CA Paris, 5e ch. B, 16 novembre 2000, n° 1998-24048
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Cora (SA), Grands Magasins B (SA)
Défendeur :
Seiko France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Main
Conseillers :
M. Faucher, Mme Riffault
Avoués :
Mes Kieffer-Joly, SCP Roblin-Chaix de Lavarene
Avocats :
Mes Pensard, Collin, Meyer.
La Cour est saisie de l'appel formé par la société Grands Magasins A devenue société Cora SA (GMA) et la société Grands Magasins B (GMB) contre un jugement contradictoire rendu le 14 février 1997 par le Tribunal de commerce de Paris dans un litige portant sur le refus opposé aux demandes de ces deux sociétés d'être agréées comme distributeurs de la marque Seiko, qui :
- a dit que ces sociétés qui exercent leur activité sous le nom commercial Cora ne fournissent pas d'éléments de nature à démontrer une éventuelle contrariété du contrat de distribution sélective de la société Seiko France avec les exigences du droit communautaire et du droit interne, et qu'il n'y a dès lors pas lieu de constater son éventuelle nullité,
- a dit la société Seiko France partiellement fondée en ses demandes,
- a condamné solidairement les sociétés GMA et GMB exerçant sous le nom commercial Cora à payer à la société Seiko France 100 000 francs de dommages intérêts,
- a dit que les sociétés GMA et GMB exerçant sous le nom commercial Cora devront faire figurer
*dans toutes leurs vitrines contenant des montres Seiko un panneau mentionnant que " les montres Seiko vendues dans ce magasin bénéficient de la seule garantie assurée par notre magasin ",
*sur tous leurs prospectus et catalogues publicitaires présentant les montres Seiko une mention en caractères apparents selon laquelle " les montres Seiko acquises dans nos magasins bénéficient exclusivement de la garantie légale Cora d'un an ",
- a fait interdiction aux sociétés Cora de présenter les montres Seiko dans leurs prospectus et catalogues publicitaires sans détenir dans chaque magasin concerné un stock approprié des produits ainsi présentés à la vente, disant qu'il lui en sera référé en cas de difficulté sur ce point,
- a dit que pour les mesures ci-dessus, il sera fait application d'une astreinte de 50 000 francs par infraction constatée à partir du 8ème jour qui suivra la signification du présent jugement et s'est réservé la liquidation de l'astreinte,
- a rejeté le surplus des demandes respectives des parties,
- a ordonné l'exécution provisoire,
- a condamné solidairement la société GMA et la société GMB exerçant sous le nom commercial Cora aux dépens.
La société GMA et la société GMB, appelantes, exposent qu'elles ont acquis des montres Seiko sur le marché parallèle et dans des conditions régulières auprès de la société TAD, qui les détenait elle-même régulièrement, ayant conclu avec la société Seiko France un protocole d'accord à l'issue d'un procès au cours duquel la Cour d'appel de Paris avait reconnu que la société TAD pouvait vendre ces montres sans appartenir au réseau de distribution sélective.
Elles déclarent que le contrat de distribution sélective mis en place par la société Seiko France est nul au regard du droit communautaire de la concurrence, les montres Seiko ne satisfaisant pas aux critères de produits de luxe ou de haute technicité requis ; elles ajoutent que ce réseau est discriminatoire puisque l'intimée a mis en place un second réseau en autorisant les sociétés TAD, Le Spécialiste et Monting à vendre ses produits dans des conditions qui diffèrent de celles imposées dans le cadre de son réseau de distribution sélective, et soutiennent que la société Seiko France ne peut exclure a priori certaines formes de commercialisation et notamment la revente de ses produits par la grande distribution, le réseau de distribution sélective Seiko étant dès lors incompatible avec le marché commun, la lettre de classement obtenue par la société Seiko France auprès de la Commission européenne étant dépourvue de toute valeur juridique.
Elles ajoutent qu'elles ont déposé une plainte contre la société Seiko France auprès des autorités communautaires, transmise par ces dernières au Conseil de la concurrence, et qu'il convient de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Conseil.
