CA Paris, 4e ch. A, 10 janvier 2001, n° 1997-05746
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Faïencerie de Pornic (SARL)
Défendeur :
Faïencerie de Lunéville Saint-Clément et Sarreguemines (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marais
Conseillers :
M. Lachacinski, Mme Magueur
Avoués :
SCP Lecharny Calarn, SCP Fisselier Chiloux Boulay
Avocats :
Mes Monegier du Sorbier, Lehuédé, Gaultier.
Reprochant à la société Faïencerie de Lunéville Saint-Clément et Sarreguemines ci-après Faïencerie de Lunéville d'avoir commis des actes de contrefaçon en présentant des objets reproduisant ses décors ainsi que des actes de concurrence déloyale, la société Faïencerie de Pornic a saisi le tribunal de commerce de Paris qui, par jugement du 10 janvier 1997, a déclaré nul le constat du 15 janvier 1996, l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et a rejeté la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par la société Faïencerie de Pornic.
LA COUR,
Vu l'appel de cette décision interjeté le 31 janvier 1997 par la société Faïencerie de Pornic;
Vu les dernières conclusions signifiées le 6 novembre 2000 par lesquelles la société Faïencerie de Pornic, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris, demande à la cour de :
- dire valable le procès-verbal de constat dressé le 15 janvier 1996,
- dire que la société Faïencerie de Lunéville a commis des actes de contrefaçon en imitant de manière servile ou quasi-servile des produits commercialisés par elle dans les décors "couple breton", "phare et bateau" et "poisson",
- dire que la Faïencerie de Lunéville a commis des actes de concurrence déloyale
* en fabriquant et commercialisant des produits dans les décors "couple breton", "coeur vendéen", "fleur de lys", "phare et bateau", "coquillage" et "poisson",
* en fabriquant et commercialisant des bols-prénom,
* en fabriquant et commercialisant des plats diviseurs,
* en mettant en place des papiers commerciaux, en particulier un bon de commande, identiques à ceux qu'elle utilise,
* en embauchant le seul représentant de la société Faïencerie de Pornic qui visite la même clientèle,
* en commercialisant des produits sous l'appellation mensongère "faïence d'art régional Bretagne" afin de faire croire à un lien avec la Faïencerie de Pornic,
- condamner la société Faïencerie de Lunéville à détruire, sous astreinte, dans les quinze jours de l'arrêt à intervenir, toute production relative aux décors ci-dessus cités,
- lui ordonner de cesser toute commercialisation des produits sus visés et de modifier ses papiers commerciaux, en particulier son bon de commande, sous astreinte de 10.000 F par infraction constatée,
- condamner la société Faïencerie de Lunéville à lui payer la somme de 500.000 F à titre de provision à valoir sur son préjudice à déterminer par voie d'expertise,
- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq journaux ou revues de son choix, aux frais de la société Faïencerie de Lunéville, le coût de chaque insertion étant fixé à la somme de 30.000 F HT,
- condamner la société Faïencerie de Lunéville à lui payer la somme de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile
Vu les dernières écritures signifiées le 1er février 1999 aux termes desquelles la société Faïencerie de Lunéville sollicite la confirmation du jugement déféré et l'allocation d'une somme de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;
SUR QUOI,
- Sur la nullité du procès-verbal de constat du 15 janvier 1996
Considérant qu'à la requête de la société Faïencerie de Pornic, Maître Cabardis, huissier de justice, s'est transporté sur le stand de la société Faïencerie de Lunéville au salon "Maison et Objet" se déroulant au Parc des Expositions de Villepinte du 12 au 16 janvier 1996, accompagné de M. Wagner, représentant la requérante, et a dressé le 15 janvier 1996, un procès-verbal de constat;
Qu'il déclare avoir fait des constatations à partir de l'allée où il se tenait et a annexé au procès-verbal, outre différentes photographies et un dépliant publicitaire reproduisant la photographie des collections de la requérante, des photographies prises par cette dernière sur le stand de la société Faïencerie de Lunéville;
Mais considérant que l'huissier instrumentaire n'a procédé qu'à une description sommaire des objets exposés sur le stand de la société Faïencerie de Lunéville et n'a pas comparé ces objets aux photographies qui lui avaient été remises par la société Faïencerie de Pornic, alors qu'aucun élément ne permet d'affirmer qu'elles avaient été prises en sa présence ;
Qu'il convient donc d'écarter des débats ces photographies dépourvues de caractère probant, sans qu'il y ait lieu de prononcer la nullité du procès-verbal ; que toutefois la seule description consignée par l'huissier ne permet pas de mettre en évidence les caractéristiques des objets incriminés ;
- Sur la contrefaçon
Considérant que la société Faïencerie de Pornic reproche à la société Faïencerie de Lunéville d'avoir reproduit trois décors intitulés "couple breton", "phare et bateau" et "poisson" sur lesquels elle invoque des droits d'auteur;
