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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 14 mars 2001, n° 2000-02818

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Distrimart (SARL)

Défendeur :

Safi (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachacinski, Mme Magueur

Avoués :

SCP Lecharny Calarn, SCP Duboscq Pellerin

Avocats :

Mes Audan, Ledoux.

TGI Paris, 3e ch., 3e sect., du 16 nov. …

16 novembre 1999

La société Safi est titulaire des marques suivantes:

- la marque complexe "maison & objet-M & O" déposée le 2 septembre 1994, enregistrée sous le numéro 94/534 701, pour désigner des produits et services des classes 16, 36 et 41, notamment les services d'organisation de salons, d'expositions à buts commerciaux ou de publicité,

- la marque dénominative "Déco Planet" déposée le 4 mars 1996, enregistrée sous le numéro 96/ 613 977, pour désigner des produits et services des classes 16, 36, 38, 41 et 42, notamment les services télématiques, les télécommunications, la gestion de fichiers informatiques, la programmation pour ordinateurs, la location de temps d'accès à un centre serveur de base de données.

Reprochant à la société Distrimart d'utiliser ces deux marques à titre de mots-clés dans le code source des fichiers de son site internet dénommé "Décomédia", la société Safi a saisi le tribunal de grande instance de Paris qui, par jugement du 16 novembre 1999, a:

- dit que la société Distrimart, en adoptant à titre de mot clé sur la page source de son site internet Décomédia, la dénomination "Déco Planet" a commis des actes de contrefaçon,

- dit que la société Distrimart en utilisant les dénominations "maison & objet" et "maison et objet" à titre de mots clés sur la page source de son site internet Décomédia a dépassé l'autorisation d'usage de la marque "maison & objet" qui lui avait été donnée par la société Safi et a ainsi commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de cette dernière,

- interdit à la société Distrimart la poursuite de ces agissements sous astreinte de 1.000 F par jour de retard à compter de la signification du jugement,

- condamné la société Distrimart à payer à la société Safi la somme de 50.000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant des actes de contrefaçon et celle de 50.000 F en réparation du préjudice résultant des faits de concurrence déloyale, outre celle de 15.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;

LA COUR,

Vu l'appel de cette décision interjeté le 1er février 2000 par la société Distrimart;

Vu les dernières écritures signifiées le 26 janvier 2001 par lesquelles la société Distrimart, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté la demande d'expertise sollicitée par la société Safi et la mesure de publication, prétend à cet effet que:

- "Deco Planet" et "Maison & objet" figurent sur le site Décomédia au titre d'entreprises appartenant au secteur de la décoration et que dès lors qu'un nom figure dans le contenu de la page visible sur l'internet, il figure ipso facto dans le code source de cette page,

- la société Safi qui met chaque année à la disposition des exposants au salon "Maison & Objet" des cartes d'invitation pré-imprimées portant cette marque ne peut lui interdire d'annoncer sa présence à ce salon,

et demande à la cour de:

- constater que la société Safi est propriétaire de la marque "Déco Planet" depuis le 17 juillet 1997 et de la marque "maison & objet" depuis le 26 mai 1997 et qu'elle n'a pas déposé la marque "maison et objet" et que le procès-verbal de constat du 3 juillet 1997 est atteint partiellement de nullité,

- dire qu'elle n'a pas commis d'actes de contrefaçon ou de concurrence déloyale,

- lui donner acte de ce qu'elle a exécuté les termes de l'ordonnance de référé du 4 août 1997,

- condamner la société Safi à lui payer la somme de 100.000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive, celle de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi qu'à une amende civile,

- subsidiairement, de limiter l'indemnisation de la société Safi au franc symbolique;

Vu les dernières conclusions signifiées le 9 janvier 2001 aux termes desquelles la société Safi sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a:

- retenu que la société Distrimart a commis des actes de contrefaçon de la marque "Déco Planet" N° 96/ 613 977 et des actes de concurrence déloyale en utilisant les dénominations "Maison & Objet" et "Maison et Objet" à titre de mots clés dans le code source du site Internet Décomédia,

- prononcé des mesures d'interdiction sous astreinte,

et son infirmation pour le surplus, demandant à la Cour de

- dire que la société Distrimart a commis des actes de contrefaçon de la marque "maison & objet" N°94/534701,

