meubles incriminés achetés à La Redoute, et dont la teneur n'est pas contestée, que ces meubles sont recouverts d'un revêtement filmogène, à savoir un vernis sur lequel a été ajouté superficiellement une mince pellicule de cire, en sorte que la cire ne peut en aucun cas pénétrer le bois ;

Que la reprise fallacieuse de l'argumentaire développé par la société Interior's de meubles se patinant au fil du temps, renforcée par la présence d'une boîte de cire destinée à conforter dans l'esprit du consommateur d'attention moyenne cet argumentaire, apparaît trompeuse et suffit, à tout le moins, à caractériser un acte de concurrence déloyale et parasitaire distinct de celui de contrefaçon;

Que le jugement entrepris doit sur ce point être réformé ;

Sur le mesures réparatrices :

Considérant qu'en allouant au titre de la contrefaçon de modèle, à Monsieur Le Broussois la somme de 40.000 francs pour l'atteinte à son droit moral et à la société Interior's la somme de 350.000 francs pour l'atteinte à ses droits patrimoniaux, le tribunal a fait une exacte appréciation des données du litige ;

Que la décision entreprise doit sur ce point être confirmée ;

Que s'agissant des actes de concurrence déloyale, le préjudice subi est d'autant plus important qu'il n'est pas contesté que la société Interior's s'efforce de promouvoir des meubles de qualité en pin massif longuement ciré à la main et assemblés selon des méthodes artisanales permettant d'obtenir au fil du temps une patine propre à valoriser le meuble ;

Qu'une somme complémentaire de 500.000 francs doit être allouée à ce titre à la société Interior's ; que l'interdiction sollicitée doit également être prononcée ;

Sur les autres demandes :

Considérant que la mesure de publication doit être confirmée sauf à préciser qu'elle devra faire mention du présent arrêt ;

Considérant que la société La Redoute qui succombe en ses prétentions n'est pas fondée en ses demandes formées au titre de la procédure abusive et de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Qu'il convient en revanche d'allouer aux intimés une somme de 200.000 francs pour leurs frais irrépétibles en cause d'appel ;

Par ces motifs : Rejette l'exception d'irrecevabilité pour défaut de qualité à agir invoquée par l'appelante à l'encontre de Monsieur Le Broussois, Confirme la décision entreprise en ses dispositions relatives à la contrefaçon de modèle et sur la condamnation prononcée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour les frais irrépétibles de première instance, la reformant sur le surplus, Dit que par la présentation fallacieuse de ces meubles la société La Redoute s'est également rendue coupable d'acte de concurrence déloyale et parasitaire, La condamne en conséquence à payer à la société Interior's une somme complémentaire de 500.000 francs à titre de dommages-intérêts, Lui fait interdiction de poursuivre ces agissements sous astreinte de 2.000 francs par infraction constatée et par catalogue, dans les 8 jours suivant signification du présent arrêt, La condamne à payer aux intimés la somme de 200.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour leurs frais irrépétibles en cause d'appel, Rejette toute autre demande, Condamne la société La Redoute aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.