CA Agen, 1re ch., 16 octobre 2000, n° 97-01974
AGEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
La Mise en Page " Ecrivain Public " (SARL), Leray (ès qual.)
Défendeur :
Presses du Villeneuvois (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Fourcheraud
Conseillers :
M. Louiset, M. Certner
Avoués :
Mes Burg, Tandonnet
Avocats :
Mes Gonelle, Rummens.
Attendu que la SARL La Mise en Page, " L'Ecrivain Public ", a régulièrement relevé appel d'un jugement rendu le 3 octobre 1997 par le Tribunal de commerce de Villeneuve-sur-Lot qui l'a déboutée de toutes ses demandes et condamnée aux entiers dépens ;
Attendu que Maître Leray, ès qualités de liquidateur de la SARL La Mise en Page, demande à la Cour :
- de prendre acte de son intervention et de sa reprise volontaire d'instance,
- de le déclarer recevable et bien fondé,
- en conséquence,
- de déclarer recevable et bien fondée l'action en contrefaçon à l'encontre de la SARL Les Presses du Villeneuvois sur le fondement des articles L. 111-1 et L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle,
- de condamner la société Les Presses du Villeneuvois à lui verser ès qualités, par application de l'article L. 112-4 du même Code la somme de 25.000 F pour réparation du préjudice matériel résultant de la perte du marché France Telecom et la somme de 100.000 F pour préjudice moral et économique,
- subsidiairement,
- de dire et juger qu'en toute hypothèse la société Les Presses du Villeneuvois s'est livrée à des actes de concurrence déloyale et de parasitisme commercial et fixer le montant des dommages et intérêts qui lui seront versés ès qualités, aux mêmes sommes que ci-dessus,
- de condamner la société Les Presses du Villeneuvois au paiement d'une indemnité de 8.000 F par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile (NCPC) ;
Attendu que la SARL Les Presses du Villeneuvois conclut au débouté de Maître Leray, ès qualités, de son appel et de l'intégralité de ses demandes, et prie la Cour :
- de confirmer le jugement déféré,
- de mettre à la charge de Maître Guguen (sic) ès qualités le paiement d'une somme de 5.000 F par application des dispositions de l'article 700 du NCPC ;
Sur quoi ;
Attendu que bien que se référant pour plus ample exposé des faits, de la procédure, ainsi que des fins et moyens des parties aux énonciations du jugement attaqué et aux conclusions déposées, la Cour rappellera seulement que :
- la SARL La Mise en Page, " L'Ecrivain Public ", a réalisé en 1995, à la demande de la Direction régionale de France Telecom la conception et l'édition d'affiches publicitaires destinées à obtenir la récupération des annuaires téléphoniques périmés de la Dordogne aux fins de recyclage du papier au profit des Restaurants du Coeur,
- ladite société a ainsi créé un modèle de prospectus qu'elle a édité à 166.500 exemplaires,
- elle a facturé ce travail le 29 février 1996 pour un montant de 24.203,90 F, somme régulièrement payée par France Telecom,
- à la fin de l'année 1996, la SARL La Mise en Page a constaté qu'il était à nouveau distribué par France Telecom des prospectus semblables, imprimés par la SARL Les Presses du Villeneuvois,
- la SARL La Mise en Page, par acte d'huissier du 27 janvier 1997, a fait assigner cette dernière aux fins de :
-- voir dire et juger que celle-ci avait commis le délit de contrefaçon et enfreint les dispositions des articles L. 111-1 et L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle,
-- la voir condamner en application des dispositions de l'article L. 122-4 du même Code à lui régler des sommes respectives de 25.000 et 100.000 F de dommages et intérêts,
- la SARL La Mise en Page a été placée en redressement judiciaire par jugement du Tribunal de commerce d'Agen du 9 février 1996, puis mise en liquidation judiciaire par jugement de la même juridiction du 9 octobre 1998, Maître Leray étant nommé en qualité de liquidateur ;
Sur l'action en contrefaçon :
Attendu que la société appelante fait valoir en premier lieu que :
- sa réalisation graphique en l'espèce présente une originalité incontestable,
- France Telecom n'aurait certainement pas accepté de diffuser à plus de 100.000 exemplaires un tel document s'il n'avait précisément pas présenté un caractère créatif et attractif,
- c'est à tort que le premier juge ne lui a pas reconnu la qualité d'œuvre originale et a méconnu son droit à bénéficier, en présence d'une reproduction identique par la société Les Presses du Villeneuvois, de la protection des droits de son auteur, alors que les dispositions du Code de la propriété intellectuelle condamnent " toute reproduction même partielle faite sans le consentement de l'auteur ",
- en l'espèce, il est indubitable que sont réunies les conditions de l'application des dispositions des articles L. 111, L. 113-1 et 122-4 du Code susvisé ;
Attendu que la société intimée soutient que cette demande est injustifiée ;
