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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 15 novembre 2000, n° 1999-03513

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Baylet-Vincent

Défendeur :

Fouet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Vergne

Conseillers :

Grimaud, Charras

Avoués :

SCP Boyer Lescat Merle, Me Chateau

Avocats :

SCP Conquet Massol Mascaras, SCP Gerigny Chevasson.

CA Toulouse n° 1999-03513

15 novembre 2000

Françoise Baylet-Vincent, qui exerçait à Montauban l'activité de médecin anatomocytopathologiste dans le cadre d'une société créée de fait avec Evelyne Ancelin- Malbreil depuis 1988, a - par l'effet d'un acte sous seing privé en date du 2 janvier 1992 - cédé à Bernard Fouet ses droits sociaux, soit la moitié des parts, pour un prix de 466.000 Frs.

Cette cession était assortie d'une clause de non-concurrence ainsi libellée :

" Le cédant s'interdit expressément la faculté d'exercer sa profession et/ou toute activité connexe sur le département du Tarn-et-Garonne et sur toute clientèle de ce département et ce pendant 5 années à compter de ce jour à peine de tous dommages-intérêts envers le cessionnaire ou ses ayants-droits, sans préjudice du droit pour ces derniers de faire cesser cette contravention. "

De manière concomitante, Françoise Baylet-Vincent et Evelyne Ancelin Malbreil qui avaient constitué, en 1988, une société civile de moyen, ont cédé des parts à Bernard Fouet (notamment 16 parts s'agissant de Françoise Baylet-Vincent pour le prix de 28.800 Frs.) de telle sorte qu'à l'issue de cette cession les trois praticiens sont restés associés dans la société civile de moyens.

Françoise Baylet-Vincent s'est installée à Cahors puis à Limoges, en qualité d'anatomocytopathologiste, enfin, début 1997, elle s'est réinstallée à Montauban ;

Autorisé par ordonnance sur requête du 10 octobre 1997 à avoir communication de documents émanant d'organisme sociaux, Bernard Fouet a été destinataire d'états faisant ressortir qu'entre 1992 et 1996 Françoise Baylet-Vincent avait effectué des analyses médicales, prescrites par des gynécologues de Tarn et Garonne, en faveur de patients de Tarn et Garonne.

C'est dans ces circonstances que, par acte du 9 décembre 1997, Bernard Fouet a fait assigner Françoise Baylet-Vincent, sur le fondement de l'article 1147 du code civil, en violation de la clause de non-concurrence et en paiement de dommages-intérêts.

De manière reconventionnelle Françoise Baylet-Vincent, soutenant que Bernard Fouet utilisait son nom dans le cadre de la société de moyens pour entraîner une confusion au niveau de la clientèle, des fournisseurs et de l'administration, a demandé sa condamnation au paiement de dommages intérêts.

Le tribunal de Grande Instance de Montauban s'est prononcé par jugement du 20 mai 1999.

- Sur la demande principale

Il a considéré que le Docteur Baylet-Vincent n'avait pas exécuté de bonne foi la convention qui faisait la Loi des parties et qu'elle avait engagé sa responsabilité en traitant de manière habituelle et renouvelée des actes concernant des patients résidant en Tarn et Garonne.

Il a considéré que ce comportement du Docteur Baylet-Vincent avait privé le Docteur Fouet d'une chance certaine d'effectuer des actes d'analyse et lui avait également causé un préjudice moral ; il lui a alloué, en réparation, la somme de 350.000 Frs au paiement de laquelle Françoise Baylet-Vincent a été condamnée, outre celle de 8.000 Frs au titre de l'article 700 du NCPC

- Sur la demande reconventionnelle

Le tribunal a considéré que l'utilisation de la dénomination SCM Baylet-Vincent - Ancelin-Malbreil et Fouet, alors que le Docteur Baylet-Vincent n'en faisait plus partie pouvait créer un risque de confusion et il a alloué à Françoise Baylet-Vincent des dommages intérêts d'un montant de 20.000 Frs au paiement desquels Bernard Fouet a été condamné.

Françoise Baylet-Vincent demande à la Cour de débouter Bernard Fouet de ses demandes ;

Elle soutient que, dans ce contexte particulier de l'anatomocytopathologie, elle n'a pas violé la clause de non-concurrence de l'acte et qu'elle n'a jamais exercé son activité professionnelle en Tarn et Garonne.

Elle soutient que le principe du libre choix par le client de son médecin ne peut être remis en cause par une convention de présentation de clientèle et que ne pèse sur elle aucune obligation de résultat s'agissant de la présentation de la clientèle.

Elle soutient que ce n'est qu'à partir du moment où Bernard Fouet a travaillé seul que les difficultés ont commencé à naître.

Sur le préjudice, elle soutient qu'il n'est pas démontré, la clientèle qu'elle a traitée ne pouvant être traitée par Bernard Fouet, les médecins prescripteurs refusant de travailler avec lui ;

Subsidiairement, elle fait valoir que le préjudice ne peut être fixé aux sommes réclamées, Bernard Fouet n'ayant vocation qu'à recevoir une infime partie du chiffre d'affaires brut réalisé ; elle sollicite, subsidiairement, une mesure d'expertise.

Elle conteste l'existence d'un préjudice économique complémentaire et d'un préjudice moral.

Sur sa demande reconventionnelle, elle sollicite l'allocation de dommages intérêts d'un montant de 100.000 Frs.

Elle sollicite également l'allocation de frais irrépétibles.

Bernard Fouet demande la confirmation du jugement en ce qu'il a dit que le Docteur Baylet-Vincent avait engagé sa responsabilité contractuelle.

