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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch. com., 24 novembre 2000, n° 96-25077

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Redoute Catalogue (SA)

Défendeur :

Fuego (SA), Jonelli (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dragon

Conseillers :

M. Blin, Mme Lonne

Avoués :

SCP Martelly- Maynard-Simoni, Me Magnan, SCP Cohen-Guedj

Avocats :

Mes Bertrand, Bonnaffons, Cycman.

Aix-en-Provence, du 28 janv. 1999

28 janvier 1999

Par arrêt du 28 janvier 1999 rendu lui-même après un arrêt avant dire droit du 22 octobre 1998, arrêts auxquels la présente décision se réfère expressément pour l'exposé des faits et des prétentions originelles des parties, la Cour (2e chambre civile) a :

- reçu les appels,

- reçu la société Jonelli en son intervention volontaire,

- confirmé le jugement entrepris sauf en ce qui concerne le montant des sommes allouées à titre provisionnel à la société Fuego qui ont été élevées aux montants respectifs de 200 000 et 100 000 francs,

- condamné in solidum la société La Redoute Catalogue et la société Jonelli au paiement de ces deux sommes, les mesures d'interdiction, de destruction et de publication étant étendues à celle-ci sous la même solidarité,

- évoquant les points non jugés par le tribunal, confirmé la désignation de Monsieur Jacques Ridel en qualité d'expert avec la mission impartie par les premiers juges,

- condamné in solidum les sociétés La Redoute Catalogue et Jonelli au paiement de la somme de 10 000 francs en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Le rapport d'expertise ayant été déposé le 24 décembre 1999, la société Fuego soutient par conclusions déposées le 12 janvier 2000 :

- qu'elle avait acheté 2184 exemplaires du modèle litigieux et qu'elle en a commercialisés 1790 entre les 11 janvier et 7 juillet 1994,

- que l'expert a constaté que la société La Redoute n'a pas précisé en quelle quantité elle l'avait écoulé alors qu'il est établi qu'elle en avait achetés 7652 à la société Jonelli entre le 21 novembre et le 31 mai 1995,

- qu'elle a subi un préjudice extrêmement important en raison du manque à gagner mais également de l'atteinte portée à son image de marque,

- que le manque à gagner a été arrêté par l'expert à la somme de 429 600 francs compte tenu de la marge brute,

- que l'expert ne tient pas compte de la baisse de son chiffre d'affaires pour 1996 et 1997 alors qu'il existe une chute de bénéfices supérieure à 2 400 000 francs,

- que c'est en 1996 que son chiffre d'affaires a chuté puisque les faits de contrefaçon ne sont apparus qu'en avril 1995,

- qu'à supposer que la société La Redoute Catalogue n'ait commercialisé que 7680 articles, l'expert considère que le montant du préjudice s'élève à la somme de 544 767 francs.

Elle demande en conséquence qu'il soit constaté que la société La Redoute Catalogue n'a pas précisé en quelle quantité elle avait vendu l'article litigieux, qu'il soit fait droit à son appel incident et que les sociétés La Redoute Catalogue et Jonelli soient condamnées in solidum au paiement des sommes de :

- 429 600 francs résultant du préjudice pécuniaire, de la concurrence déloyale et du détournement de clientèle,

- 500 000 francs pour détérioration de son image de marque ainsi que de la perte de clientèle par détérioration de la qualité du marché,

- 544 767 francs en réparation du préjudice qui lui a été causé du fait de la contrefaçon,

- 100 000 francs en réparation de préjudice moral

- 25 000 francs sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

La société La Redoute Catalogue fait valoir par conclusions récapitulatives déposées le 24 février 2000 :

- que l'expert n'a pas rempli sa mission avec conscience et objectivité,

- que ses calculs sont sans fondement sérieux pour ne pas dire totalement fantaisistes,

- qu'il n'a pas pris la peine de confronter ses affirmations gratuites à ses dires,

- qu'il a pris pour base de son raisonnement que le cycle de vie d'un modèle est de trois années, ce qui traduit une méconnaissance du secteur économique considéré,

- que la société Fuego n'établit pas une continuité de commercialisation d'un même produit sur une telle durée,

- qu'il apparaît qu'elle avait cessé toute offre à la vente du gilet incrimine avant que n'intervienne sa commercialisation par La Redoute,

- qu'aucune vente n'a été réalisée en 1995 et 1996 en raison, non de l'anéantissement du marché mais d'une décision commerciale de la société Fuego,

- que la victime d'une contrefaçon ne peut être indemnisée qu'en fonction des gains dont elle a été privée et non en fonction des bénéfices du supposé contrefacteur,

- que la théorie de l'indemnité forfaitaire devrait s'appliquer, l'acquisition des produits litigieux à La Redoute ayant été principalement motivés par l'habitude et la fidélisation d'une clientèle de catalogue et d'achat par correspondance, soit 4 % du chiffre d'affaires (47 308 francs).

Elle demande que lui soit adjugé le bénéfice de ses précédentes écritures et que le rapport d'expertise soit annulé.

