Cass. com., 24 octobre 2000, n° 97-42.942
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Loc Energie (Sté)
Défendeur :
Loxam (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Champalaune
Avocat général :
Me Piniot
Conseillers :
MM. Poullain, Métivet, Mmes Garnier, Collomp
Avocats :
SCP Tiffreau, Thomas-Raquin.
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Angers, 9 mars 1998), que les sociétés Loxam et Loc énergie exercent une activité de location de matériels de travaux publics, pour le bâtiment et l'industrie ; qu'à la suite de la démission d'un responsable d'une de ses agences de location suivie de celle de trois autres salariés réembauchés par la société Loc énergie, la société Loxam a assigné celle-ci aux fins qu'elle soit condamnée à lui payer des dommages-intérêts au titre de la concurrence déloyale ; que par jugement avant dire droit du 12 janvier 1992, le tribunal de commerce d'Angers a ordonné une mesure d'instruction, aux fins notamment de constater le réembauchage de quatre salariés de la société Loxam par la société Loc énergie et de se faire remettre copie des contrats de travail et des bulletins de paie de ces personnels, puis a, par jugement du 24 janvier1996, constaté la péremption d'instance ;
Sur le premier moyen pris en ses deux branches : - Attendu que la société Loc énergie fait grief à l'arrêt d'avoir partiellement rejeté sa demande en annulation du procès-verbal de constat dressé les 14 et 18 janvier 1993 par Me Le Levier, huissier de justice commis par le tribunal de commerce, alors, selon le pourvoi, qu'il résulte des propres constatations opérées par la cour d'appel que le procès-verbal de janvier 1993 n'a pas été dressé de façon contradictoire, en ce que l'huissier de justice a procédé à ses investigations (constatations, remises de documents et auditions de tiers) sans avoir préalablement convoqué la société Loc énergie, qui n'y a donc été ni présente, ni représentée, et n'a reçu communication du procès-verbal que près de deux années plus tard, en décembre 1994 ; que dès lors, en refusant de prononcer l'annulation totale du procès-verbal, au motif inopérant que la présence de la société Loc énergie n'aurait pu influer sur les énonciations portées par l'huissier de justice, dans la mesure où elles relataient des constatations et remises matérielles simplement éclairées par des auditions, et sans rechercher si le long délai constaté entre l'établissement du procès-verbal et sa communication permettait encore à la société Loc énergie de contester utilement les investigations expertales, et sans que les motifs de fond ne permettent de savoir si le procès-verbal a constitué le fondement unique de la décision, la cour d'appel a violé les articles 16,160,161,162 et 175 du nouveau Code de procédure civile; et alors, qu'en écartant le moyen d'annulation tiré de l'acceptation par l'huissier de justice de sa rémunération, reçue directement de la société Loxam, au motif inopérant que l'officier ministériel n'aurait encouru aucun grief de partialité, et sans dire en quoi ce versement aurait été indispensable à l'exécution de la mission judiciaire, la cour d'appel a violé l'article 248 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant relevé que la présence des parties ne pouvait influer sur les constatations matérielles opérées par l'huissier sur l'embauche des anciens salariés de la société Loxam et sur la remise de documents à celui-ci, et énoncé que la société Loc énergie a eu connaissance du constat litigieux dans un temps qui lui a permis d'en prendre pleinement connaissance et d'en discuter utilement, ce dont il ressort que ces constatations et documents ont pu être discutés contradictoirement, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche inopérante visée au moyen, a pu statuer comme elle a fait ;
Mais attendu, d'autre part, que la prohibition prévue à l'article 248 du nouveau Code de procédure civile n'étant pas prescrite à peine de nullité, la cour d'appel a, à bon droit, écarté le grief de nullité du procès-verbal tiré de la rémunération de l'huissier par l'une des parties; Qu'il suit de là que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches;
