CA Paris, 4e ch. A, 6 décembre 2000, n° 1998-15826
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Naf-Naf (SA), Naf-Naf Boutiques (SNC)
Défendeur :
Etablissement Riu Aublet (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marais
Conseillers :
M. Lachacinski, Mme Magueur
Avoués :
SCP Roblin Chaix de Lavarene, SCP Annie Baskal
Avocats :
Mes Hollier-Larousse, Marcus Mandel.
Revendiquant la titularité des droits de création, d'exploitation et de diffusion sur le modèle de veste cintrée et de jupe courte commercialisé sous le nom Gelyne et sous les références EWI18LP et EJI27LP, les sociétés Naf Naf et Naf Naf Boutiques ont fait pratiquer, les 24 septembre et 1er octobre 1997, des saisies contrefaçon dans les locaux de la société Riu Aublet et Cie, laquelle, par acte du 14 octobre 1997, a saisi le tribunal de commerce de Bobigny pour voir déclarer ces saisies abusives et constitutives d'actes de concurrence déloyale. Les sociétés Naf Naf et Naf Naf Boutiques ont agi reconventionnellement et respectivement en contrefaçon et en concurrence déloyale, pour solliciter, outre le prononcé des mesures d'interdiction et de publication habituelles, paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu'elles estiment avoir subi.
Par jugement du 26 mars 1998, le tribunal de commerce de Bobigny a :
- dit les saisies diligentées dans les locaux de la société Riu Aublet et Cie, les 24 septembre et 1er octobre 1997, abusives et constitutives d'actes de concurrence déloyale au préjudice de ladite société,
- en conséquence, condamné la société Naf Naf à verser à la société Riu Aublet et Cie une somme de 20.000 francs à titre de dommages-intérêts pour saisies abusives et concurrence déloyale, ainsi qu'une somme de 10.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- débouté les sociétés Naf Naf et Naf Naf Boutiques de leurs demandes reconventionnelles en contrefaçon et en concurrence déloyale,
- rejeté toutes autres demandes des parties.
LA COUR,
Vu l'appel interjeté de cette décision, le 22 mai 1998, par les sociétés Naf Naf et Naf Naf Boutiques ;
Vu les conclusions du 21 octobre 1998 aux termes desquelles les sociétés Naf Naf et Naf Naf Boutiques poursuivant l'infirmation de la décision entreprise, font valoir à cet effet que
- les modèles opposés ont été créés aux mois de septembre/octobre 1996,
- aucune pièce du dossier ne vient en détruire la nouveauté et l'originalité,
- les modèles de la société Riu Aublet et Cie sont la copie servile ou quasi servile des modèles créés par la société Naf Naf et commercialisés par la société Naf Naf Boutiques, peu important que le dégradé de camaïeux ait été inversé et que les boutons ne soient pas de même couleur,
et demandent en conséquence à la Cour de
- dire que les modèles de veste cintrée et de jupe courte susvisés, créés en septembre/octobre 1996, bénéficient de la protection des dispositions des articles L. 111-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle,
- dire que la société Riu Aublet et Cie, en commercialisant et offrant à la vente les modèles visés au procès-verbaux de saisie contrefaçon dressé par Me Maurice Caillot, le 23 septembre 1997, et par Me Drogue, le 1er octobre 1997, s'est rendue coupable d'acte de contrefaçon au préjudice de la société Naf Naf et de concurrence déloyale au préjudice de la société Naf Naf Boutiques,
- en conséquence, interdire à la société Riu Aublet et Cie la poursuite de la commercialisation des modèles en cause, sous astreinte de 2.000 francs par modèle fabriqué et/ou commercialisé à compter de l'arrêt à intervenir,
- condamner la société Riu Aublet et Cie à verser à la société Naf Naf la somme de 400.000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice né de la contrefaçon, et à la société Naf Naf Boutiques la somme de 400.000 francs en réparation du préjudice commercial fondé sur l'article 1382 du Code civil,
- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans 10 journaux ou revues, au choix des requérantes, aux frais de la société Riu Aublet et Cie, le coût total des publications mis à la charge de cette dernière ne pouvant excéder la somme de 200.000 francs HT,
- réformer encore à tout le moins le jugement entrepris en ce qu'il a cru devoir condamner les sociétés Naf Naf au paiement d'une indemnité de 20.000 francs pour saisie abusive et concurrence déloyale et de 10.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
- condamner la société Riu Aublet et Cie à verser aux requérantes la somme de 60.000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Vu les conclusions du 3 mai 1999 par lesquelles la société Riu Aublet et Cie prétend que :
- la société Naf Naf ne rapporte pas, par des pièces ayant date certaine, la preuve de la date de la création de son modèle ni de sa commercialisation,
- les modèles opposés sont dépourvus d'originalité comme en atteste, selon elle, l'utilisation massive, dans les collections été 1997, de dégradés de couleurs par bandes horizontales qui relève de la simple tendance de la mode,
- en tout état de cause, les modèles saisis ne sont pas identiques à ceux de la société Naf Naf,
