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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 25 octobre 2000, n° 1998-16111

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Latac Intérim (SA)

Défendeur :

Safineg (SA), Mobile (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachacinski, Mme Magueur

Avoués :

SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP Taze Bernard Belfayol Broquet

Avocats :

Mes Makowski, Repp.

T. com. Paris, 15e ch., du 19 juin 1998

19 juin 1998

Reprochant aux sociétés Safineg et Mobile d'avoir, courant 1996, débauché deux de ses commerciaux et d'avoir, au mépris de la clause de non-concurrence à laquelle ceux-ci étaient soumis, détourné une part importante de sa clientèle et désorganisé ainsi l'entreprise, la société Latac Intérim a saisi le tribunal de commerce de Paris d'une action en concurrence déloyale à l'encontre des deux sociétés, sollicitant l'octroi d'une somme de 5.387.910 F de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi.

Par jugement du 19 juin 1998, le tribunal de commerce de Paris a condamné solidairement les sociétés Safineg et Mobile à payer à la société Latac Intérim la somme de 580.000 F de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, au titre de la concurrence déloyale, ainsi qu'une somme de 20.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

LA COUR,

Vu l'appel interjeté de cette décision, le 10 juillet 1998, par la société Latac Intérim;

Vu les conclusions du 25 juillet 2000 par lesquelles la société Latac Intérim, tout en sollicitant la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a retenu les faits de concurrence déloyale, en poursuit la réformation sur le montant des dommages-intérêts qu'elle demande à la Cour de porter à la somme de 3.500.000 F en raison de la perte de marge brute résultant de l'activité sur deux années, durée des clauses de non-concurrence qui ont été méconnues, des deux commerciaux débauchés et réclame paiement de la somme de 50.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Vu les conclusions du 1er septembre 2000 aux termes desquelles les sociétés Safineg et Mobile,

* poursuivent l'infirmation de la décision entreprise, faisant valoir:

- qu'elles n'ont commis aucune faute en embauchant, en août 1996, les deux anciens commerciaux de la société Latac Intérim, lesquels lui ont déclaré être libres de tous engagements à l'égard de leur précédent employeur,

- que cette embauche n'a pas eu pour effet de désorganiser l'entreprise, laquelle dès avril 1996 se plaignait d'une chute importante et anormale de son chiffre d'affaires,

- que le préjudice invoqué n'est pas établi en raison de la volatilité de la clientèle, dans le secteur d'activité du travail par intérim concerné, et du caractère non significatif des variations du chiffre d'affaires de l'appelante,

* reconventionnellement, demandent paiement d'une somme de 100.000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive en raison des actes de concurrence déloyale dont elles ont elles-mêmes été l'objet, et d'une somme de 30.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Sur quoi,

Sur les actes de concurrence déloyale:

Considérant qu'aux termes d'une clause inscrite au contrat de travail que leur a consenti la société Latac Intérim, Messieurs d'Arrigo et Bodigny se sont interdits, à la cessation des relations de travail, quelle qu'en soit la cause et quelle que soit la partie à qui elle serait imputée... toute activité, directement ou indirectement, pour son compte ou celui d'un tiers à quelque titre que ce soit, salarié ou non salarié, de s'intéresser à une entreprise de travail temporaire ou similaire, et plus généralement à toute entreprise susceptible de faire concurrence à la société, et ce, pendant une période de deux années à compter de la cessation desdites relations et pour les départements de Paris et de la région Parisienne ;

Qu'il est constant que Messieurs d'Arrigo et Bodigny ont été embauchés par la société Safineg, en août 1996 puis transférés à la société Mobile, en octobre 1996, après avoir démissionné de la société Latac Intérim sans observer leur préavis et au mépris de la clause susvisée ;

Considérant que pour échapper au grief de concurrence déloyale, les sociétés Safineg et Mobile contestent les actes de débauchage qui leur sont reprochés et excipent de leur bonne foi, soutenant avoir engagé les deux commerciaux sur la déclaration qu'ils ont faite de ce qu'ils étaient libres de tout engagement;

Mais considérant qu'en leur qualité de professionnelles avisées, les sociétés Safineg et Mobile étaient tenues de s'assurer personnellement et de manière effective que les deux intéressés étaient libres de tout engagement et qu'aucune clause de non-concurrence ne les liait à leur ancien employeur ; qu'en s'abstenant, volontairement ou involontairement, de le faire, elles ont engagé leur responsabilité à l'égard de ce dernier, désorganisant ainsi la protection mise en place par leur concurrente; queleur mauvaise foi est d'autant plus patente qu'informées de l'existence de telles clauses, dès le 28 octobre 1996, soit moins de deux mois après l'embauche, elles ont maintenu les contrats de travail qu'elles venaient de signer;