Elles font valoir qu'elles n'ont commis aucun acte de concurrence déloyale, puisque le contrat de distribution sélective mis en place par l'intimée ne leur est pas opposable et que le seul fait d'avoir mis en vente des produits relevant d'un tel réseau ne constitue pas en soi un acte abusif, les conditions de vente de ces produits ne portant aucune atteinte à l'image de la marque. Elles ajoutent qu'elles informent loyalement le consommateur sur l'absence de garantie internationale attachée aux produits vendus, observent que l'intimée doit assurer cette garantie en sa qualité de distributeur exclusif de la marque, et déclarent que le grief de l'intimée selon lequel ces produits seraient utilisés comme marque d'appel est dénué de fondement.
A titre subsidiaire, elles font valoir qu'elles ont parfaitement respecté les conditions mises à la commercialisation en informant loyalement leur clientèle sur l'absence de garantie internationale Seiko, et que les stocks très restreints qu'elles détiennent ne peuvent préjudicier à l'intimée, dont les demandes de dommages intérêts sont dépourvues de toute justification.
Elles demandent à la Cour
- de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Conseil de la concurrence,
- d'infirmer la décision entreprise et statuant à nouveau,
* à titre principal, de constater la nullité du contrat de distribution sélective de la société Seiko France en application de l'article 81 § 1 et 2 TUE, de dire qu'il leur est inopposable et qu'elles n'ont commis aucun acte de concurrence déloyale, et de dire que la société Seiko France devra assurer la garantie internationale pour toutes les montres qu'elles vendront,
* à titre subsidiaire, de dire qu'elles ont parfaitement informé leur clientèle sur la garantie attachée aux montres Seiko vendues dans leurs magasins, et de dire qu'aucune autre obligation d'information ne doit être mise à leur charge,
* à titre infiniment subsidiaire, dans le cas où la Cour estimerait qu'elles ont commis des actes de concurrence déloyale, de dire que le nombre restreint de montres Seiko détenues dans leurs stocks n'est pas préjudiciable à la société Seiko France,
- de débouter la société Seiko France de toutes ses demandes,
- de la condamner à leur payer 50 000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
La société Seiko France, intimée, réplique qu'elle vient aux droits de la Compagnie Générale Horlogère (CGH), distributeur exclusif et officiel pour la France et les DOM-TOM des montres et pendulettes de marque Seiko fabriquées par la société japonaise Seiko Corporation. Elle déclare qu'après avoir obtenu de la Commission européenne le 30 juin 1989 une lettre administrative de classement, elle a mis en place sur le territoire français un réseau de revendeurs agréés choisis en fonction des critères sélectifs objectifs acceptés par la Commission, en complète conformité avec les dispositions de l'article 81 du traité et avec celles du droit interne ainsi que l'ont jugé à plusieurs reprises les juridictions nationales.
Elle déclare que seuls les produits vendus par la société Seiko Corporation aux distributeurs qu'elle agrée peuvent bénéficier de la garantie contractuelle de la marque, soit la garantie internationale du fournisseur, les revendeurs parallèles ne bénéficiant pas de cette garantie contractuelle puisqu'ils ne distribuent pas les produits contractuels, les sociétés appelantes cherchant en réalité à bénéficier de tous les avantages liés au réseau sans pour autant assumer aucune des charges corrélatives.
Elle ajoute que la transaction qu'elle a conclue le 20 juin 1995 avec la société TAD n'a eu ni pour objet ni pour effet de créer un second réseau de distribution puisqu'elle se contentait de mettre fin à la procédure engagée contre cette dernière pour concurrence déloyale, et soutient que cette transaction est sans incidence sur le présent litige, elle-même n'ayant pas renoncé à dénoncer des agissements postérieurs qui seraient à nouveau commis par la société TAD.
Elle fait valoir que les sociétés appelantes ne justifient pas s'être approvisionnées auprès du réseau et qu'elles sont dès lors réputées avoir eu des agissements constitutifs d'actes de concurrence déloyale, cette situation justifiant à elle-seule une interdiction de revente des produits Seiko ; elles ajoute que les actes déloyaux imputables aux appelantes portent sur la vente de ses produits par un personnel incompétent dans des conditions portant atteinte à son image, ainsi que sur les informations mensongères données à la clientèle en ce qui concerne l'absence de garantie du fournisseur, enfin sur le fait que ses produits sont utilisés comme produits d'appel par le groupe Cora, l'ensemble de ces faits justifiant l'allocation d' 1 000 0000 francs de dommages intérêts en réparation du préjudice subi.
