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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 17 janvier 2001, n° 1999-15018

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Nitya (SARL)

Défendeur :

Prisunic Exploitation (SA), Sapac Magasins Populaires (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachacinski, Mme Magueur

Avoués :

SCP Varin Petit, SCP Garrabos Gerigny-Freneaux

Avocats :

Mes Azencot, Mitchell.

T. com. Paris, 15e ch., du 18 déc. 1998

18 décembre 1998

Revendiquant la titularité des droits d'auteur sur un dessin de tissu qu'elle a commercialisé dans son catalogue de la collection été 1996, la société Nitya, après avoir fait procéder à une saisie-contrefaçon dans le magasin à l'enseigne Prisunic St. Augustin, à Paris, a saisi le tribunal de commerce de Paris qui, par jugement du 18 décembre 1998, a déclaré mal fondée sa demande au titre de la contrefaçon, l'a déboutée de ses demandes au titre de la concurrence déloyale et parasitaire et l'a condamnée à payer à la société Prisunic Exploitation et à la centrale d'achats Sapac Magasins Poulaires la somme de 24.120 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La Cour,

Vu l'appel de cette décision interjeté le 8 juillet 1999 par la société Nitya ;

Vu les écritures signifiées le 8 novembre 1999 par lesquelles la société Nitya, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris, soutient que les éléments produits par les sociétés intimées ne démontrent pas la commercialisation antérieure en Inde du dessin revendiqué, que la reproduction des motifs constituant ce dessin est incontestable et demande à la Cour de

- dire que les sociétés Prisunic et Sapac ont commis des actes de contrefaçon, de concurrence déloyale et de parasitisme,

- condamner in solidum les sociétés Prisunic et Sapac à lui payer la somme de 500.000 F en réparation de son préjudice matériel, celle de 500.000 F à titre de préjudice commercial porté à l'entreprise et à la marque " Nitya " et celle de 300.000 F en réparation de son préjudice au titre du parasitisme,

- ordonner la publication d'un extrait du jugement à intervenir dans quatre journaux ou magazines de son choix, aux frais des intimées, dans la limite de 15.000 F par insertion,

- dire que les sociétés intimées devront in solidum faire l'avance du coût de cette publication sous astreinte de 1.500 F par jour de retard à compter de la huitaine du prononcé de la décision,

- condamner in solidum les sociétés intimées à lui payer la somme de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les écritures signifiées le 24 janvier 2000 aux termes desquelles la société Prisunic Exploitation et la société Sapac Magasins Populaires sollicitent la confirmation du jugement déféré et à titre subsidiaire, invoquent leur bonne foi, plus subsidiairement, faisant valoir que la société Nitya ne rapporte pas la preuve d'un quelconque préjudice résultant de la commercialisation des produits litigieux, concluent au rejet des demandes, réclamant l'allocation d'une somme de 36.180 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 27 novembre 2000 par la société Nitya ;

Vu les dernières écritures signifiées le 27 novembre 2000 par lesquelles la société Prisunic Exploitation et la société Sapac Magasins Populaires indiquent l'adresse de leur nouveau siège social ;

Vu les conclusions dites " de procédure " signifiées le 29 novembre 2000 par lesquelles la société Prisunic Exploitation et la société Sapac Magasins Populaires demandent à la cour de renvoyer l'affaire et subsidiairement de rejeter des débats les conclusions signifiées le 27 novembre 2000 par la société Nitya et les pièces communiquées le 24 novembre 2000 en raison de leur tardiveté ;

Vu l'ordonnance de clôture du 29 novembre 2000 ;

Sur quoi,

- Sur les incidents de procédure

Considérant que la société Nitya n'a répliqué que le 27 novembre 2000 aux écritures signifiées par les sociétés intimées le 24 janvier 2000 ; qu'aucun élément du dossier ne justifiait ce délai ; que la communication tardive de 10 pièces n'est pas davantage motivée alors que ces documents sont tous antérieurs au 7 avril 1999 ;

Qu'en raison de la tardiveté de cette réplique, les sociétés Prisunic Exploitation et Sapac n'ont pas été en mesure d'y répondre ;

