CA Paris, 4e ch. A, 13 décembre 2000, n° 1997-27034
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Dubois (ès qual.), En Tout Cas France (Sté)
Défendeur :
Établissements Boulenger (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marais
Conseillers :
M. Lachacinsky, Mme Magueur
Avoués :
SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP Monin
Avocats :
Mes Morer, Moreau Defarges.
La société Scores et la société Établissements Boulenger, ci-après Boulenger, toutes deux spécialisées dans la pose de revêtements de sols et de murs, ont répondu à l'appel d'offres de la ville de Bagnols-sur-Céze (Gard) pour le lot N°14 de la construction d'un complexe sportif et polyvalent.
Par lettre du 24 février 1994, le Maire de Bagnols-sur-Céze a informé la société Boulenger que son offre était retenue dans sa totalité.
Le 6 avril 1994, la société Scores a adressé au Maire de la commune une lettre libellée en ces termes :
Dans son numéro 36 du 18 mars 1994, le Bulletin Officiel des Annonces de marchés publics faisait paraître le résultat de l'appel d'offres, à savoir : "lot n° 14 : Entreprise Boulenger pour un montant de 336.793,05 F.
"Il se trouve que cette entreprise ne possède pas la qualification professionnelle exigée et que son revêtement Haltopex n'est pas conforme en totalité à la norme Afnor exigible".
Une copie de cette correspondance a été adressée à Michel Sudre, architecte, au bureau de contrôle Qualiconsult Gard, à la société Jacomacci Ingénierie et à la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes.
Estimant que ces propos sont constitutifs de dénigrement et caractérisent un comportement anticoncurrentiel, la société Boulenger a saisi le tribunal de commerce de Meaux qui, par jugement du 27 mai 1997, a condamné la société Scores à lui payer la somme de 150.000 F à titre de dommages-intérêts, celle de 5.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et a ordonné la publication de la décision dans le journal "Le Moniteur des Travaux publics" aux frais de la société Scores ;
LA COUR,
Vu l'appel de cette décision interjeté le 19 novembre 1997 par la société En Tout Cas France, venant aux droits de la société Scores,
Vu les dernières conclusions signifiées le 18 janvier 2000 par lesquelles Maître Dubois, es-qualités de mandataire liquidateur de la société En Tout Cas France, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris, demande à la cour, après avoir constaté que la société Scores s'est contentée d'appliquer la législation sur les appels d'offres dans le cadre d'un marché public, en demandant au maître de l'ouvrage des explications sur le choix d'un des soumissionnaires, et que la lettre du 6 avril 1994 n'est pas constitutive de dénigrement, de débouter la société Boulenger de ses prétentions et de lui allouer la somme de 20.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Vu les dernières écritures signifiées le 29 octobre 1998 aux termes desquelles la société Boulenger sollicite la confirmation du jugement déféré sauf sur le montant des dommages-intérêts qu'elle demande de porter à la somme de 300.000 F, tout en relevant avoir déclaré sa créance pour un montant de 237.032,08 F et réclame, en outre, la condamnation de la société En Tout Cas France et de son liquidateur judiciaire, Maître Dubois au paiement d'une somme de 20.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Sur quoi,
Considérant que si, comme le souligne Maître Dubois ès-qualités de liquidateur de la société En Tout Cas France, tout soumissionnaire à un marché public est en droit de demander au maître de l'ouvrage des explications sur le rejet de son offre, cette faculté d'information ne saurait justifier un comportement déloyal envers l'un des attributaires du marché;
Considérant qu'en affirmant dans la lettre datée du 6 avril 1994 que la société Boulenger ne possède pas la qualification professionnelle exigée et que son revêtement Haltopex n'est pas conforme en totalité à la norme Afnor exigible, la société Scores aux droits de laquelle vient la société En Tout Cas France, a délibérément dénigré une société concurrente;
Que l'appelante invoque en vain l'exactitude de ses propos, alors que les analyses réalisées par deux laboratoires, les 28 février 1994 et 10 mai 1994, établissent que le revêtement utilisé dans le marché public litigieux, dénommé Haltopex, répond aux exigences de la norme Afnor 90-203, à laquelle devait se conformer le produit comme prévu dans l'appel d'offres ; que la conformité du produit retenu à la norme est également confirmée, dans une lettre datée du 11 avril 1994, adressée par le maître d'œuvre Michel Sudres, architecte, à la société Scores ;
Qu'en outre, la société En Tout Cas France ne précise pas en quoi la société Boulenger ne posséderait pas la qualification professionnelle requise ;
Considérant qu'en diffusant cette correspondance, la société Scores a entendu lui conférer une publicité qu'elle savait préjudiciable aux intérêts de son concurrent ; que si ces propos ont été tenus après l'obtention du marché par la Société Boulenger, comme l'observe l'appelant, ils ont eu nécessairement pour effet de jeter le discrédit sur ses produits
Considérant que les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice subi par la société Boulenger du fait de ce comportement déloyal en l'évaluant à la somme de 150.000 F
Que la mesure de publication qui apparaît justifiée sera confirmée, sauf à la limiter à la somme de 20.000 F HT.
Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile doivent bénéficier à la société intimée ; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme de 20.000 F ;
Que la société En Tout Cas France représentée par Maître Dubois qui succombe en son appel doit être déboutée de sa demande sur ce même fondement;
Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a prononcé des condamnations pécuniaires à l'encontre de la société Scores, Le réformant sur ce point et statuant à nouveau, Vu l'évolution du litige, Fixe la créance de la société Boulenger à l'encontre de la liquidation judiciaire de la société En Tout Cas France, représentée par son liquidateur judiciaire Maître Dubois, à la somme de 150.000 F au titre des actes de concurrence déloyale, à celle de 20.000 F HT au titre des frais de publication et à 20.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, Rejette le surplus des demandes, Met les dépens à la charge de Maître Dubois, és-qualités de liquidateur de la société En Tout Cas France qui seront supportés conformément aux dispositions de la loi du 25 janvier 1985 et recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.