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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 6 décembre 2000, n° 1998-22581

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Story (SARL)

Défendeur :

Liledition (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

Mme Magueur, M. Lachacinski

Avoués :

Me Cordeau, SCP Jobin

Avocats :

Mes Rondeau-Tremblaye, Salembiem.

TGI Paris, 3e ch., 1re sect., du 10 juin…

10 juin 1998

La société Liledition est titulaire de la marque dénominative "Références Brico Jardin" déposée, le 20 janvier 1995, enregistrée sous le n° 95.554.331 pour désigner entre autres produits et services, les "papiers, carton et produits en ces matières, produits de l'imprimerie, journaux, périodiques, livres... matériel d'instruction ou d'enseignement services de publication et d'édition", relevant des classes 16 et 41.

Elle exploite sous cette marque une revue trimestrielle consacrée au bricolage et au jardinage.

De son côté, la société Story Production est titulaire de la marque semi-figurative reproduite dans le jugement de première instance, déposée le 17 juin 1996, enregistrée sous le n° 96.630.333 pour désigner le "papier, carton, produits de l'imprimerie, revues et magazines, éducation, formation, divertissement, activités sportives et culturelles, éditions de livres, revues" relevant des classes 16 et 41.

Elle exploite sous cette marque un hebdomadaire consacré à la distribution dans le domaine du bricolage et du jardinage.

Prétendant que le dépôt de cette marque et l'usage qui en a été fait contrefait la sienne et reprochant en outre à la société Story Production d'avoir utilisé illicitement son fichier, la société Liledition l'a, par acte du 22 avril 1997, assignée en contrefaçon et en concurrence déloyale devant le tribunal de grande instance de Paris qui, par jugement du 10 juin 1998, a :

- dit qu'en procédant au dépôt de la marque n° 96.630.333 et en en faisant usage pour désigner un magazine destiné aux professionnels du bricolage et du jardinage, la société story production a commis des actes de contrefaçon de la marque Références Brico Jardin n° 95.554.331 appartenant à la société Liledition,

- prononcé la nullité de la marque 96.630.333 déposée le 20 janvier 1996 par la société story production,

- interdit à la société Story Production de continuer à utiliser cette dénomination pour désigner un magazine destiné aux professionnels du bricolage et du jardinage, dans un délai d'un mois à compter de la signification de la décision, sous peine, passé ce délai, d'une astreinte de 200 francs par infraction constatée,

- dit que la société Story Production a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Liledition en exploitant son fichier,

- condamné la société Story Production à verser à la société Liledition la somme de 50.000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation des atteintes portées à sa marque et la somme de 100.000 francs au titre de son préjudice commercial,

- autorisé la demanderesse à faire publier la décision dans trois journaux ou revues de son choix, au frais de la défenderesse, sans que le coût total de ces insertions excède, à la charge de cette dernière, la somme hors taxes de 45.000 francs,

- condamné la société Story Production à payer à la société Liledition la somme de 12.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- dit que cette décision devenue définitive sera transmise à l'initiative du greffier ou de la partie la plus diligente au directeur général de l'Institut National de la Propriété Industrielle pour sa transcription au registre national des marques.

LA COUR,

Vu l'appel interjeté de cette décision, le 26 août 1998, par la société Story Production ;

Vu les dernières conclusions du 4 octobre 2000 par lesquelles la société Story Production, poursuit l'infirmation de la décision entreprise, faisant valoir à cet effet :

sur la contrefaçon de la marque :

- que la marque "Références Brico Jardin" qui lui est opposée, est nulle à défaut d'être distinctive au sens de l'article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle,

- que sa marque ne reproduit nullement l'élément essentiel "Références" de la marque opposée et n'en constitue la contrefaçon ni par reproduction ni par imitation à défaut de confusion entre les deux signes,

- que le terme Brico Jardin reproché est au surplus dépourvu de tout caractère distinctif et est particulièrement banal dans le secteur d'activité concerné,

sur la concurrence déloyale

- qu'il ne peut lui être reproché d'avoir utilisé le "fichier liste rouge" lequel est mis en vente par la société Liledition et fait l'objet d'une diffusion publique et payante sans restriction, ni réserve,

- que le fichier par elle utilisé pour effectuer son mailing n'est pas celui de la société Liledition mais celui qu'elle s'est elle-même constitué auprès de différentes sources d'information,

- qu'aucune faute ne pouvant lui être reprochée, le grief de concurrence déloyale n'est pas fondé,

que les préjudices invoqués ne sont pas justifiés,

et demande, en conséquence, à la Cour de :

- débouter la société Liledition de l'intégralité de ses demandes,

- prononcer l'annulation de la marque "Références Brico Jardin" n° 95.554.331 et ordonner la transcription de l'arrêt à intervenir,

- condamner la société Liledition à lui verser la somme de 200.000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 25.000 francs au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- ordonner la publication de la présente décision dans trois journaux ou revues de son choix, aux frais de la société Liledition, dans la limite d'une somme de 15.000 francs HT par insertion ;

