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Décisions

CA Poitiers, 2e ch. civ., 19 décembre 2000, n° 9700579

POITIERS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Garreau

Défendeur :

Aventis Crop Science (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lerner

Conseillers :

MM. Andrault, Pascot

Avoués :

SCP Gallet, SCP Alirol-Laurent

Avocats :

Mes Drouineau, Bloch Moreau.

TGI La Roche-sur-Yon, du 21 janv. 1997

21 janvier 1997

Faits et procédure,

Vu le jugement prononcé le 21 janvier 1997 par le Tribunal de Grande Instance de La Roche-sur-Yon lequel, sur demande de la SA Rhône-Poulenc Agrochimie contre Monsieur Garreau sollicitait que ce dernier soit condamné pour contrefaçon de marque et d'usage de marque contrefaite caractérisés par une imitation frauduleuse et illicite de la marque Quetzal et pour concurrence déloyale et parasitaire,

Il était demandé paiement d'une somme de 500.000 Frs en réparation de la contrefaçon et 2.750.000 Frs pour concurrence déloyale,

Le jugement déféré, au vue d'un procès verbal d'huissier en date du 2 février 1995 :

- a dit que Jacques Garreau a par voie d'annonce, de diffusion de notices d'emploi, fait usage de la marque Quetzal qu'il savait protégée en créant dans l'esprit du public une confusion avec le produit qu'il commercialisait sous le nom de Javelo,

- a dit que Jacques Garreau a commis des actes de concurrence déloyale en proposant à des prix compétitifs un produit qu'il présentait comme identique à celui protégé par la SA Rhône Poulenc Agrochimie.

- a fait défense à Jacques Garreau de faire référence au produit Quetzal dans le cadre de son activité commerciale sous astreinte de 5.000 Frs par infraction,

- a condamné Jacques Garreau à payer une somme de 500.000 Frs en réparation des préjudices de contrefaçon de marque et de concurrence déloyale,

Vu l'appel formé le 21 février 1997 par Monsieur Jacques Garreau,

Vu les conclusions déposées par Monsieur Garreau le 23 juin 1997,

Vu les conclusions déposées le 9 mars 1999 par la Société Rhône Poulenc Agrochimie,

Vu les conclusions déposées par la Société Rhône Poulenc le 4 novembre 1999,

Vu les conclusions déposées par la Société Aventis venant aux lieu et place de la Société Rhône Poulenc le 13 octobre 2000,

Vu les conclusions déposées par la Société Aventis le 18 octobre 2000,

Vu l'ordonnance de clôture en date du 26 octobre 2000

Motifs de la décision,

Attendu que la Société Rhône Poulenc Agrochimie est propriétaire de la marque de fabrique Quetzal couvrant "les produits pour la destruction des animaux nuisibles, fongicides, herbicides" rentrant dans la classe 5;

Attendu que la marque a été déposée en France à son nom le 15 décembre 1987 à l'INPI sous le numéro 894 106 et enregistrée sous le numéro 1440164;

Attendu qu'il n'est pas contesté que la loi du 2 novembre 1943 et l'arrêté du 20 juin 1989 outre le décret du 5 mai 1994, impose que tout produit antiparasitaire à usage agricole bénéficie d'une homologation ou d'une autorisation provisoire de vente ou d'importation;

Attendu qu'est instituée, de telle sorte, une homologation par pays et que, Monsieur Garreau a mis sur le marché français en provenance d'Espagne le produit Javelo, non homologué en France et étiqueté en langue espagnole;

Attendu qu'il résulte du procès verbal de saisie dressé par l'huissier que :

- d'une part Monsieur Garreau reproduisait, imposait et utilisait sans l'autorisation du titulaire des droits la marque Quetzal sur les traductions par lui établies du mode d'emploi du produit espagnol Javelo,

- que d'autre part il mettait sur le marché français et commercialisait en France ses produits en provenance d'Espagne, recouverts d'une étiquette libellée exclusivement en langue espagnole et qu'il vendait à ses acheteurs aux lieu et place du Quetzal;

Attendu que l'usage de cette marque n'avait pour vocation que celle d'attirer les acheteurs pour les diriger vers un produit de substitution similaire des différents désignés sous la marque Javelo;

Attendu que Monsieur Garreau a établi une feuille volante remise aux acheteurs postérieurement à leur acquisition des produits Javelo sur laquelle était mentionné en toutes lettres "Javelo = Quetzal";

Attendu qu'il a été constaté que Monsieur Garreau avait fait paraître dans la presse spécialisée, notamment dans la France Agricole des annonces offrant à la vente des produits de marque Quetzal-Javelo;

Attendu que ces agissements sont consécutifs, en vertu des dispositions des articles 716-1, L. 713-2, L. 713-3, L. 716-9 et L. 717-10 du code de la propriété intellectuelle, du délit de contrefaçon de marque et d'imitation frauduleuse de marque, d'apposition et d'usage de marque contrefaite et de fraude et tromperie en matière d'étiquetage;