- dire que la société Distrimart a commis des actes de concurrence déloyale distincts de la contrefaçon en utilisant les dénominations "Déco Planet", "maison & objet" et "maison et objet" à titre de mots clés dans le code source de son site internet afin de détourner sa clientèle,

- ordonner une expertise afin d'évaluer son préjudice et lui allouer une indemnité provisionnelle de 200.000 F, subsidiairement, condamner la société Distrimart à lui payer une somme de 100.000 F à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de contrefaçon et de 100.000 F en réparation des faits de concurrence déloyale,

- ordonner la publication de la décision à intervenir dans cinq périodiques de son choix, aux frais de la société Distrimart,

- condamner la société Distrimart à lui payer la somme de 50.000 F pour procédure abusive et celle de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;

Sur quoi,

- Sur la validité du procès-verbal de constat du 3 juillet 1997

Considérant que la société Distrimart soulève la nullité partielle de ce constat aux motifs qu'à la date à laquelle il a été dressé, la société Safi ne pouvait se prévaloir de droits sur la marque "Déco Planet" et que la dénomination "maison et objet" n'était pas déposée

Considérant qu'à la requête de la société Safi, Karine Asensio, clerc habilité à procéder aux constats en l'étude de la SCP Asselin-Samain, huissiers de justice à Paris, s'est en présence d'Alain Zimeray, expert en informatique, connectée sur le réseau Internet aux fins de constater si les mots "Déco Planet", "maison & objet" et "maison et objet" étaient inscrits dans le code source du site Internet dénommé "Décomédia" développé par la société Distrimart et a consigné ses constatations;

Qu'il est mentionné en tête de ce constat que ces trois dénominations constituent des marques appartenant à la société Safi ;

Considérant que l'article L. 714-7 du Code de la Propriété Intellectuelle prévoit que toute transmission ou modification des droits attachés à une marque enregistrée doit, pour être opposable aux tiers, être inscrite au Registre national des marques,

Considérant que si la cession de la marque "Déco Planet" par la société CAPPSA au profit de la société Safi n'a été inscrite audit registre que le 17 juillet 1997, cette irrégularité ne vicie pas l'acte d'huissier dès lors que la société Safi pouvait valablement se prévaloir de droits sur cette marque à la date de l'assignation;

Considérant que la société Distrimart relève à juste titre que la dénomination "maison et objet" n'a pas été déposée à titre de marque;

Mais considérant que la similitude phonétique entre cette dénomination et la marque déposée sous le numéro 94/ 534 701, dont la cession a été valablement inscrite au Registre national des marques le 26 mai 1997, exclut tout grief pour la société Distrimart

Qu'il s'ensuit que les premiers juges ont à juste titre rejeté le moyen de nullité du procès- verbal ;

- Sur la contrefaçon de marque :

Considérant que la société Distrimart a développé une base de données dans le secteur de l'ameublement décoratif, appelée Décomédia, et a recensé sur son site Internet du même nom les entreprises appartenant au domaine de la décoration ;

Considérant qu'il ressort du procès-verbal de constat du 3 juillet 1997 que l'huissier instrumentaire en se connectant sur le site Décomédia et en cliquant sur le fichier "source décomédia", a pu lire sur l'écran trois pages de textes qu'il a imprimées dans lesquelles apparaissent au sein du code source HTLM les termes suivants "Meta Name= "Keywords Content= Décomédia. . .Decoplanet Maison & objet.. .Maison et objet" ; qu'en effectuant une recherche à l'aide d'un moteur de recherche, en l'occurrence Altavista, et en saisissant le mot "Decoplanet", une liste de sites Internet est apparue sur l'écran parmi lesquels le site Décomédia ;

Considérant que dans une attestation datée du 16 septembre 1998, le gérant du Groupe BDF, qui a réalisé le site Décomédia, déclare que dès qu'un mot figure dans le contenu d'une page statique visible sur Internet, il figure ipso facto dans le code source de cette page et aura toute chance d'être indexé par un ou plusieurs moteurs de recherche, tout en affirmant que cette opération est indépendante de la volonté du propriétaire du site ;

Mais considérant que les termes contenus dans le code source, sélectionnés pour permettre le référencement du site, sont le résultat d'une sélection effectuée par l'exploitant du site; Qu'Alain Zimeray, expert en informatique qui a assisté aux opérations de constat, relève, dans une note datée du 16 juillet 1997, que les mots-clé "Decoplanet", "maison & objet" et "maison et objet" ont été volontairement introduits au sein de la page d'accueil du site et ont pour effet de paramétrer les moteurs de recherche de telle sorte qu'une requête soumise à l'un de ceux-ci contenant un de ces mots fasse apparaître l'adresse de la page du site les contenant ;