Mais considérant que les seuls documents qui peuvent être retenus à l'appui de l'action en contrefaçon sont les quatre planches remises par Denis Mirgon, salarié de la société Faïencerie de Lunéville, lors des opérations de saisie-contrefaçon effectuées à son domicile, le 6 avril 1996, par le Président du tribunal d'instance de Paimboeuf ;
Que sur les trois décors invoqués, seul celui dit du "couple breton" est représenté sur la documentation publicitaire remise ;
Considérant qu'il ressort des documents produits par la société intimée, et notamment de la page 5 intitulée "décor tradition" du catalogue de la société HB/ Henriot, que la représentation d'un couple en costume breton est usuelle et fait partie du domaine public comme appartenant au décor traditionnel ; que seule est donc protégeable la forme ou l'expression particulière donnée à ce décor ;
Considérant que si le décor de couple breton ornant les objets en faïence de la société appelante se distingue de l'imagerie traditionnelle par sa posture, la femme étant placée devant l'homme dont elle masque la moitié du corps, et revêt ainsi un caractère original, le dessin incriminé ne reproduit pas cette position, les deux personnages étant séparés et l'homme présenté de profil ; qu'en outre, les feuillages entourant les deux personnages ne présentent aucune similitude de forme et de couleurs;
Qu'il s'ensuit que le grief de contrefaçon doit être rejeté;
Sur la concurrence déloyale :
Considérant que la société Faïencerie de Pornic reproche à la société Faïencerie de Lunéville d'avoir commis des actes de concurrence déloyale en mettant sur le marché des produits similaires à ceux qu'elle commercialise, en embauchant son seul représentant, en ayant émis un bon de commande similaire au sien et en faisant figurer sur certains produits l'appellation mensongère "Faïence d'art régional de Bretagne"
Considérant que, dans une attestation datée du 2 avril 1996, le conservateur du Musée de la Faïence de Quimper déclare que les décors à la "fleur de lys" et du "coeur vendéen" ont été largement employés pour orner des services de tables et en tant que forme (vase);
Qu'en reproduisant ces emblèmes, qui relèvent du patrimoine culturel breton, selon une configuration qui se distingue de celle utilisée par la société Faïencerie de Pornic, la société intimée n'a pas commis de faute ;
Que les décors à base de coquillages ornant les produits de la société Faïencerie de Lunéville ne reproduisent pas davantage le dessin sous lequel la société appelante commercialise des objets ;
Considérant que la société Faïencerie de Pornic ne peut se prévaloir de droits privatifs sur les bols agrémentés d'un prénom, que Marcel Boutain, céramiste, atteste avoir commercialisé dès 1936 ;
Considérant que la société Faïencerie de Pornic ne saurait davantage reprocher à la société intimée d'avoir commercialisé des plats dits "diviseur", seule la reproduction d'un décor identique, qui n'est pas alléguée en l'espèce, étant susceptible de constituer une faute ;
Considérant que Denis Mirgon a démissionné de la société Faïencerie de Pornic, 18 mois après le rachat par celle-ci du département de faïencerie de la société Nider Viller et Pornic, qui a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire, et a été embauché par la société Faïencerie de Lunéville ;
Mais considérant que la société appelante ne démontre pas que l'embauche de ce salarié, qui n'était pas lié à elle par une clause de non-concurrence, caractérise un comportement déloyal, en l'absence de tout acte de démarchage de sa clientèle
Considérant que si les bons de commande comportent les mêmes mentions nécessaires, telles la référence, la désignation du produit et son prix, les noms des deux sociétés qui figurent en caractères gras en tête de ces documents excluent tout risque de confusion;
Considérant que la mention "Faïence d'art régional Bretagne", dont la société Faïencerie de Lunéville a fait usage sur certains produits, a été sanctionné par jugement du tribunal correctionnel de Paris du 26 mars 1997 ;
Que la société Faïencerie de Pornic, qui ne détient pas le monopole de la faïence d'art régional breton, n'établit pas que l'apposition de cette mention erronée lui ait causé un préjudice personnel ;
Considérant que les premiers juges ont donc à juste titre débouté la société Faïencerie de Pornic de ses demandes au titre de la concurrence déloyale ;
Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile doivent bénéficier à la société Faïencerie de Lunéville; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme complémentaire de 30.000 F ;
Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a déclaré nul le procès-verbal de constat du 15 janvier 1996, Le réformant sur ce point et statuant à nouveau, Rejette l'exception de nullité du procès-verbal de constat du 15 janvier 1996, Écarte des débats les photographies annexées audit procès-verbal de constat, Rejette le surplus des demandes, Condamne la société Faïencerie de Pornic à payer à la société Faïencerie de Lunéville Saint-Clément et Sarreguemines la somme complémentaire de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, Condamne la société Faïencerie de Pornic aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile,