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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. A, 7 novembre 2000, n° 98-05623

MONTPELLIER

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

SICA Les Vignerons de la Méditerranée (SA)

Défendeur :

SICA Les Vignerons Provençaux (SARL), De Saint Rapt (ès-qual.), Rafoni (ès-qual.), Remy Amérique (Inc)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ottavy

Conseillers :

M. Derdeyn, Bruyère

Avoués :

SCP Jougla-Jougla, SCP Argellies-Travier, SCP Capdevila-Gabolde

Avocats :

Mes Karsenty, Leclerc, Saint Esteben.

T. com. Narbonne, du 12 oct. 1998

12 octobre 1998

Faits et procédure

En janvier 1986, la Sica Les Vignerons Provençaux concluait avec la société 21 Brands Inc A Mosswood Wine Company un contrat de distribution exclusive pour les Etats-Unis d'Amérique, Porto Rico et les Iles Vierges, de leur production.

En 1989, la société Remy Amérique venait aux droits et obligations de la société 21 Brands Inc.

En 1992, suite à des difficultés de paiement de factures, la Sica Les Vignerons Provençaux résiliait le contrat de distribution exclusive. S'en suivait différentes procédures terminées par une décision du 6 septembre 1995 du tribunal arbitral de la Chambre de Commerce Internationale de Paris, condamnant la société Remy Amérique à payer à la Sica "Les Vignerons Provençaux" la somme principale de 1.946.243,54F mais écartant, à raison des clauses contractuelles, la demande en paiement de dommages et intérêts.

Dès 1992, la société Remy Amérique commercialisait aux USA un autre vin, sous la marque Sonnailler, produit et embouteillé par la Sica "Les Vignerons de la Méditerranée".

Arguant que le fait de commercialiser sous la marque Sonnailler un vin des Bouches du Rhône alors qu'elle avait commercialisé un vin de la même origine sous la marque Sommelière était une concurrence déloyale, la Sica Les Vignerons Provençaux assignait en réparation tant la société Remy Amérique que la Sica "Les Vignerons de la Méditerranée" par devant le tribunal de commerce de Narbonne, lequel se déclarait incompétent mais était dit compétent sur contredit par arrêt en date du 24 février 1998.

Par jugement en date du 12 octobre 1998, le tribunal de commerce de Narbonne a dit et jugé la société Remy Amérique et la Sica Les Vignerons de la Méditerranée responsables du préjudice subi par la Sica Les Vignerons Provençaux et, avant dire droit, sur le montant du préjudice, a ordonné une expertise.

Le 9 novembre 1998, la société Remy Amérique et le 16 novembre 1998 la Sica Les Vignerons de la Méditerranée ont relevé appel de cette décision.

En cours de procédure, la Sica Les Vignerons Provençaux a été admise au règlement judiciaire puis, par jugement du tribunal de commerce de Salon de Provence en date du 5 mars 1999, a été déclarée en liquidation judiciaire. Ce jugement déclaratif a été frappé d'appel et la procédure est toujours pendante devant la Cour d'appel d'Aix en Provence.

Me Rafoni, liquidation judiciaire, est intervenu à la procédure.

Prétentions et moyens des parties

Il est expressément fait visa aux conclusions déposées et notifiées le 19 juin 2000 par Me Rafoni, es-qualités, le 3 août 2000 par la société Remy Amérique et le 19 septembre 2000 par la Sica Les Vignerons de la Méditerranée.

La Sica Les Vignerons de La Méditerranée demande à la Cour de réformer le jugement déféré, de la mettre hors de cause et de débouter la Sica Les Vignerons Provençaux de leurs demandes.

A titre subsidiaire, la Sica les Vignerons de la Méditerranée demande à la Cour de confirmer les termes de la mission d'expertise ordonnée par le tribunal de commerce de Narbonne et de dire qu'il n'y a pas lieu à évocation.

La Sica Les Vignerons de la Méditerranée demande également de condamner la Sica Les Vignerons Provençaux à lui payer la somme de 50.000F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

A l'appui de ses demandes, la Sica Les Vignerons de la Méditerranée soutient qu'elle n'a commis aucun acte de concurrence déloyale et que les reproches faits par la Sica Les Vignerons Provençaux, outre qu'ils sont injustifiés, s'adressent uniquement à la société Remy Amérique.

La société Remy Amérique demande à la Cour de réformer le jugement déféré, de débouter la Sica Les Vignerons Provençaux et Me Rafoni es-qualités de leurs demandes et de les condamner à lui payer la somme de 100.000F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

A l'appui de ses prétentions la société Remy Amérique soutient que c'est la loi de l'Etat de New York qui doit être appliquée et que, selon cette loi, il ne saurait y avoir ni concurrence déloyale ni dénigrement.

La société Remy Amérique soutient également que, même si on applique la loi française, il ne saurait y avoir concurrence déloyale ou dénigrement.

Subsidiairement, la société Remy Amérique soutient que le préjudice allégué, outre qu'il n'est pas établi, est sans lien de causalité avec les actes qui lui sont reprochés.

Me Rafoni, es-qualités de liquidateur judiciaire de la Sica Les Vignerons Provençaux, demande à la Cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit la Sica Les Vignerons de la Méditerranée et la société Remy Amérique responsables in solidum du préjudice qu'elle a subi du fait de leur concurrence déloyale, de les condamner à lui payer la somme de 30.000.000F (trente millions de francs) à titre de dommages et intérêts, subsidiairement, si une expertise était instaurée, de modifier la mission et, par évocation, de dire que l'expert déposera son rapport à la Cour, et de condamner la Sica Les Vignerons de la Méditerranée et la société Remy Amérique à lui payer une provision de 5.000.000F (cinq millions de francs).

Enfin Me Rafoni, es-qualités, demande à la Cour de condamner in solidum en toute hypothèse, la société Remy Amérique et la Sica Les Vignerons de la Méditerranée à lui payer la somme de 200.000F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, Me Rafoni, es-qualités de liquidateur judiciaire de la Sica Les Vignerons Provençaux fait valoir que c'est la loi française qui doit s'appliquer ; qu'il y eu concurrence déloyale puisqu'il y a eu création d'une confusion entre les produits appelés Sonnailler et Sommelière et, en plus, un véritable dénigrement de son vin vendu sous l'appellation Sommelière.

Il fait également valoir que son préjudice est important puisque les agissements déloyaux de, la Sica Les Vignerons de la Méditerranée et de la société Remy Amérique lui ont fait perdre le marché américain en pleine expansion.

Discussion

Sur la loi applicable

Il est constant que le présent litige est un litige international compte tenu de la nationalité différente des parties et de leurs domiciles respectifs.

Il n'est pas contesté qu'il s'agit d'un litige extra-contractuel fondé sur la responsabilité civile et, qu'en l'absence de conventions internationales, le conflit de loi invoqué par la société Remy Amérique doit être tranché selon les règles du droit international privé français.

Les parties ne contestent pas et même affirment que la loi applicable est en l'espèce celle de l'Etat du lieu où le fait dommageable s'est produit, ce lieu s'entendant aussi bien du fait générateur du dommage que du lieu de sa réalisation.

La société Remy Amérique soutient que tous les éléments, tant générateurs que concernant la réalisation du dommage, se sont produits aux USA, ce qui entraîne l'application de la loi américaine et plus particulièrement celle de l'Etat de New York.

En revanche, la Sica Les Vignerons Provençaux soutient que l'élément générateur s'est produit en France et plus particulièrement dans les locaux de la Sica Les Vignerons de la Méditerranée domiciliée à Narbonne.

La société Les Vignerons Provençaux reprochent une concurrence déloyale tant à la société Remy Amérique qu'à la Sica Les Vignerons de la Méditerranée qui consiste, d'une part, à avoir, sur le marché des USA, mis en vente des vins de table des Bouches du Rhône dans des bouteilles et avec des étiquettes portant la marque Sonnailler qui se confondaient avec celles qu'elle commercialisait sous la marque Sommelière.

Le premier acte générateur de la concurrence déloyale, à la supposer démontrée, serait donc la mise en bouteille du vin dans des bouteilles similaires et la création d'étiquettes semblables.

Il n'est contesté par aucune des parties que l'embouteillage du vin, l'impression des étiquettes et l'étiquetage des bouteilles ont eu lieu en France.

C'est donc la loi française qui doit être appliquée au litige même s'il est certain que d'autres éléments de la genèse de ce qui est appelée concurrence déloyale par la Sica Les Vignerons Provençaux se sont produits aux USA.