Vu les dernières conclusions du 30 juin 2000 par lesquelles la société Liledition, réfutant point par point l'argumentation de l'appelante et dénonçant sa particulière mauvaise foi dans l'utilisation dans des conditions illicites de ses fichiers, sollicite la confirmation de la décision déférée sauf sur le montant des dommages-intérêts qu' elle demande à la Cour de porter à la somme de 150.000 francs en raison des atteintes portées à sa marque, et à la somme de 400.000 francs au titre des dommages-intérêts en réparation du préjudice commercial consécutif à la contrefaçon de sa marque et au pillage de ses fichiers, réclamant en outre paiement d'une somme de 30.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Sur quoi,

Sur la validité de la marque de la société Liledition :

Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle le caractère distinctif d'un signe de nature à constituer une marque doit s'apprécier à l'égard des produits ou services qu'il désigne ; qu'aux termes de ce même texte, sont dépourvus de caractère distinctif, les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service, ou qui peuvent servir à désigner une caractéristique du produit ou service, notamment l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l'époque de la production du bien ou de la prestation de service ;

Considérant, en l'espèce, que la marque complexe "Références Brico Jardin", s'agissant de désigner les produits susvisés tels que "papiers, carton et produits en ces matières, produits de l'imprimerie, journaux, périodiques, livres.., matériel d'instruction ou d'enseignement services de publication et d'édition", n'est nullement descriptive de ces produits et services ; que si le termes "Brico", abréviation du terme "bricolage", était déjà utilisé dans le langage courant, au moment du dépôt de la marque, en 1995, il n'est nullement démontré que celui-ci aurait été le terme générique et nécessaire pour désigner les produits susvisés, ni qu'il désignerait le genre, la qualité ou la quantité de ces produits, l'appelante confondant le contenu de la revue sur laquelle la marque est apposée avec le produit ou service lui-même tel que visé à l'enregistrement de la marque ; que l'adjonction du substantif "Jardin" à l'abréviation "Brico" renforce le caractère arbitraire de l'expression "Brico Jardin", laquelle forme un tout indivisible et revêt, au sein de la marque complexe critiquée, une place prépondérante ; que le caractère distinctif de cette expression se détache d'autant plus de l'ensemble que le terme "Références", sans être davantage descriptif des produits et services concernés, est un mot du langage courant utilisé dans tout les domaines de l'existence ;

Que l'originalité d'un signe n'étant pas un critère de validité d'une marque, la société Story Production invoque à tort le caractère banal des mots employés, d'autant plus que ceux-ci, pris en combinaison, renforcent le caractère distinctif de l'ensemble ;

Que le tribunal a exactement retenu la validité de la marque à raison de son caractère distinctif et arbitraire et rejeté, en conséquence, à bon droit, la demande d'annulation qui en a été faite par la société Story Production ;

Sur la contrefaçon de marque :

Considérant que la marque semi-figurative "Univers Brico Jardin" de la société Story Production ne constitue pas la reproduction à l'identique de la marque opposée mais en constitue l'imitation dès lors qu'elle en reproduit l'élément essentiel et en lui même distinctif, à savoir l'expression "Brico Jardin" ;

Que la substitution au terme Références du terme Univers et la représentation graphique qui accompagne la marque seconde n'est pas de nature à faire perdre à l'expression "Brico Jardin" son pouvoir attractif, le consommateur d'attention moyenne qui ne dispose pas en même temps des signes sous les yeux, pouvant être conduit à confondre les deux signes ou, à tout le moins, à leur attribuer une origine commune, s'agissant de désigner des produits parfaitement identiques ou dont la similarité est très proche ;

Que le risque de confusion est d'autant plus patent que la société Liledition justifie, par la production d'une abondante correspondance, que des sociétés telles que Di.Martino, Castorama, Somfy, Or Brun, Robert Bosch et Publicis ont commis et commettent encore une confusion entre les deux revues, lesquelles sont parfaitement identiques même si l'une est hebdomadaire, pour la société Story Production et l'autre trimestrielle ;

Que le tribunal a justement retenu qu'en déposant la marque Univers Brico Jardin et en en faisant usage pour des produits identiques ou similaires la société Story Production s'était rendue coupable d'acte de contrefaçon de marque par imitation ;

Sur les actes de concurrence déloyale :

Considérant que la société Liledition reproche à la société Story Production de s'être rendue coupable de concurrence déloyale en pillant son fichier "Liste Rouge" pour constituer son propre fichier clientèle ; qu'elle estime que cette utilisation est parfaitement illicite et souligne qu'il appartenait à la société Story Production de recourir à son service de location d'adresses pour établir ses mailings et son propre fichier clients et non au simple annuaire qu'elle édite ; qu'elle soutient que la société Story Production n'a pas pu se méprendre sur l'impossibilité d'utiliser l'annuaire "Liste Rouge", d'ailleurs acquis par l'intermédiaire d'une tierce société, en raison de la teneur des publicités parues à leur propos ; qu'elle estime avoir été spoliée des fruits des investissements et du travail particulièrement importants qu'elle a déployés pour parvenir à l'établissement de son fichier ;