Attendu que le prospectus réalisé par la société La Mise en Page comprend :
- sur la gauche les mentions " France Telecom ", " La Poste ", " Les Restaurants du Coeur " avec, pour chacune d'elles, le logo correspondant, et " On recycle!!! " ;
- en entête, en gros caractères, la mention " 40 annuaires = 1 repas ", suivie d'un texte dans lequel est insérée en gros caractères la mention " 1 annuaire = 1 kg de papier recyclable " ;
Que la lettre U des mots " annuaires " et " annuaire " susvisés est agrandie et correspond à la tranche d'un livre dessiné sur lequel est écrit " les pages blanches " ;
Que la lettre Y du mot " recyclage " susvisé est agrandie et représente un entonnoir recevant des livres ou morceaux de papier ;
Attendu que les seules différences marquantes entre le prospectus imprimé par la SARL Les Presses du Villeneuvois et celui fait par la société appelante sont constituées par :
- le nombre d'annuaires indiqué en équivalence d'un repas, à savoir 10 au lieu de 40,
- l'origine des annuaires, à savoir le Lot-et-Garonne au lieu de la Dordogne,
- l'absence de dessin de feuilles de papier au dessous de l'entonnoir ;
Attendu que les trois logos de France Telecom, La Poste, et Les Restaurants du Coeur sont des logos types depuis longtemps utilisés ;
Attendu que les deux dessins susdécrits, représentants un livre et un entonnoir dans lequel tombe du papier, ne suffisent pas à constituer une création d'œuvre de l'esprit originale protégée par le Code de la propriété intellectuelle, notamment par les dispositions de son article L. 111-1, s'agissant seulement d'illustrations largement diffusées dans le public à travers des logiciels informatiques dont la reproduction est libre ;
Attendu, dans ces conditions, qu'il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SARL La Mise en Page de son action en contrefaçon ;
Sur l'action en concurrence déloyale ou parasitaire :
Attendu qu'en second lieu, la société appelante soutient qu'en utilisant la maquette lui appartenant, son adversaire l'a privée d'un nouveau marché et a bénéficié de la publicité que l'utilisation de cette création lui a procuré par la diffusion de milliers d'exemplaires portant la signature de la SARL Les Presses du Villeneuvois et non la sienne ; que sa concurrence déloyale et parasitaire lui a ainsi occasionné un préjudice qui doit être réparé ;
Attendu que la société intimée soutient que cette demande est injustifiée ; qu'elle fait valoir sa bonne foi ;
Attendu que la similitude existant entre les deux prospectus est telle qu'elle caractérise manifestement l'existence d'une copie servile ;
Attendu que le prospectus établi par la société La Mise en Page, " L'Ecrivain Public ", comportait verticalement sur la partie droite la mention " Imprimé sur papier 100 % recyclé - L'Ecrivain Public - RC Agen 83 B 56 ";
Attendu que la société Les Presses du Villeneuvois a elle-même reconnu dans ses écritures que le modèle que lui avait remis France Telecom comportait la mention du précédent imprimeur;
Attendu qu'il lui appartenait de vérifier et de prendre en compte les droits détenus par la société La Mise en Page sur sa création ;
Qu'au contraire, la société intimée en a profité sans en supporter le coût pour prendre le marché à une entreprise;
Attendu que les agissements parasitaires de la SARL Les Presses du Villeneuvois constituent une faute qui a causé à la société La Mise en Page un préjudice moral, matériel et économiqueque la Cour, au regard des éléments de la cause, réparera par l'allocation de la somme de 15.000 F à titre de dommages et intérêts ;
Attendu qu'il y a donc lieu de réformer le jugement déféré en ce sens ;
Sur les frais irrépétibles :
Attendu qu'il y a lieu de mettre à la charge de la SARL Les Presses du Villeneuvois qui succombe une partie des frais et honoraires exposés par la société La Mise en Page et non compris dans les dépens que la Cour fixe à 5.000 F ;
Sur les dépens :
Attendu que la partie qui succombe doit supporter les dépens ;
Par ces motifs, LA COUR, Reçoit l'appel jugé régulier, Le déclare partiellement bien fondé, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SARL La Mise en Page de son action en contrefaçon, Mais le réforme pour le surplus et, statuant à nouveau, Condamne la SARL Les Presses du Villeneuvois à payer à Maître Leray, ès qualités de liquidateur de la SARL La Mise en Page : - la somme de 15.000 F soit 2 286,74 Euros à titre de dommages et intérêts, toutes causes de préjudice confondues, 700 du NCPC, - celle de 5.000 F soit 762,25 Euros par application des dispositions de l'article ; Condamne la SARL Les Presses du Villeneuvois aux dépens tant de première instance que d'appel et autorise Maître Burg, Avoué à la Cour, à recouvrer directement contre elle ceux d'appel dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu provision suffisante.