Sur le second moyen, pris en ses sept branches : - Attendu que la société Loc énergie reproche à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer des dommages-intérêts à la société Loxam au titre de la concurrence déloyale, alors, selon le pourvoi, qu'en omettant de préciser sur quels éléments de preuve elle fondait sa décision, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; alors, qu'à supposer, par hypothèse, que le procès-verbal dressé les 14 et 18 janvier 1993 par Me Le Levier, huissier de justice, dans des circonstances dont elle a constaté le caractère non contradictoire à l'égard de la société Loc énergie, ait constitué le fondement unique de sa décision, la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile et, par voie de conséquence, l'article 1382 du Code civil ; alors, qu'au surplus, l'acte de débauchage de personnel, constitutif de concurrence déloyale, ne résulte pas nécessairement du seul engagement de plusieurs employés du concurrent, lesquels ont le pouvoir d'arrêter avec un concurrent de leur employeur les conditions d'une future embauche, dès lors qu'aucun acte effectif de concurrence n'est accompli avant l'expiration de leur contrat de travail ; dès lors, en condamnant la société Loc énergie du chef de concurrence déloyale à raison de l'embauche de plusieurs employés de la société Loxam, sans avoir recherché si ces employés s'étaient livrés, avec la société Loc énergie, et avant l'expiration de leur précédent contrat de travail, à des actes effectifs de concurrence contre la société Loxam, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil ; alors, par ailleurs, en condamnant la société Loc énergie du chef de concurrence déloyale à raison de l'embauche de plusieurs employés de la société Loxam, sans avoir recherché si la société Loc énergie avait commis des manœuvres inspirées d'une volonté de désorganisation de la société Loxam, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil ; alors, au reste, qu'en condamnant la société Loc énergie du chef de concurrence déloyale à raison de l'embauche de plusieurs employés de la société Loxam, motif pris de "l'obligation de non-concurrence attachée de plein droit au contrat de travail qui pèse sur le salarié", sans répondre aux conclusions d'appel de la société Loc énergie soutenant qu'aucun des employés n'étaient liés par une clause de non-concurrence, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, qu'en affirmant l'existence "d'une relation de cause à effet" entre le prétendu débauchage d'employés et la baisse du chiffre d'affaires et des résultats de l'agence Angers Nord de la société Loxam, sans autrement motiver en fait cette affirmation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil; alors, qu'en fondant sa décision sur l'évolution des chiffres d'affaires et résultats respectifs des agences Angers sud et Angers nord de la société Loxam, pour en déduire que, si les chiffres de la première avaient augmenté en 1990, ceux de la seconde avaient fortement baissé la même année, ce qui ne pouvait s'expliquer que par sa désorganisation imputable à la société Loc énergie, sans répondre aux conclusions de celle-ci soutenant qu'elle "est implantée aux Ponts-de-Cé, à l'extrême sud d'Angers, tandis que l'agence de la société Loxam, prétendument victime de concurrence déloyale est implantée sur Angers nord", de sorte que "les deux entreprises ne travaillent donc pas dans le même secteur géographique et ne s'adressent pas à la même clientèle" et que "par définition, la concurrence déloyale de l'une envers l'autre ne peut être constituée", la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile.
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant relevé que la société Loc énergie faisait valoir que les salariés dont l'embauche était contestée avaient profité de la création de son agence d'Angers en février 1990 pour quitter une entreprise dans laquelle l'ambiance était exécrable, sans qu'elle ait manqué elle-même aux règles de la concurrence, ce dont il ressortait que seule l'appréciation juridique de débauchage attachée à ces faits était contestée par la société Loc énergie, la cour d'appel a, sans violer le principe de la contradiction, légalement justifié sa décision de retenir qu'il était constant que 4 salariés de la société Loxam avaient quitté celle-ci entre février et mars 1990, pour se réemployer entre février et avril 1990, chez la société Loc énergie;
Attendu, en deuxième lieu, que la faute constitutive de concurrence déloyale ne requiert pas la constatation d'un élément intentionnel;qu'ayant constaté qu'en l'espace de quelques jours, la société Loc énergie a engagé l'équipe d'encadrement de l'agence concurrente de la société Loxam, désorganisant ainsi celle-ci et récupérant le savoir-faire de son encadrement, relevé que ces deux sociétés avaient des activités similaires et l'exerçaient dans le même secteur géographique, se trouvant ainsi en concurrence, et énoncé que la baisse de chiffre d'affaires de la société Loxam ne pouvait s'expliquer que par la désorganisation subie par son agence d'Angers nord qui a influé sur son exploitation, la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions prétendument omises, a par ces seuls motifs légalement justifié sa décision, abstraction faite de tous autres motifs surabondants ;qu'il suit de là que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.