Considérant que la marque "Déco Planet" est protégée pour les télécommunications, les communications par terminaux d'ordinateurs, les services télématiques, la programmation pour ordinateurs, la location de temps d'accès à un centre serveur de base de données, relevant des classes 38 et 42 que la société Distrimart ne conteste pas la similarité entre un site Internet et les services désignés dans l'enregistrement ;

Considérant qu'en faisant usage de la dénomination "Decoplanet" à titre de mot-clé sur la page source de son site Internet pour permettre le référencement automatique du site au travers des moteurs de recherche, la société Distrimart a commis des actes de contrefaçon, au sens de l'article L 7 13-3 a) du Code de la Propriété Intellectuelle, le public étant enclin à lui attribuer les produits et services proposés par la société Safi sous sa marque ;

Considérant que la marque "maison & objet" appartenant à la société Safi est également reproduite sur la page source du site Internet Décomédia à titre de mot-clé ; que si la dénomination "maison et objet" n'a pas fait l'objet d'un dépôt à titre de marque, cette expression reproduit de manière quasi-identique la marque sus-visée;

Que la marque complexe "maison & objet" désigne notamment l'organisation de salons, d'expositions à buts commerciaux et de publicité

Que, contrairement à ce que prétend la société Safi, la société Distrimart n'a pas fait usage de la marque en tant que nom de salon notoirement connu dans le domaine de la décoration, mais, comme le signe "Déco Planet", à titre de mot-clé dans le code source ; que relevant l'absence d'identité ou de similarité entre les services en cause, les premiers juges ont exactement rejeté la demande en contrefaçon formée de ce chef par la société Safi;

- Sur la concurrence déloyale :

Considérant qu'il n'est pas contesté que le salon ayant pour titre "Maison & objet", organisé par la société Safi, consacré à la décoration, est connu du public et particulièrement des professionnels de la décoration ;que si les exposants sont autorisés à faire figurer leur nom sur les cartons d'invitation qu'ils adressent à leurs clients, la société Distrimart qui a participé à ce salon ne rapporte pas la preuve que cette autorisation emporterait le droit de faire usage de cette dénomination hors du cadre de cette exposition;

Qu'en faisant inscrire la marque "maison & objet" dans le code source de son site Internet, la société Distrimart a cherché à détourner à son profit la clientèle attachée à cette dénomination en l'orientant sur un site sans rapport avec elle et a ainsi commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Safi ;

Considérant qu'en revanche, la société Safi ne caractérise pas des actes de concurrence déloyale distincts de la contrefaçon en relation avec l'usage de la marque "Deco Planet";

- Sur les mesures réparatrices :

Considérant que le constat dressé le 10 septembre 1997 par Maître Avalle, huissier de justice à Paris, ne permet pas d'établir de manière certaine que la société Distrimart a procédé, comme elle le soutient, à la suppression des mots-clés litigieux sur la page source de son site Internet Decomedia que la mesure d'interdiction prononcée par les premiers juges sera donc confirmée ;

Considérant que, sans qu'il soit nécessaire de recourir à une mesure d'expertise, l'atteinte portée aux marques de l'intimée du fait des actes délictueux a été exactement évaluée par les premiers juges qui ont alloué à la société Safi la somme de 50.000 F en réparation des faits de contrefaçon et celle de 50.000 F au titre de la concurrence déloyale ;

Que la mesure de publication sollicitée n'apparaît pas justifiée ;

Considérant que la société Distrimart qui succombe en son appel doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive;

Qu'il n'est pas démontré que la société Distrimart a abusé de son droit d'appel de telle sorte que la demande de dommages-intérêts formée par la société Safi sera également rejetée ;

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile doivent bénéficier à la société Safi ; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme complémentaire de 30.000 F ;

Que la solution du litige commande de rejeter la demande formée sur ce même fondement par la société Distrimart ;

Par ces motifs, Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris, Y ajoutant, Condamne la société Distrimart à payer à la société Safi la somme complémentaire de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, Rejette le surplus des demandes, Condamne la société Distrimart aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.