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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 11 octobre 2000, n° 2000-11311

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Union de Coopératives de Vignerons du Var Le Cellier de Saint-Louis (Sté)

Défendeur :

Domaines Ott (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachacinski, Mme Magueur

Avoués :

SCP Duboscq, Me Moreau

Avocats :

Mes Bissuel, Combeau.

TGI Bobigny, 5e ch., 1re sect., du 25 av…

25 avril 2000

La société Domaines Ott est titulaire de la marque figurative représentant une bouteille, déposée pour la première fois en 1951, renouvelée le 11 juin 1990, puis le 11 mai 2000.

Enregistrée sous le numéro 1.596.561, elle désigne notamment les vins, vins mousseux, cidres, bières, alcools, eaux de vie, liqueurs et spiritueux divers ainsi que d'autres produits relevant des classes 3, 5, 6, 16, 19, 20, 21, 29, 30, 32 et 33.

Elle est exploitée par la société Domaines Ott pour commercialiser des vins rosés bénéficiant d'appellations d'origine contrôlée comme le Côtes-de-Provence et le Bandol.

Reprochant à la société Union de Coopératives de Vignerons du Var - Le Cellier Saint-Louis dite U.Vi.Var, de commercialiser un vin rosé dénommé " Les Terres de Saint-Louis " dans des bouteilles reproduisant sa marque, la société Domaines Ott l'a assignée devant le tribunal de grande instance de Bobigny qui, par jugement du 25 avril 2000, a

- dit que la société U.Vi.Var a commis des actes de contrefaçon par imitation de la marque N° 1.596.561,

- interdit à la société U.Vi.Var de faire usage d'une bouteille reproduisant les éléments caractéristiques de cette marque, sous astreinte de 1.000 F par infraction constatée passé un délai d'un mois à compter de la signification de la décision,

- condamné la société U.Vi.Var à payer à la société Domaines Ott la somme de 180.000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 12.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- autorisé la publication par la société Domaines Ott de la décision dans trois journaux ou périodiques de son choix, aux frais de la société U.Vi.Var, sans que le coût total excède la somme de 30.000 F,

- rejeté le surplus des demandes.

LA COUR,

Vu l'appel de cette décision interjeté le 30 mai 2000 par la société U.Vi.Var et l'autorisation d'assigner à jour fixe à l'audience du 6 septembre 2000,

Vu les dernières écritures signifiées le 6 septembre 2000 par lesquelles la société U.Vi.Var, poursuivant la réformation du jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté la société Domaines Ott de son action en concurrence déloyale, après avoir soulevé la déchéance de la marque N° 1.596.561 pour défaut d'exploitation, conteste la contrefaçon de marque au motif que seule la forme particulière déposée peut être protégée et que le seul point commun entre les deux flacons en litige résulte de leur forme ovoïde, et demande à la Cour de

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir sur la déchéance, au Registre national des marques,

- condamner la Société Domaines Ott à lui payer la somme de 100.000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 60.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans trois journaux de son choix, aux frais de la société Domaines Ott sans que le coût de chaque insertion puisse excéder la somme de 20.000 F HT.

Vu les dernières écritures signifiées le 5 septembre 2000 aux termes desquelles la société Domaines Ott sollicite la confirmation du jugement déféré dans ses dispositions relatives à la contrefaçon, répliquant, à titre principal, que les demandes nouvelles formulées par la société U.Vi.Var dans ses écritures du 31 août 2000 sont irrecevables et subsidiairement mal fondées, pour le surplus, son infirmation en ce qu'il n'a pas été fait droit à son action en concurrence déloyale, demandant à ce titre

- de condamner la société U.Vi.Var à lui payer la somme de 250.000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- de condamner la société U.Vi.Var à modifier l'habillage de la bouteille du vin dénommé " Le Cellier de Saint-Louis ", sous astreinte de 1.000 F par infraction constatée,

- de l'autoriser à publier l'arrêt à intervenir et de fixer le coût des insertions à 100.000 F

Vu les conclusions signifiées le 6 septembre 2000 par lesquelles la société Domaines Ott sollicite le rejet des écritures signifiées le 6 septembre 2000 par la société U.Vi.Var et des pièces visées pour la première fois dans ces écritures

Sur quoi,

- Sur le rejet des écritures et des pièces

Considérant que les conclusions signifiées le 6 septembre 2000 par la société U.Vi.Var ne contiennent aucun moyen nouveau de fait ou de droit par rapport à celles signifiées le 31 août 2000, auxquelles la société Domaines Ott a pu répliquer le 5 septembre ; qu'en revanche, les trois pièces communiquées pour la première fois le 6 septembre 2000 sur lesquelles la société Domaines Ott n'a pas été à même de débattre contradictoirement seront écartées des débats ; qu'il n'est, en effet, ni établi, ni même allégué que ces documents n'auraient pu être produits en temps utile ;

- Sur la déchéance de la marque N° 1.596.561

Considérant que cette demande, bien que formée pour la première fois en appel, est recevable au sens de l'article 564 du nouveau code de procédure civile, s'agissant d'un moyen de défense tendant à faire écarter l'action en contrefaçon ;

Considérant que la société U.Vi.Var soutient que la société Domaines Ott n'a jamais exploité à ce jour la marque NC 1.596.561 qui lui est opposée, qui représente une bouteille nue ;

Mais considérant qu'il ressort des tarifs, bons de commande et documents publicitaires produits aux débats que la bouteille, dont la forme est protégée par la marque sus-visée, fait l'objet d'un usage public, sérieux et ininterrompu par le titulaire de la marque pour la commercialisation de vins rosés ; que l'habillage de cette bouteille par l'apposition d'étiquettes, elles-mêmes déposées à titre de marques, ne saurait exclure l'exploitation de la marque constituée par la forme même de cette bouteille ;