Elle demande à la Cour
- de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a constaté la licéité de son réseau de distribution sélective, jugé que l'information du public en matière de garantie était insuffisante et qu'il existe une disproportion entre la place accordée par les appelantes dans leur publicité et le stock restreint des produits qu'elles détiennent, et en ce qu'elle a condamné les appelantes à lui payer 100 000 francs,
- de l'infirmer pour le surplus, et statuant à nouveau,
* à titre principal, d'interdire purement et simplement aux sociétés appelantes de vendre des montres Seiko sous astreinte définitive de 25 000 francs par infraction constatée et par jour, et de les condamner à lui payer 1 000 000 francs en réparation du préjudice subi,
* à titre subsidiaire, de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a ordonné aux sociétés appelantes d'informer loyalement le consommateur sur l'absence de garantie mondiale Seiko,
* y ajoutant, d'ordonner aux sociétés appelantes de faire figurer dans toutes les vitrines où sont exposées des montres Seiko un panonceau visible du public les informant sur l'absence de garantie mondiale Seiko, et leur ordonner de remettre à la clientèle des bons de garantie mentionnant la même information et de faire figurer cette même mention sur tous leurs prospectus et catalogues publicitaires présentant des montres Seiko,
* de dire que ces mesures seront assorties d'une astreinte définitive de 50 000 francs par jour et par infraction constatée,
- de débouter les sociétés appelantes de leurs demandes,
- de dire n'y avoir lieu à surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Conseil de la concurrence,
- de condamner les appelantes à lui payer solidairement et conjointement 50 000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
Considérant que la société Seiko France, qui distribue ses produits en France par l'intermédiaire d'un réseau de distributeurs agréés, fait grief aux sociétés GMA et GMB propriétaires de magasins à l'enseigne Cora implantés respectivement à Livry-Gargan et à Montbéliard, d'avoir acquis des montres Seiko sur le marché parallèle auprès de la société TAD, et d'avoir commercialisé ces produits protégés dans des conditions déloyales pour le public et dévalorisantes pour la marque; que les sociétés GMA et GMB mettent en cause la licéité du contrat de distribution sélective mis en place par la société Seiko France, contestent toute pratique constitutive de concurrence déloyale et demandent à la Cour de surseoir à statuer jusqu'à ce que le Conseil de la concurrence se soit prononcé ;
Sur la demande de sursis à statuer
Considérant que les sociétés GMA et GMB exposent qu'elles ont saisi le 4 juillet 1997 la Commission européenne d'une plainte dénonçant les pratiques anticoncurrentielles qu'elles imputent à la société Seiko France, et que cette plainte transmise au Conseil de la concurrence compétent pour l'application décentralisée du droit européen de la concurrence, est en cours d'instruction ainsi que le confirme le courrier qui leur a été adressé le 22 août 2000 par la Direction générale de la concurrence de la Commission Européenne ; qu'elles demandent à la Cour de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Conseil de la concurrence ;
Mais considérant que les juridictions nationales, et en l'espèce la Cour, sont compétentes pour statuer sur le litige qui leur est soumis, au regard des dispositions tant du droit national que du droit communautaire ; qu'il est conforme à l'intérêt d'une bonne administration de la justice que le jugement de cette affaire ne soit pas différé dans l'attente de la décision du Conseil de la concurrence, la règle selon laquelle " le criminel tient le civil en l'état invoquée par les sociétés appelantes n'étant pas applicable en l'espèce ;
Qu'il convient de rejeter la demande de sursis à statuer ;
Sur la licéité du contrat de distribution sélective Seiko
Considérant que les sociétés appelantes demandent à la Cour de prononcer la nullité du contrat de distribution sélective mis en place par la société Seiko France, qui leur paraît incompatible avec les dispositions de l'article 81 du traité ; qu'elles font valoir tout d'abord que les produits Seiko ne présentent aucun caractère luxueux ni de haute technicité, et ne satisfont pas aux critères communautaires justifiant la mise en place d'un réseau de distribution sélective; qu'elles ajoutent que la société Seiko France a elle-même créé un second réseau de distribution en acceptant que ses produits soient commercialisés au travers d'un circuit parallèle, et déclarent que le contrat-type applicable à l'époque des faits, qui conduisait à exclure la grande distribution, révélait une pratique discriminatoire illicite ;
