CA Amiens, ch. com., 28 novembre 2000, n° 99-01197
AMIENS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Pyragric (SA)
Défendeur :
Jacques Couturier Organisations Artifices (Sté), Frex (SARL)
LA COUR statue sur l'appel interjeté par la Sté Pyragric d'un jugement du Tribunal de Commerce de Saint Quentin du 15 janvier 1999 qui l'a notamment déboutée de ses demandes formées à l'encontre des Stés Frex et Jacques Couturier Organisation et l'a condamnée à payer à la Sté Frex la somme de 5.000 F et à la Sté Jacques Couturier Organisation celle de 10.000 f au titre de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile.
Vu les conclusions de l'appelante du 5 juillet 1999 par lesquelles elle prie la Cour de:
- confirmer le jugement sur ses dispositions non critiquées,
- le réformer sur le surplus de ses dispositions,
- dire que la Sté Frex et la Sté Jacques Couturier Organisation ont méconnu la réglementation tirée du décret du 1er octobre 1990 et ont ainsi commis des actes de concurrence déloyale à son préjudice,
- condamner in solidum la Sté Frex et la Sté Jacques Couturier Organisation à lui payer outre intérêts légaux:
* la somme de 400.000 F en réparation de son préjudice commercial et financier,
* la somme de 30.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- subsidiairement, surseoir à statuer jusqu'à l'issue définitive de la procédure pénale dont sont l'objet les Stés Frex et Jacques Couturier Organisation,
- condamner in solidum la Sté Frex et la Sté Jacques Couturier Organisation en tous les dépens, ceux d'appel distraits au profit de Me Caussain, avoué.
Vu les conclusions de la Sté Frex du 13 décembre 1999 par lesquelles elle prie la Cour de:
- relever qu'elle n'était pas importatrice des produits visés dans l'assignation délivrée à l'initiative de la Sté Pyragric,
- relever que la Sté Pyragric soutient que l'élément constitutif de la concurrence déloyale viendrait de l'importante illicite de marchandises dangereuses,
en conséquence,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la Sté Pyragric des demandes de condamnation qu'elle formulait à son encontre,
- réformer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive à l'encontre de la Sté Pyragric,
- condamner la Sté Pyragric à lui verser la somme de 50.000 F à titre de dommages-intérêts,
- la condamner à lui verser la somme de 30.000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- la condamner en tous les dépens dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP Le Roy, avoué.
Vu les conclusions de la Sté Jacques Couturier Organisation du 7 février 2000 par lesquelles elle prie la Cour de:
- confirmer le jugement,
- la décharger de toutes condamnations,
- débouter la Sté Pyragric de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la Sté Pyragric à 100.000 F de dommages-intérêts,
- la condamner au paiement d'une somme de 30.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- la condamner aux entiers dépens dont distraction est requise au profit de la SCP Millon Plateau Crépin en application des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Sur ce, LA COUR
Attendu que courant 1994 la Sté Jacques Couturier Organisation importait de Russie, par l'intermédiaire de la Sté Frex, des articles pyrotechniques pour un montant total de près de 600.000 F HT;
Que certains produits ne disposaient pas, au moment de leur importation, des certificats d'agrément nécessaires à leur usage ou à leur revente à la clientèle sur le territoire français, de sorte que la Sté Jacques Couturier Organisation sollicitait des demandes d'agrément auprès du Ministère de l'Industrie ;
Qu'en attendant l'octroi de cet agrément, elle stockait les articles pyrotechniques et les proposait à la vente dans son catalogue, en précisant toutefois que ces articles étaient en cours d'homologation et qu'ils ne pourraient être vendus qu'après l'obtention de cette homologation;
Que l'agrément fut accordé les 28 août 1996 et 10 mars 1997;
Que par acte du 11 mars 1997 la Sté Pyragric, exerçant la même activité de grossiste en articles pyrotechniques que la Sté Jacques Couturier Organisation, l'assignait ainsi que la Sté Frex à l'effet de voir dire qu'elles avaient méconnu la réglementation tirée du décret du 1er octobre 1990 relative à l'agrément des articles de pyrotechnie et qu'elles avaient de ce fait commis des actes de concurrence déloyale ; qu'elle estimait avoir subi un préjudice de 400.000 F dont elle demandait réparation.
Sur la mise en cause de la Sté Frex :
Attendu que la Sté Frex est une société spécialisée dans l'import export et plus précisément dans les échanges commerciaux avec la Russie;
Qu'elle n'exerce pas une activité dans un domaine identique ou voisin de celui de la Sté Pyragric ; que ces deux sociétés ne se trouvent pas en situation de concurrence au sein d'un secteur similaire
Que dès lors le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté la Sté Pyragric de sa demande fondée à l'encontre de la Sté Frex;
Que la Sté Frex qui sollicite la condamnation de la Sté Pyragric à des dommages-intérêts pour procédure abusive ne rapporte pas la preuve d'un préjudice qu'elle aurait subi ; qu'elle en sera dès lors déboutée.