Sur la concurrence déloyale

La Sica Les Vignerons Provençaux soutient qu'en utilisant une bouteille bourguignonne comme elle le fait pour un vin de même origine, en utilisant une étiquette copiant de façon quasi identique la sienne, et en employant le terme Sonnailler alors qu'elle même commercialise le vin sous la marque Sommelière, la Sica Les Vignerons de la Méditerranée et la société Remy Amérique ont créé une confusion dans l'esprit des consommateurs, ce qui est une concurrence déloyale.

Il convient tout d'abord d'écarter comme inopérant l'argument tiré de l'origine du vin, les Bouches du Rhône, car on ne saurait reprocher à la société Remy Amérique, dont le contrat de distribution de vin notamment des Bouches du Rhône avec la Sica Les Vignerons Provençaux avait été résilié par cette dernière, de vouloir continuer à commercialiser un tel produit aux USA.

L'utilisation de la forme bourguignonne pour la bouteille ne doit pas non plus être retenue comme fautiveet elle ne peut, à elle seule, entraîner une confusion entre le vin Sonnailler et le vin Sommelière. En effet, outre le caractère extrêmement courant pour ne pas dire banal de cette bouteille bourguignonne il est, d'une part, reconnu par la Sica Les Vignerons Provençaux que ce genre de bouteille est fréquemment utilisé, pour les vins des Bouches du Rhône et surtout, d'autre part, il est établi par les documents versés au débat par la société Remy Amérique et par la Sica Les Vignerons Provençaux que de nombreux vins de table français sont commercialisés dans de telles bouteilles aux USA. Qu'il en est ainsi notamment pour "Père Patriache" - "Alexis Lichine" -" Chanson" - "Partager" - "Henri De Villamont".

En ce qui concerne les marques Sommelière et Sonnailler utilisées, la première, par la Sica Les Vignerons Provençaux et la seconde par la Sica Les Vignerons de la Méditerranée et la société Remy Amérique, il convient de remarquer, de suite, que la Sica Les Vignerons Provençaux ne se fonde pas sur le droit des marques même si, au détour d'une des pages de ses conclusions, elle fait observer, sans d'ailleurs le justifier, que la marque Sommelière serait protégée jusqu'en 2004 aux USA.

Il convient également d'écarter, comme insuffisamment probantes, toutes les études concernant la phonétique et la prononciation des termes "Sonnailler" et "Sommelière". En effet, les études versées au débat, certes savantes et faites par des gens compétents, ignorent totalement les différents accents des lieux où doivent être prononcés ces mots.

Déjà en France, force est d'observer que le terme Sonnailler comme celui de Sommelière est prononcé totalement différemment s'il l'est par un marseillais, un bordelais, un strasbourgeois, un lillois ou un parisien.

Il en est de même aux USA et, l'un comme l'autre de ces termes, n'est pas prononcé de la même façon selon que l'on se trouve à New York, au Texas ou en Californie pour ne prendre que ces exemples.

En revanche,il existe une similitude scripturale entre les deux termes Sonnailler et sommelière qui comptent le même nombre de lettres (10) et commencent par les mêmes lettres SO suivies de deux autres lettres proches N et M.

L'étiquetage des bouteilles présente lui-même une certaine similitude puisqu'il résulte que, tant le vin Sonnailler que le vin Sommelière, est commercialisé dans une bouteille où l'étiquette principale est surmontée d'une collerette située sous la capsule.

Toutefois, force est d'observer qu'une bouteille de vin de forme bourguignonne présentant une étiquette surmontée d'une collerette située sous la capsule est d'une grande banalité, même aux Etats Unis, comme le démontre les pièces versées au débat, puisqu'il en est ainsi, notamment, pour les bouteilles "Romarets" - "Valbon" - "Musette" - " Papillon" -" Cuvee Saint Pere" -" Canteval" -" Remy Panier" - ou "Chanson" pour ne citer que des vins de table et non pas des vins d'autres appellations.

Il en est de même pour le fait que la collerette comporte en son centre un dessin puisqu'une telle collerette dessinée est fréquente comme le montre les reproductions des bouteilles "Valbon" - " Remy Panier" - Cuvée Saint Père" -" Canteval" ou "Cuvée Vercherre".

Les étiquettes Sonnailler portent le terme Sonnailler écrit droit souligné de deux traits droits et le bord de l'étiquette est constitué d'un cadre de couleur bleu, vert, ou gris-vert.

