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Décisions

Cass. com., 24 octobre 2000, n° 98-19.774

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Chambre syndicale des négociants détaillants en combustibles du Morbihan, Fédération des combustibles

Défendeur :

Gaz de France

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Rapporteurs :

Mme Champalaune, Avocat général : M. Feuillard

Avocats :

SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, SCP Vier, Barthélémy.

TGI Paris, 1re ch. , du 3 juill. 1996

3 juillet 1996

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 24 juin 1998), qu'à la suite d'une campagne de publicité de Gaz de France fondée sur l'offre de 4 mois de chauffage gratuit et d'une économie de plus de 40 % sur le prix du raccordement à tout client s'engageant à installer avant une certaine date une chaudière à gaz en remplacement d'une chaudière au fioul ou au propane, la Chambre syndicale des négociants détaillants en combustible du Morbihan, la Fédération des combustibles du Morbihan et la Fédération des combustibles ont assigné la société Gaz de France et Électricité de France pour concurrence déloyale, publicité trompeuse et vente à prime illicite ;

Sur le premier moyen, pris en ses cinq branches : - Attendu que la Chambre syndicale des négociants détaillants de combustibles du Morbihan et la Fédération des combustibles font grief à l'arrêt d'avoir décidé qu'aucun acte de concurrence déloyale ne pouvait être imputé à Gaz de France (GDF), alors, selon le pourvoi, d'une part, que la Chambre Syndicale des négociants détaillants en combustibles du Morbihan et la Fédération des combustibles faisaient notamment valoir en cause d'appel que l'opération publicitaire incriminée était constitutive d'un acte de concurrence déloyale au double motif qu'elle consistait en la promotion d'un produit visant un seul de ses usages (à savoir le chauffage domestique) et un seul des concurrents pour cet usage (à savoir le fioul domestique à l'exclusion de l'électricité) ; qu'en n'examinant que le point de savoir si l'opération promotionnelle incriminée était ou non cantonnée à un concurrent déterminé, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part et subsidiairement, qu'en ne précisant pas en quoi le fait que l'opération incriminée visait à la promotion du gaz naturel pour un seul de ses usages (à savoir l'usage de chauffage domestique) ne pouvait conférer un caractère déloyal à cette dernière, la Cour d'appel n'a pas mis en mesure la Cour de Cassation d'exercer son contrôle et partant, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code Civil ; alors, de troisième part, que la Chambre syndicale des négociants détaillants en combustibles du Morbihan et la Fédération des combustibles soutenaient en cause d'appel, à titre subsidiaire, qu'à supposer même fondée l'argumentation de GDF selon laquelle la prime offerte aux consommateurs prospectés ne serait pas prohibée par les dispositions légales relatives à l'interdiction de la vente à primes, il devrait alors être jugé que l'avantage proposé s'assimile à un avantage exorbitant par son montant des usages du commerce et constitutif en lui- même d'une forme de concurrence déloyale ; qu'en omettant totalement de répondre au moyen subsidiaire dont elle était ainsi saisie, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile alors, de quatrième part et subsidiairement, qu'en ne précisant pas en quoi l'octroi d'une prime de 1 500 F ne pouvait s'assimiler à un avantage exorbitant par son montant des usages du commerce et ne pouvait être constitutif d'une forme de concurrence déloyale, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle et partant, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil ; et alors, enfin que si le fait d'adresser une offre à la clientèle de concurrents ne peut suffire à lui seul à caractériser un acte de concurrence déloyale, il en est autrement lorsqu'une opération promotionnelle est organisée par une entreprise dans le but exclusif de détourner les consommateurs des services offerts par un seul de ses concurrents, en ménageant les autres ; qu'en l'espèce, l'opération publicitaire mise en œuvre par GDF n'avait pas été déterminée sur la base de critères objectifs puisqu'elle avait pour unique objet de détourner les consommateurs des services offerts par les négociants détaillants en fioul, en les incitant à cesser de faire usage de ce produit, et visait toutefois à ménager les autres concurrents de GDF dans le secteur du chauffage domestique, tels qu'EDF, l'offre n'étant réservée qu'à ceux des consommateurs qui abandonneraient un système de chauffage au fioul ou au propane au profit d'un mode de chauffage au gaz naturel ; que la Cour d'appel ne pouvait statuer comme elle l'a fait sans violer les articles 1382 et 1383 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant constaté que la campagne promotionnelle contestée était menée en direction d'une clientèle dotée d'un certain mode de chauffage ce qui constituait un critère de sélection objectif exclusif de déloyauté, la Cour d'appel a examiné contrairement aux énonciations de la première branche du moyen, le grief tiré de la sélection de la clientèle au regard de son mode de chauffage, et a légalement justifié sa décision ;