Considérant que selon les dispositions de l'article 81 du Traité instituant la Communauté européenne, " sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises (...) et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats-membres et qui ont pour objet ou pour effet (...) de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun, et notamment ceux qui consistent à (...) b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements, b) répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement" qu'il résulte toutefois de son paragraphe 3 que" ces dispositions peuvent être déclarées inapplicables à tout accord ou catégorie d'accords entre entreprises (...) et à toute pratique concertée ou catégorie de pratiques concertées qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte (...) ;
Qu'il en résulte qu'un accord de distribution sélective n'est pas en soi incompatible avec les dispositions du traité notamment dans le secteur des biens de consommation durable de luxe ou de haute technicité, à condition que le choix du revendeur s'opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, relatifs à la qualification professionnelle du revendeur, de son personnel et de ses installations, que ces conditions soient fixées de manière uniforme à l'égard de tous les revendeurs potentiels et que ces critères soient appliqués de manière non discriminatoire;
Considérant que la haute technicité et le caractère luxueux des montres analogiques, chronographes et montres à mouvement "kinetic" fabriqués sous la marque Seiko n'est pas contestable au vu des pièces versées aux débats ;
Que le contrat-type de distribution établi par la société Seiko France à l'époque des faits prévoit des conditions sélectives objectives portant sur l'aménagement du point de vente et de son environnement, la capacité professionnelle du revendeur, la technicité des services pour le suivi, en exigeant notamment
- que la surface de vente soit située dans une artère commerçante ou dans un centre commercial,
- que le fonds soit consacré en permanence à la vente au détail de produits horlogers, notamment de haut de gamme et le cas échéant d'autres articles de luxe (bijouterie, joaillerie, orfèvrerie),
- que le distributeur dispose en permanence d'un stock représentatif de la gamme, d'un service de conseil reposant sur une connaissance de la gamme Seiko, du fonctionnement des produits avec les compétences techniques nécessaires pour assurer l'entretien et la réparation des produits et maintenir le stock de pièces détachées nécessaire, et ait une parfaite connaissance de la garantie internationale Seiko et des garanties contractuelles complémentaires délivrées,
- que toute campagne publicitaire reçoive au préalable l'agrément de la société Seiko France ;
Mais considérant que ce contrat-type contient les stipulations suivantes
" 2-1. l'horloger-bijoutier-joaillier qualifié pour vendre les produits Seiko devra disposer d'une surface de vente située dans une artère commerçante ou dans un centre commercial,
2-1-1. le fonds devra être consacré en permanence à la vente au détail de produits horlogers, notamment de haut de gamme et, le cas échéant, d'autres articles de luxe avoisinant traditionnellement le commerce HBJO. "
Considérant que le critère de sélection ainsi retenu, qui permet à la société Seiko France de réserver la vente de ses produits au circuit des seuls horlogers-bijoutiers-joailliers institue une exclusion de la grande distribution sans qu'il soit établi que cette exclusion était objectivement justifiée ;
Que la lettre administrative de classement notifiée à la société CGH devenue Seiko France par la Commission européenne le 30 juin 1989, dans des circonstances ou à l'égard de parties différentes, n'est pas de nature à constituer une telle justification;
Qu'il convient de relever qu'il résulte de l'arrêt rendu par cette Cour le 11 septembre 2000 versé aux débats, que le contrat-type de la société Seiko France a été modifié depuis lors, notamment par la suppression de l'exigence chez le revendeur agréé de la qualité d'horloger-bijoutier-joaillier, et par la faculté reconnue à ce revendeur de ne pas être spécialisé dans le commerce de détail d'article d'horlogerie, cette circonstance démontrant la conscience qu'avait l'intimée du caractère discriminatoire de ces dispositions ; que toutefois le contrat modifié n'est pas versé aux débats, les conditions dans lesquelles il a pu être appliqué n'étant pas précisées par l'intimée ; qu'en tout état de cause, il résulte de l'absence de contrat de distribution sélective licite à l'époque des faits, que les sociétés appelantes n'ont commis aucune faute en acquérant les montres litigieuses ; qu'il n'est pas allégué qu'elles aient poursuivi leurs approvisionnements depuis lors ;
Sur les pratiques discriminatoires reprochées à la société Seiko