Qu'il s'ensuit que l'exception de déchéance soulevée par la société U.Vi.Var sera rejetée ;

- Sur la contrefaçon de marque

Considérant que la marque figurative représentant la bouteille est caractérisée, comme le décrit exactement la société intimée par :

- une forme ovoïde allongée,

- reposant sur un pied débordant,

- prolongée à son sommet par un goulot également allongé, renflé à son extrémité et comportant deux anneaux ;

Considérant que la société U.Vi.Var ne conteste pas la validité de la marque N° 1.596.561, mais soutient que la protection accordée à ce titre ne saurait s'étendre à toute forme ovoïde, sauf à protéger un genre, et doit être limitée à la seule forme particulière déposée ; qu'elle ajoute que la bouteille qu'elle commercialise ne reprend aucune des caractéristiques combinées avec la forme ovoïde, à savoir le pied débordant, le goulot allongé renflé à sa partie supérieure et évasé en forme de tulipe et le double anneau formant bague ;

Considérant que si, comme le relève à juste titre la société appelante, la protection accordée par la marque ne saurait s'étendre à toute bouteille dotée d'une forme ovoïde, la bouteille qu'elle commercialise présente, outre cette même forme, un pied qualifié par elle d'" évasé ", c'est-à-dire élargi à sa base et un goulot à l'apparence allongée ; qu'ainsi, sont repris les éléments distinctifs caractéristiques de la marque figurative ; qu'en effet, les différences de détails, non perceptibles par un consommateur moyennement attentif, tenant au diamètre du pied, à la hauteur du goulot, à l'absence d'anneaux, n'affectent pas l'impression d'ensemble identique qui se dégage de l'examen des deux flacons et sont de nature à créer un risque de confusion sur l'origine des produits ;

Considérant que les premiers juges ont donc à bon droit retenu que la société U.Vi.Var a commis des actes de contrefaçon par imitation de la marque N° 1.596.561 ;

- Sur la concurrence déloyale

Considérant que la société Domaines Ott reproche, en outre, à la société U.Vi.Var d'avoir adopté le même habillage que celui qu'elle emploie pour présenter les vins rosés qu'elle commercialise, dans la forme, la couleur, le décor des étiquettes et leur positionnement sur les bouteilles ;

Considérant que si les étiquettes placées sur la partie supérieure des bouteilles de la société Domaines Ott présentent une forme " en tonneau ", celles qui décorent la bouteille du vin dénommé " Les Terres de Saint-Louis " revêtent un renflement dans leur partie centrale, leur conférant une dimension sensiblement approchante ; que ces étiquettes de couleur crème pour les premières et blanc cassé pour les secondes, bordées dans les deux cas d'un liseré doré, sont ornées, sur les deux bouteilles en litige, de lettres de couleur rouge et noire ; que ces couleurs sont également utilisées sur la seconde étiquette apposée au dessus du pied des deux bouteilles ;

Que les documents produits aux débats attestent de la variété de présentations possibles quant à la forme, la couleur des étiquettes et leur emplacement sur les bouteilles et révèlent que le choix de la société U.Vi.Var, qui n'obéit à aucun impératif spécifique, ne peut être considéré comme fortuit ;

Qu'en commercialisant une bouteille sous un habillage présentant des similitudes avec celle de la société Domaines Ott, la société U.Vi.Var a entendu se placer dans le sillage de celle-ci pour tirer profit de sa renommée dans le domaine des vins rosés ; que les différences relevées par l'appelante à savoir la présence d'une troisième étiquette sur le goulot de la bouteille Ott, la nuance des coloris utilisés, ne sont pas suffisamment significatives pour éviter tout risque de confusion entre les produits ;

Considérant que ces agissements caractérisent un comportement déloyal ;

- Sur les mesures réparatrices

Considérant que les documents publicitaires produits aux débats par la société intimée établissent que les vins rosés revêtus de la marque contrefaite sont commercialisés dans les circuits de la grande distribution comme ceux de la société U.Vi.Var ; que si en raison de la différence de prix entre les vins offerts (100 F pour ceux du Domaines Ott, 15 à 30 F pour ceux de la société U.Vi.Var). la clientèle est distincte, l'atteinte portée à la marque du fait de sa dépréciation par la mise sur le marché de produits revêtus du signe contrefait a été exactement réparée par les premiers juges par l'allocation d'une indemnité de 180.000 F ;

Considérant que le préjudice s'inférant des actes de concurrence déloyale, qui tendent à détourner la renommée non contestée des vins du Domaine Ott sur le marché des vins rosés, doit être évalué à la somme de 150.000 F ;

Considérant que les autres mesures seront confirmées ; que la société U.Vi.Var, qui a disposé pendant la procédure d'un délai pour modifier le conditionnement de ses produits, n'est pas fondée en sa demande à ce titre ;

Considérant que la société U.Vi.Var qui succombe en son appel doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Considérant, en revanche, que les dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile doivent bénéficier à l'intimée ; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme complémentaire de 50.000 F ;

Par ces motifs : rejette des débats les trois pièces communiquées pour la première fois par la société U.Vi.Var le 6 septembre 2000, confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté la société Domaines Ott de sa demande au titre de la concurrence déloyale, le réformant sur ce point et statuant à nouveau, condamne la société U.Vi.Var à payer à la société Domaines Ott la somme de 150.000 F à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de concurrence déloyale. Y ajoutant, rejette le surplus des demandes, dit que la mesure de publication mentionnera le présent arrêt, condamne la société U.Vi.Var à payer à la société Domaines Ott la somme complémentaire de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, condamne la société U.Vi.Var aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.