Sur l'action en concurrence déloyale à l'encontre de la Sté Jacques Couturier Organisation :
Attendu que le décret du 1er octobre 1990 portant réglementation des artifices de divertissement dispose en son article 3: "Les artifices de divertissement ne peuvent être produits, conservés, distribués à titre onéreux ou gratuit, utilisés ou importés, que si les artifices élémentaires qu'ils contiennent sont (...) conformes à un modèle ayant reçu un agrément dans les conditions fixées aux articles 4 à 9.
Toutefois cette obligation de conformité ne s'applique pas aux échantillons mentionnés à l'article 6"
Attendu que pour débouter l'appelante de ses demandes le tribunal a retenu que la Sté Jacques Couturier Organisation n'avait pas vendu les articles pyrotechniques litigieux avant d'avoir obtenu l'agrément et que dès lors le préjudice commercial subi était "quasi nul";
Or attendu qu'il n'est pas contesté que la Sté Jacques Couturier Organisation a dès 1994, soit deux ans avant l'obtention de l'agrément prévu par le décret, importé en nombre important des produits pyrotechniques de divertissement en France et, a commencé à les proposer à la vente en les faisant figurer sur son catalogue, précisant toutefois que la vente ne pourrait avoir lieu qu'après qu'elle ait pu obtenir l'agrément;
Que l'importation et le début de commercialisation sont prohibés par le décret susmentionné avant l'obtention de l'agrément ; que l'importation n'aurait été licite, ainsi que l'énonce le décret susmentionné, que pour des échantillons.
Qu'il y a concurrence déloyale de la part de ceux qui s'affranchissant des réglementations et prohibitions, se placent vis-à-vis de leurs concurrents, qui les respectent, dans une situation anormalement favorable, créant ainsi une rupture d'égalité entre les agents économiques;
Que même si aucune vente n'a été conclue avant l'obtention de l'agrément, il est néanmoins établi qu'en les faisant apparaître sur son catalogue, même avec des réserves, elle a bénéficié vis-à-vis de sa clientèle d'une publicité relative à ces articles, ce dont les concurrents respectant la réglementation n'ont pas bénéficié.
Attendu le fait qu'un membre de la Sté Pyragric soit membre de la commission d'agrément est sans incidence dans la présente espèce, puisque les agréments ont été régulièrement accordés à la Sté Jacques Couturier Organisation sans que celle-ci ne démontre l'existence d'un retard particulier dans leur délivrance, compte tenu de la technicité de la procédure d'agrément qu'elle relève elle-même dans ses conclusions.
Attendu que la Sté Jacques Couturier Organisation soutient que la Sté Pyragric doit être dessaisie de sa demande au motif qu'elle ne démontre pas l'existence d'un préjudice;
Or attendu qu'il s'infère nécessairement des actes déloyaux constatés, l'existence d'un préjudice résultant des procédés fautifs utilisés par la Sté Jacques Couturier Organisation et que la Sté Pyragric a un intérêt né et actuel à ce que soient sanctionnés des faits générateurs d'un trouble commercial;
Qu'il convient cependant de tenir compte de ce qu'aucune vente relative aux artifices litigieux n'a été conclue antérieurement à la livraison de l'agrément;
Que le trouble commercial provient uniquement du fait que la Sté Jacques Couturier Organisation ait proposé à la vente lesdits artifices dès 1994; en indiquant que ceux-ci ne pourraient être vendus qu'une fois l'agrément obtenu;
Que compte tenu de l'ensemble de ces éléments la Cour fera une juste appréciation du préjudice commercial subi par la Sté Pyragric en l'évaluant à la somme de 50.000 F.
Attendu que la Sté Jacques Couturier Organisation condamnée aux dépens versera à la Sté Pyragric la somme de 10.000 F pour frais hors dépens;
Que l'équité commande de débouter la Sté Frex de sa demande d'indemnité pour frais hors dépens.
Par ces motifs, La COUR, Statuant publiquement et contradictoirement ; Reçoit les appels principal et incident jugés réguliers en la forme ; Au fond, confirme le jugement en ce qu'il a débouté la Sté Pyragric de ses demandes formées à l'encontre de la Sté Frex ; L'infirme sur le surplus ; Statuant à nouveau, Condamne la Sté Jacques Couturier Organisation à payer à la Sté Pyragric une somme de 50.000 F de dommages-intérêts ; Déboute les Sté Frex et Jacques Couturier Organisation de leurs demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive ; Condamne la Sté Jacques Couturier Organisation aux dépens de première instance et d'appel avec pour ces derniers droit de recouvrement direct au profit de Me Caussain, avoué sauf en ce qui concerne les dépens exposés par la Sté Frex en cause d'appel qui seront supportés par la Sté Pyragric avec droit de recouvrement direct au profit de Me Le Roy, avoué ; Déboute la Sté Frex de sa demande d'indemnité pour frais hors dépens ; Condamne la Sté Jacques Couturier Organisation à payer à la Sté Pyragric une somme de 10.000 F pour frais hors dépens.