Pour le surplus, il demande sa réformation et l'allocation de dommages intérêts d'un montant de 920.000 Frs en réparation de son préjudice économique, outre 100.000 Frs en réparation de son préjudice moral.

Il demande à la Cour de débouter le docteur Baylet-Vincent de sa demande reconventionnelle.

Il sollicite également l'allocation de frais irrépétibles ;

Sur ce, LA COUR

1. Sur la demande de B. Fouet

B. Fouet reproche à Françoise Baylet-Vincent la violation de l'obligation de non-concurrence - obligation de ne pas faire - et non la violation de l'obligation de présentation à la clientèle - obligation de faire - de telle sorte que toute l'argumentation de l'appelante sur l'exécution de l'obligation spécifique de présentation à la clientèle est inopérante.

L'obligation de non-concurrence, telle que rapportée ci-dessus, ne se limite pas à imposer à sa débitrice l'exécution de son activité et donc l'installation de son cabinet, dans un département autre que le Tarn et Garonne, elle lui interdit également l'exercice " sur toute clientèle de ce département ".

Le principe du libre choix par le client de son médecin, instauré dans l'intérêt du patient, n'exonère pas la cédante de l'obligation de non-concurrence, complémentaire de l'obligation de présentation qu'elle a souscrite personnellement, alors que les actes incriminés ne sont commandés ni par l'urgence de la situation, ni par la nécessité puisqu'ils pouvaient être assurés - dans l'hypothèse où la relation de confiance devant exister entre le médecin prescripteur et le médecin exécutant de l'acte serait dégradée - par d'autres spécialistes, notamment installés à Montauban.

Ainsi, et comme l'a relevé le tribunal, il appartenait à Françoise Baylet-Vincent de rappeler aux médecins prescripteurs qu'elle était liée par une obligation de non-concurrence et de s'abstenir.

Elle ne démontre d'ailleurs pas que le recours à ces actes est strictement consécutif au départ du Docteur Ancelin Malbreil en 1994 et aux difficultés relationnelles de B. Fouet avec ses confrères puisque les états délivrés par les organismes sociaux font apparaître un certain nombre d'actes réalisés dès 1992 et 1993.

Il convient, en conséquence, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu que Françoise Baylet-Vincent n'avait pas exécuté la convention de bonne foi et avait engagé sa responsabilité.

Le préjudice ne peut être évalué au chiffre d'affaires réalisé par l'appelante avec les analyses litigieuses (de l'ordre de 600.000 F) ni, a fortiori, au chiffre d'affaires qu'aurait réalisé l'intimé, à partir des mêmes actes, puisque aucun élément objectif ne permet de retenir que la clientèle se serait intégralement reportée sur le cessionnaire.

Le préjudice, en l'espèce, se définit, dans l'ordre économique, comme une perte de chance d'effectuer ces actes et, dans l'ordre moral, comme une atteinte consécutive à la déloyauté du détournement.

Eu égard aux relevés chiffrés des organismes sociaux et aux circonstances, il apparaît que l'allocation de dommages intérêts d'un montant de 350.000 Frs est propre à réparer le préjudice.

Le jugement déféré est donc confirmé sur ce point.

Il doit être pareillement confirmé s'agissant de la demande présentée par B. Fouet au titre du rachat des parts du Dr. Ancelin, cette opération étant sans relation causale directe avec la violation de l'obligation de non-concurrence.

2. - Sur la demande de Françoise Baylet-Vincent

Françoise Baylet-Vincent reproche à Bernard Fouet d'avoir continué son activité professionnelle en utilisant la dénomination SCM des docteurs Baylet-Vincent, Ancelin Malbreil et Fouet qui crée une confusion et lui cause un préjudice.

Il résulte des pièces produites qu'en 1997 et 1998, la dénomination de la SCM Baylet-Vincent, Ancelin Malbreil et Fouet est utilisée pour des formalités avec la DADS, avec L'URSSAF, le Fonds d'Assurance Formation et pour l'intitulé d'un compte bancaire.

Alors que Bernard Fouet est, pour ces périodes, l'associé unique de la SCM dont il a un contrôle complet et que la société de moyen est affectée au service de son exercice professionnel, il apparaît abusif de sa part d'avoir attendu juin 1998 pour régulariser la dénomination sociale alors que Françoise Baylet-Vincent n'était plus membre de la société et l'avait mis en demeure, en octobre 1997, de faire cesser cette pratique.

Cette utilisation est en effet de nature à créer une confusion dans l'esprit du public ainsi qu'il se déduit d'ailleurs du règlement en 1995, entre les mains de la SCM, d'honoraires dus à Françoise Baylet-Vincent.

Le tribunal a fait une exacte appréciation du préjudice en allouant à Françoise Baylet-Vincent des dommages intérêts d'un montant de 20.000 Frs.

Le jugement déféré est confirmé sur ce point.

Françoise Baylet-Vincent qui a pris l'initiative de l'appel et qui succombe sur tous ses chefs de demandes est tenue des dépens.

L'équité conduit à faire droit à la demande de frais irrépétibles présentée par B. Fouet, tenu de suivre la procédure devant la Cour.

Par ces motifs, la Cour, déclare l'appel recevable mais non fondé, confirme, dans toutes ses dispositions, le jugement du Tribunal de Grande Instance de Montauban en date du 20 mai 1999, condamne Françoise Baylet-Vincent aux dépens, avec distraction en faveur de Me Château, avoué, ainsi qu'au paiement de la somme de 6.000 Frs en application de l'article 699 du NCPC