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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 24 janvier 2001, n° 1999-15623

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

The Great Australian Roadsign Co (Sté), EM & Partners (SARL)

Défendeur :

Carrefour France (SAS), Benoît Dubosc (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachacinski, Mme Magueur

Avoués :

SCP Cossec, SCP Monin, SCP Bommart Forster

Avocats :

Mes Meralli, Lenoir, Blanchard.

T. com. Évry, 5e ch., du 13 avr. 1999

13 avril 1999

La société de droit australien The Great Australian Roadsign Co, dite GARCO, est titulaire d'un dessin représentant un kangourou, déposé le 29 juin 1995, à l'Institut National de la Propriété Industrielle, enregistré sous le numéro 95/ 3611.

Elle commercialise ce dessin notamment sur des supports s'inspirant de la forme des panneaux de signalisation routière australiens.

Reprochant à la Société Carrefour France d'avoir reproduit ce dessin sur des articles de papeterie, la société GARCO et la société EM Partners, se prévalant d'un contrat de distribution, ont saisi le tribunal de commerce d'Évry.

La société Benoît Dubosc, ci-après BDSA, qui a conçu pour la société Carrefour France la gamme d'article de papeterie incriminée, est intervenue dans l'instance

Par jugement du 13 avril 1999, le tribunal a :

- déclaré irrecevable l'action de la société EM Partners et l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes,

- rejeté la demande de nullité de l'assignation présentée par la société Benoît Dubosc,

- débouté la société GARCO de son action en contrefaçon et en concurrence déloyale à l'encontre de la société Carrefour France et de la société Benoît Dubosc,

- prononcé la nullité du dessin inscrit à l'Institut National de la Propriété Industrielle sous le N° 95/578327,

- ordonné l'inscription du jugement sur le Registre des dessins et modèles,

- condamné solidairement les sociétés GARCO et Partners à une amende civile de 5.000 F,

- condamné solidairement les sociétés GARCO et Partners à payer à chacune des sociétés Carrefour France et Benoît Dubosc la somme de 50.000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 10.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et les a condamné aux dépens.

LA COUR,

Vu l'appel de cette décision interjeté le 1er juin 1999 par la société GARCO et la société EM Partners;

Vu les dernières conclusions signifiées le 14 novembre 2000 par lesquelles les sociétés GARCO et EM Partners, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris, soutiennent que l'action en concurrence déloyale de la société EM Partners est recevable en vertu du contrat de licence conclu le 4 février 1996, que le dessin déposé présente les caractères de nouveauté et d'originalité requis pour bénéficier de la protection légale, et demandent à la Cour de:

- dire que la société Carrefour France et la société BDSA ont commis des actes de contrefaçon de ce dessin,

- condamner solidairement la société Carrefour France et la société BDSA à verser à la société GARCO la somme de 200.000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi de ce chef,

- dire que la société Carrefour France et la société BDSA ont commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme, sur le fondement de l'article 1382 du code civil,

- condamner solidairement les sociétés Carrefour France et BDSA à leur payer chacune la somme de 150.000 F à titre de dommages-intérêts à ce titre,

- désigner un expert pour évaluer le manque à gagner subi par la société GARCO sur les produits vendus, aux frais des sociétés Carrefour France et BDSA,

- ordonner la confiscation aux fins de destruction par huissier de tous les exemplaires contrefaisants, aux frais des sociétés Carrefour France et BDSA,

- interdire à la société Carrefour France et à la société BDSA de contrefaire le dessin déposé sur quelque support que ce soit et de quelque façon que ce soit, sous astreinte de 10.000 F par infraction constatée, à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir,

- ordonner la publication de la décision dans cinq revues ou journaux nationaux au choix de la société GARCO, aux frais des sociétés Carrefour France et BDSA,

- condamner solidairement la société Carrefour France et la société BDSA à leur payer la somme de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

Vu les dernières conclusions signifiées le 19 avril 2000 aux termes desquelles la société BDSA sollicite la confirmation du jugement entrepris, réclamant en outre l'allocation d'une somme de 40.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;

Vu les dernières écritures signifiées le 13 octobre 2000 par lesquelles la société Carrefour France conclut à la confirmation du jugement déféré et sollicite l'allocation d'une somme de 50.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

Sur quoi,

Sur la recevabilité de l'action de la société EM Partners :

Considérant que la société EM Partners prétend que le contrat de licence la liant à la société GARCO, conclu le 27 juin 1995, a été tacitement reconduit jusqu'au 4 février 1998, date à laquelle les parties ont formalisé leurs relations commerciales par un nouveau contrat de licence et représentation ; qu'elle ajoute qu'en tout état de cause, elle est l'agent et le distributeur de la société GARCO en vertu d'un contrat signé le 4 février 1996;

Mais considérant que les premiers juges ont relevé à juste titre que le contrat de licence daté du 27 juin 1995, conclu pour une durée de deux ans, expirait le 27 juin 1997 et n'était plus en vigueur à l'époque des faits incriminés qui se sont produits à la rentrée scolaire 1997 ; que la société EM Partners n'établit pas, en l'absence de clause de tacite reconduction, que cet accord s'est poursuivi jusqu'à la signature du contrat de licence du 4 février 1998 ;

Qu'au surplus, aucun des deux actes n'ayant été inscrit au Registre national des dessins et modèles n'est opposable aux tiers ;

Considérant en outre, que la société EM Partners ne verse aux débats aucune traduction du contrat de licence du 4 février 1996 qu'elle invoque dans ses dernières écritures et ne justifie pas davantage de son inscription au registre précité ;