Que le tribunal, par des motifs pertinents que la Cour adopte, a retenu à bon droit que le grief de concurrence déloyale était suffisamment établi sans qu'il soit besoin d'examiner les autres arguments relatifs aux manœuvres de débauchage ;

Sur la réparation du préjudice subi :

Considérant que pour voir augmenter le montant des dommages-intérêts alloués par les premiers juges, la société Latac Intérim fait valoir que dès le premier mois de l'embauche de Messieurs d'Arrigo et Bodigny, la moitié des intérimaires travaillant pour elle et relevant de l'activité de ces employés, est partie travailler pour les sociétés Safineg et Mobile et que la moitié des clients faisant partie de son fonds de commerce sont passés dans le fonds de commerce de ces deux sociétés ; que la perte de marge brute sur deux ans, durée de la clause de non-concurrence, s'élève selon elle à la somme de 1.800.000 F du fait de l'activité confiée à Monsieur d'Arrigo et 1.300.000 F du fait de celle de Monsieur Bodigny ; que le département transport déménagement n'a été développé par les intimées qu'à compter de l'embauche de Monsieur Bodigny ; que l'intégralité des clients afférents à ce secteur ont quitté l'entreprise avec le départ de celui-ci ; que la somme de 3.500.000 F qu'elle réclame du fait de la désorganisation de l'entreprise lui apparaît donc amplement justifiée ;

Considérant que si, comme le soulignent pertinemment les sociétés intimées, la clientèle des sociétés d'intérim est une clientèle volatile qui s'adresse indifféremment et en toute liberté à l'une ou l'autre de ces sociétés, au gré de leurs besoins, force est de constater que le fait pour Monsieur d'Arrigo et Monsieur Bodigny d'exercer, immédiatement après leur départ, leurs activités dans une même zone géographique que celle de la société Latac Intérim, n'a pu avoir que pour effet de faciliter, ne serait-ce que pour partie, le transfert de clientèle au profit des sociétés intimées ; que la société Latac Intérim affirme ainsi, sans être contredite, que la société Mobile n'a développé son secteur transport/déménagement qu'avec l'arrivée de Monsieur Bodigny et que plus de la moitié de la clientèle et des intérimaires, comme en attestent les procès-verbaux d'huissier dressés le 16 octobre 1996, a immédiatement quitté l'entreprise au moment du départ de ses commerciaux pour une société concurrente située dans un secteur proche, lequel départ a nécessairement infléchi, ne serait-ce que temporairement, les choix de cette clientèle ;

Que la méconnaissance par les sociétés Safineg et Mobile de la clause de non-concurrence par laquelle la société Latac Intérim s'était légitimement prémunie des effets néfastes de toute décision brutale et inconsidérée de ses employés et de la concurrence, a nécessairement eu pour effet de désorganiser l'entreprise ; qu'une telle clause se justifiait d'autant plus que la clientèle est volatile ; qu'il importe peu que les commerciaux ne se soient pas livrés à des actes de démarchage effectifs auprès de cette clientèle ; que celle-ci, en effet, a pu être attirée par leur seule présence dans le secteur géographique proche, lequel était interdit ;

Mais considérant qu'il doit également être relevé que le chiffre d'affaires de la société Latac Intérim avait diminué de façon importante antérieurement aux faits dénoncés, étant passé de 77 millions de francs en 1991, à 53 millions en 1995 ;

Que la duplicité entre les deux employés et les deux sociétés antérieurement aux faits dénoncés, qui serait à l'origine de la baisse anormale de chiffre d'affaires en avril 1996, n'est nullement démontrée ;

Que les premiers juges, au vu de ces constatations, ont exactement évalué le préjudice subi par la société Latac Intérim à la somme de 580.000 F ;

Qu'il convient en conséquence de confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions ;

Sur les autres demandes :

Considérant que pour se prévaloir du caractère abusif de la procédure intentée à leur encontre et solliciter à ce titre paiement de dommages-intérêts, les sociétés Safineg et Mobile produisent aux débats l'attestation d'un de leurs intérimaires établissant qu'il aurait été déloyalement démarché par la société Latac Intérim ;

Mais considérant que dans le contexte conflictuel du présent litige, l'attestation isolée d'un intérimaire prétendant avoir fait l'objet d'un démarchage de la part de la société Latac Intérim n'est pas significative, à la supposer réelle, et n'est pas de nature à exonérer les propres sociétés de leur responsabilité au titre de la concurrence déloyale ; que l'action intentée n'est pas abusive ;

Que la demande reconventionnelle en dommages-intérêts formée par les sociétés Safineg et Mobile doit donc être rejetée ;

Considérant qu'il n'y a lieu de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, chacune des parties succombant partiellement en leurs prétentions ; qu'il convient par ailleurs de laisser à chacune des parties la charge de leurs dépens d'appel ;

Par ces motifs, Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, Rejette toute autre demande y compris au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens d'appel.