Attendu, en deuxième lieu, qu'ayant énoncé qu'aucun procédé déloyal n'avait été utilisé, la cour d'appel a répondu, en les écartant aux conclusions prétendument omises et e légalement justifié sa décision ;

Attendu, en troisième lieu, qu'en vertu du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, le démarchage de la clientèle d'autrui est libre, dès lors que ce démarchage ne s'accompagne pas d'un acte déloyal ; qu'il en résulte que c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé que le fait de mener une opération promotionnelle auprès des seuls clients potentiels utilisant pour leur chauffage certaines sources d'énergie, à l'exclusion, notamment, de l'électricité, ne revêtait pas ce caractère déloyal ;qu'il suit de là que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses quatre branches : - Attendu que la Chambre syndicale des négociants détaillants de combustibles du Morbihan et la Fédération des combustibles reprochent encore à l'arrêt d'avoir décidé que la publicité incriminée n'était pas constitutive de publicité trompeuse ou de nature à induire en erreur et d'avoir débouté et d'avoir rejeté leurs demandes, alors, selon le pourvoi, premièrement, qu'elles faisaient valoir en cause d'appel que l'assimilation de la somme de 1 500 F TTC à " 4 mois de chauffage gratuit " était de nature à induire en erreur le consommateur moyen en lui laissant croire qu'il pourrait se chauffer au gaz naturel pour peu de frais, sans que la technicité des indications précisant le mode de calcul adopté pour parvenir à la moyenne annoncée ne puisse lui permettre de vérifier une telle information, et alors que des données plus simples auraient très bien pu être utilisées en l'espèce pour lui permettre de vérifier l'adéquation de l'offre à sa situation personnelle ; qu'en affirmant que la publicité incriminée n'était pas trompeuse en ce qu'elle faisait référence à une moyenne, sans rechercher comme elle y était pourtant invitée si la technicité délibérée des indications définissant le mode de calcul adopté pour déterminer la moyenne de consommation retenue n'empêchait pas le consommateur de se situer par rapport à cette dernière, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 121-1 du Code de la consommation ; et alors, deuxièmement, qu'elles faisaient encore valoir en cause d'appel que le tract incriminé revêtait un caractère trompeur en ce qu'il ne faisait pas état de la restriction selon laquelle il n'était possible de prétendre aux "quatre mois de chauffage gratuit", consistant en réalité en une prime de 1 500 F, qu'en cas de remplacement d'une chaudière fioul ou propane par une chaudière gaz naturel ; qu'en se contentant de relever que l'emploi, dans le tract, des termes " opter " ou " branchement " impliquait nécessairement un changement du mode de chauffage, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si le tract litigieux permettait au consommateur de comprendre que la prime ne pouvait lui être attribuée que dans le seul cas où le changement du mode de chauffage décidé consisterait à remplacer une chaudière fioul ou propane, à l'exclusion de tout autre système de chauffage, par une chaudière gaz naturel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 121-1 du Code de la consommation ; et alors, troisièmement, que le caractère trompeur d'un message publicitaire doit s'apprécier au travers du message lui-même, indépendamment des informations complémentaires qui peuvent être fournies par d'autres moyens au consommateur, et même si ces dernières le sont concomitamment à la diffusion de la publicité trompeuse ; qu'en refusant de reconnaître le caractère trompeur du tract litigieux, motifs pris de ce que le mailing distribué concomitamment dans le cadre de l'ensemble de l'opération promotionnelle faisait expressément état de la restriction liée au remplacement d'une chaudière fioul ou propane par du gaz naturel, la cour d'appel a violé l'article L. 121-1 du Code de la consommation ; et alors, enfin subsidiairement que la Chambre syndicale des négociants détaillants en combustibles du Morbihan et la Fédération des combustibles soutenaient en cause d'appel que la circonstance, invoquée par GDF, que des éléments complémentaires d'information aient été fournis concomitamment à la diffusion du tract litigieux ne pouvait suffire, à la supposer exacte, à supprimer Je caractère trompeur que revêtait ce dernier, s'il n'était pas démontré que les différents courriers complémentairement diffusés avaient bien été adressés aux mêmes destinataires ; qu'en décidant que la publicité incriminée ne pouvait être qualifiée en l'espèce de trompeuse ou de mensongère après s'être contentée de relever que le mailing distribué concomitamment dans le cadre de l'ensemble de l'opération promotionnelle faisait expressément état du remplacement d'une chaudière fioul ou propane par du gaz naturel, sans rechercher, comme elle y pourtant était invitée, si les éléments complémentaires d'information avaient bien été diffusés auprès des personnes destinataires du tract trompeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 121-1 du Code de la consommation ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant énoncé que le consommateur visé pouvait aisément comprendre que l'offre correspondait à une estimation moyenne, qu'il est clairement précisé, grâce à un astérisque et à un renvoi figurant sur la même page et parfaitement lisibles dans des conditions normales, que les 4 mois de chauffage gratuit offerts correspondent à un montant forfaitaire de 1 500 F, ce qui est conforme à une consommation annuelle moyenne, la cour d'appel a légalement justifié sa décision sans avoir à procéder à la recherche visée au moyen ;