Que la société EM Partners ne justifie donc pas qu'elle était distributeur de la société GARCO entre juin 1997 et Février 1998, date des faits incriminés qu'il s'ensuit que le tribunal a déclaré à juste titre irrecevable son action en concurrence déloyale

Sur la validité du dessin :

Considérant que le dessin, déposé le 29 juin 1995 par la société GARCO, représente un kangourou en position de course, sur un panneau en forme de losange, de couleur orange entouré d'une bande noire, les mentions "Kangaroos", "Next 14 Km" figurant en lettres noires, de part et d'autre de l'animal, peint dans la même couleur

Considérant que les Sociétés intimées invoquent à titre d'antériorité le panneau de signalisation routière officiel australien et soutiennent que le dessin déposé n'est que la reprise à l'identique de cet élément;

Considérant qu'il ressort de l'attestation de la société Standards Australia, qui détient les droits d'auteur sur les panneaux de signalisation dits "standards", qu'à partir du moment où les signes illustrés sont produits comme de véritables panneaux de signalisation, ils tombent dans le domaine public ; que cet organisme précise que le panneau de signalisation représentant un kangourou, dont le croquis est joint à son attestation, est apparu pour la première fois en 1975 dans l'"Australian Standards" et qu'à cette époque, il incluait les termes "Next Km" ;

Que ce panneau figure accompagné de la mention "Next Km" dans un guide de voyage consacré à l'Australie, édité en France en avril 1995, par la société Lonely Planet Publications;

Que le dessin reproduit sur ce panneau de couleur jaune entouré d'un encadré noir, représente un kangourou, de couleur noire, en position de course;

Que, contrairement à ce que soutient la société appelante, l'animal représenté sur son dessin ne se distingue ni par sa position, ni par le détail de son corps de celui ornant le pictogramme antérieur, les deux kangourous apparaissant en silhouette stylisée à la manière d'une ombre chinoise ; que dans les annonces diffusées sur son site Internet, la société GARCO reconnaît d'ailleurs que les panneaux qu'elle offre en vente sont des fac-similés des vrais panneaux routiers, caractéristiques de l'arrière pays australien ;

Considérant que le dessin déposé, qui constitue la simple transposition d'un panneau de signalisation appartenant au domaine public, est dépourvu de nouveauté, au sens de l'article L. 513-3 alinéa 1er du Code de la Propriété Intellectuelle ;

Considérant que ni la représentation graphique du kangourou, dès lors qu'elle ne se distingue pas du pictogramme ornant le panneau de signalisation, ni l'adjonction du terme anglais "Kangaroos", qui désigne l'animal représenté, ne révèlent d'effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de l'auteur ; que ce dessin, qui ne revêt aucune originalité, n'est donc pas davantage protégeable sur le fondement du livre I du Code de la Propriété Intellectuelle;

Que le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu'il a prononcé la nullité de l'enregistrement, ordonné l'inscription au Registre national des dessins et modèles et en ce qu'il a rejeté l'action en contrefaçon formée par la société GARCO;

Sur la concurrence déloyale :

Considérant que la société GARCO reproche aux sociétés Carrefour France et BDSA d'avoir commis des actes de concurrence déloyale en créant délibérément une confusion dans l'esprit du public entre les deux dessins et en profitant de l'ensemble des investissements tant financiers que marketing réalisés par elle en France ;

Mais considérant que le dessin dont se prévaut la société GARCO n'étant pas protégeable, son utilisation, en dehors de tout comportement déloyal caractérisé, ne saurait être considéré fautif ;

Que si elle justifie de sa diffusion en France sous forme de panneaux de signalisation décoratifs à ventouses ou sur des vêtements, elle ne démontre pas que son usage était indissociablement lié à son nom ;

Qu'en outre, le dessin conçu par la société BDSA, représenté sur les cahiers d'écolier diffusés par la société Carrefour France, se distingue du dessin déposé par la société GARCO en ce qu'il est constitué de deux losanges de tailles différentes, de couleur jaune encadré d'une bande de couleur rouge, le plus grand comportant le pictogramme du kangourou, le plus petit les mentions "Kangaroos Next 14 Km", alors que le premier est constitué d'un seul losange bicolore ;

Que par ailleurs aucune recherche de confusion entre les deux sociétés en cause n'est établie ;

Considérant que la société GARCO ne justifie pas des investissements publicitaires réalisés pour promouvoir les produits revêtus de ce graphisme ;

Qu'il s'ensuit que les premiers juges ont exactement débouté la société GARCO de ses demandes au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ;

Sur les demandes des sociétés Carrefour France et BDSA :

Considérant que les sociétés GARCO et BDSA ont pu de bonne foi se méprendre sur la portée des droits attachés au dessin déposé ; que la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par les sociétés Carrefour France et BDSA doit donc être rejetée ;

Considérant en revanche, que les dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile doivent bénéficier aux deux intimées ; qu'il leur sera alloué chacune la somme de 40.000 F au titre de leurs frais irrépétibles devant la cour qui s'ajoutera à celle octroyée par les premiers juges ;

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné la société GARCO et la société EM Partners à payer à la société Carrefour France et à la société BDSA la somme de 50.000 F à titre de dommages-intérêts et en ce qu'il a mis à leur charge une amende civile, Y ajoutant, Condamne in solidum la société GARCO et la société EM Partners à payer à la société Carrefour France et à la société BDSA chacune la somme complémentaire de 40.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, Rejette le surplus des demandes, Condamne in solidum la société GARCO et la société EM Partners aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.