Qu'il convient donc afin de respecter le principe de la contradiction, de rejeter des débats les conclusions signifiées le 27 novembre par la société Nitya et les dix pièces communiquées le 24 novembre 2000, la demande de renvoi n'étant pas justifiée ;

- Sur la recevabilité de l'action en contrefaçon

Considérant que pour s'opposer à l'action engagée à leur encontre, les sociétés intimées soutiennent que la société Nitya ne démontre pas sa qualité d'auteur du dessin litigieux et que la présomption de titularité de droits de propriété incorporelle de l'auteur n'est pas applicable, dès lors qu'elle ne rapporte pas la preuve de la commercialisation de ce dessin sur le marché français ;

Mais considérant que pour justifier de la titularité de ses droits sur le dessin, la société Nitya produit aux débats :

- une attestation datée du 6 janvier 1997 de la société Scorpios International, ayant son siège social à New-Delhi, certifiant que le dessin " imprimé Glamour ", dont un échantillon est joint, a été développé par la société New Shakti Dye Works pour son compte, comme création et dessin original de la société Nitya et que les échantillons de vêtements fabriqués à partir de ces tissus ont été expédiés à cette dernière durant les mois d'avril-mai 1995,

- une attestation datée du 14 janvier 1997 de la Société New Shakti Dye Works qui déclare que l'imprimé " Glamour " a été développé et fabriqué par elle au cours de l'année 1995 pour le compte de la société Scorpios International pour leur client, la société Nitya et que ce dessin leur a été livré avec les factures datées du 19 avril 1995 qui sont annexées,

- une attestation datée du 18 février 1998, dans laquelle la Société New Shakti Dye Works précise avoir réalisé exclusivement le travail de fabrication des calques et de développement des écrans pour le dessin sus-visé et ajoute que le dessin a été réalisé par Nitya et lui a été envoyé pour développement,

- un catalogue au nom de la société Nitya sur lequel est présentée en page 12 une robe réalisée dans le tissu dénommé " Glamour " ;

Que si ce catalogue n'est pas daté, le nom du photographe qui a réalisé les clichés, Christian Moser, est mentionné en dernière page de couverture ;

que la société Nitya produit la facture de ce photographe datée du 16 novembre 1995 qui confirme que ce catalogue a bien été réalisé pour la saison d'été 1996 ;

Considérant que l'ensemble de ces éléments établit avec certitude que le rôle de la société Nitya ne s'est pas limité, contrairement à ce que soutiennent les intimées, à l'achat du tissu imprimé à une société indienne ;

Qu'en l'absence de toute revendication d'un droit d'auteur par une quelconque personne physique, la société Nitya qui l'a commercialisé sous son nom, est du fait de ces actes présumée à l'égard des tiers poursuivis pour contrefaçon, titulaire des droits de propriété incorporelle de l'auteur ;

Considérant que les sociétés intimées ne rapportent pas la preuve que ce dessin, qui se caractérise par des spirales de fleurs et de feuillages blancs sur fond noir, est la reproduction d'un motif antérieur largement diffusé sur le marché indien ;

Qu'en effet, le représentant de la société Snadp Textiles, après avoir attesté être titulaire des droits sur cet imprimé depuis juin 1994, est revenu sur ses déclarations ; que si la société Nalini Silk Mills déclare, dans une attestation datée du 6 mars 1997, avoir produit courant janvier 1995 un dessin similaire à titre d'échantillon et l'avoir fabriqué en février 1995, elle ne joint à sa déclaration aucun bon de commande ou facture de nature à établir avec certitude la date et la consistance de l'antériorité qu'elle oppose ;

Considérant que par sa composition et le choix des coloris, le dessin dénommé " Glamour " porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et revêt le caractère d'originalité requis pour être protégé au titre du droit d'auteur ;

Que l'action en contrefaçon engagée par la société Nitya est donc recevable ;

- Sur la contrefaçon

Considérant que les sociétés Prisunic Exploitation et la société Sapac ne contestent pas la reproduction du dessin litigieux mais invoque leur bonne foi au motif qu'elles ne pouvaient légitimement pas connaître ce motif qui n'a pas fait l'objet d'une commercialisation notoire ;