Rendue le 12 septembre 2000, l'ordonnance de clôture a été révoquée par le conseiller de la mise en état avant l'ouverture des débats et la clôture à nouveau prononcée, aucune des parties n'entendant répliquer aux conclusions déposées le 4 octobre 2000 par la société Jonelli qui, à titre principal, demande qu'il soit sursis à statuer jusqu'à la décision de la Cour de cassation saisie d'un pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt du 28 janvier 1998 et, à titre subsidiaire, demande qu'il soit constaté que la société Fuego n'apporte aucun élément objectif susceptible de prouver l'existence du préjudice qu'elle dit avoir subi.

Motifs de la décision :

Attendu, sur la demande de sursis à statuer présentée par la société Jonelli, qu'eu égard à l'ancienneté de l'affaire, il apparaît de bonne justice à la Cour de vider sa saisine et non de surseoir à statuer jusqu'à décision sur le pourvoi en cassation formé à l'encontre de l'arrêt du 28 janvier 1999.

Attendu, sur la demande d'annulation du rapport d'expertise, que la société La Redoute ne développe à l'encontre de M. Ridel aucun grief susceptible d'entraîner ladite annulation, telle que violation du principe de la contradiction, dépassement de sa mission ou empiétement sur le pouvoir juridictionnel ;

- que son rapport contient les éléments objectifs - dates, quantités, marges - permettant à la Cour, et à elle seule, d'établir la réalité et le montant du préjudice prétendument subi par la société Fuego ;

- qu'il n'y a donc pas lieu de prononcer l'annulation dudit rapport.

Attendu, sur le fond, qu'il résulte de celui-ci que la société Fuego a commercialisé en France et à l'étranger entre les 11 janvier et 7 juillet 1994 1 790 exemplaires du vêtement original, tandis La société La Redoute Catalogue a proposé à sa clientèle le modèle jugé contrefaisant dans son catalogue Printemps-Eté 1995 diffusé auprès du public à la date non contestée du 18 décembre 1994 ;

- que la société La Redoute Catalogue relève ainsi avec pertinence que le modèle ANA 911 n'était plus vendu depuis près d'un semestre lorsqu'elle même a commercialisé le modèle qu'elle s'était procuré auprès de la société Jonelli sous la référence 3723 ;

- que les périodes de commercialisation des deux vêtements ne coïncident donc pas et qu'il ne peut plus être soutenu que le modèle ANA 911 pouvait permettre à la société Fuego d'envisager sa commercialisation sur trois années alors qu'à l'issue d'une période de six mois correspondant d'ailleurs à la saison printemps-été 1994, et elle a mis fin à sa distribution pour des raisons relevant de sa stratégie commerciale alors que son stock n'était pas épuisé et sans que la société La Redoute Catalogue y ait eu la moindre part.

- que la société Fuego ne peut dès lors obtenir la réparation d'un gain manqué inexistant.

Mais attendu que l'atteinte portée aux droits d'un modèle protégé est en elle-même constitutive d'un préjudice indemnisable ;

- que la commercialisation du modèle ANA 911, loin d'être confidentielle sans pour autant être massive ce qui aurait nui à son pouvoir attractif sur la clientèle, a couvert l'ensemble du territoire français et s'est étendue, outre aux départements d'outre-mer, a la Belgique, la Suisse, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne, le Portugal ou l'Arabie Saoudite ;

- que la commercialisation du modèle contrefaisant par une entreprise de vente de correspondance auprès d'une clientèle de masse à un prix de moitié inférieur a donc été préjudiciable à la société Fuego en ce qu'elle a porté atteinte à son image de marque par la dépréciation dans l'esprit d'au moins une fraction de son public d'un modèle connu diffusé en boutiques, et cela sans que ses résultats en aient nécessairement été minorés ;

- qu'ayant porté son choix, même de bonne foi, sur un tel modèle diffusé la saison précédente avec un certain succès, la société La Redoute Catalogue qui a réalisé une marge brute de 544 767,07 francs doit indemniser la société Fuego de son préjudice moral et de l'atteinte portée a son image par l'allocation de la somme de 200 000 francs ;

- que la société Jonelli doit être condamnée à relever et garantir la société La Redoute Catalogue de cette condamnation et de celle prononcée par ledit arrêt au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs : la Cour, statuant publiquement et contradictoirement,

- Vu les arrêts des 22 octobre 1998 et 28 janvier 1999, Vu le rapport d'expertise déposé le 24 décembre 1999, Dit n'y avoir lieu à sursis statuer, Déboute la société La Redoute Catalogue de sa demande d'annulation du rapport d'expertise, Condamne in solidum les sociétés La redoute Catalogue et Jonelli à payer à la société Fuego la somme de 200 000 francs [30 489,80 euros] à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et de l'atteinte portée à son image de marque, Déboute la société Fuego de ses demandes relatives aux autres chefs de préjudice, Condamne la société Jonelli à relever et garantir la société La Redoute Catalogue de cette condamnation et de celle prononcée en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile par l'arrêt du 28 janvier 1999, Les condamne aux dépens d'appel, y compris les frais d'expertise, et autorise Maître Paul Magnan, titulaire d'un office d'avoué près la Cour, à recouvrer directement ceux dont il a fait l'avance sans recevoir provision.