Les étiquettes Sommelière portent le terme Sommelière écrit en courbe souligné de deux traits, l'un noir, l'autre rouge. Sous ce terme figurent des armoiries. L'étiquette ne comporte aucun cadre.

Il apparaît ainsi que les étiquettes sont différentes l'une de l'autre.

Il en résulte que si des éléments qui restent communs et banals font qu'une similitude existe entre les bouteilles de vin Sommelière et Sonnailler, comme avec d'autres bouteilles de vin de table français exportés aux USA, des différences importantes existent et font qu'un consommateur moyen, même peu attentif, ne saurait confondre les deux produitssurtout que, même pour les américains, en matière de vin, le flacon reste moins important que le contenu.

Dès lors, en utilisant la marque Sonnailler et des bouteilles bourguignonnes pour vendre aux USA du vin de table des Bouches du Rhône la Sica Les Vignerons de la Méditerranée et la société Remy Amérique n'ont pas commis d'actes de concurrence déloyale et ces sociétés n'avaient pas, comme le soutient la Sica Les Vignerons Provençaux, l'obligation de vendre leur vin dans des bouteilles de formes différentes.

Quelles que soient les pratiques commerciales agressives ou cyniques utilisées aux USA, la lettre, datée du 17 décembre 1992 du Directeur du service commercial de la société Remy Amérique adressée au responsable des achats du Club Méditerranée et précisant qu'il n'avait jamais apprécié le vin Sommelière est un dénigrement de ce produit et la Cour ne peut, d'ailleurs, que fortement s'étonner que ce directeur commercial ait pu vendre un vin sans qualité et ainsi tromper pendant trois ans ses clients.

Ce dénigrement est un acte de concurrence déloyale qui oblige l'auteur à réparer le préjudice causé.

Il y a lieu d'observer que l'auteur du dénigrement est la société Remy Amérique et que la Sica Les Vignerons de la Méditerranée est étrangère à cet acte de concurrence déloyale.

C'est de façon erronée que la Sica Les Vignerons Provençaux soutient que son préjudice serait constitué par la perte du marché du Club Méditerranée et plus généralement de la perte du marché américain.

En effet, dès le 12 mars 1992, le Club Méditerranée avait avisé la Sica Les Vignerons Provençaux qu'il cesserait de s'approvisionner chez elle, cela parce qu'elle ne fournissait plus les villages suite à la résiliation du contrat avec la société Remy Amérique. Ce n' est donc pas la lettre de dénigrement du 17 décembre 1992 qui a fait perdre ce marché.

Mais il n'y a pas lieu de douter que cette lettre de forme circulaire a été adressée à de nombreux clients de la société Remy Amérique qui importait antérieurement le vin Sommelière et voulait faire connaître son nouveau produit Sonnailler.

Cet acte de concurrence déloyale a causé un préjudice important à la Sica Les Vignerons Provençaux qui a vu son image de marque flétrie et qui devait donc nécessairement faire de gros efforts commerciaux et publicitaires pour rétablir cette image.

Ce préjudice sera intégralement indemnisé par l'attribution d'une somme de 500.000F.

L' équité commande d'allouer à la Sica Les Vignerons Provençaux la somme de 25.000F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, somme qui sera à charge de la société Remy Amérique.

En revanche, l'équité et la situation économique de la Sica Les Vignerons Provençaux font qu'il n'y a pas lieu d'allouer de sommes au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile à la Sica Les Vignerons de la Méditerranée.

La société Remy Amérique ,qui succombe, doit être tenue aux dépens.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement ; En la forme reçoit les appels ; Au fond ; Reforme le jugement déféré et statuant à nouveau ; Dit que la Sica Les Vignerons de la Méditerranée n'a commis aucun acte de concurrence déloyale ; Met la Sica Les Vignerons de la Méditerranée hors de cause et la déboute de sa demande d'application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Dit que la société Remy Amérique a commis un acte de concurrence déloyale par dénigrement à l'égard de la Sica Les Vignerons Provençaux ; Condamne la société Remy Amérique à payer à Me Rafoni , es-qualités de liquidateur judiciaire de la Sica Les Vignerons Provençaux la somme de 500.000F en réparation du préjudice ; Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du jour de la demande en justice ; Condamne la société Remy Amérique à payer à Me Rafoni es-qualités la somme de 25.000F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Condamne la société Remy Amérique aux entiers dépens de première instance et d'appel ; Dit que ces derniers pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.