Considérant que les sociétés appelantes font également valoir qu'en signant le 25 juin 1990 un protocole d'accord avec la société TAD, revendeur parallèle auprès duquel elles déclarent s'être approvisionnées, la société Seiko France a créé un second réseau de distribution et institué un second type d'agrément répondant à des conditions différentes, ce fait nouveau démontrant la réalité des pratiques discriminatoires qui lui sont reprochées ;
Mais considérant que selon ce protocole, versé aux débats, les sociétés du groupe TAD et la société Monting revendeurs parallèles d'une part, et la société CGH (devenue Seiko France), d'autre part, ont acquiescé aux termes de l'arrêt rendu le 2 octobre 1992 par cette Cour, déclarant licite le contrat de distribution sélective établi par la société CGH, rejetant la demande des sociétés TAD et Monting de bénéficier de la garantie mondiale Seiko et les condamnant au paiement de 200 000 francs de dommages intérêts pour concurrence déloyale à raison des conditions de vente des produits Seiko, la société CGH renonçant au surplus de ses demandes et notamment à celle portant sur l'interdiction de vente de ses produits par ces revendeurs parallèles ;
Qu'il n'est fait aucune mention dans ce protocole d'un accord donné par la société CGH (Seiko France) à la distribution de ses produits par ces sociétés, cette transaction ayant pour unique objet de mettre fin à la procédure engagée entre les signataires ; qu'elle n'a pu dès lors donner naissance à un " second réseau de distribution ", contrairement aux prétentions des sociétés appelantes ;
Sur la demande des sociétés GMA et GMB de bénéficier de la garantie mondiale Seiko
Considérant que selon l'article 8 du contrat de distribution signé le 10 mai 1982 entre d'une part la société Hattori, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la société Seiko Corporation, dénommée " le fournisseur ", et d'autre part la société UTI devenue CGH, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la société Seiko France, dénommée " le distributeur ", seuls bénéficient de la garantie internationale de la marque les " produits contractuels " définis, dans l'article 1er de ce contrat, comme les articles vendus par le fabricant japonais à ses distributeurs agréés ;
Que les sociétés appelantes ne justifient ni n'allèguent avoir acquis les produits Seiko qu'elles détiennent, directement ou par le biais de leur revendeur la société TAD, auprès de la société Seiko Corporation, seul distributeur de la marque sur le territoire en cause, aux termes de ce contrat ;
Qu'elles ne sont dès lors pas fondées à soutenir que la société Seiko France doit fournir cette garantie à tout acquéreur de montres Seiko même acquises sur le réseau parallèle ;
Sur la concurrence déloyale reprochée aux sociétés GMA et GMB par la société Seiko France
Considérant que les griefs énoncés par la société Seiko France comme constituant des actes de concurrence déloyale concernent la vente de ses produits par un personnel incompétent et dans un environnement dévalorisant, l'information déloyale fournie aux clients sur l'absence de garantie mondiale Seiko attachée aux produits vendus, enfin l'utilisation de ses produits comme produit d'appel ;
Considérant que selon procès-verbal de constat établi le 12 septembre 1995, Maître Maurice Bouaziz, huissier, a constaté dans le centre commercial exploité sous la dénomination Cora par la société GMA à Livry- Gargan (93), 2-20 allée de l'Est,
- que douze montres Seiko et quatre briquets Zipo étaient disposés sur une étagère en glace aménagée dans une gondole vitrée comprenant deux autres étagères consacrées respectivement à des stylos et des montres-bracelets de marque Yonger et Bresson, une affichette apposée dans cette gondole mentionnant " les montres Seiko vendues dans ce magasin ne bénéficient pas de la garantie internationale Seiko - elles bénéficient de la seule garantie de notre magasin ",
- que le stand correspondant proposait à la vente diverses marchandises notamment des bijoux fantaisie, des appareils photos et des accessoires, des stylos, des rasoirs électriques, des calculatrices, des piles et des pellicules photos, l'activité principale du stand étant consacrée à la photographie,
- que la vendeuse présente sur ce stand a déclaré ne pouvoir fournir toutes les informations sur l'utilisation de la montre achetée, ajoutant que le client pouvait trouver toutes instructions sur le carnet remis et s'adresser au chef de rayon momentanément absent, et précisé qu'il n'existait pas en magasin d'autres montres Seiko ;
Considérant que ces constatations établissent que les montres Seiko, dont il ne peut être contesté qu'il s'agit de produits de luxe et de haute technicité bénéficiant d'une notoriété certaine liée à ces deux caractères, ont été proposées à la vente par la société GMA devenue société Cora dans le magasin qu'elle exploite à Livry-Gargan par un personnel incompétent et dans des conditions dévalorisantes pour l'image de la marque ; que ces faits qui portent atteinte au prestige et au renom des produits Seiko justifient l'allocation de dommages intérêts sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ;