Mais considérant qu'il convient de relever que la publicité de la société Liledition consacrée à la commercialisation de son annuaire "Liste Rouge", répertoriant les différents acteurs de la distribution, ne comporte aucune restriction d'utilisation ; qu'il en est de même de la facture établie après commande ; qu'il importe peu que parallèlement à cette publicité et dans la même revue la société Liledition fasse paraître une autre publicité afférente à l'utilisation d'un répertoire d'adresse, le lien entre les deux publicités, même s'adressant à des professionnels, ne s'établissant nullement d'évidence ;

Que la diffusion de l'annuaire "Liste Rouge" réalisée de façon onéreuse, qui ne comporte aucune restriction expresse et/ou exempte d'ambiguïté, en autorise donc l'utilisation aux fins pour laquelle elle est établie, à savoir le contact des différents distributeurs sous quelque forme que ce soit, y compris le mailing;

Que la mention portée à l'intérieur de l'annuaire indiquant "Les adresses de la page de droite .... sont aussi disponibles sur étiquettes, pour vos mailing, Achat bricolage, c'est aussi les fichiers,"ne fait que conforter le lecteur dans l'utilisation qu'il peut en faire, cette précision accréditant simplement la thèse selon laquelle, pour faciliter les opérations de mailing, il est possible d'acquérir des étiquettes "toute faite" plutôt que de les confectionner ;

Qu'il convient d'observer que la société Story Production n'a nullement utilisé l'annuaire "Liste Rouge" pour développer une activité concurrente de vente de fichiers ou d'annuaires, mais l'a utilisé, après l'avoir régulièrement acquis, même si c'est par l'intermédiaire d'un tiers, pour ses besoins personnels et pour compléter son propre fichier constitué d'informations de sources diverses ;

Que la société Liledition ne justifie pas, par ailleurs, des investissements qu'elle aurait engagés pour établir la liste des distributeurs, lesquels frais ne peuvent se confondre avec les frais de publicité engagés postérieurement pour assurer la promotion de ses produits ;

Qu'à défaut pour la société Liledition de caractériser une faute à l'encontre de la société Story Production, dans l'utilisation de l'annuaire qu'elle commercialise, le grief de concurrence déloyale doit être rejeté ;

Sur la réparation du préjudice causé à la société Liledition :

Considérant que le préjudice causé à la société Liledition est limité à celui résultant de la seule contrefaçon de la marque ;

Que le dépôt et l'utilisation de la marque contrefaisante ont nécessairement avili celle de la société Liledition, en la banalisant ;

Que la confusion créée dans l'esprit du public, telle que ci-dessus évoquée, a nécessairement engendré un préjudice commercial pour cette société ;

Que le montant des dommages-intérêts, compte tenu de ce qui précède, doit être porté à la somme de 100.000 francs ;

Considérant que les mesures d'annulation, d'interdiction et de publication, qui s'imposent compte tenu de la contrefaçon retenue, doivent être confirmées, sauf à être limitées aux seuls actes de contrefaçon de marque; que la mesure de publication devra au surplus faire mention de la présente décision ;

Que les demandes de dommages-intérêts afférentes aux actes de concurrence déloyale, doivent être rejetées ;

Sur les autres demandes :

Considérant que la société Story Production ne justifie pas du caractère abusif de l'action entreprise par la société Liledition, laquelle a pu se méprendre sur l'étendue de ses droits en matière de concurrence déloyale que sa demande en dommages-intérêts doit être rejetée ;

Considérant qu'il n'y a lieu, compte tenu des circonstance du litige telles que ci-dessus évoquées, de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Que chacune des parties, qui succombe partiellement en ces prétentions conservera à sa charge ses propres dépens d'appel ;

Par ces motifs : Confirme la décision entreprise en ce qu'elle a prononcé la nullité de la marque 96.630.333 déposée le 20 janvier 1996 par la société Story Production et a retenu les actes de contrefaçon de marque à l'encontre de cette dernière ; Confirme les mesures d'interdiction et de publication en ce qu'elles concernent les actes de contrefaçon de marque sauf à préciser, pour cette dernière, qu'il devra être fait mention du présent arrêt ; Porte à 100.000 francs le montant des dommages-intérêts alloués à la société Liledition en réparation de son préjudice résultant de la contrefaçon de marque ; Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a alloué à la société Liledition la somme de 12.000 francs pour ses frais irrépétibles de première instance ; Dit que le présent arrêt sera transmis par les soins du greffier au directeur de l'Institut National de la Propriété Industrielle pour être inscrit sur le registre national des marques à raison de la nullité prononcée de la marque n° 96.630.333 appartenant à la société Story Production ; L'infirmant pour le surplus ; Déboute la société Liledition de ses prétentions relatives à la concurrence déloyale ; Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en cause d'appel ; Rejette toute autre demande ; Dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens d'appel.