Mais considérant que la bonne foi est inopérante en matière de contrefaçon qu'au surplus, les sociétés intimées, professionnelles en matière de distribution d'articles vestimentaires, avaient l'obligation de s'assurer auprès de leur fournisseur que les produits qu'elles offraient en vente étaient libres de droits et ce, quelle que soit la notoriété du modèle contrefait ;

Considérant qu'en commercialisant des écharpes qui reproduisent de manière servile le dessin dont est titulaire la société Nitya, les sociétés Prisunic Exploitation et Sapac Magasins Populaires ont commis des actes de contrefaçon ;

- Sur la concurrence déloyale et parasitaire

Considérant que la société Nitya soutient que les sociétés intimées ont commis des actes de concurrence déloyale, en vendant sous la dénomination " Autre Ton " les produits contrefaits, ce qui porte atteinte à la marque " Nitya ", et en vendant ces mêmes articles à bas prix par la voie d'une chaîne de magasins populaires ;

Mais considérant que la pratique d'un prix inférieur, dès lors qu'il n'est pas démontré qu'il serait vil, ne constitue pas un acte de concurrence déloyale en raison de la diversification des modes de distribution, la vente dans des magasins à grande surface d'articles qui n'appartiennent pas au domaine du luxe ne caractérise pas en soi une atteinte au modèle, distincte des faits de contrefaçon ;

Que l'atteinte à la marque dénominative " Nitya " n'est pas davantage démontrée, les écharpes diffusées par les magasins à l'enseigne Prisunic ne comportant aucune référence à ce signe distinctif ;

Que le grief de concurrence déloyale et d'atteinte à la marque sera donc rejeté

Considérant que la société Nitya reproche, en outre, aux sociétés intimées d'avoir tiré profit des investissements par elle réalisés pour promouvoir ses produits ;

Mais considérant que si elle justifie avoir présenté les modèles faisant partie de la collection été 1996 au salon du prêt à porter féminin de septembre 1995 et au Salon de Milan, elle ne démontre pas que le dessin dénommé " Glamour " a fait l'objet d'une publicité spécifique de telle sorte qu'il faisait partie de ses modèles " phares " et était susceptible de l'identifier auprès du public ;

Que le seul fait d'avoir reproduit cet imprimé sur des écharpes ne caractérise donc pas des agissements parasitaires distincts des actes de contrefaçon ;

- Sur les mesures réparatrices

Considérant que le préjudice subi par la société Nitya qui n'excède pas celui résultant de la banalisation du dessin dont elle est titulaire, sera entièrement réparé par l'allocation d'une indemnité de 200.000 F ;

Qu'à titre de dommages-intérêts complémentaires, il sera fait droit à la demande de publication dans les termes précisés au dispositif ;

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier à la société Nitya ; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme de 30.000 F ;

Que l'appel ayant été déclaré partiellement fondé, les sociétés intimées doivent être déboutées de leur demande sur ce même fondement ;

Par ces motifs, rejette des débats les écritures signifiées le 27 novembre 2000 par la société Nitya et les pièces communiquées le 24 novembre 2000, infirme le jugement entrepris, statuant à nouveau, déclare recevable l'action en contrefaçon engagée par la société Nitya, dit que la société Prisunic Exploitation et la société Sapac Magasins Populaires ont commis des actes de contrefaçon du dessin dénommé " Glamour " sur lequel la société Nitya est titulaire de droits d'auteur, condamne in solidum la société Prisunic Exploitation et la société Sapac Magasins Populaires à payer à la société Nitya la somme de 200.000 F à titre de dommages- intérêts en réparation des actes de contrefaçon et celle de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, autorise la publication du présent arrêt, en entier ou par extraits, dans trois journaux ou revues, au choix de la société Nitya, aux frais in solidum de la société Prisunic Exploitation et de la société Sapac Magasins Populaires, sans que ceux-ci puissent excéder la somme de 15.000 F HT par insertion, rejette le surplus des demandes, condamne in solidum la société Prisunic Exploitation et la société Sapac Magasins Populaires aux entiers dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.