Que la société Seiko France verse également aux débats divers prospectus publicitaires diffusés par le groupe Cora en 1995, 1996, proposant à la vente des montres Seiko sans mentionner la limitation de garantie ; que toutefois l'information fournie sur les lieux de vente énonce clairement que les produits en vente ne bénéficient que de la seule garantie du magasin ;
Que la société Seiko France, qui déclare avoir été informée " courant 1995 (...) de ce que les sociétés GMA et GMB proposaient dans l'ensemble de leurs hypermarchés à l'enseigne Cora des montres de marque Seiko qu'elles s'étaient procuré auprès de circuits parallèles, en refusant d'informer le consommateur sur l'absence de garantie mondiale Seiko, et en remettant à leur clientèle des documents qui laissaient apparaître le contraire", n'en justifie pas ; que les pratiques de "prix d'appel" qu'elle dénonce ne sont pas établies ;
Qu'en ce qui concerne le magasin exploité à Montbéliard par la société GMB, le seul grief précis formulé par la société Seiko porte sur la mention d'un pourcentage d'or inexact contenu dans le placage des montres Seiko ; qu'il résulte en effet du jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Montbéliard le 1er décembre 1995, versé aux débats, que des dépliants publicitaires proposant à la vente des montres Seiko " plaquées or 10 microns " alors qu'elles étaient en réalité plaquées or à 3,5 microns, ont été diffusés par ce magasin, dont le responsable André Isner a été condamné par cette décision à une peine d'amende de 2 000 francs pour publicité mensongère ; que la société Seiko France, constituée partie civile, a reçu 1 franc de dommages intérêts ;
Sur les demandes de la société Seiko France
Considérant que la société Seiko France demande tout d'abord à la Cour d'interdire aux sociétés appelantes toute revente de ses produits ;
Mais considérant que cette demande ne peut qu'être rejetée, la Cour ayant constaté l'illicéité du réseau de distribution mis en place par l'intimée à l'époque des faits et l'authenticité des montres proposées à la vente par les sociétés appelantes n'étant pas discutée ; qu'en tout état de cause l'approvisionnement auprès de circuits parallèles ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale ;
Considérant que la société Seiko France demande en second lieu à être indemnisée du préjudice causé par les actes de concurrence déloyale reprochés aux appelantes, qu'elle chiffre à 1 000 000 francs, estimant avoir été privée d'un chiffre d'affaires de 15 millions de francs du fait des reventes parallèles et des conditions dans lesquelles elles s'exercent ;
Considérant que les pièces produites par l'intimée ne concernent que la société GMA devenue société Cora ; que les conditions de commercialisation des montres Seiko dans le magasin exploité par la société GMB à Montbéliard ne sont pas précisées, la fraude affectant la publicité donnée à cette mise en vente ayant déjà été jugée, et le préjudice subi par la société Seiko France fixé et réparé ;
Qu'en définitive, la Cour dispose d'éléments suffisants pour chiffrer à 200 000 francs le préjudice subi par la société Seiko France du fait des pratiques de la société GMA ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu de prononcer les injonctions et les interdictions sollicitées par la société Seiko France, l'information donnée au public par le groupe Cora sur l'absence de garantie internationale de la marque ayant été suffisante ;
Considérant que les parties, qui succombent partiellement en appel, se partageront la charge des dépens ;
Que l'équité ne commande de faire application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile du nouveau Code de procédure civile en faveur d'aucune d'elles ;
Par ces motifs : Infirme partiellement la décision entreprise en ce qu'elle a déclaré licite le réseau de distribution sélective mis en place par la société Seiko France et prononcé diverses injonctions et interdictions à l'encontre des sociétés GMA et GMB, et statuant à nouveau et y ajoutant, Déboute la société Seiko France de ses demandes à l'encontre de la société GMB, Condamne la sociétés GMA devenue société Cora à payer à la société Seiko France 200 000 francs de dommages intérêts, Rejette toute autre demande, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en ce qui concerne les frais irrépétibles exposés en appel par les parties, Fait masse des dépens d'appel, qui seront supportés par moitié par la société GMA et par la société Seiko France, Admet la SCP Roblin Chaix de Lavarene et Maître Kieffer-Joly, avoués, à bénéficier dans cette proportion des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.