Attendu, en deuxième lieu, qu'ayant énoncé que le tract mentionne que les avantages ne sont offerts que si le client opte pour le gaz naturel, ce qui implique nécessairement qu'il change de mode de chauffage, et qu'il y est fait expressément état du " branchement ", ce qui conforte l'exigence du changement du mode de chauffage, la cour d'appel a légalement justifié sa décision de considérer qu'un consommateur moyen pouvait déduire de l'offre en cause la nécessité de procéder au changement de sa chaudière, abstraction faite du motif surabondant visé à la troisième branche du moyen, et sans avoir à procéder à la recherche inopérante visée à la quatrième branche du moyen ;qu'il suit de là que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le troisième moyen : - Attendu que la Chambre syndicale des négociants détaillants de combustibles du Morbihan et la Fédération des combustibles font grief à l'arrêt d'avoir jugé que l'avantage proposé en l'espèce n'était pas constitutif d'une prime prohibée par l'article L. 121-35 du Code de la consommation, alors que l'article L. 121-35 du Code de la consommation prévoit expressément que les versements en espèces font partie du champ d'application de l'interdiction qu'il édicte, puisqu'il prohibe notamment l'octroi des primes consistant en des " biens " ; qu'en affirmant que la prime litigieuse consistait en l'occurrence en un versement en espèces nullement prohibé par le texte susvisé, la cour d'appel a violé par refus d'application de l'article L. 121-35 du Code de la consommation ;

Mais attendu qu'ayant constaté que la prime offerte est payable au vu de la facture d'installation d'une chaudière à gaz par nature destinée à permettre à l'utilisateur de se chauffer au gaz, ce dont il ressort qu'elle s'analyse en une réduction de prix sur le montant de la fourniture de gaz ainsi encouragée, la Cour d'appel a pu statuer comme elle a fait;

Par ces motifs, rejette le pourvoi.