Attendu qu'il y a en l'espèce contrefaçon de marque par substitution de produit présenté comme étant le même;

Attendu que Monsieur Garreau soutient qu'il n'existerait pas de différence significative entre le produit Quetzal et le produit Javelo et que d'autre part il n'aurait pas induit en erreur l'acheteur alors qu'il reconnaît lui même expressément que les deux produits sont de composition différente, bien qu'étant destinés aux mêmes usages ; que de plus, en cas de composition identique éventuelle Monsieur Garreau ne peut apposer la marque Quetzal sur le produit Javelo ; que par ces motifs et ceux pertinents du premier Juge que la Cour adopte, le jugement sera confirmé sur ce motif;

Attendu que Monsieur Garreau soutient que l'étiquette du produit Javelo n'induit pas gravement l'utilisateur en erreur sur le produit acheté ; qu'il convient de noter que l'étiquette est libellée exclusivement en langue espagnole, qu'elle ne mentionne pas le nom et l'adresse du responsable de la mise sur le marché français et qu'elle n'est pas conforme avec la réglementation afférente aux produits phytosanitaires notamment avec les dispositions de l'arrêté du 6 septembre 1994, notamment en ce sens que "l'étiquette ou l'inscription doit être apposée de manière très apparente, lisible horizontalement lorsque l'emballage est en position normale";

Attendu que la mention "Javelo = Quetzal" démontre surabondamment la fraude organisée par Monsieur Garreau;

Attendu que ce dernier soutient que les droits de propriété industriels seraient épuisés notamment en ce sens, que la Société Rhône Poulenc cloisonne le marché en fabricant en Angleterre un produit similaire aux produits français en lui donnant un autre nom;

Attendu que s'il est exact que l'épuisement des droits de marque a été consacré par l'article 30 à 36 du traité de Rome qui ne concerne que des marchandises qui ont été écoulées illicitement sur le marché d'un état membre de la CEE par le titulaire de droit de marque ou avec son consentement;

Attendu qu'il faut, pour bénéficier de la règle de l'épuisement, que le produit soit écoulé licitement dans l'autre pays membre, par le titulaire du droit lui-même et sur le marché d'un autre état membre de la communauté européenne;

Attendu, faut-il le rappeler, qui n'est fait reproche à Monsieur Garreau que d'avoir revêtu de la marque Quetzal un produit qui n'avait jamais été licitement revêtu de ladite marque Quetzal, ledit produit n'ayant été licitement revêtu de la marque ni par la société Rhône Poulenc ni par une autre ; que le jugement déféré sera confirmé par ces motifs et ceux pertinents des premiers juges;

Attendu qu'en ce qui concerne la concurrence déloyale et parasitaire, il est constant que Monsieur Garreau a commercialisé à des prix inférieurs à ceux du marché, des produits qu'il a présenté comme étant des produits Quetzal et a utilisé pour son seul profit des éléments de création appartenant à autrui ; que sur ce point le jugement déféré sera confirmé par ces motifs et ceux pertinents des premiers juges;

Sur le préjudice,

Attendu que la Société Rhône Poulenc sollicite paiement de dommages et intérêts tant sur le fondement de la contrefaçon que de la concurrence déloyale;

Attendu que les produits ont été diffusés dans des emballages trompeurs avec un étiquetage insuffisamment informatif avec des erreurs, des omissions et ce avec indication de la marque Quetzal, ce qui a porté atteinte à la réputation commerciale de la société Rhône Poulenc;

Attendu que le détournement de clientèle a été opéré après parution dans une revue professionnelle dénommée France Agricole et que Monsieur Garreau a poursuivi ses activités ainsi qu'il résulte d'un constat d'huissier en date du 23 novembre 1995 ; que la Cour dispose des éléments suffisants d'appréciation pour chiffrer le préjudice relatif à la contrefaçon et à la concurrence déloyale, à la somme de 750.000 Frs;

Attendu que la demande incidente de Monsieur Garreau sera rejetée lorsqu'il demande paiement de dommages et intérêts "pour avoir voulu le faire passer pour un malhonnête" ; qu'aucune faute n'est démontrée à la charge de la Société Aventis venant aux droits de la Société Rhône Poulenc;

Par ces motifs, LA COUR : Statuant sur l'appel principal et sur l'appel incident; Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne des dommages et intérêts; Statuant à nouveau, Condamne Jacques Garreau à payer à la SA Aventis venant aux droits de la SA Rhône Poulenc Agrochimie la somme de 750.000 F en réparation des préjudices de contrefaçon de marque et concurrence déloyale; Déboute les parties de toutes autres demandes; Condamne Monsieur Garreau à payer à la Société Aventis une somme de 15.000 F en cause d'appel au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile; Condamne Monsieur Garreau aux dépens de première instance et d'appel lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.