- le préjudice invoqué par la société Naf Naf Boutiques n'est nullement justifié, et sollicite en conséquence la confirmation de la décision déférée, sauf sur le montant des dommages-intérêts qu'elle demande à la Cour de porter à la somme de 100.000 francs, réclamant de surcroît l'allocation d'une somme de 30.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Sur quoi,
Sur l'action en contrefaçon de modèles et en concurrence déloyale formée par les sociétés Naf Naf et Naf Naf Boutiques :
Considérant que la société Naf Naf caractérise ses deux modèles par les élément suivants :
- le modèle EWI18LP est une veste cintrée dont le corps est fabriqué dans un tissu constitué de trois larges bandes disposées dans le sens de la largeur, horizontales, de taille sensiblement identique, disposées en camaïeu de la couleur la plus claire à la couleur la plus foncée, les modèles en cause ayant été créés dans un camaïeu bleu et dans un camaïeu écru,
- le modèle EJI27LP est une jupe courte constituée exactement de la même manière par trois bandes disposées également dans le sens de la largeur, de taille sensiblement identique ;
Que pour justifier de sa création, elle produit aux débats un ensemble de fiches techniques datées du 20 septembre 1996 et des 1er et 5 octobre 1996, ainsi que les bons de commande établis par la société Naf Naf Boutiques, le 2 janvier 1997, portant sur 3.040 exemplaires de jupes et de vestes, en toutes tailles, destinés au fabricant roumain pour une livraison prévue au 3 mars 1997 ;
Mais considérant, comme le souligne pertinemment la société intimée, que ces documents, qui émanent des parties elles-mêmes, n'ont pas date certaine, n'étant confortés par aucun élément objectif extérieur aux deux sociétés émanant de tiers au présent dossier ni d'aucun acte de commercialisation ayant date effective de nature à leur permettre de se prévaloir d'une quelconque présomption de titularité des droits sur les modèles qui puissent être antérieurement datés à ceux de la société Riu Aublet et Cie ;
Qu'à défaut d'établir l'antériorité des deux modèles qu'elles opposent, les sociétés Naf Naf et Naf Naf Boutiques sont mal fondées en leur action en contrefaçon et en concurrence déloyale à l'encontre de la société Riu Aublet et Cie ;
Qu'elles ont été déboutées, à juste raison, de l'intégralité de leur demande ; que le jugement entrepris doit sur ce point être confirmé ;
Sur la demande principale de la société Riu Aublet et Cie :
Considérant que pour prétendre à l'octroi de dommages-intérêts pour saisie abusive et concurrence déloyale, la société Riu Aublet et Cie soutient que les sociétés appelantes ont agi avec une particulière légèreté, alors que les modèles opposés, selon elle, étaient manifestement dépourvus de toute originalité, relevaient simplement de la tendance de mode et étaient amplement antériorisés par les documents qu'elle produit ;
Mais considérant, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, que le caractère abusif des saisies pratiquées ne saurait résulter du seul fait du rejet des actions en contrefaçon et en concurrence déloyale, mais suppose démontrée l'existence d'une faute qui aurait été commise par les appelantes dans l'exercice de la procédure en contrefaçon ;
Or considérant, en l'espèce, que les sociétés appelantes ont pu se méprendre sur l'étendue de leurs droits notamment sur l'antériorité des modèles opposés ; qu'il n'est nullement démontré que les saisies contrefaçon pratiquées de façon au demeurant limitées, procéderaient d'une intention malveillante ou d'une légèreté coupable qui aurait entraîné pour la société Riu Aublet et Cie un préjudice important dont il n'est nullement justifié ;
Qu'il convient au surplus de souligner, contrairement à ce que retient le tribunal, que la contrefaçon de modèle invoquée par le titulaire d'un droit sur le modèle, constitue nécessairement, pour la société qui l'exploite, un acte de concurrence déloyale ;qu'il n'est donc pas démontré que la société Naf Naf Boutiques ait agi de façon inconsidérée ;
Qu'à défaut de caractériser l'existence d'une faute dont les sociétés Naf Naf et Naf Naf Boutiques se seraient rendues coupables, la société Riu Aublet et Cie doit être déboutée de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive et concurrence déloyale, et le jugement entrepris infirmé en ce qu'il a fait droit à cette demande et à celle formée par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Considérant que chacune des parties succombant partiellement en ses prétentions, conservera la charge de ses frais irrépétibles d'instance ;
Qu'il convient, pour les mêmes motifs, de laisser à chacune des parties la charge de ses dépens de première instance et d'appel.
Par ces motifs, confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les sociétés Naf Naf et Naf Naf Boutiques de leurs demandes respectives en contrefaçon de modèles et en concurrence déloyale, l'infirmant pour le surplus, déboute la société Riu Aublet et Cie de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive et concurrence déloyale à l'encontre des sociétés Naf Naf et Naf Naf Boutiques, dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens de première instance et d'appel.